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À l’heure actuelle, on observe en Occident la présence grandissante de professionnels en santé mentale et de chercheurs qui ont recours à des éléments théoriques et à des techniques issus des spiritualités de l’Inde, comme le yoga ou la méditation bouddhique. Bien qu’il soit assez fréquent que divers acteurs en santé mentale se réfèrent à ces spiritualités pour enrichir leurs connaissances et leurs techniques thérapeutiques, il s’avère pour l’instant difficile de cerner une position théorique claire sur ces sujets de la part de la psychologie occidentale et de bien identifier les sources sur lesquelles celle-ci s’appuie en ce domaine.

Généralement perçue comme bien enracinée dans la culture occidentale, la psychologie semble pourtant être allée puiser à différentes occasions au cours de son histoire dans les spiritualités de l’Inde pour nourrir sa réflexion, développer certaines théories et tenter d’importer des techniques thérapeutiques applicables aux Occidentaux. Des spécialistes comme Christine Maillard[1] vont même jusqu’à soutenir que les théories indiennes sur la psyché aient pu jouer un rôle dans le développement en Occident des premières théories sur l’inconscient. Il y a donc lieu de se demander de quelle manière la psychologie occidentale peut avoir été influencée par les théories indiennes tout au long de son histoire. Si tel est le cas, il paraît pertinent de chercher à comprendre la façon dont cette psychologie se serait appropriée, voire réappropriée, ces connaissances venues d’Orient avant de les proposer ensuite aux Occidentaux. Il importe en effet de mieux saisir les raisons qui expliquent la persistance d’une certaine fascination exercée par les spiritualités de l’Inde au sein de la psychologie occidentale contemporaine et de savoir comment s’y retrouver si l’on souhaite s’y intéresser sérieusement.

Bien que différentes techniques relevant des spiritualités indiennes soient reçues positivement, et parfois même avec ferveur, par plusieurs praticiens en psychologie, il faut convenir que la majorité des psychologues regardent avec beaucoup de scepticisme, voire de suspicion, les connaissances associées à ces techniques venues d’Orient. Les raisons de cette réserve n’apparaissent pourtant pas claires. Peut-être apparaîtraient-elles mieux si l’on explorait de façon parallèle le point de vue des indianistes qui ont effectué des recherches sur ces sujets et qui, de manière générale, ne se reconnaissent pas dans le discours véhiculé par une certaine psychologie en ce domaine.

Il s’avère donc nécessaire de chercher à mieux comprendre la manière dont s’est effectuée la rencontre entre la psychologie occidentale contemporaine et les spiritualités de l’Inde. Cette analyse vise à mettre en lumière le jeu d’appropriations et de réappropriations qui s’est produit au fil des contacts entre ces deux traditions. Il est à noter que le concept d’appropriation (et de réappropriation) utilisé ici s’est développé en anthropologie à l’intérieur des études postcoloniales sous l’influence, entre autres, de l’Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques[2]. Il se réfère aux transformations qui s’opèrent lorsqu’une culture entre en contact direct ou indirect avec une autre culture, que se multiplient les interprétations et les réinterprétations permettant à ces deux cultures de se situer l’une par rapport à l’autre, et que se créent dans un tel contexte des cultures renouvelées ou transformées. L’étude des rapports entre la psychologie occidentale et les spiritualités de l’Inde montre en effet que les contacts entre ces deux ensembles de traditions qui se sont produits depuis la fin du xixe siècle ont donné lieu, comme on pouvait s’y attendre, à diverses « appropriations », « réappropriations », et même à des « désappropriations », de certains éléments issus de l’autre tradition concernée (qu’il s’agisse de théories, de techniques, de concepts, de symboles), et ce sont précisément ces échanges que l’on se propose d’aborder dans cet article. L’examen de ces transformations devrait aider à mieux saisir les raisons pour lesquelles la psychologie hésite à se questionner sur de possibles emprunts faits aux religions de l’Inde et que, lorsqu’il en est question, de tels emprunts sont habituellement considérés comme peu crédibles. À l’issue de ce parcours, il devrait être plus facile de comprendre les raisons d’une fascination pour l’Orient qui persiste chez les psychologues occidentaux malgré le regard sceptique de plusieurs spécialistes.

I. Survol des influences subies par la psychologie occidentale au contact de l’Inde

Commençons par quatre coups de sonde à quatre moments de l’histoire lors desquels des psychologues occidentaux sont entrés en contact avec des éléments théoriques et/ou des techniques issus des spiritualités indiennes. (1) Depuis tout récemment, la psychologie manifeste un intérêt grandissant pour une méthode de méditation bouddhique, la méditation de la pleine conscience ou mindfulness meditation, en tant que technique complémentaire d’une approche psychothérapeutique déjà utilisée dans le traitement des troubles liés au stress, à l’anxiété et à la dépression. (2) La psychologie transpersonnelle, une approche souvent perçue comme marginale, considère le yoga comme une technique thérapeutique et d’épanouissement personnel depuis les années soixante. (3) Au cours des années trente, la psychologie des profondeurs a manifesté une curiosité marquée pour le yoga tantrique. (4) Vers la fin du xixe et le début du xxe siècle, soit à la période correspondant à la naissance de la psychologie occidentale, selon l’hypothèse proposée par Christine Maillard[3], les philosophies indiennes auraient influencé l’apparition et le développement de la notion d’inconscient en Occident. Témoins ponctuels d’un Occident en quête de connaissances sur la psyché humaine et le traitement des psychopathologies, ces quatre moments serviront d’entrée en matière à une réflexion sur les enjeux d’une telle appropriation.

1. La méditation de la pleine conscience de Jon Kabat-Zinn : fin du xxe et début du xxie siècle

Dans le paysage actuel de la psychologie occidentale, on remarque un intérêt grandissant pour un modèle de thérapie cognitive utilisant une technique appelée « méditation de la pleine conscience » (ou mindfulness meditation) en référence à l’un des aspects de la méditation bouddhique, la vipassanâ[4]. À la base de cette technique de méditation, il y a un professeur de médecine américain, Jon Kabat-Zinn, présenté comme un scientifique, un docteur en biologie moléculaire, un écrivain et un professeur de méditation rattaché à la Faculté de médecine de l’Université du Massachusetts aux États-Unis[5]. Cet homme a consacré une grande partie de sa carrière de chercheur à la relation entre le corps et l’esprit dans la guérison de certains problèmes de santé liés à des douleurs chroniques et au stress. C’est dans ce contexte qu’il a élaboré, vers la fin des années soixante-dix, un programme de « réduction du stress basé sur la pleine conscience », ou Mindfulness-Based Stress Reduction (MBSR), qui connaît depuis quelques années une popularité grandissante aux États-Unis et ailleurs en Occident.

Jon Kabat-Zinn définit la « pleine conscience », ou mindfulness, comme « une présence d’instant en instant[6] », un « état de conscience qui résulte du fait de porter son attention, intentionnellement, au moment présent, sans juger, sur l’expérience qui se déploie moment après moment[7] ». Il affirme que, « bien qu’à l’heure actuelle la méditation en pleine conscience soit le plus couramment enseignée et pratiquée dans le contexte bouddhiste, son essence est universelle. La pleine conscience n’est fondamentalement qu’une façon particulière de faire attention. C’est une façon de regarder profondément en soi-même dans un esprit d’examen et de compréhension de soi[8] ».

Bien qu’à quelques occasions, la tradition bouddhique et le yoga indien soient mentionnés comme étant à la source de la technique de méditation de la pleine conscience, Kabat-Zinn semble légitimer davantage sa technique de méditation à partir du caractère universel et pragmatique qui lui est associé. Dans la préface qu’il a rédigée au livre de Kabat-Zinn, Christophe André, un psychiatre d’origine française, prend soin de prévenir le lecteur que la méditation de la pleine conscience ne doit pas être comprise comme une démarche religieuse. Il précise ainsi sa pensée :

La méditation peut, et doit, lorsqu’elle est dispensée dans le cadre de soins, être une pratique laïque. Même si elle fait partie intégrante de toutes les grandes traditions religieuses, la méditation proposée par les thérapeutes est évidemment exempte de toute dimension religieuse. Mais non pas spirituelle : car une spiritualité sans Dieu est possible, comme l’a parfaitement démontré André Comte-Sponville, qui rappelle volontiers notre nature d’êtres éphémères ouverts sur l’éternité[9].

On note donc une nette volonté de dissocier l’utilisation de la « technique » de méditation de la pleine conscience du contexte religieux dans lequel elle a été à l’origine conçue. S’adressant aux professionnels de la santé et à la population générale, Kabat-Zinn insiste sur la simplicité de la technique et les bénéfices espérés du programme MBSR. Il fonde l’efficacité et la crédibilité de son programme sur des recherches expérimentales qu’il a effectuées aux États-Unis depuis les années quatre-vingt.

De manière plus concrète, le programme de « réduction du stress basée sur la pleine conscience » est un cours, réparti sur huit semaines, dans lequel sont enseignées des techniques de méditation inspirées de la méditation bouddhique et du yoga. La pratique régulière de la méditation a pour but d’amener une personne à développer des aptitudes à la pleine conscience et à faciliter en elle l’accès à ses ressources intérieures. Elle vise à mieux gérer le stress, la douleur et la maladie, et à favoriser une meilleure santé et un plus grand sentiment de bien-être.

