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La décision du pape François d’établir une Commission pour l’étude du diaconat des femmes en août 2016 attire à nouveau l’attention sur la question : que savons-nous des femmes diacres ?

Nous savons qu’elles ont existé. Il existe de nombreux témoignages, littéraires, épigraphiques et historiques, prouvant que des femmes diacres ont exercé un ministère en Occident au moins jusqu’au douzième siècle. Le fait qu’elles aient existé pose trois questions : que savons-nous des cérémonies liturgiques que les évêques présidaient pour créer des femmes diacres ? Que savons-nous de leurs tâches et de leurs devoirs ? Que savons-nous de la théologie du diaconat qui admettrait ou écarterait des femmes de l’ordination diaconale ?

I. Les cérémonies liturgiques

Plusieurs cérémonies semblent avoir été utilisées, dans le passé, par des évêques pour la création de femmes comme diacres, documentées par des manuscrits depuis le quatrième siècle jusqu’au seizième. Certains rituels incluent tous les éléments des ordinations sacramentelles, y compris au regard des critères établis par le concile de Trente.

Le plus ancien rituel pour des femmes diacres se trouve dans les Constitutions apostoliques (380-400)[1] :

19. 1. Au sujet de la diaconesse (diakonissa) moi, Barthélémy, je prescris ceci. 2. Ô évêque, tu lui imposeras les mains (epithèseis autèi tas cheiras), en présence du presbyterium, des diacres et des diaconesses, et tu diras : 20. 1. Dieu, éternel, Père de notre Seigneur Jésus-Christ, créateur de l’homme et de la femme, toi qui as rempli d’esprit Myriam, Débora, Anne et Holda, qui n’as pas jugé indigne que ton Fils, le Monogène, naisse d’une femme, toi qui dans la tente du témoignage et dans le temple as institué des gardiennes pour tes saintes portes, 2. toi-même regarde maintenant ta servante que voici, proposée pour le diaconat, donne-lui l’Esprit-Saint et purifie-la de toute souillure de la chair et de l’esprit pour qu’elle s’acquitte dignement de l’office qui lui a été confié, pour ta gloire et à la louange de ton Christ, par qui à toi gloire et adoration dans le Saint-Esprit pour les siècles, Amen[2].

Ce rituel inclut donc une imposition des mains et une épiclèse.

D’autres rituels pour femmes diacres se trouvent dans plusieurs manuscrits bien connus tant de l’Orient que de l’Occident. La Bibliothèque du Vatican en conserve trois de l’Orient : le Barberini gr. 336 (780), le manuscrit Vatican gr. 1872 (1100), et le Codex Syriacus Vaticanus No. 19 (1550) ; et deux de l’Occident : le Vatican Reginae lat. 337 (850) et l’Ottobonianus lat. 313, Paris (850). D’autres manuscrits et sacramentaires, avec l’« Ordo ad diaconam faciendam », sont conservés ailleurs en Italie, aussi bien qu’en Autriche, en Angleterre, en France et en Allemagne[3].

La législation impériale parle au moins trois fois des diaconesses, dont notamment dans la Novelle 3 du 16 mars 535, où l’empereur Justinien limite le clergé de la Basilique Sainte-Sophie à Constantinople : il ne peut compter plus de 425 clercs, dont maximum 40 diaconesses. L’âge minimum de celles-ci est de 40 ans. La continence des clercs majeurs leur est imposée : elles seront vierges ou veuves monogames. « Dans la législation de Justinien, les diaconesses sont assimilées aux clercs à de multiples points de vue. Comme eux, elles reçoivent au moment de leur entrée en charge une ordination, désignée par les termes de cheirotonía, cheirotoneîn (ces termes ne reviennent pas moins de 11 fois dans la Novelle 6)[4] ».

S’il n’y a pas de doute sur l’existence de femmes diacres, les opinions divergent quant à la nature de leur ordination. Certains arguent que les cérémonies accordaient simplement une bénédiction, et non pas une vraie ordination, bien que dans la plupart des cas, les rituels soient pratiquement identiques pour les hommes et pour les femmes. Une certaine confusion provient du fait que les termes de cheirotonía et de cheirothesía sont souvent utilisés de manière interchangeable[5], alors que le latin traduira les deux termes, sans les distinguer, par impositio manus ou manuum.

Les controverses rétrospectives sur la nature des ordinations passées de femmes comme diacres semblent avoir commencé au dix-septième siècle, quand Jean Morin a établi que les anciens rituels rencontraient les exigences du concile de Trente pour une ordination sacramentelle[6]. Environ un siècle plus tard, Jean Pien arguait que même si l’on démontrait que les femmes étaient ordonnées par imposition des mains et prière d’épiclèse, les ordinations ne pouvaient être considérées comme sacramentelles[7].

