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Depuis les événements du 11 septembre 2001 aux États-Unis, la lutte contre le terrorisme international s’intensifie, occupant une place centrale dans l’organisation de la sécurité de la plupart des pays à tradition libérale démocratique. Dans un laps de temps relativement court, le lien entre terrorisme, migration et sécurité a été réactivé dans plusieurs pays, ouvrant ainsi la voie à des politiques qui visent la surveillance rapprochée des frontières et des individus, de même que l’établissement d’une « nouvelle culture de sécurité ». « Personne ne doit douter du fait que les règles du jeu ont changé », martelait le premier ministre de la Grande-Bretagne, Tony Blair, en présentant à la presse une série de mesures draconiennes pour lutter contre le terrorisme dans la foulée des attentats de Londres des 7 et 21 juillet 2005 perpétrés par des terroristes d’obédience islamiste. En réalité, ce ne sont pas seulement les règles du jeu qui ont changé, mais les conditions dans lesquelles s’exerce le jeu démocratique lui-même.

En effet, en plus de renforcer leurs législations et leurs dispositifs antiterroristes, plusieurs gouvernements ont littéralement modifié leur approche à l’égard de la donne sécuritaire. Par exemple, les droits et les obligations qui entourent la condition citoyenne et migratoire ont été recentrés. Dans la plupart des cas, plusieurs aspects de la nationalité et de la citoyenneté ainsi que de certains droits sociaux ont été réduits. En outre, certains pays ont amorcé un repli stratégique graduel à l’égard du credo politique néolibéral ainsi que de la rhétorique d’ouverture qui le sous-tend, deux lignes de force qui ont contribué à façonner les politiques publiques au cours des années 1990, considérées comme une période vertueuse de l’apothéose transnationale.

Au Canada, le nouvel environnement sécuritaire a installé un contexte transnational d’exception. Le gouvernement a entrepris, par exemple, de resserrer le cadre normatif du rapport entre l’État et les citoyens de même que celui des mouvements transnationaux des personnes. Les autorités fédérales ont aussi mis en place un train de mesures significatives, allant de l’adoption du projet de loi C-36 (Loi antiterroriste) jusqu’à la conclusion de certains accords spéciaux avec les États-Unis en vue de la mise en place d’un périmètre de sécurité ceinturant les deux pays. Il en a résulté l’étroite coordination de leur politique commune en matière d’immigration et d’accueil des réfugiés et la surveillance conjointe de leurs frontières terrestres, maritimes et aériennes. Instaurés au nom de valeurs nationales et étatiques en danger, de tels aménagements rapides du cadre sécuritaire sont de nature à établir dans l’imaginaire collectif un type de « société du risque[1] » et de contrôle, voire une « gouvernementalité par l’inquiétude[2] ».

Le but de cet article est de rendre compte des multiples enjeux et perspectives qui interpellent les propositions transnationales libérales dans le contexte de la lutte contre le terrorisme international. Car, en cette période de profonde transformation du système international contemporain, les nouvelles règles du jeu démocratique en vigueur au Canada, et dans la plupart des États euro-atlantiques, invitent à une réflexion profonde sur les promesses de la vision transnationale libérale qui postule le déclin graduel de l’État de sécurité nationale sous les projecteurs des politiques de libéralisation et d’ouverture frontalière. Il importe à ce sujet de savoir si un discours axé sur la protection des libertés fondamentales peut cohabiter avec un discours rival enraciné exclusivement dans les préoccupations de sécurité nationale et de contre-terrorisme[3]. Les postulats de la vision transnationale libérale – principalement ceux relatifs à l’affranchissement des acteurs non étatiques de l’emprise de l’État national et territorial, d’une part, et à l’affaiblissement graduel du pouvoir étatique à la suite de la mondialisation, d’autre part – résistent-ils au climat sécuritaire instauré dans le contexte de la lutte contre le terrorisme international ? Comment se présentent les perspectives pour les libertés civiles et les mouvements transnationaux des individus dans l’environnement de l’après septembre 2001 au Canada ?

Pour apporter des éléments de réponses à ces diverses interrogations, il faut au départ sortir du cadre habituel de la sécurité, car le contexte de sécurité actuel, plus que tout autre, offre la possibilité d’appréhender les événements qui s’y rattachent en faisant appel à une approche critique. Plus précisément, il met en lumière l’importance du concept de « sécurisation » développé au sein de l’école de Copenhague et la pertinence de l’éclairage apporté par Didier Bigo autour des pratiques des agences de sécurité dans le contexte de la lutte contre le terrorisme international. Les théoriciens de la sécurisation vouent un scepticisme mesuré à l’endroit du concept de sécurité et appréhendent ce dernier comme résultant d’une lutte de pouvoir. Ils attribuent à ce concept une valeur discursive. Pour eux, les questions ne sont pas intrinsèquement de l’ordre sécuritaire. Ce n’est qu’en qualifiant un enjeu comme étant dans le registre de la « sécurité » qu’il le devient[4]. L’État procède à l’inscription d’un enjeu politique dans le registre sécuritaire par le biais d’un processus appelé « sécurisation ». L’enjeu considéré est alors présenté comme une menace existentielle qui justifie l’emploi de mesures extraordinaires pour l’endiguer. L’État déplace alors la politique au-delà des règles normales du jeu en affirmant un droit spécial d’utiliser tous les moyens nécessaires et exceptionnels. Dans l’approche en termes de sécurisation, l’insécurité devient simplement un produit à la fois des discours et des politiques de sécurité[5].

Appréhender la sécurité ou l’insécurité en termes de processus de sécurisation permet une analyse plus nuancée et plus approfondie du processus de sécurisation de la sphère publique qui est à l’oeuvre dans bon nombre de pays. L’ensemble des mesures de sécurité et de surveillance adoptées par ces pays donne lieu à un transfert net du balancier de la sphère citoyenne vers celle de la puissance étatique. À bien des égards, ces mesures exceptionnelles tendent à fragiliser le nécessaire équilibre entre les exigences de sécurité et les acquis en matière de liberté dans les sociétés démocratiques. Selon Edna Keeble, la restriction des libertés civiles pour les citoyens et les immigrants au nom de la sécurité nationale est devenue une partie intégrante du paysage politique tant au Canada qu’aux États-Unis[6]. Dans la mesure où ce nouvel État régulateur fait de la « sécurisation » ou, mieux, de la surveillance de la société, sa principale stratégie de gouvernance, le modèle sécuritaire établi et les politiques adoptées renforcent les incursions étatiques répétées dans l’univers des droits et libertés. Comme le note Kanishka Jayasuriya, le virage actuel vers un type d’État transnational basé sur la loi et l’ordre expose la position précaire de l’idéologie des libertés civiles[7].

