Sophie T. RauchInquiétude de la post-humanité[Notice]

  • François Ouellet

Depuis sa première exposition solo chez Madeleine Lacerte, à Québec, en 1999, Sophie T. Rauch a orienté son travail vers une appropriation et une assimilation toujours plus audacieuses du portrait, cependant qu’elle abandonnait progressivement la monumentalité du corps féminin (The Gates of Jéricho, 1997), les nombreuses références à l’histoire de l’art ou encore ces évocations de têtes et de corps qui rappellent irrésistiblement la manière et les couleurs d’Odilon Redon (Welcome to Paradise, 1998), les toiles largement abstraites au sein desquelles ressortaient un oeil clairement dessiné (Survol, 1995) ou l’esquisse d’un visage (Das Wissen, 1995). Il y avait dans cette peinture tout un travail sur l’histoire et la mémoire de l’art, où une forme de spiritualité était traversée par un imaginaire de la dissolution, de la décomposition des corps et des repères spatiaux. Il importe d’évoquer ces oeuvres, car elles nous permettent, par contraste, de mieux saisir l’évolution du travail de Sophie T. Rauch. Dans la production qu’elle exposait chez Han Art, à Montréal, en 2002, le portrait est largement dominant. Ce sont presque toujours des visages de femmes au regard fixe ; souvent, un oeil est traité d’une manière singulière, comme c’est le cas dans Almost There (2001), où le regard et la bouche sont brouillés, peut-être en raison d’une source lumineuse oblique, et dans Half and Half (2001), titre qui explicite le travail géométrique de l’artiste. Il semble que chez Rauch l’oeil importe davantage que les yeux, comme le signifiait déjà cette obsession de l’oeil détaché du visage dans la production antérieure (Watching l – Watching Eye, 1996). Une toile comme Doll (2001) – reproduite ici en page couverture –, qui reprend ni plus ni moins A1598R, une oeuvre de 1998, mais en lui faisant subir une distorsion particulière, déconstruit littéralement le regard en multipliant l’oeil sur une ligne horizontale – mais aussi la bouche et le nez subissent le même traitement –, comme si nous avions accès au brouillon de la toile, au travail de l’artiste, lequel serait fait de sélections et de calculs, comme veulent peut-être le suggérer les lettres et les chiffres qui encadrent le visage de la femme. Au-delà de cette lecture esthétique imposée par la toile, l’isolement des parties du visage insiste sur les sens (la vue, le goût et l’odorat). On observe aussi que le personnage de Doll, à l’exemple de la production antérieure, est bordé d’un fin tracé perlé ; à cet égard, cette toile fait exception dans la production 2001, où l’artiste continue de délimiter les visages mais par la présence de cercles massifs (par exemple Odyssée, 2001), comme si la tête perdait de son autonomie au profit d’un chiffrage du sujet. Dans une toile comme I don’t really know about this (2001), les cercles sont situés au-dessus de la tête, ce qui suffit à déplacer la valeur humaine vers l’abstraction de la reproduction formelle : la tête devient socle, récipient – caractéristique propre à l’ensemble des portraits de cette période. Dans tous les cas, l’évolution du travail de l’artiste approfondit la vague inquiétude qui caractérisait les premières toiles ; le visage semble s’être robotisé, définitivement déshumanisé (The Final Frontier, 2001, The Cage, 2002). Dans Robotic Ingres (2002), les tresses semblent être des ressorts bien fermes, comme si la tête, sorte de métonymie du sujet en perte d’humanité, n’était plus mue que par une troublante mécanique élastique. Nous sommes ici confrontés à cette espèce d’individu « clonal » évoqué par Baudrillard, un individu pris dans les mailles du réseautage informatique, sans relief politique ou …

Parties annexes