Le débat fut repris récemment. En 1972, le belge Roger Gryson affirmait positivement : les femmes diacres ont été réellement ordonnées. Mgr Philippe Delhaye, secrétaire de la Commission théologique internationale (CTI) de 1972 à 1989, partageait cet avis, tout comme Cipriano Vagaggini deux ans plus tard. Aussitôt le français Aimé-Georges Martimort argumentait négativement et publiait une contre-étude en 1982[8]. La discussion a été reprise actuellement sur l’arrière-fond des demandes concernant l’ordination de femmes comme prêtres. Peut-être parce que le concile Vatican II a affirmé la nature sacramentelle de l’ordination diaconale, même si celle-ci était distincte de l’ordination presbytérale, quelques auteurs ont suivi Martimort[9]. De manière caractéristique, ils argumentent qu’une ordination diaconale implique de soi un éventuel sacerdoce.

Tout récemment, deux quinquennats de la CTI ont entrepris une étude à ce sujet. Tout bien pesé, un document de 17 pages achevé en 1997 se prononçait en faveur de la tradition ecclésiale des femmes diacres, mais le Président de la CTI, qui était alors le cardinal Joseph Ratzinger, refusa de le signer et nomma plutôt une nouvelle sous-commission[10]. En 2002, cette seconde sous-commission produisit un texte de 78 pages, Le diaconat, évolution et perspectives, qui concluait :

Premièrement, les diaconesses dont il est fait mention dans la tradition de l’Église ancienne (selon ce que le rite d’institution et les fonctions exercées suggèrent) ne peuvent pas être assimilées purement et simplement aux diacres. Deuxièmement, la tradition ecclésiale, surtout dans la doctrine du concile Vatican II et dans l’enseignement du Magistère postconciliaire, souligne fortement l’unité du sacrement de l’Ordre, dans la claire distinction entre les ministères de l’évêque et des presbytres d’une part et le ministère diaconal d’autre part. À la lumière de ces éléments mis en relief par la présente recherche historico-théologique, il revient au ministère de discernement que le Seigneur a établi dans son Église de se prononcer avec autorité sur la question[11].

Les points saillants sont ceux-ci : tandis qu’historiquement, les femmes diacres ne semblent pas avoir été exactement identiques aux hommes diacres, l’Église distingue aussi entre le ministère sacerdotal et le ministère diaconal. Dès lors, le « ministère de discernement » doit permettre à l’Église de se prononcer avec autorité sur la question des femmes diacres. La CTI n’a pas dit non, mais elle n’a pas dit oui.

Une nouvelle génération de recherches supplémentaires, spécialement sur les données liturgiques et historiques, a de nouveau poussé la question à l’avant-scène.

II. Tâches et devoirs des femmes diacres

Que faisaient les femmes diacres ? Une réponse limite les tâches des femmes diacres à l’assistance au baptême des femmes. Les coutumes anciennes interdisaient aux hommes de toucher les femmes avec qui ils n’avaient pas de relations familiales. Par conséquent, les femmes diacres, lors du baptême, faisaient l’onction sur les femmes qui devaient être baptisées (baptizandae) au nom de l’évêque. Cependant, il existe aussi des témoignages que des femmes diacres pratiquaient l’onction et portaient la communion aux femmes malades[12].

En général, parce que les femmes diacres ont exercé leur ministère pendant au moins un millénaire en Orient et jusqu’au douzième siècle en Occident, leurs tâches et devoirs connus varient à travers le temps et l’espace. En acceptant la demande de l’Union Internationale des Supérieures Générales (UISG) d’établir une Commission pour étudier le diaconat des femmes, le pape François a témoigné de ses propres souvenirs à propos des femmes diacres : elles pratiquaient l’onction au baptême et elles assistaient les femmes qui se plaignaient que leurs maris les battent[13]. Mais il est impossible d’établir de manière universelle ce que les femmes diacres faisaient ou ne faisaient pas, précisément à cause de la différence des habitudes et des pratiques dans l’Église au long des siècles.

Le diacre est chargé du ministère de la Parole, de la liturgie et de la charité, mais au long des siècles, ces tâches et devoirs pour les femmes se sont graduellement érodés. Par exemple, le rôle du diacre à la messe a été progressivement refusé aux femmes. Au cinquième siècle, le pape Gélase Ier se plaint que des femmes (probablement des femmes diacres) servaient à l’autel comme les hommes :

Avec impatience, nous avons entendu dire que les choses divines ont subi un tel mépris que des femmes sont encouragées à servir aux autels sacrés, et que toutes les tâches confiées exclusivement au service des hommes sont exécutées par un sexe auquel ces tâches ne conviennent pas[14].