À partir de récits empiriques tirés d’une enquête effectuée sur le terrain, cet article explore trois manifestations du processus de sécurisation au Canada : la montée du profilage racial, le double standard de la citoyenneté et la surveillance accrue des mouvements transnationaux. Ces trois situations rendent compte des effets des dispositions législatives de même que des mesures de sécurité prises dans la foulée des événements entourant le 11 septembre 2001. Elles sont de nature à apporter un éclairage empirique sur les rapports entre l’État canadien et ses citoyens dans un contexte de changement sur le plan de la hiérarchisation des priorités gouvernementales.

Je soutiens que les effets concrets des nouveaux paramètres de sécurité canadiens sur les pratiques citoyennes illustrent aujourd’hui la tendance vers une nouvelle problématisation des rapports entre sécurité, liberté et citoyenneté. La montée des préoccupations en matière de sécurité non seulement affecte les propositions fortes du transnationalisme libéral, mais elle signale du même coup la fin de l’ère de l’apothéose transnationale. Dans l’environnement sécuritaire post-11 septembre, les relations entre État et société sont plus que jamais modelées sous les projecteurs de ce que Davina Bhandhar désigne comme étant « une nouvelle normalité[8] ». Citoyens et non-citoyens sont désormais organisés, contrôlés et assujettis à de nouvelles formes de surveillance étatique qui traduisent un processus de « re-normalisation » de la citoyenneté. Il s’agit d’un processus qui rétablit les pouvoirs exceptionnels et souverains de l’État national et par lequel ce dernier redéfinit arbitrairement les termes de l’appartenance à la communauté politique et les privilèges généralement attribués au statut de citoyen.

En tout état de cause, cette nouvelle normalité correspond à la montée de nouvelles formes d’exceptionnalisme au sein des démocraties libérales[9]. En effet, les gouvernements de tradition libérale démocratique ont de plus en plus tendance à gouverner en ayant recours à des actes d’exception qui provoquent des distorsions sérieuses sur le plan des effets restrictifs que la règle de droit et de la représentation démocratique peut avoir sur l’exercice arbitraire du pouvoir. Selon Peter Nyers, l’usage de ces procédés exceptionnels coïncide avec « un moment de re-fondation de l’État qui marque un retour à la violence originelle de la souveraineté[10] ». Il illustre également un paradoxe central de la vie politique moderne : la loi peut être suspendue dans le but de préserver l’État et son système de droit d’un danger interne ou externe grave[11]. Jef Huysmans soulève également un paradoxe semblable : les mesures de sécurité prises pour répondre à la violence et protéger les démocraties libérales, croit-il, peuvent contribuer à miner ces dernières, car leur caractère exceptionnel met en péril le niveau minimal d’égalité et de liberté que la règle de droit garantit et qui sont des préalables essentiels aux expressions libérales démocratiques de la volonté du peuple[12].

En d’autres termes, pour reprendre la formulation proposée par Didier Bigo, « d’un côté, l’exception envahit le normal et change ce qu’on considère comme normal ; de l’autre, on crée une nouvelle tolérance pour d’autres exceptions[13] ». Dans la mesure où le processus actuel de sécurisation des flux et des mouvements transnationaux contribue à approfondir une atmosphère d’hostilité rampante à l’endroit du langage des libertés civiles, on peut suggérer, dans la même veine, que les nouvelles règles du jeu transnational issues de la matrice des dispositifs de sécurité mis en place dans le contexte de la lutte contre le terrorisme international mettent à l’épreuve la conception libérale et égalitaire des droits et rendent inopérantes les propositions transnationales libérales.

Je commence ici par exposer une vision critique de la thèse transnationale libérale. Ensuite, j’explore le nouveau cadre de sécurité canadien proprement dit en dressant un bilan des nouvelles dispositions législatives ainsi que des mesures de sécurité adoptées pour le rendre opérationnel. Je poursuis en explorant et en passant en revue les incidences concrètes de l’entreprise de sécurisation, par l’intermédiaire des récits et des exposés qui illustrent le profilage racial, le double standard de la citoyenneté avec le cas du canado-syrien Maher Arar et la surveillance accrue des mouvements transnationaux mise en contexte par l’affaire de l’annulation du projet de liaison aérienne entre Montréal et Beyrouth. Finalement, je tire quelques conclusions relatives à la pertinence de la thèse libérale transnationale ainsi qu’aux enjeux et aux défis entourant les libertés civiles, l’exercice de la citoyenneté et les mouvements transnationaux dans un contexte de sécurisation accrue.

Un examen critique de la thèse transnationale libérale

La thèse transnationale libérale part de la proposition selon laquelle le commerce libéralisé et le marché autorégulé sont un antidote contre la guerre et, par le fait même, contribuent à garantir la prospérité et la sécurité des États. Dès 1813, Benjamin Constant écrit : « Nous sommes arrivés à l’époque du commerce, époque qui doit nécessairement remplacer celle de la guerre, comme celle de la guerre a dû nécessairement la précéder[14]. » Eugene Staley, et plus tard Richard Rosecrance, soutiennent tour à tour que les incitatifs pour un comportement pacifique sont fournis par un environnement international ouvert caractérisé par des patterns d’échange régularisés et des règles ordonnées[15]. Robert Keohane, adepte du courant libéral sophistiqué, fait remarquer, quant à lui, que « les conditions d’ouverture économique peuvent produire les incitatifs nécessaires en vue d’une expansion pacifique et non agressive[16] ». Ces dogmes qui s’enracinent profondément dans le libéralisme commercial classique sont précurseurs du discours contemporain de la mondialisation néolibérale. Pour la plupart des théoriciens et des adeptes du libéralisme commercial, il existerait en effet un lien positif entre l’ouverture des frontières des États au commerce international et la sécurité des nations[17]. Il s’agit là d’un moyen direct permettant d’atteindre l’objectif final de la société libérale, soit la rupture graduelle de la subordination des préoccupations économiques aux préoccupations sécuritaires des États.

C’est donc au cours des décennies 1980 et 1990 que la rhétorique transnationale libérale forte s’est établie dans le corpus théorique de la mondialisation en tant que cadre de référence hégémonique. La mondialisation libérale y est ainsi présentée comme un phénomène susceptible de contribuer non seulement à la modification des objectifs de sécurité des États, mais encore à l’affaiblissement de ce qu’il convient d’appeler l’État de sécurité nationale[18]. Dans cette optique, la dépossession progressive de l’État de son statut de pourvoyeur de la sécurité y est perçue comme étant inéluctable en raison de la nouvelle dynamique des relations sociales installées à la suite de la mondialisation. En conséquence, le processus d’affranchissement des acteurs non étatiques nationaux de l’emprise de l’État national et territorial s’avère pour le moins irréversible[19].