C’est sur la base du succès connu par le programme MBSR que Zindel Segal, Mark Williams et John Teasdale[10] ont développé plus récemment une « thérapie cognitive basée sur la pleine conscience » ou Mindfulness Based Cognitive Therapy (MBCT) qu’ils appliquent à la dépression. Cette approche en psychothérapie s’efforce de joindre les techniques de thérapie cognitivo-comportementale (TCC) à l’utilisation de la technique de méditation de la pleine conscience telle qu’enseignée par Kabat-Zinn. Il est à noter que la TCC est généralement considérée dans le milieu médical occidental comme un modèle de psychothérapie dont l’efficacité a été validée par la recherche scientifique. La MBCT suscite actuellement en Occident un intérêt chez plusieurs intervenants en santé mentale et fait l’objet de différentes études expérimentales en milieux hospitaliers.

Dans l’ensemble, bien que la méditation de la pleine conscience soit reconnue comme étant issue de la méditation bouddhique et du yoga indien, le cadre théorique qui entoure le MBSR et la MBCT se concentre plutôt sur l’aspect pratique de l’utilisation de cette technique en tant que complément aux modèles de psychothérapie et des soins de santé habituels. On s’efforce ainsi de légitimer l’utilisation de cette technique sur la base des résultats obtenus et attendus par la recherche scientifique ainsi que sur celle des bienfaits relevant d’une expérimentation personnelle de cette technique de méditation telle qu’enseignée par Kabat-Zinn et ses collaborateurs. Il semble donc qu’on se soit ici efforcé d’extraire une technique de méditation issue d’une longue et complexe tradition religieuse et de se l’approprier en raison essentiellement de son utilité pratique et thérapeutique immédiate. Un soin particulier a été accordé à isoler cette méthode de son contexte d’origine à l’aide d’un protocole scientifique expérimental réalisé aux États-Unis, ce qui la met à l’abri de toute éventuelle association avec une dimension spirituelle ou religieuse proprement bouddhique. De plus, on ne fait pratiquement jamais référence à la conception hindoue ou bouddhique de l’être humain sur laquelle s’appuie cette technique de méditation. On peut également supposer qu’il vaut mieux ne pas soulever trop ouvertement le fait que l’édition française du premier ouvrage de Kabat-Zinn sur le sujet, intitulée Où tu vas, tu es[11], ait pu être publié dans la collection « Aventure secrète » des Éditions J’ai lu, à côté d’autres ouvrages portant sur la spiritualité, l’ésotérisme et la parapsychologie et regroupés dans la catégorie « Pouvoirs de l’Esprit/Visualisation ».

2. La psychologie transpersonnelle et le yoga : fin des années soixante

La psychologie transpersonnelle, qui s’est structurée vers la fin des années 1960, cherche alors à s’inscrire comme une « quatrième force » en psychologie, la première étant la psychanalyse, la seconde le behaviorisme (avec son rejeton qu’est l’approche cognitivo-comportementale) et la troisième l’approche humaniste. Cette approche, souvent perçue comme marginale dans le milieu de la psychologie, s’efforce d’approfondir des connaissances sur un aspect du développement humain susceptible de repousser les limites de l’ego et du corps. Elle propose une vision du développement de l’être humain qui se veut plus complète et plus positive, notamment en ajoutant la dimension spirituelle aux autres dimensions généralement admises par la psychologie que sont les dimensions émotionnelle, cognitive, physiologique, relationnelle et sociale. Elle n’hésite pas à recourir à différentes pratiques spirituelles, comme la méditation et la prière, afin de repousser sans cesse les limites du développement psychique de l’être humain jusqu’à des expériences et des états de conscience qui transcendent le Moi, le temps, l’espace et la réalité empirique. C’est dans ce contexte que la psychologie transpersonnelle s’intéresse ouvertement à l’Orient et qu’elle valorise l’utilisation du yoga à des fins psychothérapeutiques[12]. Selon la psychologie transpersonnelle, l’homme pourrait progressivement atteindre à un niveau de conscience qui le relie à une réalité divine, représentée par le concept du Soi, et dont la porte d’entrée réside en chaque être humain.

Dans la vision novatrice de l’être humain proposée par l’approche transpersonnelle en psychologie, le corps devient un moyen de réalisation spirituelle, plutôt qu’une entrave à celle-ci. On y présente une nouvelle anthropologie du corps, inspirée des spiritualités orientales, selon laquelle le cheminement spirituel passe par le développement d’une relation étroite et positive avec le corps. Selon cette vision, c’est en se libérant des limites du corps et de l’ego par un long processus de méditation qui, progressivement, le désindividualise, que l’homme peut accéder à un état « transpersonnel » de conscience et s’unir au Soi divin[13]. C’est dans ce contexte que l’approche transpersonnelle utilise, entre autres, certaines notions provenant du yoga indien afin de proposer à l’Occidental contemporain une vision différente de son corps qui l’ouvre à la dimension spirituelle, lui promet une meilleure condition de santé et lui fait découvrir toutes ses potentialités.

Dans un chapitre intitulé « Le corps, lieu du divin », Pierre Pelletier, philosophe et psychanalyste québécois, lui-même initié au yoga et à la méditation bouddhique, présente le corps comme un lieu d’accès privilégié au Soi divin à travers la pratique de « techniques corporelles » comme celle du yoga. Sa présentation des « thérapies transpersonnelles » met en lumière la nouvelle anthropologie du corps ainsi proposée aux Occidentaux. Selon Pelletier, ce modèle de compréhension de l’être humain issu des spiritualités orientales est particulièrement intéressant pour l’Occidental, puisque les techniques thérapeutiques qui y sont associées « ne visent pas seulement un état de bien-être et de détente », « elles sont des voies d’accès au Centre, au Soi, à l’Esprit[14] ». De plus, Pelletier considère que l’approche orientale du corps, en comparaison avec l’approche psychanalytique par exemple (celles de Wilhelm Reich ou de Sigmund Freud), ne se limite pas à une compréhension des modes d’expression pathologiques du corps, mais ouvre plutôt à une vision positive et saine du corps qui est en quelque sorte la condition de la réalisation personnelle et spirituelle de l’individu.

On peut en conclure que l’approche transpersonnelle s’est appropriée, et parfois réappropriée (ce peut être le cas lorsqu’elle utilise des notions tirées de la psychologie jungienne ou encore du Nouvel Âge), des éléments tirés des spiritualités indiennes pour proposer une nouvelle image du corps qui élargit la vision généralement adoptée par la psychologie occidentale contemporaine, et qui permet d’envisager une perspective de développement personnel et spirituel beaucoup plus vaste. Ken Wilber[15], un théoricien au coeur de la psychologie transpersonnelle, considère que les psychologies occidentales sont acculées à une impasse dans leur conception du développement de la conscience humaine et affirme qu’en puisant dans la psychologie indienne ou yogique, il est possible d’aller plus loin dans la perspective du développement de la conscience. Les psychologues de l’approche transpersonnelle semblent être allés puiser dans les spiritualités indiennes pour combler les lacunes qu’ils percevaient dans le modèle de compréhension inhérent à la psychologie occidentale.

3. Le yoga tantrique versus la psychologie des profondeurs : début des années trente

Si l’on remonte un peu plus loin dans l’histoire de la psychologie occidentale, on décèle des traces d’un intérêt marqué pour le yoga vers le début des années 1930. Cette rencontre de la psychologie avec le yoga influença la pensée de théoriciens comme Carl Gustav Jung, l’un de ceux qui ont le plus contribué à déclencher par la suite l’intérêt pour ce sujet chez d’autres psychologues. Jung est considéré comme l’un des acteurs principaux de la Tiefenpsychologie ou « psychologie des profondeurs », c’est-à-dire d’une psychologie qui, en explorant les profondeurs de la psyché, s’efforce de respecter la totalité de la psyché à la fois dans sa dimension consciente et inconsciente. En 1932, Jung donna une série de conférences sur le yoga tantrique au Club psychologique de Zurich en Suisse. Le compte rendu de ces conférences a donné lieu à la publication d’un livre intitulé Psychologie du yoga de la Kundalinî[16]. Dans ce livre, on retrouve d’abord quelques considérations permettant de saisir le contexte entourant l’intérêt que Jung manifesta à l’époque pour cette discipline spirituelle en provenance de l’Inde. En 1930, Gandhi entame sa marche du sel et l’Inde entre dans un processus de revendication d’indépendance face à la domination britannique. Ces événements eurent vite des échos jusqu’en Europe. Carl Gustav Jung est sensible à ce qui se passe en Inde à cette époque et commence à s’intéresser aux richesses que lui semble renfermer la pensée orientale. Il soulève peu à peu la question de la pertinence pour un médecin d’entrer en contact avec le système oriental de guérison dans le but d’accéder à un autre savoir qui puisse contribuer à enrichir les études en cours en psychologie occidentale. Peu à peu, il met en parallèle les techniques du yoga issues du contexte oriental et les modèles de transformation psychique proposés par certaines écoles psychanalytiques. Tout en conservant une grande prudence dans sa démarche exploratoire, Jung propose des réflexions susceptibles d’encourager un dialogue entre les théories psychologiques occidentales et orientales.

Dans sa présentation du yoga tantrique ou « yoga de la kundalinî », Jung semble percevoir une conception de l’être humain et de la psyché qui donne accès à des stades supérieurs du développement humain, et permet à la conscience d’atteindre un niveau de réalité subtil ou impersonnel. Il devient ainsi possible, par une discipline méditative, d’éveiller l’énergie de la kundalinî[17] et de parcourir progressivement les différents centres psychiques ou chakras pour enfin atteindre le Purusha, un état de conscience supérieur comparable à la réalité du Soi selon la théorie jungienne[18]. Jung insiste sur certaines distinctions entre un mode oriental de pensée, qui accorde une grande valeur à l’aspect impersonnel ou subtil des choses, et le mode occidental de pensée dans lequel prédomine la réalité personnelle et sensible des choses. Selon cet auteur, l’Orient s’est toujours efforcé de saisir la réalité psychique dans son ensemble tandis que l’Occident s’est souvent limité à la conscience. L’Orient témoignerait d’une certaine intuition ouvrant sur la réalité du Soi, et considérerait le Moi et la conscience comme des aspects plus ou moins secondaires de celui-ci. « L’Inde nous apparaît comme fascinée par l’arrière-plan de la conscience alors que nous nous identifions entièrement au premier plan, au conscient[19] », note-t-il avec toute la clarté désirable.