En 829, le (sixième) concile de Paris dénonce la place de femmes à l’autel :

[…] dans certaines provinces, contrairement à la loi divine et aux dispositions canoniques, des femmes pénètrent d’elles-mêmes dans l’espace de l’autel et prennent les vases sacrés de manière impudente, elles présentent aux prêtres les ornements sacerdotaux, et ce qui est pire encore, plus indécent et inconvenant que tout cela, elles donnent au peuple le corps et le sang du Seigneur et font d’autres choses qui en elles-mêmes sont indécentes[15].

Le refus que des femmes touchent les saintes espèces ou les vases sacrés s’est durci et répandu, même et plus encore après que les femmes aient cessé d’être ordonnées diacres. Dans le Pays basque, des tâches liturgiques et caritatives étaient accomplies par des femmes appelées sororas ou freilas, probablement jusqu’au dix-septième siècle[16]. En 1698, le synode local de Calahorra La Rioja en Espagne s’en plaint :

Parmi d’autres choses scandaleuses… des femmes se mêlent aux prêtres dans la sacristie, approchent l’autel pour allumer les cierges et prennent soin des vêtements et des vases sacrés[17].

Tout au long de l’histoire, depuis le temps du pape Gélase Ier jusqu’aux temps modernes, les objections contre les femmes à l’autel s’enracinent dans des vues misogynes concernant notamment la pureté des femmes, opinions qui sont encore vivantes dans certaines parties du monde.

Le droit canonique professe à l’égard de la femme une certaine réserve […] inspirée soit par la considération de l’imbecillitas sexus, soit par le souvenir du rôle que la femme a joué dans la faute originelle et de l’occasion de péché qu’elle représente. C’est ainsi que le Code frappe la femme d’un certain nombre d’incapacités ou infériorités, et prend en sa faveur des mesures de protection. […] Le can. 968, § 1, conformément à la tradition constante du droit[18], en décidant que seuls les hommes peuvent être admis à recevoir les saints ordres, prononce l’exclusion absolue des femmes. […] Les femmes ne sont pas admises à servir la sainte messe au sens propre de cette expression (can. 813, § 2)[19].

Même un document postérieur au concile Vatican II contient encore des relents de misogynie. L’instruction Musicam sacram sur la musique dans la liturgie (5 mars 1967) demande aux chorales qui comptent des femmes de se placer en dehors du presbyterium[20].

Le diacre est chargé de prêcher, mais les femmes, interdites de pénétrer dans l’aire sacrée, ne peuvent certainement pas y prêcher durant la messe. Alors qu’il semble que des femmes ordonnées diacres ne prêchaient que formellement là où elles étaient aussi abbesses, leur dévouement à la Parole est clair tout au long de l’histoire : elles catéchisaient les femmes et les enfants.

Le diacre est aussi chargé de la charité. La charité de l’Église était autrefois clairement un ministère paroissial et épiscopal. Cependant, si l’on met en rapport la charité de l’Église et le déclin du diaconat, spécialement en Occident, nous voyons passer cette charité, jusqu’à nos jours, principalement aux mains des femmes et des hommes religieux.

III. Théologie du diaconat

À la suite du concile Vatican II, le diaconat a été défini et restauré comme un ministère permanent, ordonné sacramentellement. La Constitution dogmatique sur l’Église, Lumen Gentium, est claire : « Au degré inférieur de la hiérarchie se trouvent les diacres auxquels on a imposé les mains “non pas en vue du sacerdoce, mais en vue du ministère”[21] ». Le point crucial est le suivant : l’ordination au diaconat est pour le ministère, et non pour le sacerdoce. Toutes les tâches et tous les devoirs du diacre sont accomplis, ou l’ont été, par des femmes, soit par des femmes diacres dans l’histoire passée, soit par des femmes religieuses à l’époque moderne, et des ministres laïcs de l’Église. En fait, il n’y a aucune activité mentionnée par Lumen Gentium qu’une femme ne puisse accomplir[22].

Dans la mouvance immédiate du Concile, le pape Paul VI a promulgué la Lettre apostolique Sacrum Diaconatus Ordinem (18 juin 1967), détaillant les devoirs du diacre et découvrant le diaconat comme un office permanent pour les hommes, y compris pour des hommes mariés[23]. Dans une seconde Lettre apostolique, Ministeria Quaedam (15 août 1972), Paul VI élimine la tonsure comme étape d’entrée dans l’état clérical et supprime les ordres mineurs de portier, lecteur, exorciste et acolyte, et l’ordre majeur de sous-diacre.