Cette vulnérabilité grandissante des États-nations aux pressions conjuguées de l’intérieur comme de l’extérieur serait de nature à impulser une nouvelle ère dans les affaires mondiales, celle de l’établissement d’un État post-souverain et « post-westphalien »[20]. Vue sous cet angle, la mondialisation libérale renvoie l’État à l’arbitrage des différentes identités, autorités et loyautés politiques qui sont devenues incontournables dans le monde moderne. Selon Stephen Castles, la survie de l’État-nation est de plus en plus précaire, car la mondialisation est en train d’anéantir les frontières nationales et de briser le lien entre territoire et pouvoir. Il soutient, à ce sujet, que la congruité entre nationalité et citoyenneté, point focal du modèle de citoyenneté centré sur l’État-nation, ne peut plus offrir une base appropriée pour l’appartenance sociale à l’âge de la mondialisation et de la migration[21].

Selon les transnationalistes de tradition libérale, la mondialisation a un impact significatif sur l’État territorial. En raison des déplacements de plus en plus fréquents de populations hors de l’espace territorial souverain, les États et la nation tendent à développer des relations différentes quant au territoire, lesquelles débouchent sur la formation des « translocalités ». Pour Arjun Appadurai, ces translocalités, prises comme catégorie émergente d’organisation humaine, sont à l’origine de la crise entre l’État et la nation et posent ainsi un problème crucial quant à la maîtrise du territoire[22]. En ce sens, les pratiques transnationales, de même que les identités sociales déterritorialisées de plusieurs migrants internationaux, représentent un défi pour les États-nations dans leur quête de maintenir l’exclusivité de la citoyenneté[23]. Yasemin N. Soysal note, à ce sujet, l’émergence d’une personnalité universelle qui est en train de miner l’ancrage territorial de l’État-nation[24].

Tous ces travaux déconstruisent l’immutabilité du lien structurel entre citoyenneté et État national. Leurs auteurs souscrivent à la thèse selon laquelle la citoyenneté, longtemps perçue comme étant investie dans l’espace territorial exclusif et souverain de l’État national, n’est plus une affaire exclusivement nationale, mais comporte une dimension transnationale ou post-nationale. En revanche, les politiques de sécurité remises en oeuvre au sein des démocraties libérales dans la foulée des événements du 11 septembre 2001 attestent de l’amplitude de nouvelles règles du jeu à l’oeuvre, qui invitent à nuancer l’optimisme transnational. Stephen Clarkson et Maria Banda notent que les attentats du 11 septembre représentent une rupture importante dans la politique américaine en ce sens que les États-Unis sont passés d’un paradigme articulant la libéralisation économique à un paradigme privilégiant la sécurité nationale et la fermeture de ses frontières territoriales[25]. Pour Clarkson et Banda, ce changement de paradigme intervenu dans la politique américaine a une profonde influence sur ses deux voisins, à savoir le Canada et le Mexique. Les auteurs croient que, par cette nouvelle hiérarchisation politique, la sécurité surpasse le commerce et met en danger le paradigme antérieur qui mettait au centre de sa préoccupation l’effacement des barrières frontalières dans le but de créer un marché économique nord-américain intégré[26]. Peter Andreas, quant à lui, fait remarquer que l’ouverture des frontières économiques et le déclin des rivalités militaires interétatiques ont été en même temps accompagnés d’une réappropriation et d’une expansion de la présence régulatrice de l’État à l’intérieur de ses frontières. Selon cet auteur, la donne frontalière demeure encore au centre de l’analyse de la politique internationale. Le 11 septembre n’a fait qu’accélérer et étendre cette tendance dans l’environnement politique[27].

Ainsi, on peut déduire de ces différentes interprétations que la manière dont les États-Unis et le Canada, et la plupart des pays occidentaux, répondent aux enjeux relatifs à la lutte contre le terrorisme international obéit au paradigme westphalien classique[28]. Charles Tilly rappelle, à ce sujet, que la sécurité nationale a toujours été et demeure encore la fonction première de l’État national de type westphalien[29]. Cette fonction se décline en particulier par l’habileté, voire la capacité, de ce dernier à protéger ses citoyens et le territoire national. En conséquence, les occasions offertes par des crises de sécurité majeures tendent à renforcer les pouvoirs coercitifs des États au détriment des droits des individus et des groupes[30]. Vue sous cet angle, la lutte contre le terrorisme contribue à réintroduire dans l’inconscient collectif la centralité de l’État en tant que dispensateur de la sécurité nationale et de pourvoyeur de la sécurité individuelle. En même temps, elle met en péril la fragile cohabitation entre les objectifs de sécurité nationale et ceux des libertés citoyennes. Cette préséance accordée à la sécurité nationale sur les libertés citoyennes dans les politiques publiques signale un remodelage des rapports entre l’État démocratique et les citoyens.

À l’intérieur de cet État de sécurité nationale post-11 septembre, des tensions aiguës rebondissent et s’accentuent, comme celles entre la sécurité et la liberté, entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif ou encore entre les droits fondamentaux et les revendications en termes de valeurs. Des droits fondamentaux séculaires et acquis au prix de grandes convulsions sociales et politiques (liberté d’expression, d’association et d’assemblée par exemple) ne sont plus interprétés par les tenants du pouvoir de l’État comme jouissant d’une protection absolue et peuvent être, dans certains cas, assujettis à une dérogation complète. On utilise plus souvent qu’auparavant les pouvoirs d’exception comme cadre législatif en vue d’agir en dehors des institutions constitutionnelles et représentatives établies. De plus, les autorités politiques appréhendent le mouvement transfrontalier des personnes comme un « risque à la sécurité nationale » et établissent des instruments de contrôle et de surveillance en vue de prévenir et de limiter les dangers. Plus souvent qu’auparavant, les obligations internationales relatives aux droits fondamentaux et à l’habeas corpus sont réinterprétées à la lumière du prisme sécuritaire[31].

Dans plusieurs pays, on peut également observer qu’il y a un renforcement du contrôle physique aux frontières, une multiplication des services de renseignements, un ciblage plus rapproché des activités de certaines communautés ethniques et migrantes spécifiques, une nette préséance octroyée aux lois internes sur les obligations internationales et, enfin, un retour vers la promotion et le ralliement autour de l’identité nationale et de la défense du territoire. Tous ces processus et mécanismes mis en place indiquent que les États sont en train de réinvestir à grand déploiement l’univers de la citoyenneté et de la dynamique de ce qui constituait jusque-là l’espace « transnational ». Ces nouvelles règles du jeu ont atteint leur point culminant à la faveur des attentats terroristes perpétrés aux États-Unis, à Madrid et à Londres et s’installent tant au Canada que dans la plupart des pays euro-atlantiques.

