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Dans cette contribution on s’interrogera sur la pertinence de l’emploi des termes « juif » et « judaïsme » pour désigner des réalités de l’Antiquité[1]. Le terme Ioudaismos[2], que l’on traduit généralement par « judaïsme », est en effet un terme rare qui n’apparaît qu’à la seconde moitié du iie siècle avant notre ère en opposition au terme Hellenismos[3] (« hellénisme[4] »). Or, si Ioudaismos n’apparaît qu’à la période hellénistique, peut-on parler de « judaïsme » lors de la destruction du premier temple de Jérusalem sous Nabuchodonosor II (587 avant notre ère) ou au moment de la conquête d’Alexandre le Grand (332 avant notre ère) ? Selon S. Mason et d’autres chercheurs, ce n’est qu’à partir du iiie siècle de notre ère, avec Tertullien, que Ioudaismos est employé pour désigner un système de pensée proche de notre définition moderne de « judaïsme[5] ». Pourtant, dans les faits, le terme « judaïsme » est si bien établi dans la recherche moderne qu’il demeure[6]. Le même problème se pose avec l’emploi du terme « juif » pour traduire Ioudaios. En effet, en français, le terme « juif » désigne d’abord un adepte de la « religion des Juifs », alors que dans les sources anciennes, Ioudaios désigne plutôt une personne habitant la Judée ou originaire de cette région et adhérant à ses traditions. Il conviendrait donc de traduire le terme Ioudaios par « Judéen » plutôt que par « juif [7] » — terme dont S. Mason conteste l’utilisation pour toute l’Antiquité —, pourtant peu d’auteurs adoptent cette terminologie plus adéquate pour désigner cette réalité antique. Cette contribution fait le point sur les travaux récents qui abordent le problème de l’utilisation de catégories modernes (« juif »/« judaïsme ») dans l’étude des traditions judéennes de l’Antiquité.

Comme l’écrit H.-I. Marrou, « […] l’historien n’est pas ce nécromant que nous imaginons, évoquant l’ombre du passé par des procédés incantatoires. Nous ne pouvons pas atteindre le passé directement, mais seulement à travers les traces, intelligibles pour nous, qu’il a laissées derrière lui, dans la mesure où ces traces ont subsisté, où nous les avons retrouvées et où nous sommes capables de les interpréter […][8] ». Quand vient le temps d’étudier le passé, l’historien dépend des sources disponibles. Pourtant, nombre de recherches récentes ne reposent pas suffisamment sur les sources anciennes et les présupposés modernes prennent souvent le pas sur les réalités historiques. La recherche repose alors sur ces évidences ainsi fabriquées et leurs résultats, qui ne sont plus confrontés aux sources anciennes, deviennent des acquis rarement remis en question. Or, le chercheur qui utilise les catégories modernes pour faire l’étude des réalités antiques doit travailler en accord avec ce que disent les sources, à défaut de quoi la description qu’il fait des phénomènes étudiés n’est que spéculation. Fort heureusement, les spécialistes de l’étude du peuple judéen de la période du Second Temple semblent de plus en plus sensibles à la juste compréhension des réalités anciennes, notamment en ce qui concerne deux problèmes propres à ce domaine d’étude : d’abord aux limites du concept moderne de « judaïsme » quand vient le temps de décrire une réalité antique, ensuite, à la façon juste de traduire Ioudaios pour respecter l’ethnicité du peuple se réclamant de cette appellation ou étant désigné ainsi par l’altérité.

I. La guerre des Maccabées : une entrée en matière

Pour comprendre les premières occurrences du terme Ioudaismos en 2 Maccabées, il faut tenir compte de la séquence des événements historiques ayant mené au conflit maccabéen du iie siècle avant notre ère, lequel trouve ses origines à la mort d’Alexandre le Grand en 323 avant notre ère lors des disputes opposant les diadoques sur la question de sa succession[9]. Parmi les plus puissantes dynasties qui se partagèrent alors le pouvoir, les Lagides et les Séleucides s’affrontèrent sur la question de la répartition du territoire de la Syrie[10]. En 301 avant notre ère, la Judée, qui en faisait partie, tomba sous le contrôle de la dynastie lagide pour passer, dès le siècle suivant, sous contrôle séleucide[11]. La plupart des souverains hellénistiques adoptèrent en matière religieuse une politique de tolérance, de sorte que sous la domination des Lagides, puis des Séleucides, les Judéens furent toujours exemptés du culte royal. Flavius Josèphe, dans le Contre Apion, affirme d’ailleurs que « presque tous les rois (scil. les souverains séleucides) […] témoignèrent à notre égard des plus bienveillantes dispositions[12] ». En fait, cette attitude favorable aux Judéens, leur permettant de respecter leurs coutumes ancestrales, fut adoptée par la plupart des souverains hellénistiques[13].

