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Le travail de l’artiste belge Jean-Michel Folon représente non seulement une œuvre esthétique d’une importance évidente, mais aussi une réflexion profonde sur les signes. Comme la plupart des artistes, Folon ne parle pas des signes en tant que tels. Plutôt montre-t-il sa compréhension de leur double portée sémiotique en les utilisant d’une manière picturale ou graphique qui suggère à la fois leur fonction sémiologique et leur message herméneutique.
Comment arrive-t-il à réaliser ce tour de force ? D’abord en gardant toujours une certaine naïveté de vision propice à l’appréhension des signes dans leur double fonction. Ainsi, la main, l’oiseau, la tête humaine sont des signes qui, remontant à l’origine des temps, constituent un rappel quasi atavique, exprimant à la fois la présence du signe et la possibilité d’une signification. Ensuite en choisissant des signes d’une clarté et d’une simplicité qui les rendent lisibles à travers des différences d’âge et de culture. Signes d’ailleurs qui sont susceptibles de s’organiser en une chaîne de symboles qui constitue une espèce de syntaxe visuelle. Celle-ci permet à l’observateur/lecteur, enfant ou adulte, européen ou étranger, de les lire d’une manière à la fois sûre et compréhensive.
Le choix surtout d’images indiciaires, c’est-à-dire celles qui montrent tout en exprimant un sens, joue évidemment un rôle important ici. Car la main, l’oiseau, la tête humaine – qui est presque toujours ouverte, à la fois à l’observation et à l’interprétation – sont des signes qui, en dirigeant l’attention du récepteur, l’invitent en même temps à réfléchir, parfois même inconsciemment, au processus de la signification.
Finalement, Folon n’oublie jamais l’élément ludique de la représentation picturale ou sculpturale. Pour lui, le jeu fait partie intrinsèque de la peinture ou de la sculpture, stimulant l’oeil à suivre les pistes ouvertes, amusant l’esprit, invitant l’observateur à entrer dans le jeu de la représentation visuelle et d’en tirer un réel plaisir.
Le fait que Folon soit aussi grand artiste du timbre-poste ne devrait nullement nous surprendre. Qu’est-ce qu’un artiste philatélique ? Un graphiste qui comprend que les signes ont toujours deux côtés : s’annoncer et plaire en tant que symboles ; proposer d’une manière à la fois nette et riche des significations importantes.
En créant à partir des années 1980 des timbres-poste, Folon n’avait qu’à poursuivre sa profonde intuition d’artiste. Non pas que le timbre-poste soit un tableau en miniature, au contraire. Le timbre, comme symbole officiel, doit d’abord s’annoncer comme pur signe. Ce n’est que dans un second temps qu’il se présente en tant que message culturel ou pictural. Or pour Folon, même en tant que peintre et sculpteur, cette deuxième fonction ne prime jamais sur la première. Pour lui, l’art, qui remonte à l’origine primitive de la culture humaine, a toujours eu un objectif symbolique primaire : un signe d’abord, une image ensuite.
C’est pour cela que Folon choisit toujours des images dont le statut symbolique est aussi évident et puissant que son statut iconique ou imitatif. Et ce sont précisément de telles images qui remplissent le mieux la double fonction sémiotique du timbre-poste. C’est pour cela que le répertoire d’images préférées de Folon – la main, l’oiseau, la tête humaine (ouverte à l’attente des messages comme une boîte aux lettres) – se prête si bien à la formulation de messages postaux : la main du facteur, l’oiseau messager, l’être humain qui attend le message.
En créant une image pour fêter le bicentenaire de la Révolution française en 1989, Folon reprend le motif de l’oiseau, dont la silhouette blanche, sur un fond de ciel bleu et rouge, devient à la fois symbole de la République française et signe de la liberté démocratique.
Pour marquer en 1991 le thème Europa de l’espace, Folon crée pour la Royal Mail deux paires de timbres où le motif de la tête humaine s’ouvre à la fois aux espaces sans limite du cosmos et à l’espace intérieur du cerveau.
Finalement, pour marquer, en 1995, les 50 ans de l’ONU et les 125 ans de la Croix rouge, Folon réalise pour la Royal Mail trois timbres dont chacun emploie une variation du motif de la main pour exprimer des volontés – aider, envoyer, échanger –, proches à la fois des préoccupations de l’artiste et des agences internationales auxquelles en l’occurrence il rend hommage ici.
Parties annexes
Notes biographiques
David Scott
David Scott est professeur de français à l’Université de Dublin, Trinity College, où il tient une chaire personnelle en Études textuelles et visuelles. Auteur de livres dans le domaine de l’histoire de l’art (Paul Delvaux : Surrealizing the Nude, 1992), de la littérature (il a présenté l’édition GF du Spleen de Paris de Baudelaire, 1987), de texte et image (Pictorialist Poetics, 1988) et de la sémiotique du visuel (European Stamp Design : a Semiotic Approach, 1995), il a également organisé plusieurs expositions à Dublin, Londres et Paris sur l’art moderne, le design et les institutions culturelles. Membre du comité de rédaction des revues Word&Image et L’Image, président de l’Association internationale pour l’Étude des rapports entre texte et image (aierti/aiwis), il prépare actuellement un livre intitulé Sémiologies du voyage.
Jean-Michel Folon
Jean-Michel Folon, né en 1934 à Uccle, près de Bruxelles, abandonne les études d’architecture pour se consacrer au dessin. Ses dessins commencent à s’imposer d’abord à New York où les magazines Horizon, Esquire et The New Yorker les publient et où il expose pour la première fois en 1969. En 1970, il visite le Japon et participe la même année à la Biennale de Venise. C’est dans les années 1970 qu’il établit sa réputation internationale avec des expositions en Europe et aux États-Unis. C’est pendant cette période aussi que son talent est pleinement reconnu en tant qu’illustrateur de livres, de graveur, de peintre de décorations murales (Londres, Bruxelles) et de décors de théâtre (Genève). Au cours des années 1980, sa réputation de peintre et de graphiste (ses timbres-poste datent de cette époque) est pleinement reconnue et marquée par de grandes expositions rétrospectives. À partir de 1993, il se consacre de plus en plus à la sculpture, tout en continuant à poursuivre des projets à travers toute la gamme de son talent exceptionnel. En 1998, il crée près de Bruxelles la Fondation Folon qui, en réunissant l’essentiel de son travail, présente l’œuvre d’un des plus importants artistes belges de la deuxième moitié du XXe siècle.