Les instruments d’analyse proposés par les tenants du transnationalisme libéral ne nous permettent donc pas d’appréhender de manière systématique ces développements récents qui sont à l’oeuvre au sein des démocraties libérales, car les transnationalistes libéraux sous-estiment le poids du facteur étatique et surestiment le pouvoir des forces transnationales. Cette thèse tient pour acquis que la marche vers l’affirmation transnationale des acteurs sociaux nationaux et des citoyens est un processus qui ne requiert pas de médiation. Or, ce qui est en cours actuellement au sein des démocraties libérales, c’est l’affirmation d’un État qui instrumentalise la sécurité nationale comme étant le point central de la politique et un enjeu qui sature tout discours politique. La sécurité devient ainsi une arène de lutte par excellence, un champ de bataille sur lequel s’applique un sens particulier du politique[32]. Il importe donc de réapprécier les propositions transnationales libérales à l’aune de l’actuelle dynamique de sécurisation qui replace l’État au centre et comme agent régulateur des mouvements transnationaux.

Ici, la démarche privilégiée aborde le rapport sécurité / liberté dans les sociétés démocratiques en tenant compte des modifications intervenues au niveau des rapports État / citoyen à l’ère sécuritaire. Elle fait intervenir le facteur étatique dans le destin transnational des individus et des acteurs sociaux en adoptant une approche transnationale minimale. Il s’agit d’une approche qui offre la possibilité d’articuler adéquatement l’interface national / transnational en tenant compte des changements et des variations, dans le temps et dans l’espace, intervenus sur le plan du conditionnement sécuritaire dans lequel opèrent les États et les citoyens. L’approche du transnationalisme minimal altère la vision libérale transnationale forte dont le discours dominant postule un processus de disparition graduelle de l’État dans la sphère globale et le transfert du lieu de pouvoir de l’univers étatique à celui des acteurs de la société civile ainsi transnationalisée[33]. Elle appréhende l’État comme étant le facteur encore dominant qu’il faut prendre en considération quand il s’agit d’articuler les rapports de force à l’échelle mondiale, étant donné la nature interétatique formelle de ces interactions. À ce titre, l’étude du bilan des effets des lois de sécurité canadiennes sur le binôme liberté / citoyenneté permet de corriger l’optimisme transnational libéral.

Post-11 septembre 2001 : la mise à l’épreuve du régime de sécurité canadien

Avant l’avènement du nouveau millénaire, très peu d’indices laissaient présager que les autorités canadiennes allaient effectuer un virage aussi marqué relatif à la politique de sécurité et de surveillance du pays, car, pendant plusieurs décennies, le spectre du communisme et l’escalade de la guerre froide avaient largement contribué à figer les paramètres de sécurité dans la plupart des pays occidentaux[34]. Mais, avec la chute des gouvernements communistes dans plusieurs pays de l’Europe de l’Est et la fin des hostilités idéologiques entourant la guerre froide en 1989, le gouvernement canadien s’est employé à réorienter graduellement sa politique de sécurité, étant donné que « la peur de la menace rouge » paraissait pour le moins dissipée. Qu’est-ce qui a changé dans la politique de sécurité nationale canadienne après le 11 septembre ?

De manière générale, les priorités canadiennes telles qu’elles ont été définies par le régime libéral en place depuis 1993 étaient plutôt orientées vers des efforts visant la modernisation de l’économie par l’innovation, l’expansion du commerce international, la création d’une société plus inclusive à la suite du surplus fiscal, la protection de l’environnement ainsi que la recherche d’une nouvelle voie pour le Canada dans le monde[35]. Dans ses relations avec les États-Unis, la question omniprésente du bois d’oeuvre, le plan Bush pour un Pacte énergétique continental, de même qu’un ensemble de questions relatives à la sécurité frontalière et à l’immigration illégale absorbaient les discussions bilatérales entre les deux voisins. Néanmoins la question de la sécurité frontalière entre les deux pays allait commencer à occuper une part significative des préoccupations gouvernementales de part et d’autre, notamment après l’affaire Amhed Ressam[36]. Le gouvernement américain, irrité par la porosité de la frontière, a ouvertement mis à l’index le dispositif de sécurité canadien en qualifiant la frontière canado-américaine de « risque à la sécurité ».

Avant les événements du 11 septembre, la politique américaine suivait une orientation résolument interne qui laissait présager une inclination vers un retour à l’isolationnisme. L’administration américaine fraîchement dévolue au républicain George W. Bush, arrivé aux commandes en janvier 2001, a mis le cap sur ses promesses de réduire les impôts des citoyens, de changer les institutions de base de la société telles que l’éducation, la sécurité sociale et l’accès à la santé, ainsi que de parvenir à une nouvelle politique énergétique nationale. Cependant, les événements du 11 septembre 2001 ont modifié les priorités gouvernementales américaines et propulsé la ligne d’action de sécurité nationale à l’avant-plan.

Tant en raison de sa proximité avec les États-Unis que de la capacité de l’« agenda » politique américain à influencer celui du Canada, ce dernier s’assure normalement qu’une bonne partie de ses énergies soit concentrée sur les événements qui se déroulent à Washington[37]. De plus, l’intégration plus grande de l’économie canadienne à celle de son voisin américain et la nécessité de préserver un passage des marchandises à travers la frontière qui sépare les deux pays rendent le Canada très vulnérable aux demandes américaines relatives à la sécurité[38]. Dès les premières heures de l’attaque terroriste du 11 septembre, les États-Unis adoptent une posture de guerre en appelant à la mobilisation nationale et internationale. En plus de l’adoption du Patriot Act et de la création du Département de la sécurité intérieure (Homeland Security), le pays élève d’un cran ses dispositifs de sécurité. Les États-Unis requirent du Canada un engagement sans équivoque aux efforts de guerre contre le terrorisme international et à la construction d’un périmètre de sécurité nord-américain. Le déroulement des événements à Washington ne tarde pas à résonner directement à l’intérieur de la bureaucratie d’Ottawa. De tels événements, comme il nous sera donné de le voir, contribueront à déplacer les priorités annoncées antérieurement par le gouvernement libéral de Jean Chrétien de leur ancrage socioéconomique vers un axe sécuritaire.