Toutefois, sous le règne d’Antiochos IV Épiphane, la situation des Judéens changea[14]. Après l’assassinat de Séleucos IV en 175 avant notre ère, Joshua, dit Jason, frère d’Onias III — grand-prêtre déposé en 175 avant notre ère —, fut nommé grand-prêtre par Antiochos IV. Jason mit en oeuvre une réforme radicale des institutions judéennes. Selon 2 Maccabées, Jason était un « impie » dont les actions ne pouvaient conduire qu’à la suppression de la Torah[15]. Cependant, il faut certainement nuancer cette information, car il s’agit de l’unique source relatant les événements et les propos tenus par l’auteur de 2 Maccabées sont politiquement engagés contre Jason. La réforme de Jason devait plutôt permettre aux notables judéens d’adopter une manière de « vivre à la grecque », sans nuire au respect de la Torah[16]. Cette interprétation est plus conforme à la réalité historique puisqu’elle tient compte de la division qui régnait entre les Judéens eux-mêmes sur la question de l’hellénisation de la Torah ; la réforme de Jason n’étant pas politique, mais culturelle. Parallèlement, on comprend la source même du conflit, car pour la masse du peuple, il pouvait sembler difficile de concilier les moeurs grecques et la Torah, et ce, sans transgresser la Loi.

À ses débuts, la réforme de Jason ne semble pas avoir causé de problèmes majeurs. Ce n’est qu’à partir de 172 avant notre ère, avec le pontificat de Ménélas, que le peuple commença à s’agiter devant la faction pro-hellène de Jérusalem. À cela s’ajoutait une pression fiscale jamais vue sous domination séleucide, le prélèvement fiscal en faveur du roi étant passé de 300 talents sous Antiochos III à près de 1 000 talents par an sous Antiochos IV, ce qui souleva un tollé de protestations. Antiochos IV conclut à une révolte en Judée, ce qui le mena, à l’automne 168, à promulguer un édit de persécution interdisant toute pratique de la Torah[17].

Conséquemment aux mesures de persécution mises en place, la résistance de la masse du peuple, d’abord passive, se changea en rébellion[18]. Les actions entreprises par le prêtre Mattathias et ses fils pour s’opposer à l’hellénisation de la Torah gagnèrent la population restée fidèle aux traditions ancestrales. Le conflit, qui éclata en 167 avant notre ère, connu sous le nom de guerre des Maccabées, révèle non seulement une opposition d’une partie des Judéens à la culture hellénistique, mais également un conflit au sein même de la société entre les Judéens hellénisés, favorables à la culture grecque, et les Judéens réclamant une observance stricte de la Torah. S.C. Mimouni montre d’ailleurs que lors du conflit des Maccabées, l’affrontement entre le peuple judéen resté fidèle à la Torah et les autorités judéennes pro-hellènes est surtout un conflit entre la culture judéenne et la culture grecque[19]. La principale figure militaire de cette révolte est l’un des cinq fils du prêtre Matthatias, Judas Maccabée qui prit, dès 166 avant notre ère, le commandement de l’insurrection. Après avoir conduit les forces judéennes contre les Séleucides, il devint un héros de l’histoire judéenne, un symbole de courage. On célèbre d’ailleurs encore aujourd’hui, lors de la fête de Hanukkah, la conquête de Jérusalem et la purification du Temple qu’il dirigea le 14 décembre 164 avant notre ère.