Jung soutient que la théorie indienne du yoga doit permettre un accès privilégié à un modèle de compréhension symbolique de la psyché selon une perspective beaucoup plus large et entière que le point de vue occidental. Il paraît non seulement avoir découvert de nouvelles connaissances susceptibles d’élargir le développement psychique humain perçu dans une perspective occidentale, mais il a également cru reconnaître dans cette théorie des éléments venant appuyer la théorie qu’il s’efforçait de développer par ses recherches propres. Il est connu que la théorie jungienne du Soi et du processus d’individuation tire en grande partie son inspiration d’éléments issus de sa rencontre avec les spiritualités indiennes. En effet, la réalité du Soi, qui est au centre de cette psychologie, est couramment comparée à celle de l’âtman (concept issu du Vedanta hindou[20]), comprise par Jung comme un principe spirituel se situant à l’arrière-plan du psychisme tout en demeurant active à travers lui en animant des phénomènes autrement inertes. Pour Jung, le but ultime de l’homme est la réalisation du Soi, par l’intégration progressive des éléments inconscients qu’il porte en lui et qu’il doit parvenir à unifier à sa conscience. C’est de cette façon que l’homme pourra rétablir sa totalité psychique, c’est-à-dire intégrer la partie inconsciente de sa vie psychique à sa réalité consciente.

Dans les conférences présentées par Jung sur la Psychologie du yoga de la Kundalinî, on retrouve essentiellement le fruit des efforts qu’il a investis pour trouver des équivalents psychologiques aux notions véhiculées par le yoga tantrique de l’Inde. Le concept de kundalinî y est comparé à la notion d’anima, les chakras à celle de mandala, ainsi que certains aspects de la discipline du yoga tantrique à des éléments de la cure analytique et du processus d’individuation tels qu’il les concevait. Il est à noter qu’à plusieurs reprises, Jung a lui-même reconnu ouvertement les limites de sa démarche comparative, notamment dans ce commentaire où il tentait, en réponse à une question qu’on lui avait posée, de définir la notion indienne de samskâra[21] : « Mais notez toutefois ceci : pour l’esprit oriental, la doctrine des samskâra est si différente de cette définition qu’un hindou désapprouverait sans doute ma tentative de comparaison[22] ». Bien que Jung, lors de ses conférences, ait proposé sa propre interprétation des éléments théoriques associés au yoga, ses réflexions se seraient d’abord appuyées sur l’ouvrage The Serpent Power d’Arthur Avalon (le pseudonyme de Sir John Woodroffe) ainsi que sur les travaux de Wilhelm Hauer à ce sujet. Wilhelm Hauer est l’indianiste allemand qui a fait connaître le yoga à Jung dans le cadre de séminaires auxquels ils ont tous deux participé.

Au début des années 1930, Jung ne fut pas le seul à prôner une transformation et un rapprochement des relations entre l’Orient et l’Occident. Les contacts entre ces deux univers culturels donnèrent, entre autres, lieu à des rencontres entre des psychologues et des maîtres spirituels hindous. Plusieurs penseurs de différentes disciplines (entre autres Mircea Eliade, Wilhelm Hauer, Heinrich Zimmer) semblent avoir pris part à des échanges portant sur de nouvelles connaissances et techniques spirituelles venues de l’Inde, selon une double perspective philosophique et psychologique. En effet, c’est dans le contexte de cet intérêt grandissant pour l’Orient que se créa en 1933, soit l’année suivant les conférences données par Jung, un regroupement multidisciplinaire ayant pour but d’explorer les liens entre la pensée orientale et occidentale et connu sous le nom de Cercle d’Eranos (Eranoskreis). Ces rencontres annuelles, dont il est possible de retrouver quelques traces dans l’Eranos-Jahrbuch, semblent avoir stimulé la réflexion de la psychologie concernant les spiritualités de l’Inde, et en particulier le yoga tantrique. La toute première conférence présentée par Henrich Zimmer et qui figure dans le cahier d’Eranos de 1933 s’intitule d’ailleurs Zur Bedeutung des indischen Tantra-Yoga[23]. Les différentes présentations de ce Cercle s’entendent sur le fait que ces rencontres eurent pour point de départ le désir d’établir des rapprochements entre la pensée orientale et la science occidentale de l’époque.

On peut ainsi constater que, dès les années 1930, dans un contexte historique où l’Inde attirait sur elle le regard des Occidentaux, la psychologie commença à s’intéresser ouvertement aux spiritualités de l’Inde. Elle semble à l’époque avoir privilégié une approche comparative entre l’Orient et l’Occident, censée lui permettre de s’approprier prudemment ces nouvelles connaissances venues d’Orient pour les mettre au service de penseurs occidentaux de l’époque qui souhaitaient avant tout développer leurs propres théories sur la psyché humaine et confirmer leurs intuitions premières. Cette réception de théories provenant des spiritualités indiennes au sein de la psychologie occidentale de l’époque semble finalement s’être effectuée au prix d’une transformation majeure de son savoir. En effet, profondément enraciné dans la culture indienne, ce savoir a dû être remanié et réinterprété à de multiples reprises pour pouvoir devenir recevable à l’intérieur du modèle de compréhension psychologique occidental existant à l’époque. De plus, il serait faux de croire que tous les acteurs en psychologie ont eu à l’époque la même attitude à l’égard de l’Inde, certains d’entre eux étant radicalement fermés à toute pensée indienne. Un exemple de cette attitude se retrouve chez Sigmund Freud lui-même qui paraît avoir toujours manifesté une résistance considérable à l’égard de l’univers culturel et religieux indien. Il en sera d’ailleurs question dans la section suivante.

4. L’hypothèse d’un rôle joué par l’Inde dans le développement des premières théories sur l’inconscient en Occident : seconde moitié du xixe siècle et première moitié du xxe siècle

On situe la naissance de la psychologie occidentale entre la seconde moitié du xixe et la première moitié du xxe siècle. Christine Maillard[24], professeure à l’Université de Strasbourg, s’est intéressée à l’histoire de la psychologie et à la réception des pensées et religions d’Asie dans l’espace germanophone entre le xviiie et le xxe siècle. D’après cette auteure, l’appropriation de plusieurs notions théoriques indiennes, par des européens de l’époque, aurait joué un rôle significatif dans le développement de la psychanalyse en Occident, et plus spécifiquement dans la formulation des premières théories sur l’inconscient. Elle cite en exemple le philosophe Eduard von Hartmann, à qui l’on attribue l’introduction de la notion d’inconscient en Europe vers la fin du xixe siècle, et qui se serait appuyé sur des notions provenant des spiritualités de l’Inde (en particulier celle du Brahman) pour donner forme à sa théorie.

Dans un ouvrage intitulé Histoire de la découverte de l’inconscient[25], Henri F. Ellenberger, un psychiatre canadien d’origine suisse, prend soin de distinguer « l’histoire de la découverte et de la théorisation de l’inconscient » et celle de « son utilisation pratique et thérapeutique ». C’est surtout au premier domaine que Christine Maillard s’est intéressée, soit au contexte entourant l’élaboration des premières théories de l’inconscient de la part de penseurs occidentaux. Or, selon plusieurs spécialistes, lorsqu’on examine le contexte historique entourant l’élaboration de ces nouvelles théories occidentales sur l’inconscient, on découvre que celui-ci correspond à une période de véritable « indomanie » dans les milieux intellectuels européens. Selon ces spécialistes, cette rencontre intellectuelle avec les spiritualités de l’Inde aurait influencé l’élaboration d’une nouvelle représentation de l’être humain en Europe, qui intégrait la notion d’inconscient, et qui allait ensuite contribuer à l’émergence de la psychologie occidentale contemporaine. La psychanalyse, dont les premières théories ont pris forme vers la fin du xixe siècle, se serait en quelque sorte réappropriée cette notion élaborée par la philosophie, pour développer un peu plus tard ses propres théories sur l’inconscient.

4.1. 1750-1850 : Les premiers sanskritistes rendent accessibles les textes indiens aux intellectuels européens et stimulent l’intérêt pour un comparatisme indo-européen

Ce sont d’abord les premiers sanskritistes européens qui, de 1750 à 1850 environ, ont permis une ouverture des milieux intellectuels de l’époque à l’exploration des connaissances transmises dans les spiritualités de l’Inde. Pascale Rabault Feuerhahn, chercheure en France au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), s’est intéressée à l’histoire des sanskritistes et philologues allemands au cours du xixe siècle. On trouve dans ce livre de 2008 une présentation détaillée des premiers efforts faits par des Européens pour accéder aux textes sanskrits indiens et les étudier.

Les Britanniques fondent en 1784 la Société Royale Asiatique de Calcutta où l’on étudie les textes sanskrits auprès d’érudits indiens. Peu à peu, les écrits indiens deviennent accessibles aux Européens et il ne s’avère plus nécessaire de se déplacer en Inde pour les étudier. À l’époque du romantisme allemand, on voit apparaître une véritable « indomanie » chez plusieurs intellectuels, dont certains philosophes. Ces derniers perçoivent dans les écrits indiens les archives d’une culture originelle commune, à la source des civilisations indiennes et européennes. Désormais, l’Antiquité grecque ne peut plus être étudiée seule, elle doit prendre en compte une « Antiquité orientale » parallèle qui renferme selon eux les archives d’une origine commune.