C’est ainsi que le 12 décembre 2001 le Canada et les États-Unis signent la Déclaration du Canada et des États-Unis sur la frontière intelligente[39]. Parmi la panoplie de mesures retenues dans le Plan d’action pour la création d’une frontière sûre et intelligente entre les deux pays, on note : l’établissement de nouvelles équipes intégrées de la police des frontières ; l’établissement d’équipes conjointes d’agents des douanes ; la mise au point d’une carte d’identification biométrique pour les résidents permanents ; le contrôle approfondi des réfugiés et des demandeurs d’asile ; la coordination des politiques relatives aux visas ; l’information préalable sur les passagers et le dossier des passagers se rendant dans l’un ou l’autre pays et présentant un « risque élevé »[40] ; l’établissement conjoint de bases de données automatisées compatibles sur l’immigration ; l’intégration des services de renseignements ; les procédures de déportations conjointes ; etc.[41].

Le 24 décembre 2001, la loi canadienne contre le terrorisme appelée la Loi antiterroriste (projet de loi C-36) entre en vigueur[42]. Elle vise « à identifier, à poursuivre et à punir les terroristes ; à fournir de nouveaux outils aux organismes canadiens de sécurité nationale et d’exécution de la loi afin de leur permettre de mener des enquêtes plus facilement ; à détecter et à prévenir le financement d’activités terroristes ». Cette nouvelle loi étend et institutionnalise l’usage de « preuves secrètes » qui doivent être utilisées dans des « procès secrets ». Elle renforce l’autorité ministérielle de délivrer des « certificats de sécurité »[43]. Elle modifie également plusieurs autres textes législatifs dont ceux relatifs aux renseignements de sécurité, aux secrets officiels ou encore à la protection de l’information. En somme, elle constitue le fondement législatif des divers pôles qui encadrent l’État de sécurité nationale.

De plus, une nouvelle Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés voit le jour le 28 juin 2002. Cette loi octroie aux autorités publiques le pouvoir, entre autres, de procéder à l’expulsion rapide des « personnes à risque » (c.-à-d. celles qui représentent une menace en matière de sécurité), de soustraire ces personnes du processus leur donnant accès au système de détermination du statut de réfugié et de mettre en place des mécanismes sophistiqués qui facilitent la surveillance des mouvements illégaux à la frontière[44]. Le Canada et les États-Unis procèdent également à la signature, le 30 août 2002, d’une Entente sur les pays tiers sûrs visant principalement à gérer, de manière conjointe, « l’afflux des demandeurs d’asile » entre les deux pays. Par l’entremise de cette entente qui est entrée en vigueur le 29 décembre 2004, le gouvernement canadien détient le pouvoir discrétionnaire de refouler tous les demandeurs d’asile qui arrivent à ses frontières terrestres en provenance des États-Unis. Dès lors, de telles personnes devraient déposer leur demande d’asile sur le territoire américain, en vertu du principe reconnu internationalement selon lequel les réfugiés doivent revendiquer leur protection dans le premier pays qu’ils atteignent. Pour James Bisset, il s’agit d’un « heureux changement qui permettra de mettre fin à la pratique qui consiste à accueillir au Canada des individus fuyant la persécution dont ils prétendent être victimes dans des pays comme les États-Unis… »[45]. Toujours est-il que cette entente est de nature à contribuer à l’érosion graduelle des droits des réfugiés et des migrants au Canada tout en créant un marché lucratif de trafiquants qui transportent les demandeurs d’asile de manière illégale à travers la frontière entre les deux pays[46].

Après la création, le 12 décembre 2003, du portefeuille de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada, la Loi sur la sécurité publique adoptée en mai 2004 clôt la nouvelle armature législative de sécurité. Cet acte législatif couronne le processus d’ajustement rapide et fondamental du régime de sécurité canadien aux contingences de l’heure. L’ensemble de ces changements identifiés accompagne l’entrée du pays dans une dynamique de rupture graduelle avec les présupposés doctrinaux qui ont mis leur empreinte sur la conjoncture post-guerre froide. Les nouveaux instruments mis en place par le Canada replacent les questions liées à la sécurité au sommet des préoccupations gouvernementales. Ces instruments s’inscrivent dans les paramètres de sécurité actuels, lesquels articulent la sécurisation des mouvements transnationaux comme un grand dessein stratégique dont la dominante antiterroriste constitue le point focal.

Le conditionnement sécuritaire après le 11 septembre : récit et manifestations

Sur les traces du profilage racial

La Commission ontarienne des droits de la personne définit le profilage racial comme « toute action prise pour des raisons de sûreté, de sécurité ou de protection du public qui repose sur des stéréotypes fondés sur la race, la couleur, l’ethnie, la religion, le lieu d’origine ou une combinaison de ces facteurs plutôt que sur un soupçon raisonnable, dans le but d’isoler une personne à des fins d’examen ou de traitement particulier[47] ». Le contexte politique inauguré par la lutte contre le terrorisme international a vite réintroduit le profilage racial comme instrument et moyen d’atteindre certains objectifs de sécurité, principalement ceux qui sont liés à l’identification et au repérage de présumés terroristes. Les techniques de profilage racial ne sont pas étrangères, loin de là, à la culture policière contemporaine. Il n’existe pas à proprement parler d’interdiction officielle d’identifier la nationalité ou l’ethnicité d’individus qui s’adonnent au crime organisé ou à d’autres menaces contre la sécurité nationale, par exemple. En Amérique du Nord, plus principalement aux États-Unis et au Canada, les pratiques policières en matière de profilage racial étaient traditionnellement dirigées à l’endroit des personnes d’apparence ethnique africaine et, à un moindre degré, latino-américaine. Après les événements du 11 septembre, cette méthode s’est élargie à d’autres catégories raciales et a pris une signification particulière du fait que les 19 preneurs d’otage étaient originaires du Moyen-Orient. « On ne va pas chercher les terroristes chez les latinos ou au sein de la communauté noire pour le moment ! », se lamente Aida Kamar, rédactrice en chef du magazine L’Avenir, hebdomadaire arabe montréalais[48].

