Recensions

Joseph Stephen O’Leary, L’art du jugement en théologie. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Cogitatio Fidei », 278), 2011, 378 p.[Notice]

  • Maurice Boutin

…plus d’informations

  • Maurice Boutin
    Université McGill, Montréal

Joseph Stephen O’Leary plaide pour ce qu’il appelle le « jugement réfléchissant » en tant que « libre jeu critique de l’esprit » qui n’est prisonnier d’aucun dogme, « car même les dogmes se révèlent être au fond des outils servant à mener à bien un travail de compréhension réfléchissant » qu’il faut replonger dans le mouvement de réflexion qui les a engendrés et « repenser à partir de leur origine pour permettre leur développement ou “dépassement” dans une réflexion ultérieure plus souple » (p. 15). Le projet est clairement décrit en ces termes : L’A. donne à ses propos une « visée thérapeutique […] en les situant dans une opposition à certaines habitudes mentales qui sont à la base de bien des maux qui assombrissent le seuil du nouveau millénaire. Ce sont : le fondamentalisme, le sectarisme, le scolasticisme, le bureaucratisme, et l’obsession de l’orthodoxie » dont il donne ce qu’il appelle « des descriptions sommaires » (p. 16) qui ne dépassent guère le domaine du convenu. Les « antidotes » à ces maux sont « l’herméneutique, le dialogue, la recherche du réel, l’engagement dialectique avec lui, et la confiance née de la foi » évangélique (p. 18-20). Ces « activités salutaires » sont regroupées « sous la dénomination générale du “jugement — entendu au sens de la faculté de juger — théologique”. Elles représentent une pensée en mouvement, que nulle clôture définitive n’arrête et qui ne saurait se consolider en système fonctionnant de façon automatique » (p. 18). Sortir du cocon, s’exposer à une réalité extérieure, sentir le poids du monde… une tâche ardue exigeant une vie ecclésiale branchée en permanence sur ce qui se passe dans le monde. Mais pour l’A., le « débat avec la modernité » ne doit pas devenir pour autant « un prétexte pour plaquer des catégories désuètes sur des expériences et des modes d’expression [ceux d’une foi “en santé” — p. 16] qui résistent à cette récupération, et dont il faudrait au contraire faire sentir l’effet subversif » (p. 17). C’est ainsi que l’A. se sent obligé de payer son tribut à ce qui est devenu, depuis les années 1970 en théologie, un poncif : le fameux « subversif » (voir aussi p. 23, 145, 299) ! Le chapitre 1 (« Jugement et méthode en théologie fondamentale », p. 9-61) est un vibrant plaidoyer pour un en deçà de débats singuliers autour de Heidegger, de Derrida, de Jean-Luc Marion et aussi de Husserl, en vue d’une phénoménalité qui ne soit plus l’effet de velléités restées « vagues » et « obscures » (p. 10). Au coeur du chapitre, la section « la souveraineté du jugement » (p. 31-49) insiste également sur un en deçà des méthodes (p. 31-37). « Quand je distingue méthode et jugement, c’est en présupposant que le jugement est à l’oeuvre dès le départ, et commande de façon implicite ou explicite au déploiement des méthodes. […] Au-delà des données et de leur traitement par différentes méthodes, le jugement intervient comme autorité souveraine » (p. 34). « Une théologie pensante ne peut se contenter de déployer des méthodes, telles que les huit “spécialités fonctionnelles” définies par Bernard Lonergan » (p. 31), même si « une religion est une méthode construite par les humains au cours des siècles pour se mettre en contact avec l’ultime » (p. 149). Il en va de même pour l’herméneutique : « […] elle aussi, même si elle met en question le primat de la méthode, comme chez Gadamer, reste une méthode au sens large. Ainsi elle reste un auxiliaire du jugement et ne le détermine …