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Nationalisme libéral et internationalisme égalitaire[Notice]

  • Kok-Chor Tan

L’idée d’un nationalisme libéral s’appuie dans une large mesure sur la croyance voulant que les idéaux caractéristiques du libéralisme que sont l’autonomie individuelle, la justice sociale et la démocratie soient plus facilement réalisés dans le contexte d’une culture nationale commune. Le nationalisme libéral endosse ainsi ce que j’appellerai la thèse nationaliste, selon laquelle tous les États, y compris les États libéraux, s’efforcent de promouvoir et d’inculquer à leurs citoyens respectifs le sens d’une nationalité partagée. Mais le nationa­lisme libéral est libéral pour autant que les principes libéraux servent de critères lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui compte comme buts nationalistes légitimes ainsi que la manière dont ces buts peuvent être poursuivis. La doctrine du nationalisme libéral se justifie du fait que, tout comme le libéralisme requiert le nationalisme pour mieux réaliser ses objectifs centraux, le nationalisme requiert le libéralisme pour fixer normativement l’ensemble des limites enca­drant l’expression et la pratique du nationalisme. Cependant, une objection aussi fréquente que sérieuse adressée au nationalisme libéral est qu’il entre en conflit avec l’universalisme égalitaire implicite dans la moralité libérale. La critique allègue en particulier que le nationalisme ne serait pas compatible avec un engagement en faveur de l’éga­lité distributive internationale supposément requise par la justice libérale. Cette position a été défendue par Charles Beitz et Thomas Pogge. Bref, en vertu de cette objection, le nationalisme libéral resterait en deçà de l’internationa­lisme qu’implique la justice libérale. Une façon, pour les nationalistes libéraux, de parer à cette objection est, bien sûr, de nier que le libéralisme implique une adhésion à l’égalitarisme international. Mais je veux ici, en tenant pour acquis que les libéraux tendent à l’endosser, montrer comment les nationalistes libéraux peuvent aussi le prendre au sérieux. Tenant pour acquis à la fois le nationalisme libéral et l’enga­gement internationaliste des libéraux, mon objectif ici est de montrer que, loin d’entrer en conflit avec les libéraux sur ce point, les nationalistes libéraux doivent aussi souscrire à l’égalitarisme international. J’arguerai que les libéraux qui prennent au sérieux leur programme nationaliste ont l’obligation de minimiser les inégalités entre les nations. La position selon laquelle les nationalistes libéraux doivent aussi être des internationalistes n’est pas nouvelle. Certains nationalistes libéraux ont soutenu sans équivoque, sans toutefois entrer dans une argumentation très minutieuse, que le nationalisme libéral implique l’adhésion à l’égalitarisme international. Yael Tamir, par exemple, écrit que « l’une des implications les plus importantes d’une théorie du nationalisme libéral  » est l’appui qu’elle apporte à une conception de la justice distributive globale. Pourtant, les raisons qui justifieraient ces affirmations n’ont pas jusqu’ici été complètement arti­culées. J’espère, dans le cours de cet article, faire progresser la discussion sur ce sujet en développant plus à fond les arguments capables de montrer qu’un véritable nationaliste libéral doit aussi être un internationaliste égalitaire. Cette lacune dans l’argumentation des nationalistes libéraux est fort compréhensible. Jusqu’à maintenant, les écrits portant sur le nationalisme libéral visaient principalement à établir que les idéaux universalistes libéraux, tels l’individualisme normatif et l’autonomie, sont consistants avec le particularisme du nationalisme. Ce n’est que récemment qu’on a commencé à explorer les implications internationales ou globales du nationalisme libéral. Si certains travaux ont pu contribuer à combler l’écart entre l’internationalisme libéral et le nationalisme libéral, ce fut surtout en cherchant à établir que les idéaux cosmopolitiques, considérés le plus souvent comme étant davantage liés au libéralisme que ceux du nationalisme, impliquent une adhésion au nationa­lisme libéral. Mon projet est différent en ceci que, procédant à partir de l’autre extrémité du spectre, je veux montrer pourquoi les nationalistes libéraux doivent souscrire à l’égalité internationale. La ligne directrice de mon argument est que la poursuite …

Parties annexes