En 1804, le philosophe allemand et philologue Karl Wilhelm Friedrich von Schlegel entreprend l’étude des textes sanskrits à la Bibliothèque nationale de France à Paris et publie en 1808 un essai intitulé Sur la langue et la sagesse des Indiens. En 1803, dans une lettre adressée à Ludwig Tieck, il affirme : « Tout, oui tout sans exception a son origine dans l’Inde[26] ». Cet auteur introduit dans les milieux intellectuels allemands les premiers souffles d’un engouement pour l’Inde et le comparatisme indo-européen. Suivront une série d’intellectuels allemands qui tournent leur regard vers l’Inde, certains avec un regard admiratif (ex. Othmar Frank, Franz Bopp) et d’autres avec un certain scepticisme (ex. James Mill, Goethe, Hegel). C’est dans ce contexte que fleurit l’intérêt pour une conception indienne de l’être humain qui tient compte d’un niveau de réalité inconscient chez l’homme. Jean Biès, un essayiste français qui a exploré le thème de l’influence de la pensée hindoue sur la littérature française avant 1950, parle d’une « véritable explosion indienne en Europe[27] » au xixe siècle. Il signale de la grande fascination qu’exerça l’Inde sur les premiers philosophes de l’inconscient et note entre autres que « Schopenhauer salue Veda et Upanishad, prédit dans le Monde comme Volonté et Représentation que la sagesse indienne transformera de fond en comble [le] savoir et [la] pensée [de l’Europe][28] ». On s’efforce alors de mettre en parallèle cette conception indienne de l’être humain avec la vision occidentale qui circulait à l’époque. C’est donc essentiellement de manière comparative que l’Europe s’approche de l’Inde à cette époque.

4.2. Seconde moitié du xixe siècle : Les philosophes occidentaux s’approprient certaines notions provenant des spiritualités de l’Inde, pour ensuite développer leurs premières théories sur l’inconscient

Selon Henri Ellenberger[29], auquel il a été fait référence un peu plus tôt, c’est d’abord dans les réflexions émises par la philosophie que la notion d’inconscient prend une forme acceptable pour la pensée occidentale du xixe siècle. Parmi les premiers philosophes de l’inconscient, on retrouve Arthur Schopenhauer et Friedrich Nietzsche, qui utilisent le concept de « Volonté » pour parler d’inconscient et d’« intellect » pour parler de la conscience[30]. Cette Volonté inconsciente est alors souvent liée au corps, animé par la substance de notre humanité ; la poussée psychique qui en émane s’opposerait à la raison. Selon la dimension plus personnelle de cette vision de l’inconscient, l’homme est conçu comme « un être irrationnel, dirigé de l’intérieur par des forces qu’il ignore et dont il a à peine conscience ». Schopenhauer affirme : « La Volonté conduit nos pensées et elle est l’adversaire inavoué de l’intellect. La Volonté peut contraindre l’homme à empêcher d’entrer les pensées qui lui seraient déplaisantes […][31] ». Selon la dimension métaphysique associée à la Volonté de Schopenhauer, cette poussée issue de l’inconscient prendrait appui sur « l’unique Volonté qui est au fondement du monde comme chose en soi inconnaissable[32] », cela sous-entendant l’existence d’un inconscient collectif qui agirait sur l’Homme.

Si l’on tient compte de ces considérations, il est déjà possible de reconnaître dans la pensée de Schopenhauer une vision de l’inconscient qui s’approche de celle véhiculée par les premiers acteurs de la « psychologie des profondeurs » (en particulier Freud, Groddeck, Jung, Szondi). Ellenberger soulève d’ailleurs le fait que certaines découvertes généralement attribuées à Sigmund Freud, comme les « lapsus » et les « actes manqués », avaient déjà fait l’objet de spéculations chez Schopenhauer et avaient été reprises ensuite par Eduard von Hartmann[33]. Or, il semble que Schopenhauer, qui influença considérablement les penseurs de l’inconscient qui lui succéderont (comme Nietzsche et von Hartmann) et plus tard les premiers psychologues des profondeurs, se soit inspiré en grande partie des spiritualités indiennes pour élaborer ses théories. Raymond Schwab, dans l’ouvrage intitulé La renaissance orientale, soutient que, dès l’âge de vingt-cinq ans, Schopenhauer déclara que « nulle philosophie ne sera acceptable que selon sa concordance avec la doctrine védantique » et il n’hésite pas à afficher une grande affection pour les spiritualités de l’Inde comme le brahmanisme et le bouddhisme[34]. Il reconnaît également de lui-même trois sources principales à sa pensée : Platon, Emmanuel Kant et les Védas. Maillard affirme, quant à elle, que « parmi les philosophes européens, c’est Arthur Schopenhauer que l’on associe le plus couramment avec l’idée d’une réception productive de l’Inde[35] ». Les théories philosophiques de Schopenhauer sont donc considérées comme fortement imprégnées de pensée indienne. Roger-Pol Droit, chercheur au CNRS en France et spécialiste des doctrines orientales chez les philosophes occidentaux, confirme les déclarations de Schwab et de Maillard en affirmant qu’« il faudrait donc faire de Schopenhauer le plus philindien des philosophes du xixe siècle. Il n’aurait pas seulement porté l’Inde aux nues, il en aurait intégré à sa pensée des traits fondamentaux[36] ».

Parlant de l’inconscient, Lakshmi Kapani, spécialiste française de la philosophie indienne et comparée, reconnaît clairement qu’une réflexion approfondie des érudits indiens à propos d’une forme d’inconscient a précédé celle des penseurs occidentaux. Dans son ouvrage Schopenhauer et la pensée indienne. Similitudes et différences, elle fait la remarque suivante : « La visée sotériologique des penseurs indiens fait qu’ils étaient en avance sur Freud et sur Schopenhauer dans leur découverte des mécanismes psychiques subconscients et inconscients, considérés comme facteurs de servitude dont il convient de se libérer[37] ». Elle invite toutefois à la prudence vis-à-vis de la démarche comparative de l’époque et s’efforce de mettre en lumière la transformation de ce savoir indien par les Occidentaux. Il ne semble pas faire de doute que des mécanismes d’appropriation et de réappropriation, et donc de transformation, se soient mis en place lors des premiers contacts entre les penseurs occidentaux et la philosophie indienne. Bien qu’elle reconnaisse ouvertement l’influence de la pensée indienne sur un philosophe comme Arthur Schopenhauer, ainsi que l’influence de la pensée de Schopenhauer sur celle de Sigmund Freud, Kapani invite à la prudence face à l’interprétation que les Européens ont faite de la philosophie indienne à l’époque. Elle ne craint pas d’affirmer que, bien qu’il soit possible de voir plusieurs ressemblances entre certains aspects de la philosophie de Schopenhauer et certains autres éléments théoriques issus des textes brahmaniques et bouddhiques, il faut également tenir compte de plusieurs différences. Elle note entre autres la difficulté à identifier un équivalent en langue sanskrite au concept de Volonté qui est au coeur de la philosophie de Schopenhauer et que celui-ci, dans sa vision de l’inconscient, compare au Brahman indien. On peut en conclure que Schopenhauer s’est approprié des notions indiennes, selon la compréhension limitée qu’il en avait, pour ensuite les transformer afin de les mettre au service de ses propres réflexions philosophiques.

Bien que Nietzsche et Schopenhauer aient fait référence dans leurs théories à une forme d’inconscient, la parution en 1869 du populaire ouvrage Philosophie de l’inconscient d’Eduard von Hartmann[38] est considérée comme un moment déterminant dans l’utilisation plus spécifique de la notion d’inconscient en Europe. Selon Maillard[39], la grande popularité de cet ouvrage aurait contribué de façon importante à la diffusion de la notion d’inconscient vers la fin du xixe siècle au sein des milieux intellectuels européens, et constitue une source de référence majeure pour les premiers théoriciens de la psychologie occidentale. Elle précise qu’Hartmann s’inscrivait en continuité avec la vision de Schopenhauer et qu’il se serait appuyé sur des notions issues des spiritualités de l’Inde pour exprimer sa pensée, notamment sur celle de l’Un Tout qui fait immédiatement référence au Brahman indien.

Hartmann conçoit l’inconscient comme « un dynamisme hautement intelligent, quoique aveugle, sous-jacent à l’univers visible[40] ». Il prend soin de distinguer la manifestation de l’inconscient dans la vie corporelle de sa manifestation dans l’esprit humain, compris essentiellement comme la conscience ; puis il présente sa vision de l’inconscient selon trois niveaux : « l’inconscient absolu » qui animerait l’univers et préexisterait à toute autre forme d’inconscient, « l’inconscient physiologique » qui serait à l’origine de la création des espèces vivantes et de leur évolution, puis « l’inconscient relatif ou psychologique » qui serait à la base de la création de notre vie mentale consciente. Au début du premier tome de son ouvrage, il développe le concept de « Brahma » afin de montrer en quoi la vision de l’Inconscient que l’on retrouve dans la philosophie védantique mérite d’être approfondie par les Européens. Il affirme : « L’Inconscient est dans ce vieux livre indien de la philosophie du Védanta (Pancadasaprakarana) caractérisé avec une pénétration et une netteté qu’ont à peine égalées les plus récents parmi les Européens[41] ». Il présente la réalité inconsciente de Brahma comme « l’Être qui connaît toute chose », « le savoir absolu et inconscient […] qui n’est ni l’objet de sa propre conscience (il n’y a en lui aucune distinction de sujet et d’objet), ni l’objet immédiat de la conscience d’un autre être : car il est au-dessus de la sphère de ce qui est directement connaissable[42] ». Puis, lorsqu’il élabore, dans le second tome de son ouvrage, sa propre conception de l’inconscient, il utilise la notion de « L’Un-Tout » (all-one) pour définir l’Inconscient. Il affirme :

[…] l’unité du principe spirituel inconscient est dans l’individu la plus haute que l’on puisse trouver. L’Inconscient pourrait présenter une unité si parfaite, que toutes les manifestations de l’activité spirituelle inconsciente dans l’univers dérivassent de lui comme d’un principe absolument indivisible. Comme la matière et la conscience ne sont que des manifestations diverses de l’Inconscient, ce dernier serait donc l’individu qui embrasse tout, qui est tout être, l’individu absolu[43].