Amnesty International USA indique, dans un rapport détaillé, que les événements du 11 septembre ont conduit le gouvernement américain à adopter des politiques et à entreprendre des actions à l’endroit des personnes de descendance arabe, musulmane et moyen-orientale[49]. En effet, immédiatement après ces attaques, les autorités américaines de la justice et de l’immigration ont ciblé des immigrants provenant de pays à prédominance arabe et musulmane dans un effort de trouver de possibles suspects terroristes[50]. Comme dans bon nombre de situations similaires, ces politiques discriminatoires n’ont pas manqué de trouver un écho au Canada. Les autorités canadiennes, en orientant leur politique antiterroriste selon les paramètres établis par leurs homologues américains, ont statué que les individus d’appartenance arabe et musulmane pouvaient représenter un risque pour la sécurité canadienne. Selon la juriste Reem Bahdi, les Canadiens arabes et musulmans sont l’objet de pratiques de profilage racial intenses de la part des autorités policières canadiennes depuis le 11 septembre[51]. Bien que les dispositions législatives demeurent silencieuses à ce sujet, les cas de citoyens canadiens d’apparence moyen-orientale arrêtés puis interrogés aux frontières et dans les aéroports, ou encore ceux dont les avoirs ont été gelés dans le contexte des nouveaux règlements relatifs à la suppression du terrorisme, connaissent un net retentissement[52].

En tenant compte de la fréquence des actes posés, les individus qui sont les plus touchés par le profilage racial demeurent ceux qui sont membres des communautés arabo-musulmanes et asiatiques. Dans les aéroports, les agents utilisent des techniques de plus en plus sophistiquées qui permettent aux autorités aéroportuaires de vérifier le profil des passagers et de cataloguer les personnes qui représentent un « risque à la sécurité »[53]. Les gens des communautés arabes et musulmanes, par exemple, se heurtent à beaucoup plus de difficultés que les autres « lors de leurs déplacements internationaux », soit en traversant les frontières terrestres ou encore au moment de la vérification d’usage dans les aéroports du Canada[54]. Manifestement, « les Arabes sont sous surveillance un peu plus depuis les attentats du 11 septembre [55] ».

Or, concrètement, l’acte de profilage racial reste difficile à définir et donc difficile à prouver devant les instances judiciaires. À ce jour, on n’est pas encore parvenu à dresser un bilan exhaustif des cas d’abus liés à certaines pratiques de profilage racial à l’endroit des personnes d’origine arabe ou de confession musulmane. Ces difficultés sont principalement liées au manque de contact avec les organisations qui travaillent avec ces communautés et au fait qu’il est devenu presque impossible d’amasser toute l’information relative aux cas de profilage racial[56]. De plus, la plupart des personnes victimes de profilage racial éprouvent une grande inquiétude. « Même après avoir performé l’acte, les agents de la GRC ou du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) reviennent encore à la charge tous les deux jours », confie Fo Niemi, directeur du Centre de recherche action sur les relations raciales (CRAAR), groupe de défense des droits de la personne situé à Montréal[57].

En dépit du fait que les cas de profilage restent difficiles à répertorier, il n’en demeure pas moins que, dans la perspective des autorités en charge des services canadiens de sécurité et du renseignement, le fait d’interpeller les suspects en se basant sur leurs caractéristiques raciales distinctives demeure une démarche pertinente dans un contexte de redéfinition de la menace et d’incertitude à propos de l’identification de l’ennemi. Bien que, officiellement, certaines autorités politiques s’empressent d’afficher leur réprobation du profilage racial[58], la réalité sur le terrain de l’action policière et douanière prend une tout autre tangente. D’ailleurs les autorités canadiennes soutiennent l’initiative de certains douaniers de procéder au questionnement de voyageurs qui ont des liens avec certains pays musulmans. Tout en niant le fait qu’une telle démarche constitue un acte de profilage racial, on souligne de préférence qu’il s’agit de pratiques qui font partie de « l’évaluation de risque », pour laquelle ces agents sont requis « d’utiliser tous les outils » à leur disposition[59]. Il peut donc être approprié pour le personnel des aéroports canadiens d’entreprendre des fouilles approfondies sur des personnes provenant de pays arabes : « Je ne pense pas qu’il s’agit de profilage racial ; je pense que c’est de l’ordre du sens commun », précise l’ancien major général à la retraite Lewis Mackenzie, alors conseiller en matière de sécurité du gouvernement de l’Ontario[60].

Dans son édition du 22 février 2004, le quotidien La Presse rapporte, pour sa part, l’obligation qui est faite désormais aux policiers de Kingston, Ontario, d’inscrire sur une carte signalétique la race de toutes les personnes interrogées, fouillées ou arrêtées[61]. Un ministre adjoint de la Justice, Morris Rosenberg, suggère à ce sujet qu’il n’appartient qu’aux tribunaux canadiens d’ouvrir les discussions sur la validité de la technique du profilage racial[62]. Toutes ces activités intervenues au sein des milieux de sécurité laissent croire que la surveillance rapprochée de certains groupes ethniques à des endroits précis constitue, selon le discours sécuritaire dominant, « un aspect de la sécurité ». Ces indices suggèrent que le profilage racial, quoique se situant en dehors des normes et des valeurs véhiculées par les démocraties libérales contemporaines, représente une vielle méthode policière qui est partie prenante de la stratégie de sécurité actuelle adoptée par le Canada dans le contexte de la lutte globale contre le terrorisme international. Comme le signale Anna Pratt, il s’agit d’un « outil dans le travail des partenaires de sécurité » au Canada[63]. Cette stratégie de sécurité intègre la race, la religion, le pays d’origine et l’apparence ethnique comme facteurs de suspicion criminelle.

Citoyenneté blessée

L’affaire Maher Arar offre une piste intéressante pour explorer les contours du rapport entre la sécurité nationale et la citoyenneté au Canada. En effet, Canadien d’origine syrienne, Maher Arar a été arrêté par les autorités américaines en septembre 2002 à l’aéroport John F. Kennedy de New York, alors qu’il revenait avec sa famille d’un voyage en Tunisie via la Suisse. Détenteur de la double nationalité syrienne et canadienne, M. Arar voyageait avec son passeport canadien. Avisés par les services secrets canadiens que celui-ci était soupçonné d’entretenir des relations avec des terroristes, les responsables américains l’interceptent puis le détiennent pendant quelques jours avant de l’envoyer dans un centre de détention de la CIA (Central Intelligence Agency) en Jordanie. Par la suite, Maher Arar est expulsé vers la Syrie puis incarcéré pendant douze mois dans ce pays, « sans jamais obtenir la permission de rencontrer son avocat et sans qu’aucune accusation ne soit portée contre lui[64] ».

Il a été établi que des officiels de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) ont communiqué de l’information aux services de renseignements américains au sujet de Maher Arar dans les semaines qui ont précédé son retour au Canada[65]. Au cours d’une des nombreuses séances houleuses de la Commission O’Connor, mise sur pied dans le but de faire la lumière sur le rôle du SCRS et de la GRC dans la déportation d’Arar en Syrie, l’ancien directeur du SCRS, Ward Elcock, a fait savoir que le Canada collaborait régulièrement avec des pays qui pratiquent la torture. « Nous pouvons fort bien avoir des ententes avec des pays que nous soupçonnons de recourir à la torture », a-t-il déclaré en substance[66].