II. Ioudaismos - Hellenismos

Les premières occurrences de Ioudaismos[20] en 2 Maccabées suggèrent que ce terme est apparu en réaction à la culture grecque désignée par le terme Hellenismos[21] dans le contexte du conflit maccabéen que nous venons d’évoquer, c’est-àdire en situation de résistance[22]. Pour toute la période du Second Temple, on compte seulement cinq occurrences du terme Ioudaismos — trois en 2 Maccabées, une autre en 4 Maccabées et une dernière chez Paul dans l’Épître aux Galates[23] — qui sont toutes utilisées pour marquer le contraste avec une autre culture, l’hellénisme, ou contre une réalité probablement assimilée par Paul à l’hellénisme. Ni Flavius Josèphe, qui s’adresse à des non-Judéens, ni Philon d’Alexandrie, pourtant un Judéen de langue grecque, n’utilisent le terme Ioudaismos, sans doute parce qu’aucun d’eux ne percevait sa tradition en opposition avec la culture dominante[24].

Par conséquent, dans les faits et dans les textes anciens, lorsqu’il est employé, le terme Ioudaismos ne correspond pas à notre concept moderne de « judaïsme », au sens de « religion des Juifs », lequel est apparu dans la langue française au début du xiiie siècle dans l’oeuvre de Gautier de Coinci[25]. Dans les textes anciens de la période du Second Temple, il n’existe aucun équivalent hébreu ou araméen qui corresponde à cette acception moderne[26]. Dans toutes les occurrences de cette période, le terme Ioudaismos doit être pris dans un sens culturel et trouve sa pleine signification en contexte de résistance.

Ainsi, 2 Mac 2,21 fait référence aux « braves qui luttèrent pour le Ioudaismos[27] » et 2 Mac 8,1 décrit comment les partisans du Ioudaismos « appelaient à eux leurs frères de race », c’est-àdire « ceux qui demeuraient fermes dans le Ioudaismos[28] ». Le passage de 2 Mac 14,38 relate les événements entourant l’accusation portée contre Razis, un ancien de Jérusalem, qui fut « inculpé de Ioudaismos » et qui avait « exposé […] sa vie pour le Ioudaismos[29] ». Pour sa part, 4 Mac 4,26 décrit des mesures mises en place par Antiochos IV Épiphane pour contraindre la masse du peuple restée fidèle aux traditions de renoncer au Ioudaismos[30]. Pour sa part, Paul emploie le terme Ioudaismos pour marquer un contraste avec le mode de vie qu’il a désormais abandonné. Dans l’Épître aux Galates 1,13-14, en tant qu’ancien défenseur du Ioudaismos, Paul se décrit comme un « partisan acharné des traditions de [ses] pères » et mentionne la « persécution effrénée » qu’il menait « contre l’Église de Dieu » et des « ravages » qu’il lui causait[31]. Ainsi, dans ce passage, c’est la notion de résistance qui est mise de l’avant, comme c’est le cas dans ceux de 2 et 4 Maccabées[32]. Paul met l’accent sur son ancien mode de vie marqué par le zèle et la persécution envers ceux favorables à l’innovation, c’est-àdire l’Église de Dieu, et c’est le terme Ioudaismos qu’il utilise pour le désigner.

Mais alors, à quelle tradition les auteurs de 2 et 4 Maccabées et Paul font-ils référence lorsqu’ils parlent de Ioudaismos ? Renvoient-ils aux traditions judéennes ou à un mouvement nationaliste lié à un contexte de résistance ? On trouve dans une thèse de J. Pasto, développée à partir des travaux de J. Goldstein, un début de réflexion à ce sujet. Selon lui, la traduction de Ioudaismos par « judaïsme » est plutôt une translittération du grec, et si nous devions le traduire il faudrait le faire par une expression telle que « collaboration avec les Judéens » ou encore « loyauté envers les Judéens[33] ». La notion de « collaboration » est importante, mais apparaît insuffisante pour saisir la pleine signification que prend Ioudaismos dans l’Antiquité. Dans chacun des passages où Ioudaismos apparaît, c’est la notion de « résistance » qui est mise de l’avant, comme l’a souligné J.G.D. Dunn[34]. Une résistance à l’innovation, par opposition à la tradition. Dans ce contexte, l’utilisation que font les auteurs anciens de Ioudaismos est analogue à celle que l’on fait aujourd’hui d’« islamisme » pour désigner un islam radical[35]. Ce qui est appelé Ioudaismos dans 2 et 4 Maccabées et dans l’Épître aux Galates est limité et semble désigner une attitude de type fondamentaliste et militante liée à des contextes spécifiques. Ioudaismos apparaît alors comme le terme utilisé pour désigner un militantisme judéen, un mouvement nationaliste en faveur de l’observance stricte des traditions et défavorable à l’innovation.

