ÉditorialEditorial

La question de SchrödingerSchrödinger’s query[Notice]

  • Evelyn Fox Keller

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  • Evelyn Fox Keller
    Le siècle du gène

L’essor de la génétique classique au cours de la première moitié du xxe siècle est l’histoire d’une des grandes réussites de notre temps, et cette histoire est bien connue. Cependant, malgré ces nombreux succès, la question demeure : quelle sorte d’objet un gène peut-il être, qui puisse se reproduire lui-même avec une fidélité aussi remarquable, génération après génération? De fait, ce fut cette propriété-là du gène, la manifestation d’« une durabilité ou permanence quasi miraculeuse », qui laissa autant perplexe Schrödinger, au point de lui donner l’idée de s’attaquer à cette question, la plus vaste de toutes : « Qu’est-ce que la vie ? » Pour Schrödinger, il paraissait évident que la question de savoir ce qui conférait au gène une telle durabilité, ce qui le dotait de son apparente immunité à l’égard de la seconde loi de la thermodynamique (sa « permanence inexplicable par la physique classique »), touchait au coeur même de la distinction entre êtres vivants et êtres non vivants. Il croyait non seulement que la réponse à cette question résoudrait le problème de l’hérédité, mais aussi qu’elle expliquerait la capacité tout aussi remarquable des organismes à se maintenir malgré les dommages causés par l’entropie, de perdurer beaucoup plus longtemps que les lois de la physique ne le laisseraient prévoir. En bref, elle nous fournirait le secret de la vie. Hélas, Schrödinger ne découvrit pas le secret de la vie. En tant que l’un des pères de la mécanique quantique, il n’est pas surprenant qu’il ait entrevu la solution de ce problème dans l’explication que la théorie avait déjà donnée de la stabilité chimique des molécules. Le modèle particulier de la structure des gènes sur lequel il fondait ses espoirs avait été proposé en 1935 par deux physiciens et un généticien. Dans leur description, le gène était représenté comme un système mécanique quantique qui tirait sa stabilité de la valeur élevée de la barrière énergétique séparant un état d’un autre. Les contributions théoriques au modèle furent réalisées par Max Delbrück (un étudiant de Niels Bohr) et, en conséquence, Schrödinger y faisait référence comme au « modèle de Delbrück », ajoutant aux spéculations de ce dernier la proposition provocante selon laquelle le gène n’était pas seulement une grande molécule, mais un « cristal ou solide apériodique ». De fait, il ne voyait pas d’« autre alternative à l’explication moléculaire de la substance héréditaire». Comme il l’écrivait, « l’aspect physique ne nous laisse aucune autre possibilité pour rendre compte de sa permanence. Si le modèle Delbrück devait échouer, nous n’aurions plus qu’à abandonner d’autres tentatives ». Cependant, le modèle de Delbrück échoua bel et bien, et la solution de Schrödinger avec lui. Toutefois, même avec tous ses défauts, le réel effort entrepris par un physicien si éminent pour résoudre un problème biologique tellement fondamental constitua une puissante source d’inspiration pour toute une génération de jeunes physiciens et biologistes, en les encourageant dans leurs propres recherches pour découvrir la structure moléculaire du gène. Et ils ne tardèrent pas à réussir. Ce succès, néanmoins, ne fut pas la conséquence de spéculations théoriques, mais celle d’une série de comptes rendus expérimentaux qui limitèrent la recherche à la structure d’un candidat chimique spécifique. La voie qui conduisit les biologistes à accepter l’ADN comme étant le matériel génétique a une longue histoire, riche et bien étudiée. Dans la plupart des exposés de vulgarisation, cependant, cette histoire commence avec l’article d’Avery, MacLeod et McCarty, qui démontrait par l’expérience directe que l’ADN était le support de la spécificité biologique (du moins chez les bactéries). Cet article désormais classique fut publié la même année (1944) que …

Parties annexes