L’affaire Maher Arar apporte un éclairage sur un programme gouvernemental spécial connu sous le nom de « remise extraordinaire ». Il s’agit d’une pratique secrètement utilisée à la fois par les autorités américaines et canadiennes de renseignements et qui a été conçue comme moyen d’extrader vers un pays tiers, jouant le rôle de sous-traitant en la matière, des personnes suspectées d’actes terroristes pour interrogation et poursuite[67]. L’objectif non avoué d’une telle procédure est de soumettre les suspects à des méthodes de persuasion agressives qui sont illégales aux États-Unis et au Canada. Cette affaire a donné lieu à la conclusion d’un accord consulaire entre les deux gouvernements concernés, The Canada US Consular Notification Agreement, qui établit « la promesse de consulter » réciproquement sur le renvoi dans un pays tiers de citoyens appartenant à l’un ou l’autre État[68]. Cet accord entérine le principe du renvoi d’individus suspectés et interceptés aux frontières par l’un ou l’autre des deux pays vers un pays tiers par simple avertissement plutôt que celui du renvoi automatique de ces personnes vers leur pays de citoyenneté.

L’adhésion à un tel procédé par le Canada remet donc en question la pertinence et le respect de la catégorie de « citoyenneté acquise », tout en exacerbant le fossé entre deux classes de citoyens à l’intérieur de l’espace national. Certains problèmes de fond demeurent à l’horizon, comme ceux relatifs à la capacité de l’État canadien à protéger ses citoyens, la motivation réelle du Canada à agir dans ce sens quand il s’agit d’une classe d’individus qu’on pourrait qualifier, à l’instar de Peter Nyers, de « citoyens non essentiels » ou accidentels[69], et la question de la qualité et de la nature de la citoyenneté individuelle au sein des démocraties libérales dans des moments « exceptionnels ».

En étudiant les mesures exceptionnelles prises par les autorités américaines dans le cas du citoyen américain Yasser El Hamdi, Peter Nyers observe une différence de traitement notable entre deux catégories de citoyens : ceux qui sont essentiels et nécessaires et ceux qui sont identifiés comme étant accidentels et dont on peut se passer. Selon lui, la citoyenneté accidentelle n’est pas essentielle et est une exception catastrophique à la norme. Elle est nominale, éphémère, non nécessaire, dangereuse et non désirée[70]. C’est en réponse à la crise de légitimité politique potentielle que le statut d’un citoyen « accidentel » devient « sécurisé » et est « transformé en un statut de dangereux pour le corps politique ». Ce citoyen est alors sujet à des mesures exceptionnelles et arbitraires de la part d’un État de sécurité nationale. Un tel mouvement vers la sécurisation du citoyen accidentel correspond, selon Nyers, à des moments de re-fondation de l’État, moments qui laissent présager un retour à la violence originelle de la souveraineté sous la forme de l’« État d’exception ».

En tout état de cause, l’affaire Maher Arar a été instrumentalisée par les autorités canadiennes comme impliquant un citoyen canadien catégorisé d’« accidentel » et le traitement qui lui a été réservé correspond à des actes exceptionnels, le prototype d’actes réservés à des citoyens de deuxième classe. En ce sens, le cas Maher Arar doit être considéré comme un moment significatif et déterminant de la citoyenneté canadienne. Dans son étude sur les violations des droits constitutionnels à l’endroit de ceux qu’elle appelle les « pseudo-citoyens » américains, Juliet Stumpf note que ceux qui sont perçus comme entretenant des liens insuffisants avec la communauté politique reçoivent un niveau de protection généralement inférieur à celui des citoyens « à part entière »[71]. Ces citoyens hybrides, considérés comme étant en marge de la communauté politique, font les frais de la doctrine du pouvoir plénier, laquelle invite l’État de sécurité nationale à appliquer des lois et des mesures restrictives à l’endroit des non-citoyens[72].

Par-dessus tout, les nombreux développements liés à l’affaire Maher Arar mettent en lumière l’usage de la sous-traitance en matière de traitement de certaines catégories de citoyens, ce qui permet à un gouvernement démocratique de contourner les règles établies, lesquelles rendent illégale la pratique de la torture sous toutes ses formes[73]. Ce cas particulier atteste que l’État réévalue toute appartenance et tout lien suspect à la communauté politique à la lumière de l’exceptionnalisme ambiant. La « blessure » subie par le citoyen canadien Maher Arar, quant à la légitimité de son appartenance à la communauté politique canadienne, incarne à plus d’un titre cet exceptionnalisme. Elle est évocatrice d’un double standard qui risque de s’installer de manière durable en matière de pratiques canadiennes relatives à la citoyenneté dans le contexte de la lutte contre le terrorisme. Juliet Stumpf traduit cette situation en des termes pour le moins très évocateurs quand elle écrit : « la catégorie de pseudo-citoyen invalide les normes établies au sujet da la permanence de la citoyenneté »[74].

Liaison dangereuse

L’annulation du projet de liaison aérienne Montréal-Beyrouth représente un autre cas qui illustre parfaitement les termes dans lesquels s’inscrivent désormais les mouvements transnationaux. En janvier 2003, la compagnie aérienne Air Canada, prenant avantage de la politique de « ciel ouvert » nouvellement instaurée par le gouvernement libanais, prenait la décision d’entamer les procédures d’usage visant l’inauguration de vols trois fois par semaine vers Beyrouth[75]. Le 7 mars, la compagnie sollicitait une licence d’opération auprès du gouvernement libanais. Cette licence lui fut octroyée immédiatement en raison principalement du nombre très élevé de Libanais qui vivent à Montréal et du fait que cette liaison serait en quelque sorte la première d’une compagnie aérienne nord-américaine vers Beyrouth[76]. Le 28 mars, Air Canada reçut du Bureau des transports du Canada sa licence d’opération sur le circuit Montréal-Beyrouth[77]. Cependant, dans une lettre datée du 31 mai 2003, le ministère des Transports, évoquant des « raisons de sécurité nationale », ordonnait au Bureau des transports du Canada (BTC) de suspendre la licence qu’il avait préalablement octroyée au transporteur canadien. La lettre envoyée par le ministre des Transports David Collenette disait ceci : « le gouvernement fédéral a décidé que, dans l’intérêt public et pour des raisons de sécurité nationale, il ne devrait y avoir aucun vol direct opéré entre le Canada et le Liban à ce moment-ci[78] ». Le 2 juin 2003, Air Canada reçut une lettre du BTC lui notifiant que le transporteur n’était plus autorisé à procéder aux opérations de ses vols sans escale entre Montréal et Beyrouth et que sa licence était suspendue « jusqu’à nouvel ordre »[79]. À la suite de la directive du ministre des Transports, le BTC procéda à la suspension de la licence. Cette suspension intervint deux jours avant l’inauguration officielle prévue pour le 3 juin 2003.