Sans entrer dans le détail de la théorie de l’inconscient de Hartmann, on peut dire que, tout comme Schopenhauer, qui fut pour lui une très grande source d’inspiration, il élabora sa théorie de l’inconscient en s’appuyant sur les spiritualités de l’Inde (plus spécifiquement sur la philosophie védantique) qui lui servent à illustrer et à construire sa pensée. Voici un extrait qui montre bien la valeur qu’accordait Hartmann à la pensée indienne :

Il est dans la nature des Orientaux de se montrer moins systématiques que nous dans le développement de leurs idées, mais d’être plus ouverts aux pressentiments des vérités les plus cachées, aux mystérieuses suggestions du génie. Aussi trouve-t-on enfouies dans les systèmes philosophiques des Indiens et des Chinois bien des conceptions précieuses, où l’on démêle très souvent avec surprise l’affirmation anticipée des vérités que la sagesse occidentale n’a découvertes qu’après des milliers d’années[44].

On peut ainsi voir à quel point Hartmann estimait la valeur des théories indiennes et c’est dans ce contexte qu’il créa sa théorie de l’inconscient qui allait favoriser par la suite l’émergence des premières théories de la psychologie occidentale vers la fin du xixe siècle. Tout comme Schopenhauer, il semble en quelque sorte s’être approprié, voire réapproprié, des notions indiennes pour les utiliser au développement de sa propre théorie sur l’inconscient.

4.3. Fin du xixe siècle et première moitié du xxe siècle : La psychologie des profondeurs émerge en se réappropriant une notion issue des philosophes de l’inconscient et en la confrontant à la réalité clinique

C’est vers la fin du xixe siècle que l’on voit apparaître en Europe les premières théories de l’inconscient dans le contexte de recherches cliniques en milieu médical, et qui vont peu à peu donner forme à la discipline de la psychologie en Occident. Les principaux acteurs de la psychologie des profondeurs sont principalement des médecins, dont quelques psychiatres, qui visent avant tout à cette époque à la compréhension et à la guérison d’états mentaux jugés pathologiques, comme l’hystérie par exemple, un syndrome que l’on retrouvait fréquemment à l’époque. Ce que l’on appelait la psychologie des profondeurs voulait sous-entendre l’idée d’un « fond de l’être » ou d’un « fond de l’âme » qui se situerait dans la partie inconsciente du psychisme, c’est-à-dire hors de la conscience du sujet. Cette nouvelle conception de l’être humain proposée aux Occidentaux supposait la préexistence en chacun des êtres humains d’un rapport de force constant entre la conscience d’une part, et une partie inconsciente qui l’anime et influence le fonctionnement de sa pensée d’autre part. Cette prétendue découverte propose aux Occidentaux une nouvelle représentation de l’être humain qui s’inscrit tout à fait dans la lignée des premiers philosophes de l’inconscient. Henri F. Ellenberger[45] présente d’ailleurs très clairement, dans les chapitres qu’il a intitulés « Les fondements de la psychiatrie dynamique », puis « À l’aube d’une nouvelle psychiatrie dynamique », les théories philosophiques sur lesquelles se sont appuyés les premiers penseurs en psychologie pour donner forme à leur discipline vers la fin du xixe siècle. On y retrouve alors les influences directes de Schopenhauer, Nietzsche et von Hartmann.

4.4. Première moitié du xxe siècle : On découvre différentes attitudes de la part de la psychologie à l’égard de l’Inde

Bien que l’on puisse maintenant admettre que l’émergence de la psychologie occidentale se soit effectuée au contact d’une certaine « influence indienne », les premiers théoriciens de l’inconscient en psychologie ici concernés ne semblent pas tous avoir établi le même type de relation avec l’Inde.

Dans le cas de Sigmund Freud, considéré comme le père de la psychanalyse, il paraît évident que l’approche de l’Inde s’est avérée plutôt froide et qu’elle dissimule diverses résistances. Sudhir Kakar, un psychanalyste freudien d’origine indienne, rapporte que Freud a toujours repoussé toute rencontre avec l’Inde. De façon générale, il affirme qu’il « n’éprouvait aucun intérêt envers les spécificités culturelles qui auraient pu l’inciter à réviser ou remettre en question ses principes durement acquis[46] ». Les quelques mots que Freud adressa à Romain Rolland expriment assez bien la résistance qu’il éprouvait à s’ouvrir à la pensée indienne : « Je vais à présent tenter de pénétrer avec votre aide dans la jungle indienne, dont un mélange incertain d’amour grec de la proportion, de sobriété juive et de timidité philistine m’a toujours tenu éloigné[47] ». On devine donc que, si l’Inde a influencé la pensée de Freud, cela s’est fait bien malgré lui. Toutefois, Livio Boni a remarqué, dans un article intitulé « Freud et l’Inde, herméneutique d’un itinéraire manqué[48] », que Freud semble avoir montré à quelques occasions (en particulier dans sa correspondance avec Romain Rolland) une certaine ouverture dans cette direction.

Boni note que Freud semble avoir vécu surtout de manière contraignante, voire confrontante, ses contacts avec l’univers indien et qu’il a généralement eu tendance à réduire l’Inde à de simples « pratiques mystiques ». Bien que Freud ait à l’occasion fait référence à des concepts issus des spiritualités indiennes, comme le nirvana, ce ne fut pas sans d’importantes déformations. Dans le cadre de ses échanges avec Romain Rolland, passionné de spiritualités indiennes, en particulier à propos de la notion de « sentiment océanique », il montre à la fois une certaine ouverture et de la réserve. Dans sa théorie, Freud se limite à la reconnaissance d’un contenu personnel relié à l’inconscient (c’est le cas des représentations repoussées hors de la conscience, car inacceptables pour le « moi » de l’individu) et refuse de s’ouvrir à toute interprétation plus engageante. Dans une lettre adressée à Rolland il lui écrit que « ses remarques sur le sentiment dit océanique ne lui ont laissé aucun repos[49] ». Peu avant la rédaction de Malaise dans la civilisation[50], il se propose de réfléchir sur cette notion qui lui vient des réflexions de Rolland et affirme : « N’attendez pas de lui [de ce nouveau livre] une appréciation élogieuse du sentiment océanique. Je m’essaye seulement à la dérivation analytique d’un tel sentiment. Je l’écarte pour ainsi dire de mon chemin. Dans quels mondes étrangers pour moi n’évoluez-vous pas ! Je suis fermé à la mystique autant qu’à la musique[51] ». À cette époque, Freud décrit la mystique comme « l’obscure autoperception du royaume extérieur au moi, du ça[52] » et tend négativement à l’associer aux divergences d’intérêt et de point de vue qui ont engendré la rupture de son amitié avec Carl Gustav Jung. Bien que Freud présente la plupart du temps une attitude de fermeture à l’égard de l’univers indien, Boni avance qu’il ne manifestait pas un refus total et qu’il a semblé parfois même démontrer une certaine ouverture. C’est le cas de la déclaration suivante : « […] je ne suis pas un sceptique inconditionnel, mais sur un point j’ai une entière certitude, c’est qu’il est actuellement certaines choses que nous ne pouvons pas savoir[53] ». Dans l’ensemble, Boni arrive à la conclusion que Freud ne semble jamais avoir franchi le pas d’une rencontre véritable avec l’objet symbolique « Inde », appréhendé le plus souvent sous l’angle d’une « inquiétante étrangeté ». Toutefois, si l’on s’appuie sur les idées de Maillard, il semble que les germes de ses premières théories sur la psyché aient tout de même préalablement subi une influence indienne, et cela bien à son insu.

Ellenberger affirme que l’existence d’une vie mentale inconsciente était déjà un fait admis chez la plupart des philosophes contemporains et que les psychologues auraient en quelque sorte déployé des efforts pour en établir l’existence de manière scientifique. En bref, ils ont puisé cette notion dans les théories philosophiques de l’époque pour en faire un concept empirique applicable dans un contexte clinique. Selon cet auteur, on retrouvait déjà dans la pensée de Schopenhauer et de von Hartmann des idées qui sont généralement attribuées à Freud. Thomas Mann, écrivain allemand qui s’est intéressé à la philosophie et à la psychanalyse, a souligné la ressemblance qu’il percevait entre les idées de Schopenhauer et celles de Freud[54]. Il a mis entre autres en lumière une grande similarité entre les notions freudiennes du moi et du surmoi et celles de Volonté et d’intellect telles que les concevait Schopenhauer. Selon Maillard, bien que l’on retrouve peu d’éléments indiens dans la pensée de Freud, on y faisait référence chez bon nombre de praticiens qui l’entouraient à l’époque, tels qu’Otto Rank et des noms moins connus comme C.D. Daily, Van der Wolk, ou encore Herbert Silberer qui sema les graines d’éléments théoriques que Carl Gustav Jung fit par la suite germer[55].

