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Cette publication sur la faune biblique regroupe les résultats des travaux effectués par sept chercheurs dont six seront présentés dans cette recension. Ces chercheurs partagent un même objectif : investiguer sur le rapport entre l’humanité et l’animalité bibliques. S’étendant de 2015 à 2018, cette enquête fait suite au séminaire de troisième cycle en exégèse organisé par la Faculté de théologie de l’Université catholique de Louvain.

André Wénin, de la Faculté de théologie et Institut RSCS UC Louvain, ouvre la voie avec : « Maîtrisez les animaux… (Gn 1,28) Humanité et animalité dans le premier Testament ». D’un point de vue anthropologique, et par le biais de quelques données vétérotestamentaires puisées en (Gn 37,33 ; Dt 20 ; 1 R 13,24 ; Am 5,19 ; Pr 30, 24-28), Wénin démontre que la Bible conçoit l’existence d’une certaine animalité chez l’humain. Cette coexistence oblige l’humain à faire preuve de respect à l’endroit de cette forme de vie autre que la sienne. Essentiellement, Wénin interroge la violence des humains envers les animaux et prône une relation pacifique entre ces deux catégories d’êtres vivants. Wénin surprend le lecteur puisqu’il déplace sa réflexion de l’Ancien au Nouveau Testament. Plus précisément, Wénin utilise un exemple tiré de l’évangile de Marc pour trouver en Jésus le modèle de l’humain qui entretient avec des animaux un rapport teinté de douceur.

Il est suivi par Didier Luciani de la Faculté de théologie et Institut RSCS UC Louvain, qui dans une perspective synchronique focalise sur : « Les animaux du sacrifice ». Luciani reconnaît d’emblée que l’abattage des animaux à des fins sacrificielles constitue une offense au droit à la vie. Pour parler du droit animal, il fait ressortir l’écart entre les préoccupations éthiques, juridiques et sanitaires contemporaines et le silence de la Bible sur ces questions. La compréhension biblique du sacrifice se distancie des enjeux sociaux actuels concernant le droit des animaux. Les gains en faveur de l’humain accordent une certaine légitimité à l’aspect sanglant de ce sacrifice. Le sang extrait de cette procédure en vaut le coup puisqu’il permet à l’humain d’obtenir la bénédiction divine. Parallèlement, Luciani signale une autre tension qui se dessine en zoologie biblique : d’un côté, la Bible tolère les sacrifices des animaux tandis qu’ailleurs, elle plaide en faveur de leur protection notamment en Lv 22,27-28 et Ex 22,29. Sans trop de réserve, je partage ce souci de Luciani pour le sort des animaux du sacrifice biblique. J’admets que les textes bibliques sur la protection des animaux s’inscrivent dans une dialectique du paradoxe. Toutefois contrairement à Luciani, il me semble que d’autres textes bibliques expriment mieux ce souci de protéger les animaux, par exemple, Pr 12,10 dit ceci : « le juste prend soin de son bétail, mais les entrailles du méchant sont cruelles » ; ou Dt 25,4 : « tu n’emmuselleras point le boeuf, quand il foule le grain ».

Ensuite, par le biais des traditions narratives, Olivier Artus, de l’Institut catholique de Paris, se sert du Pentateuque, particulièrement de Gn 9,10, Lv 24 et Dt 5,14, pour parler de : « La protection des animaux selon les traditions du Pentateuque ». Son analyse pour ce sujet tourne autour de trois angles : 1) la Création, 2) la protection légale des animaux, et 3) le respect ou la maltraitance des animaux. Se référant aux textes de la création en Genèse, il déclare que l’humain et l’animal partagent le même monde unique et identique créé. Poursuivant avec Lv 24, il rappelle les lois de protection qui interdisent tout meurtre ou blessure infligés à un animal. Le texte de Dt 5,14 vise la non-maltraitance et le respect des animaux. Par ailleurs, Artus mentionne les propos de Klaus Grünwaldt qui rappelle la menace d’exclusion du sacerdoce pour ceux qui infligent des blessures aux animaux. Finalement, Artus reconnaît que dans une perspective eschatologique les textes prophétiques expriment mieux la relation pacifique qui doit gouverner le rapport entre les hommes et les animaux. Il serait intéressant de pousser les limites de cette réflexion jusqu’à la problématique de l’utilisation des animaux à des fins d’expérimentation. Comment pouvons-nous penser à un dilemme éthique contemporain comme les expériences scientifiques sur les animaux en dialogue avec la Bible ?

Sophie Ramond, de l’Institut catholique de Paris EA 7403, enchaîne avec les séquences narratives de la rencontre entre une ânesse et un devin pour cerner la relation entre l’humain et l’animal : « Quand une ânesse et un messager divin se jouèrent d’un prétendu devin. Une analyse narrative de Nb 22,21-35 ». Ramond oriente l’attention du lecteur vers le comportement plutôt étrange d’une ânesse. Sa lecture du texte massorétique de Nb 22,21-35 fait de cette ânesse, compagne unique de Balaam le devin, la figure centrale du récit. Alors qu’il tente de changer le parcours de sa mission, Balaam fait face à l’opposition de son complice. Il s’ensuit un affrontement qui crée un espace pour remettre en question l’idée de la domination de l’homme sur les animaux. Ramond délimite divers procédés textuels narratifs tels que : l’ironie, l’ironie dramatique, l’ironie verbale, les malentendus, l’inversion des rôles, la parodie, le soupçon, le doute et l’insinuation, pour démontrer comment l’intelligence animale supplante celle de l’humain dans cette aventure. En définitive, Balaam échoue à faire plier l’ânesse à ses ordres. Au contraire, c’est l’animal qui prend les commandes de la situation et qui dicte ses volontés à Balaam. Il faut bien admettre que l’ânesse a réussi sa mission. Utilisée comme média entre Dieu et Balaam, elle parvient à lui transmettre le message divin. La persistance de l’ânesse fait éclater les frontières de la résistance de Balaam pour le convaincre de rebrousser chemin. L’apport de cet article vient de la manière dont Ramond a su démontrer que l’ânesse généralement reconnue pour sa sottise a réussi à convaincre l’humain représenté par Balaam, le devin, à se montrer raisonnable.