Dans les fonctions particulières à conserver et à adapter aux nécessités d’aujourd’hui, il y a celles qui touchent particulièrement aux ministères de la Parole et de l’Autel, et qu’on appelle dans l’Église latine lectorat, acolytat et sous-diaconat. Il convient de les conserver et de les adapter, pour qu’à partir de maintenant il y ait une double fonction incluant celle du sous-diacre : lecteur et acolyte[24].

Plus tard, le Code de Droit canonique de 1983 affirme que la manière ordinaire d’accéder à l’état clérical est l’ordination au diaconat[25].

Ces décisions du pape Paul VI mirent fin à la pratique du cursus honorum, codifié par le Decretum Gratiani, compilation de droit canonique réalisée par Gratien au douzième siècle. Le cursus honorum exigeait que tous ceux qui étaient ordonnés diacres soient aptes à devenir prêtres et s’y destinent effectivement. Cette pratique resta en vigueur même après le Codex Iuris Canonici, promulgué par Benoît XIV le 27 mai 1917, et qui prit effet à la Pentecôte 1918. La suppression des ordres mineurs et l’élimination du sous-diaconat restaurent la tradition plus ancienne, même s’il reste habituel pour les candidats au sacerdoce d’être d’abord ordonnés diacres[26].

Plus tard, le pape Benoît XVI fit une distinction entre le diaconat et le presbytérat. En 2006, parlant aux prêtres du diocèse de Rome et répondant à une question au sujet du ministère des femmes, Benoît XVI s’exprima ainsi : « Cependant, on est en droit de s’interroger s’il est possible d’offrir plus d’espace, plus de positions de responsabilité aux femmes, également dans le service ministériel, même si sur cette question, le Sacrement et le charisme constituent l’unique chemin où l’Église se réalise[27] ».

En 2009 de nouveau, le pape Benoît XVI a codifié cette donnée, en amendant le Droit canonique pour refléter ce qui était déjà présenté dans le Catéchisme de l’Église catholique :

Art. 2. Le can. 1009 du Code de Droit canonique aura désormais trois paragraphes, dans le premier et dans le second desquels on maintiendra le texte du canon en vigueur, tandis que pour le troisième est rédigé un nouveau texte de telle sorte que le can. 1009, § 3 dispose ce qui suit : « Ceux qui sont constitués dans l’Ordre de l’épiscopat ou du presbytérat reçoivent la mission et la faculté d’agir en la personne de Christ Chef, les diacres en revanche deviennent habilités à servir le Peuple de Dieu dans la diaconie de la liturgie, de la Parole et de la charité »[28].

La progressive reconnaissance de la distinction historique entre le diaconat et le presbytérat permet à l’Église de faire appel plus facilement à sa propre histoire. La seule objection théologique supplémentaire pour restaurer un diaconat féminin ordonné est l’argument que les femmes ne peuvent être l’image du Christ, conception injuste au point d’en devenir hérétique. Le diacre se présente in persona Christi servi et effectue son ministère comme tel, et il ne participe pas au presbytérat et à ses fonctions, qui sont exercées in persona Christi capitis ecclesiae.

Ces nouvelles distinctions sont dans le document de la CTI de 2002, qui affirme également que le diacre non seulement sert comme le Christ, mais est le Christ, essayant ainsi d’invoquer l’argument iconique. Comme dans Inter Insigniores (1976), on rappelle que le Christ était et est un homme ; des femmes ne peuvent donc en représenter l’image. Mais ceci restreint le Seigneur ressuscité aux limites de l’être humain masculin du Jésus de l’histoire, Seigneur ressuscité qui continue à vivre dans la résurrection au-delà de son propre corps et dans tous les chrétiens, chacun devenant en lui image et ressemblance de Dieu. L’argument iconique n’apparaît plus dans le second document touchant la question des femmes comme prêtres, Ordinatio Sacerdotalis (1994).

Conclusion

Que des femmes puissent représenter l’image du Christ Seigneur ressuscité et la représentent de fait, est une donnée théologique et anthropologique que l’on peut difficilement nier. Le fait que l’Église ait établi d’autorité qu’elle n’a pas le pouvoir d’ordonner des femmes prêtres, soutient l’idée d’une restauration possible de femmes comme diacres ordonnés, dans un ministère de service.

L’énorme quantité de preuves littéraires, épigraphiques, historiques concernant les femmes diacres, indique qu’il existe sans doute encore d’autres faits les concernant, non encore découverts ou définitivement perdus. Mais nous savons qu’elles ont existé. Nous avons la preuve solide qu’elles ont été ordonnées par des évêques et qu’elles servaient ces évêques de leurs compétences ministérielles. Aujourd’hui, il semblerait que rien n’écarte les femmes de l’ordination diaconale.