À cette attitude de résistance à l’égard de l’Inde qu’exprime Freud s’oppose celle de Carl Gustav Jung, que l’on a évoqué plus haut, qui éprouvait une grande fascination pour la pensée indienne et s’en inspira régulièrement pour élaborer et valider plusieurs de ses théories. Il est à noter que cette attirance pour l’Orient permet à Jung de différencier sa pensée de celle de Freud ; à partir de 1913, leur divergence amena Jung et Freud à rompre définitivement toute relation d’amitié. Sudhir Kakar dit même de Jung que « l’Inde était donc son alliée dans ses efforts pour empêcher la psychologie occidentale de devenir l’otage des théories sexuelles de Freud[56] ». Jung s’efforce ainsi de justifier sa perception de la vision limitée de l’inconscient freudien, et de promouvoir une conception plus large de celui-ci, en puisant notamment dans certains textes religieux de l’Inde comme le Shatapatha-brâhmana ou la Bhagavad-Gîtâ, ou encore dans Le livre des morts tibétain. Par exemple, dans son commentaire sur Le livre des morts tibétain, il affirme que l’inconscient freudien se limite à l’exploration du sidpa bardo, un état intermédiaire qui précéderait la renaissance. Ce faisant, il oublie que cet état n’est que l’un d’une série d’états intermédiaires et prend donc des libertés vis-à-vis de la théorie tibétaine.

Dans une section de son livre portant le titre de « Le rêve indien de la psychanalyse : Carl Gustav Jung », Maillard s’efforce de mettre en lumière l’étroite relation que Jung a entretenue avec l’univers indien pendant une grande partie de sa carrière. Elle affirme que Jung prend régulièrement appui sur l’Inde dans l’élaboration de ses théories : « L’Inde n’est pas pour Jung un engouement passager, mais l’accompagne toute sa vie, à partir des années 1910-1915, au cours desquelles il prend ses distances d’avec Freud, la rupture entre eux intervenant en 1913[57] ». Selon Kakar, Jung percevait l’Inde comme « l’opposé psychique de l’Europe, l’inconscient de l’Occident ». Il décrit une Inde qui valorise l’intuition et l’introversion en comparaison avec un Occident dans lequel prédominent la raison et la tendance à l’extraversion. On peut voir en quelque sorte chez Jung, notamment avec la notion d’inconscient collectif qu’il développa à la suite de Freud, un retour à une vision plus large de l’inconscient, comme c’était déjà le cas chez les philosophes de l’inconscient de la première moitié du xixe siècle, une vision qui s’accorde davantage avec la pensée indienne.

En effet, un aspect central de la théorie de l’inconscient qui fait que Jung se démarque de la vision freudienne, se trouve dans la distinction qu’il établit entre un inconscient dit « personnel » et un inconscient dit « collectif ». L’inconscient personnel se rapproche de celui de Freud et concerne les éléments refoulés associés au vécu personnel du sujet, tandis que l’inconscient collectif comprend les éléments « impersonnels » sous la forme d’archétypes ou d’images originelles, et sous-entend l’existence d’une réalité psychique universelle préexistante à la conscience. Selon la conception de Jung, l’inconscient collectif exercerait une activité constante sur la personnalité consciente qui s’en trouverait ainsi influencée. Jung s’efforce alors de montrer, à travers ses observations empiriques, la « réalité objective de l’âme », de l’inconscient, une vision qui s’inscrit davantage en continuité avec celle de Schopenhauer et de von Hartmann, qui se sont inspirés de la notion indienne de Brahman pour élaborer leurs théories.

Sans entrer dans les détails de la théorie jungienne, il importe de retenir ici que Jung fait régulièrement des parallèles entre plusieurs concepts centraux de ses théories et des éléments issus de la pensée indienne. Selon Maillard, la plupart des éléments théoriques qui font la spécificité de la pensée de Jung sont à mettre en relation avec la réception d’idées indiennes. On y retrouve « l’irréductibilité de la libido au sexuel et le caractère collectif de l’inconscient ; l’importance accordée aux complexes autonomes personnifiés et à la dissociabilité du psychisme ; la dynamique psychique envisagée en termes d’échanges des contraires avec la présence d’un troisième terme ; enfin, l’idée d’un sujet double, empirique et transcendantal[58] ». On peut donc constater que l’Inde paraît à la fois avoir influencé préalablement une notion à la base de la discipline dans laquelle Jung allait consacrer sa vie professionnelle, mais semble en même temps avoir exercé sur lui une influence directe qui allait s’inscrire dans la construction de sa pensée. Il paraît donc s’être approprié et réapproprié à la fois plusieurs notions indiennes pour les mettre au service du développement de ses propres théories, tout en reconnaissant ouvertement les limites de sa démarche comparative lorsqu’il se déplaçait dans le contexte culturel indien.

II. Critique d’une appropriation hâtive de notions indiennes par la psychologie occidentale

Bien qu’il soit possible de relever, à quelques moments de l’histoire de la psychologie occidentale, des traces de rencontre avec les spiritualités de l’Inde, il faut immédiatement reconnaître que les théories qui en émergent se sont souvent élaborées au prix d’une déformation considérable du savoir réellement professé par les érudits indiens. La psychologie semble avoir généralement eu tendance à assimiler les théories étrangères à son propre modèle occidental de compréhension. Par contre, si l’on se tourne du côté des indianistes, il est possible de retrouver une abondante littérature qui témoigne d’un effort constant pour respecter les théories concernées en les situant dans leur perspective indienne véritable. Il faut ajouter que les indianistes regardent même souvent avec beaucoup de scepticisme le point de vue que la psychologie occidentale adopte à propos des spiritualités de l’Inde.

Lakshmi Kapani et François Chenet, tous deux spécialistes en philosophie indienne et comparative, se sont intéressés à la possibilité d’un rapprochement entre les théories psychanalytiques qui se sont développées en milieu occidental et les spiritualités de l’Inde. Ils se réfèrent entre autres à William James pour poser les limites d’une explication psychologique générale de l’expérience religieuse[59]. Selon eux, la psychologie ne peut en aucun cas rendre compte de la réalité métaphysique que présuppose la religion. Ils dénoncent la tendance réductionniste de la psychologie, et plus particulièrement des tenants de la psychanalyse, dans son approche des phénomènes spirituels ou religieux en général. Ils invitent les personnes possédant un bagage théorique issu de la psychologie occidentale à plus de prudence quand elles souhaitent s’approcher de l’Inde, afin d’éviter de réduire la complexité de l’univers culturel indien à quelques rapprochements précipités avec les théories occidentales.

Jean Filliozat, un indianiste français à qui l’on doit d’importants travaux touchant l’univers socioreligieux indien, affirme que « [l]e danger d’erreur dans les interprétations assimilatrices de méthodes appartenant à des milieux étrangers les uns aux autres est à craindre surtout pour l’historien et pour le thérapeute. Il y aura ambiguïté tant que le chercheur se refusera à une explication des notions en accord avec la spécificité des doctrines[60] ». C’est également pour ces raisons que Kapani et Chenet prennent soin de sensibiliser le lecteur à la nécessité de prendre d’abord contact avec certaines notions importantes tirées des textes anciens de l’Inde, avant d’explorer cette culture d’un point de vue psychologique. Selon eux, il existe des différences considérables entre l’univers culturel et symbolique de la culture hindoue et celui de la culture occidentale, et ce serait faire fausse route que de tenter de comprendre des éléments de psychologie indienne sans se doter d’une connaissance minimale des référents à l’intérieur desquels puisent les Indiens pour se construire psychologiquement et appréhender le monde qui les entoure.

À propos des techniques de méditation indienne comme le yoga, Jean Filliozat remarque premièrement qu’elles s’inscrivent dans un modèle plus vaste de compréhension de la santé humaine que l’on retrouve en Inde, l’Âyurveda. Le terme âyurveda provient des mots sanskrits veda, au sens de « science » ou encore « savoir », et de âyuh, au sens de « longévité ». Âyurveda est donc souvent traduit par « science de la longévité[61] », en référence à une médecine particulière que l’on retrouve dans le contexte culturel et religieux de l’Inde, et qui est sans doute un héritage de la tradition védique ancienne pouvant remonter à plus de trois millénaires[62]. En plus de la transmission orale de génération en génération par les tradi-praticiens de l’Inde, certains éléments importants du substrat théorique contenus dans l’Âyurveda ont été conservés dans les trois documents essentiels que sont la Bhelasamhitâ, la Carakasamhitâ et la Sushrutasamhitâ[63]. Ces textes font partie de la vaste tradition qui relève du Veda et qui constitue le fondement de la religion brahmanique avec tout un ensemble de pratiques religieuses qui ont été regroupées dans la première moitié du xixe siècle sous l’appellation d’hindouisme[64]. L’Âyurveda paraît s’être répandue en Asie du Sud avant d’être intégré à diverses formes de médecines traditionnelles dont plusieurs sont, encore à l’heure actuelle, utilisées en Inde ou encore au Sri Lanka[65]. Il est à noter que, dans le système culturel et religieux de l’Inde, la pratique de la médecine traditionnelle est encore fortement présente et arrive même à concurrencer la médecine contemporaine apportée par la présence européenne. Le psychanalyste indien Sudhir Kakar affirme même que l’Âyurveda est le « dépositaire principal de l’image du corps et du concept de personne dans la culture indienne[66] » et constitue l’élément central de l’univers symbolique dans lequel l’Indien puise pour se construire une représentation de son rapport au monde (c’est-à-dire sa relation à l’environnement, aux autres, à soi-même, au cosmos).