Ainsi, pour la période du Second Temple, les rares attestations de Ioudaismos sont limitées à des contextes de résistance. À partir du iiie siècle de notre ère cependant le nombre d’occurrences augmente et on l’emploie désormais pour décrire le système de croyances des Ioudaioi. Selon S. Mason, Tertullien est à la croisée de l’ancienne et de la nouvelle signification[36], ce qui fait penser que la conception moderne de « judaïsme » en tant que « religion des Juifs » est apparue dans le contexte de la définition identitaire des chrétiens et du christianisme, et ce, sans que les Judéens soient nécessairement conscients d’être ainsi définis ou d’accord de l’être ainsi. Les chrétiens avaient besoin de la catégorie « judaïsme » en tant qu’altérité pour se construire une identité « chrétienne ». Dans l’oeuvre de Tertullien, le terme latin Iudaismus réfère à ce peuple abandonné, voire éclipsé par le Christianismus[37]. S’il fut autrefois un grand peuple, Dieu l’a puni pour n’avoir point reconnu en Jésus-Christ le Messie[38]. C’est donc dans la littérature chrétienne ancienne que Ioudaismos devint une désignation de la religion des Juifs[39]. Toujours selon S. Mason, c’est le sentiment anti-judéen des chrétiens qui a mené, aux iiie et ive siècles de notre ère, à la construction du « judaïsme » en tant que système de croyances des Judéens. Dès le ive siècle de notre ère, chez Eusèbe de Césarée, Ioudaismos devient un système de pensée détaché de la vie judéenne, une abstraction utilisée dans le discours chrétien à des fins théologiques. Les Judéens sont alors définis du point de vue de l’altérité en étant décrits comme un peuple sans terre et sans avenir[40]. Pourtant, dans les faits, les sources anciennes témoignent d’une réalité tout autre ; on n’a qu’à penser à la rédaction de la Mishnah ou de la Tosefta, qui ont cours à cette époque.

Ainsi, si, comme le rappelle J. Pasto, on ne peut appliquer aux textes judéens, qui sont antérieurs, le sens que les textes chrétiens donnent à Ioudaismos[41]. Serait-il alors plus juste de parler des « croyances et pratiques judéennes », plutôt que de « judaïsme » pour éviter un tel anachronisme ? C’est ce que prétendent certains critiques, notamment S.C. Mimouni[42], dont le dernier ouvrage est, à notre connaissance, le seul dans le domaine de la recherche francophone, qui utilise cette expression. Ce qui soulève d’ailleurs un problème, car, même si plusieurs auteurs modernes font état des questionnements récents au sujet de la terminologie appropriée à l’étude de la période du Second Temple, très peu d’entre eux adaptent leur discours à la réalité historique. Comme le soutient J. Pasto, l’utilisation du concept de « judaïsme » pour l’Antiquité est tellement bien établie que les chercheurs modernes ne cessent de l’utiliser[43].

III. Ioudaios

Qu’en est-il alors du terme Ioudaios ? Devrait-il être traduit par « Juifs », ou par « Judéens » ? Selon S. Mason, le groupe identifié par Ioudaioi doit être compris comme un ἔθνος, comparable ou encore en opposition avec d’autres ἔθνη, car rien dans les sources ne justifie de les considérer différemment des autres peuples de l’Antiquité. Pour rester fidèle à la réalité antique, il faudrait alors parler des « Judéens », plutôt que des « Juifs ». Comme l’ont montré, entre autres, M. Lowe[44], M.H. Williams[45] et S. Mason[46], cette appellation ethnique ne concernait pas seulement les habitants de la Judée, mais aussi tous les « Judéens » vivant en Diaspora[47] et ne comportait aucune restriction géographique comme le montre cet extrait de Dion Cassius lorsqu’il parle de la Palestine : « Le pays s’appelle aussi Judée et les habitants s’appellent Ἰουδαῖοι. D’où leur vient ce nom ? Je l’ignore ; mais il s’applique aussi à tous ceux qui, parmi les autres hommes, bien que de race différente (ἀλλοεθνεῖς), observent avec zèle leurs lois (τὰ νόμιμα αὐτῶν)[48] ». Le langage utilisé par Dion Cassius n’est pas différent du vocabulaire habituellement employé par les auteurs anciens pour décrire les coutumes de différents peuples. Les « Judéens » n’échappent pas à cette appellation ethnique. Mais alors, est-il totalement anachronique de traduire Ioudaioi par « Juifs » ?