Pierre Van Hecke de KULeuven analyse la métaphore léonine dans la Bible hébraïque. Dans son article : « Je serai comme un lion pour Éphraïm : Les métaphores léonines dans les Douze Petits Prophètes ». Van Hecke invite d’abord le lecteur à découvrir l’origine de cette métaphore. Les travaux de Strawn (2005) qui s’attardent sur les questions de littérature et iconographie servent bien cet objectif. Dans sa monographie, Strawn suggère que les divinités féminines (Ishtar en Mésopotamie et Sekhmet en Égypte) soient le lieu d’origine de ces représentativités léonines de Dieu. Van Hecke adopte un point de vue différent, puisqu’il déplace ce lieu d’origine en proposant le texte des Petits Prophètes comme un meilleur endroit pour la genèse de cette métaphore léonine. Il appert d’après Van Hecke que les textes d’Os11,10, Am 1,2, 3,4-8 et, plus précisément, le Dodekapropheton, présentent un Dieu qui se métamorphose en lion pour détruire son peuple et éliminer ses rois en cas de désobéissance. Il serait intéressant d’élargir ce champ de recherche à un autre paradigme léonin biblique : les lions dans la fosse tels que présentés dans le livre de Daniel. Curieusement, dans l’épisode de la fosse aux lions en Dn 6,2-29, les lions n’existent pas sous une forme métaphorique. Ils peuvent détruire ceux qui désobéissent au roi à moins que Dieu n’intervienne sous une forme quelconque pour leur accorder la délivrance. La question suivante s’impose après la lecture de cette réflexion de Van Hecke : quelle représentativité léonine biblique constitue un danger imminent pour l’humain ?

En dernier lieu, Maurice Gilbert, s.j., de l’Institut Pontifical de Rome utilise l’histoire rédactionnelle dans : « La fourmi et l’abeille selon le livre des Proverbes ». Gilbert promeut l’enseignement qui découle de la vie de certains animaux du livre des Proverbes. La démarche heuristique entreprise ici Gilbert comptabilise 27 animaux avant de se réduire à deux insectes : la fourmi et l’abeille. En fait, Gilbert invite l’humain à se tourner soit vers la fourmi ou vers l’abeille pour tirer des leçons d’ordre moral concernant le travail. Alors que Pr 6,6-8 témoigne du mérite de la fourmi à cause de son labeur incessant, un autre texte de la Septante vante la contribution de l’abeille dont le miel sert de nourriture à l’homme. Fasciné par l’organisation fourmilière, Gilbert lève le voile sur l’ambiguïté entre Pr 6,6-8 et l’opinion de certains entomologistes tels que John Lubbock et Ernst F.K. Rosenmüller. En effet, le texte de Pr 6, 6-8 fait croire que les fourmis disposent de trois entrepôts dans lesquels elles amassent des provisions pour préparer la saison hivernale. La nécessité de cette planification des fourmis en prévision de l’hiver ne fait pas écho chez tous les entomologistes. Certains d’entre eux réfutent ce besoin pour les fourmis de s’approvisionner pour l’hiver, puisqu’elles dorment durant toute cette saison. Tova Forti fait la lumière sur cette controverse entre Pr 6,6-7 et ces entomologistes. Il introduit une autre classe de fourmis, les Messort semirufus, qui selon lui correspond mieux à l’enseignement de Pr 6,7-8. Le deuxième insecte qui retient l’attention de Gilbert est l’abeille. Synonyme de sagesse et de douceur, cette bestiole trouve une place dans la Septante qui met en valeur son apport à l’enseignement de la morale chez l’humain. Selon Gilbert, l’abeille se distingue par son assiduité au travail qui ne se mesure pas à sa force physique. En résumé, l’abeille apprend à l’humain à contribuer au bien-être de l’autre. Nous admettons que l’humain est redevable à l’abeille pour la valeur nutritive de sa production de miel, mais encore pour deux autres de ses vertus que Gilbert aurait omis de mentionner : les vertus esthétiques et médicinales du miel. Tout en reconnaissant la richesse de l’enseignement qui nous parvient des insectes tout comme Gilbert, nous tenons à souligner leur côté nuisible à l’humain. En effet, les piqûres de ces insectes s’avèrent plutôt dangereuses pour l’humain. La méfiance et la prudence envers ces bestioles enseignantes pourraient s’intégrer à cette réflexion.

Somme toute, cette publication constitue une avancée en animalité biblique. La disponibilité en ligne et la taxinomie animale de la dernière partie sont deux atouts intéressants pour cette publication. Sur une note un peu plus critique, je déplore que les réflexions autour de ce sujet se limitent aux textes vétérotestamentaires, sans dialogue interdisciplinaire. Il serait intéressant d’engager dans cette discussion des penseurs post-humanistes à l’instar de Ken Stone[1], qui s’est inspiré de Jacques Derrida et de Donna Haraway dans sa réflexion sur la Bible hébraïque à partir des études animales. L’apport le plus considérable de ces travaux réside dans la diversité des opinions et la pluralité des méthodes exégétiques employées pour étudier l’espèce animale dans la Bible. Cette excellente publication oriente vers d’autres lectures exégétiques qui commandent la poursuite de la réflexion sur ce sujet.