En ce qui concerne la conception de l’être humain telle qu’on la retrouve dans l’approche âyurvédique, il est important de mentionner que l’Âyurveda conçoit l’homme comme un « ensemble » ou un système qui transcende les divers constituants de la personne. L’état et l’harmonie de ses constituants déterminent ainsi la santé globale d’un individu, ce qui inclut les aspects mental, physique, émotionnel, social ainsi que métaphysique. L’Âyurveda considère que l’esprit (incluant le mental) et le corps sont interdépendants et constituent un système qui tend vers une recherche constante d’homéostasie. Dans l’Âyurveda, la personne est toujours au centre de l’intervention, elle est mise à l’avant-plan par rapport à la maladie qui reste de l’ordre du contingent[67].

Dans les textes âyurvédiques qui traitent de la santé mentale, on retrouve trois sous-systèmes explicatifs (et curatifs) principaux. Il y a d’abord la théorie humorale, qui tend à concevoir les troubles de santé comme ayant été provoqués par des causes naturelles ou physiologiques (entre autres la perturbation des humeurs) ainsi que la théorie des samskâra, essentiellement rationnelle, qui met en lumière la manifestation d’événements psychiques ou psychosomatiques à la base de l’apparition de désordres affectant la santé. La démonologie constitue un troisième sous-système théorique présent dans les référents culturels de l’Inde et appartenant certainement à une tradition plus ancienne que l’Âyurveda[68]. Elle fait référence à la possibilité d’intervention d’esprits ou autres divinités pour expliquer la manifestation d’un désordre physique et/ou mental. Arion Rosu note qu’il importe d’établir une distinction importante sur le plan étiologique, à l’intérieur du système âyurvédique, entre des phénomènes pathologiques qui découlent d’une perturbation des humeurs (dosha-ja), les troubles de santé causés par les actes (karma-ja), ou encore ceux qui sont attribuables à ces deux facteurs à la fois (saha-ja)[69]. Il ajoute que l’apparition d’un trouble de santé peut également être attribuée à l’intervention d’un esprit malin (bhûta). En fonction du modèle étiologique âyurvédique favorisé, on pourra voir apparaître un mode de thérapeutique adapté comme l’utilisation de remèdes traditionnels dans le but d’intervenir sur les humeurs, l’« ajustement rationnel » (y compris certaines formes de yoga) pour agir sur l’équilibre du mental (ou manas) ainsi que le recours au divin par des rituels lorsque le domaine métaphysique est impliqué.

Il est important de préciser ici que le système âyurvédique distingue le « corps subtil » du « corps grossier ». Le « corps subtil », aussi appelé le « corps des signes[70] », se rapporte à « l’accumulation et l’organisation des traces inconscientes des actes et expériences psychologiques accomplis ou éprouvés dans la conscience[71] ». Il constitue en fait l’organisation psychique propre à un individu donné, et qui détermine les dispositions psychologiques ainsi que psychophysiologiques qui lui sont particulières comme, par exemple, certaines caractéristiques formant les traits de sa personnalité ou encore certaines fragilités impliquant des phénomènes de nature psychophysiologique. Selon la conception âyurvédique, cette organisation psychique prendrait appui sur ce qui est appelé le « corps grossier », et qui fait référence aux divers organes physiques dont dispose l’être humain pour se manifester à travers un corps matériel. Sans entrer dans le détail des théories associées à la psychologie indienne, notons que le manas représente un aspect important du « corps subtil », qu’il est impliqué dans les facultés découlant de l’intelligence (raisonnement, déduction, jugement, délibération, discrimination, etc.) au niveau du « sens du je », et qu’il joue un rôle important dans les fonctions d’autorégulation et de gestion des divers organes des sens ou de la motricité[72]. Une des fonctions qui est attribuée à ce manas concerne la conservation des traces mémorielles qui seraient laissées par les perceptions. Le manas aurait ainsi une implication importante au niveau de la « constitution de l’individualité psychique », essentiellement formée de contenus psychiques emmagasinés et organisés de façon propre pour un individu donné[73]. Rosu parle, quant à lui, d’un « montage d’événements psychologiques enregistrés[74] » pour illustrer la conception de l’organisation psychique caractéristique d’un individu, telle qu’elle est représentée dans l’Âyurveda et auquel l’activité du manas semble participer. Selon la perspective âyurvédique, certaines psychopathologies peuvent être engendrées par l’affaiblissement des facultés du manas. Sudhir Kakar remarque que le désir et la répulsion seraient souvent associés aux causes d’un « désordre » au niveau du manas[75]. Il décrit le désir comme le « souhait d’obtenir un objet qui a plu au corps ou au mental » et la répulsion comme une forme d’« évitement d’un objet ayant causé une souffrance au corps ou au mental » rattaché à une expérience désagréable sur le plan psychologique ou somatique. L’être psychique (sattva) en tant qu’« individualité » propre est donc conçu par l’Âyurveda comme découlant de l’ensemble des expériences psychologiques vécues dans l’existence d’une personne. Cela sous-entend que les « traces » laissées dans la psyché d’un individu par l’ensemble des perceptions auxquelles le manas entre autres a participé, soient déterminantes pour la constitution de l’organisation psychique qui lui est particulière. Rosu affirme, en parlant du manas, que « celui-ci non seulement centralise les perceptions et commande les actions, mais aussi conserve les empreintes des actes mentaux et surtout les organise en formations inconscientes (samskâra), dont dépend la structure de l’individualité psychique[76] ». Selon le point de vue traditionnel indien, ces formations inconscientes appelées vâsanâ ou samskâra cesseraient de demeurer actives, et donc d’exercer une poussée constante en arrière-plan de la conscience, pour ensuite se dissoudre dans la psyché d’un individu, lorsqu’elles sont « reconnues » par le sujet qu’elles affectent[77]. On peut donc comprendre que, selon l’Âyurveda, le fait de rappeler à la conscience certains vâsanâ et samskâra par des méthodes spécifiques pourrait engendrer une diminution, voire même l’arrêt, de leur activité inconsciente. Sans aller plus loin, notons que les concepts de vâsanâ et de samskâra font référence à un modèle d’explication rationnelle du fonctionnement psychique humain que l’on retrouve en Inde et qui sous-tend l’utilisation de certaines techniques spirituelles et psychothérapeutiques comme celle du yoga indien.

Rappelons ici que cette conception indienne du fonctionnement psychique à laquelle on vient de faire référence paraît avoir été mal interprétée au cours du xixe siècle par les psychologues occidentaux, probablement à cause des difficultés qu’implique tout effort de compréhension d’un système théorique que l’on déracine du contexte culturel et religieux à l’intérieur duquel il s’est constitué. Filliozat est on ne peut plus explicite :

[…] lorsque cette notion (samskâra) a été découverte en Europe au début du xixe siècle, elle n’a pas été clairement comprise, la psychologie européenne d’alors n’envisageant pas encore l’inconscient autrement que sous la forme de l’âme en état inactif. Les interprétations auxquelles elle a donné lieu en ce temps continuent parfois à obscurcir, même de nos jours, la compréhension de la théorie des samskâra[78].

Ces quelques remarques font entrevoir une différence considérable dans la manière d’approcher les connaissances associées aux spiritualités de l’Inde entre les indianistes actuels et ce que certains psychologues occidentaux croient savoir de nos jours. En effet, on peut rapidement constater que ce qui caractérise la position de ces spécialistes, qui effectuent des recherches sur les spiritualités de l’Inde depuis le début du xxe siècle, est une préoccupation constante du contexte culturel et religieux dans lequel s’inscrit la représentation du corps associé au yoga par exemple. The Serpent Power de Sir John George Woodroffe n’est qu’un premier exemple d’une telle approche, qui s’est peu à peu affinée. Ces indianistes semblent le plus souvent avoir cherché à utiliser des paramètres proprement indiens dans leur compréhension de façon à ne pas modifier l’essence des connaissances associées aux spiritualités de l’Inde pour les faire correspondre à une grille de lecture issue de théories occidentales, comme ce fut généralement le cas en psychologie. Nous allons maintenant voir en quoi ce manque de prudence de la part de la psychologie semble avoir engendré une appropriation précipitée de ces connaissances indiennes jusqu’à aujourd’hui, avec pour conséquence une réduction et une déformation considérable des théories complexes qui leur sont associées.

III. Enjeux de l’appropriation hâtive de certains concepts indiens par la psychologie occidentale

Comme nous l’avons vu un peu plus tôt, c’est au cours du xixe siècle qu’une nouvelle tradition a pris naissance dans la pensée occidentale contemporaine avec l’apparition de ce qu’il convient d’appeler la psychologie. On peut remarquer aujourd’hui le rôle important que jouent la psychologie et la psychiatrie dans la manière de concevoir le fonctionnement dit « normal », individuel et collectif, de l’être humain en Occident. Cette conception de l’être humain est devenue en quelque sorte un repère auquel la société occidentale se réfère pour définir la limite entre le fonctionnement « sain » ou « problématique » d’un individu donné. Celle-ci a également donné lieu au développement de méthodes thérapeutiques particulières, validées par les membres de la société ambiante, et visant à rétablir la santé ou « le bon fonctionnement » d’un individu souffrant d’un « trouble de la santé mentale ». Bien que cette discipline se soit toujours voulue « objective » et « scientifique », elle a porté avec elle une vision de l’être humain teintée des valeurs socioculturelles propres à l’Occident. Notons que, dans la suite d’un contexte culturel acceptant le colonialisme, cette vision culturelle occidentale s’est souvent camouflée derrière une prétention universelle, c’est-à-dire une revendication à détenir dans ce domaine des clés d’analyse et des solutions valables pour tous les êtres humains de la planète. L’approche de l’ethnopsychiatrie, développée en France par Georges Devereux et Tobie Nathan, a d’ailleurs soulevé les limites de cette prétendue universalité, notamment en confrontant l’application clinique des méthodes occidentales à des patients originaires de cultures étrangères.