Il est possible de dégager deux positions sur cette question. D’abord, S. Mason conteste l’utilisation du terme « juif » pour toute l’Antiquité, alors que S. Cohen distingue deux périodes : une première, c’est-àdire avant la fin du iie siècle avant notre ère, où Ioudaios doit être traduit par « Judéen », puisqu’il a un sens ethnico-géographique, puis une seconde, à partir de la seconde moitié du iie siècle avant notre ère, où Ioudaios prend un sens religieux et réfère à « ceux qui croient au Dieu des Judéens ». Selon S. Cohen, la période de la dynastie hasmonéenne a été marquée par la redéfinition et le développement d’une identité « juive[49] ». À partir de la guerre des Maccabées, on est passé d’une définition ethnico-géographique à une définition religieuse, puisque sous l’influence de la culture hellénistique, les Hasmonéens ont redéfini l’état judéen de façon à y intégrer des « non-Juifs ». En passant de l’ethnicité à la religion, les « Juifs » ont été à même d’accueillir, en tant que convertis, ceux de la gentilité qui en viennent à croire en leur Dieu[50].

Cependant, pour J. Pasto, l’hypothèse de S. Cohen, qui suppose une double traduction de Ioudaios — soit par « Juif », soit par « Judéen » — pose problème, puisqu’elle est incohérente avec la situation des autres peuples de l’Antiquité pour lesquels il n’existe qu’une traduction possible. Le terme « Grec », par exemple, réfère à la fois aux habitants d’un territoire et aux individus qui adoptent non seulement la langue, mais également le mode de vie et de pensée des Grecs. Proposer une double terminologie revient, à son avis, à traiter indépendamment l’identité religieuse, l’identité nationale et l’identité ethnique, alors qu’en réalité, ces catégories identitaires n’entraient pas en contradiction les unes avec les autres et devaient être vécues sans distinction[51].

Par conséquent, pour J. Pasto et S. Mason, il convient de rejeter la thèse de S. Cohen et de traduire Ioudaios par « Judéen ». Parce que l’ἔθνος judéen inclut à la fois l’appartenance à un territoire et le respect des coutumes des Ioudaioi, et que cette situation ne diffère en aucun cas de la situation des autres ἔθνη, rien ne justifie de traduire Ioudaios par « Juif ». Aussi, en aucun cas les termes « Juifs » et « Judéens » ne peuvent, dans l’Antiquité, se substituer l’un à l’autre[52].

Conclusion

Les travaux des auteurs modernes montrent clairement que notre façon d’étudier et de comprendre les phénomènes anciens est en plein changement. Les discussions qui ont cours sur les termes Ioudaismos et Ioudaios indiquent que la recherche est plus sensible aux réalités anciennes, du moins à celle des Judéens de la période du Second Temple. Reste maintenant aux critiques à envisager, dans leurs travaux, l’utilisation d’un vocabulaire plus adéquat ou à tout le moins à justifier leur choix de terminologie en se positionnant dans le débat. Peu d’auteurs parlent de « croyances et pratiques judéennes » et de « Judéens », plutôt que de « judaïsme » et de « Juifs ». On observera en terminant que les travaux cités dans cet article sont presque exclusivement issus de la recherche anglophone. À notre connaissance, rappelons-le, un seul ouvrage paru en français fait état du problème. Il s’agit du dernier ouvrage de S.C. Mimouni[53]. B. Pouderon, dans une conférence prononcée à Tours en juin 2010, fait également mention du problème[54]. Finalement, le problème de l’emploi du terme « judaïsme » pour désigner une réalité antique s’inscrit dans un courant épistémologique plus large qui critique les catégories que nous utilisons pour comprendre et décrire les réalités antiques ; nous n’avons qu’à penser aux discussions qui ont cours sur l’utilisation des termes « chrétien » et « christianisme », ou encore « gnostique » et « gnosticisme[55] ».