Notes critiques

La vulnérabilité et la limite font partie de l’identité et de la perfection de Dieu[Notice]

  • Lucia Ferretti

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  • Lucia Ferretti
    Département des sciences humaines, Centre interuniversitaire d’études québécoises, Université du Québec à Trois-Rivières

* À propos de l’ouvrage de Talitha Cooreman-Guittin, Catéchèse et théologies du handicap. Ouvrir des chemins d’amitié au-delà des barrières de la déficience, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2020, 296 p.

Ce livre est issu d’une thèse de doctorat en théologie catholique soutenue en janvier 2018 à l’Université de Strasbourg. La thèse a été reconnue en 2019 par le EmergingScholarAward du InstituteonTheologyandDisability, un organisme états-unien dédié au dialogue interconfessionnel sur les théologies du handicap. Talitha Cooreman-Guittin a écrit un texte d’une grande science, naturellement ; mais dans son travail, on voit aussi à l’œuvre la puissance créatrice de l’amour. Science et amour : c’est ce qui fait de ce livre, pour moi qui ne suis pas théologienne, un très grand livre de théologie. On est ici devant une théologie, une éthique et une pastorale de la déficience intellectuelle. Pour venir à bout de son travail, l’autrice a pu s’appuyer sur deux motivations existentielles, et liées. La première est son désir d’apporter une réponse « juste » (p. 274) du point de vue catholique à la bouleversante question d’Anaïs, une adolescente de 14 ans vivant avec une déficience intellectuelle modérée : « Pourquoi Dieu m’a faite ainsi ? » (p. 13). L’autrice a aussi voulu participer au développement d’une catéchèse catholique qui, s’étant appuyée sur les intuitions des théologies du handicap, réussira enfin à formuler une représentation de Dieu et de l’humain telle que la barrière de la déficience aura disparu et qu’en seront facilitées les amitiés entre personnes de toutes capacités. Cooreman-Guittin constate qu’historiquement la pensée chrétienne a eu tendance à percevoir la déficience intellectuelle négativement. Les choses ont changé bien sûr, et plusieurs textes émanant du Saint-Siège ou des papes depuis les années 1980 manifestent désormais la sollicitude et la bienveillance de l’Église catholique à l’égard des personnes vivant avec des incapacités intellectuelles. Il s’agit néanmoins d’une attitude encore souvent paternaliste et charitable. Il faut dire que les théologies du handicap sont peu nombreuses et qu’elles proviennent pour la plupart du monde anglo-saxon protestant. Il y a, aux États-Unis notamment, une véritable communauté de chercheurs autour des théologies du handicap, ainsi que des institutions (séminaires, instituts d’été, chaires de recherche, revues) pour porter leur dynamisme. Talitha Cooreman-Guittin consacre une partie de son livre à faire connaître ces théologies au monde catholique francophone, ainsi qu’à montrer la valeur et les limites de leurs projets (p. 175-208). Elles ont développé des intuitions qui élargissent, voire renversent, l’imago Dei et la représentation de l’humain : le Disabled God de Nancy Eiesland ; le Dieu accessible de Jennie Weiss Block (catholique), le Dieu limité de Deborah Creamer, le Dieu vulnérable de Thomas Reynolds et Marie-Jo Thiel, le Dieu qui donne et reçoit l’amitié de Hans Reinders, et enfin le Dieu qui accueille la déficience d’Amos Yong. Je n’entre pas dans les détails de la discussion captivante conduite par l’autrice. À la fin, au-delà de leurs différences, toutes ces théologies donnent de Dieu une image de perfection qui inclut à part entière incapacité, proximité, limite, vulnérabilité, amitié sans frontière. La personne vivant avec des incapacités intellectuelles est donc créée elle aussi totalement parfaite, à l’image de Dieu. Ces théologies font en outre de la Création à la fois une perfection et un processus. La vie n’est possible que dans la relation, dans l’interdépendance. C’est là que Dieu réside : dans la relation de vie que chacun est appelé à tisser avec chaque autre sur sa route. Une autre partie du travail de l’autrice, la plus considérable, consiste à ancrer, à « inculturer », les intuitions des théologies du handicap dans la théologie catholique. À vrai dire, pour elle, toutes ces intuitions sont déjà présentes dans le catholicisme, mais elles sont restées enfouies et sont passées inaperçues, ou …