Or, bien que la psychologie se soit développée dans un contexte occidental, c’est-à-dire sur la base des traditions culturelles et religieuses ayant cours en Occident (comme les traditions judéo-chrétiennes, les philosophies occidentales), elle est entrée en contact avec d’autres traditions à quelques reprises au fil de son histoire, ce qui l’a amené à devoir s’adapter et se transformer pour préserver sa cohérence. De plus, si l’on tient compte de l’hypothèse proposée par Christine Maillard, il semble même que, dès la période qui entourait sa naissance, la psychologie pourrait avoir subi une influence en raison des contacts indirects survenus avec des éléments théoriques en provenance de l’Inde. Ces rencontres avec d’autres traditions ont donné lieu à un jeu d’appropriations et de réappropriations qui a, par le fait même, pesé sur le développement de la nouvelle représentation de l’être humain qui s’établissait en Occident, et qui continue encore aujourd’hui à se transformer sous nos yeux (notamment avec la tendance à privilégier une vision comportementaliste et matérialiste du fonctionnement psychique dans le monde scientifique occidental actuel). Cela dit, il est très intéressant de constater qu’à plusieurs moments de son histoire, et même pendant les décennies où elle s’est formée, la psychologie occidentale semble avoir entretenu un rapport de fascination avec l’Inde. Il est alors légitime de s’interroger sur les raisons de cet état de choses et de chercher à cerner l’objet de cette quête.

Lorsqu’on remonte au contexte entourant la naissance de la psychologie en Occident, on peut penser que l’Inde ait pu contribuer à ouvrir l’Occidental du xixe siècle à un modèle anthropologique moins matérialiste et plus large sur le plan psychique, proposant un nouveau modèle de compréhension qui intégrait alors une dimension inconsciente à l’existence humaine. Dans un article intitulé « La réinvention du yoga par l’Occident », Ysé Tardan-Masquelier tente de saisir ce que recherche le spirituel occidental contemporain lorsqu’il se tourne vers des pratiques en provenance de l’Orient. Elle propose finalement trois raisons permettant d’expliquer pourquoi le yoga continue d’être diffusé en Occident encore aujourd’hui : 1) l’importance de la « référence au corps comme médiateur indispensable d’une vie intérieure et relationnelle équilibrée » dans un monde occidental moderne qui néglige le soin apporté au corps ; 2) la tendance du yoga à gagner en crédibilité en se « professionnalisant » et en se dotant d’un meilleur encadrement des enseignants ; 3) la persistance, chez les Occidentaux, du sentiment selon lequel les connaissances associées au yoga indien renferment « un capital de compréhension de l’humain » qui n’a pas encore été pleinement découvert[79]. Si l’on revient maintenant à la situation de la psychologie par rapport à l’Inde, il semble en effet que la persistance d’une fascination pour l’Inde au sein de la psychologie occidentale contemporaine témoigne de la conviction que les spiritualités indiennes pourraient constituer une source précieuse de savoir et de méthodes thérapeutiques encore méconnues par les psychologues et être ainsi profitables aux Occidentaux.

Après ce survol rapide de quelques moments caractéristiques de la rencontre entre la psychologie occidentale et les spiritualités de l’Inde, nous pouvons constater que la pensée indienne a été une source d’influence considérable chez plusieurs praticiens et chercheurs occidentaux en psychologie, et cela au sein de plusieurs de ses approches théoriques fondatrices. Toutefois, lorsqu’on examine de façon plus approfondie les sources sur lesquelles la psychologie s’est appuyée jusqu’à maintenant pour aborder ces sujets, nous nous retrouvons face à différentes questions et à l’obligation d’exprimer quelques réserves. Bien que nous ne contestions pas la valeur des efforts investis par la psychologie pour approcher l’Inde tout au long de son histoire, nous avons pu voir qu’elle semble avoir souvent privilégié une démarche d’appropriation hâtive dans ses contacts avec des concepts en provenance de l’Inde. Elle a ainsi fait preuve de négligence, à plusieurs occasions, en ce qui concerne la crédibilité des sources théoriques dans lesquelles elle est allée puiser pour s’y intéresser. Il est normal que les contacts entre l’Inde et l’Occident donnent lieu à diverses appropriations, mais il importe de distinguer les emprunts faits par des « spirituels occidentaux » (dans lesquels on peut inclure certains psychologues), qui donnent souvent lieu à de graves distorsions, des efforts investis par des scientifiques pour cerner la conception psychologique sur laquelle reposent les spiritualités indiennes. Ces considérations permettent d’expliquer, du moins en partie, les raisons du regard sceptique que l’on porte sur la psychologie lorsqu’elle traite de ces questions. À la différence des psychologues, les indianistes se sont quant à eux le plus souvent efforcés de comprendre les notions de base de la psychologie indienne en les replaçant dans leur contexte d’origine et en se formant aux différentes disciplines nécessaires pour comprendre la pensée et les techniques de l’Inde. Ainsi, ils ont poursuivi une démarche d’appropriation beaucoup plus prudente, et souvent plus consciente, limitant les risques de déformations majeures dans l’acquisition de ce savoir et dans la traduction de ces notions en des termes compréhensibles pour les Occidentaux. Si la psychologie souhaite poursuivre ou entreprendre d’éventuelles recherches sur ces questions, elle aurait donc tout intérêt à étudier les nombreux travaux réalisés par les indianistes de façon à accéder à un point de vue complémentaire et beaucoup plus prudent.

Jusqu’à maintenant, la psychologie paraît s’être appropriée des notions indiennes souvent mal comprises, ou insuffisamment assimilées, et malgré cela il semble que ces appropriations ont fourni des apports intéressants et parfois même des résultats positifs (par exemple dans le cas des recherches scientifiques sur l’utilisation de la méditation de la pleine conscience). On peut se demander si, de nos jours, les psychologues n’auraient pas avantage à mieux connaître le sens exact des notions psychologiques de l’Inde et plus spécifiquement de celles qui entourent l’utilisation des techniques psychiques qui leur sont associées. Bien que l’on puisse constater à différents moments de l’histoire de la part de la psychologie une volonté d’approcher l’Inde, il semble en effet que les penseurs occidentaux n’aient la plupart du temps pas pris en compte le contexte dans lequel s’inscrivent ces théories et techniques de spiritualités indiennes. Jean Filliozat, qui avait aussi une formation médicale, a répété que la psychologie indienne avait souvent été mal comprise de la part des penseurs occidentaux. Il a remarqué que les psychologues européens se sont avérés dans plusieurs cas précis incapables de saisir le vocabulaire et les théories issues des textes indiens sanskrits, avec pour effet que les concepts indiens ont été fréquemment mal traduits et interprétés. Il paraît évident que la psychologie occidentale n’est pas parvenue à rencontrer la pensée indienne dans toute sa richesse et sa complexité.

En ce sens, il est intéressant de constater qu’à l’heure actuelle, malgré les divergences de point de vue entre les différentes approches en psychologie, plusieurs d’entre elles cherchent des moyens d’apprivoiser une Inde qui les intrigue et dont ils espèrent des panacées. Que ce soit par le recours à des techniques comme le yoga ou encore la méditation bouddhique, les spiritualités de l’Inde continuent de susciter la curiosité et la fascination. Elles constituent une source riche de savoir sur le fonctionnement psychologique de l’être humain que la psychologie occidentale ne connaît que très peu. Les considérations réunies dans cet article montrent que l’Occident ne fut pas seul à s’investir dans la compréhension du fonctionnement psychique humain et à développer des techniques thérapeutiques efficaces. L’Orient semble même l’avoir fait avant lui, avec une complexité et une rigueur souvent comparables. Il s’avère donc pertinent d’approfondir l’analyse de cette rencontre entre Orient et Occident en psychologie, non seulement dans une perspective historique, mais en analysant les essais contemporains faits pour établir des rapports féconds entre les théories de la psychologie occidentale et les spiritualités de l’Inde.

Afin de redonner davantage de crédibilité à un savoir indien souvent malmené et déformé par différents courants spirituels occidentaux qui véhiculent une vision réductrice et fausse des spiritualités de l’Inde, il apparaît maintenant nécessaire pour la psychologie de faire le tri dans les sources disponibles sur ces thèmes et de tenir compte des recherches sérieuses qui ont été effectuées par les indianistes en ce domaine. En étudiant de manière comparative le point de vue adopté par la psychologie au fil de son histoire et les travaux des indianistes en ce domaine, on peut penser qu’il sera possible de mieux saisir les différents mécanismes de transformation et d’adaptation impliqués dans la réception de ces éléments de spiritualités indiennes au sein de la psychologie en Occident, et peut-être d’éviter certaines dérives que connaît la psychologie quand elle se tourne sans s’en rendre compte du côté des formes de spiritualités populaires plutôt que vers des autorités reconnues en ce domaine. Nous pourrons alors mieux cerner les raisons du regard sceptique que suscite cette psychologie. De plus, il sera possible pour les psychologues de revisiter ces connaissances avec une plus grande rigueur et en respectant davantage le sens précis et la complexité des notions indiennes concernées.