Les autorités canadiennes ont fondé leur décision sur le motif que le Hezbollah (organisation d’obédience iranienne opérant dans le sud du Liban) venait d’être inscrit sur la liste des organisations terroristes par les États-Unis et le Canada. Elles soutiennent que le Hezbollah est un parti terroriste dont certains membres syriens opèrent à l’aéroport de Beyrouth. Selon eux, cette situation est de nature à mettre en danger la sécurité des passagers. Bien que cette décision soit basée sur des sources provenant du SCRS et des services de renseignements américains, les autorités n’ont cependant pas fourni de preuves concrètes au sujet de la provenance de leurs préoccupations. « Aucun d’entre eux n’a été à Beyrouth et n’était au courant non seulement de la politique mais encore des mesures de sûreté et de sécurité mises en place là-bas », note Rula Zaoour, directrice du développement des alliances de la compagnie[80]. Le gouverneur de la Chambre de commerce et d’industrie Canada-Liban, Elie Jean Chahib, ajoute pour sa part : « Je trouve cela un peu osé surtout que toutes les compagnies internationales opèrent au Liban à partir de l’aérodrome de Beyrouth… Alors je m’interroge sur la raison de cette annulation[81]. »

De toute évidence, le motif de cette annulation s’inscrit dans la nature du climat sécuritaire qui sévit en Amérique du Nord. La décision canadienne donne suite à une mise en garde faite par les officiels américains à l’endroit d’Ottawa à l’effet que la non-conformité des standards de sécurité de l’aéroport de Beyrouth « pourrait ouvrir une porte aux terroristes vers l’Amérique du Nord[82] ». En agissant ainsi, le Canada répond à un impératif moral et matériel, celui de « coordonner les mesures de sécurité avec le gouvernement américain et d’éviter que le Canada ne serve de porte d’entrée au terrorisme[83] ». Il est à signaler également que même l’importation de produits exotiques asiatiques et moyen-orientaux a été directement affectée par le nouvel environnement sécuritaire post-11 septembre, comme le montre clairement une étude effectuée au sujet de la compagnie québécoise CLIC (Canadian Lebanese Investment Corporation)[84].

À plusieurs égards, la décision prise par les autorités canadiennes du transport est le résultat d’un ensemble de mécanismes institutionnels mis en place dans le contexte de la donne sécuritaire post-11 septembre, dans le but de sécuriser les transports aérien, maritime et ferroviaire. La création par la GRC des Équipes intégrées de la sécurité nationale (EISN) illustre bien ce nouvel état de choses. Composées de représentants de la GRC, de partenaires et d’organismes fédéraux tels que l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), les EISN recueillent, échangent et analysent des renseignements concernant des cibles qui menacent la sécurité nationale et renforcent la capacité des enquêteurs à traduire ces cibles en justice[85]. De plus, en 2003, CIC a élaboré la stratégie des frontières multiples. L’objectif est d’élargir le contrôle des entrées en obtenant des renseignements préalables sur les voyageurs et en filtrant tous ces derniers avant qu’ils ne gagnent l’Amérique du Nord. Dans ce contexte, la « frontière » s’entend de tout point auquel il est possible de vérifier l’identité du voyageur. On établit alors un lien entre l’individu, les documents et tous les renseignements disponibles à plusieurs points le long de l’itinéraire suivi par l’intéressé [86].

L’épisode de l’annulation de la liaison aérienne Montréal-Beyrouth a donné lieu à court terme à un train de mesures visant le renforcement par le ministère des Transports des termes et conditions d’établissement de nouvelles liaisons aériennes dans le pays. Un groupe de travail interministériel sur la sûreté de l’aviation a été mis sur pied en septembre 2003 en vue d’évaluer les menaces et de définir les mesures à prendre. Ce groupe évalue également les demandes présentées par les transporteurs aériens pour exploiter de nouvelles liaisons transocéaniques[87].

Conclusion : « re-problématiser » les relations État-citoyens à l’ère sécuritaire

Les situations décrites plus haut attestent que le pouvoir de l’État souverain est en pleine effervescence non seulement en termes de la capacité de ce dernier à établir de nouvelles règles du jeu démocratique, mais encore, et surtout, à formuler des exceptions aux normes et aux valeurs préalablement établies. Tel qu’il se manifeste, l’ajustement de l’arsenal législatif canadien aux impératifs de sécurité relevés dans cette étude conduit à la neutralisation des libertés citoyennes et a comme effet durable un accroissement du contrôle des pouvoirs publics sur les flux et les mouvements transnationaux. Les nouvelles règles du jeu en vigueur imprègnent une nouvelle normalité dans l’univers des rapports État-citoyens et réaffirment la quintessence de l’État-nation. Par l’instauration d’un climat de surveillance continu et un processus de sécurisation accéléré de nombreux espaces et enjeux sociaux nationaux, l’État procède à l’encadrement des velléités transnationales en cours et re-légitime, par le fait même, son rôle prépondérant de pourvoyeur et garant de la sécurité. À plus d’un titre, les instruments qui soutiennent actuellement la politique de sécurité du Canada compromettent fortement le fragile équilibre entre la sécurité nécessaire et la protection des libertés fondamentales qui a longtemps orienté les relations de l’État avec les citoyens. Les paramètres de sécurité instaurés dans le contexte de la lutte contre le terrorisme international vont dans le sens d’un recentrage du cadre normatif des mouvements transnationaux et de l’exercice des droits citoyens.

En vertu de ce tour de force réalisé dans l’univers des conditions citoyennes, les démocraties libérales repositionnent l’État par rapport à la société. Elles instituent « l’impératif de sécuriser la démocratie » comme facteur légitimant la proclamation et l’usage d’actes d’exception sous la gouverne du pouvoir exécutif. Si donc le contexte transnational de l’après-guerre froide avait favorisé l’éclosion des initiatives citoyennes et des mouvements transnationaux dans plusieurs secteurs et enjeux cruciaux, celui du post-11 septembre 2001 établit au contraire les limites de l’optimisme transnational libéral et de la citoyenneté post-nationale. Dans les faits, le contexte actuel traduit une re-focalisation de la donne sécuritaire vers les préoccupations qui sont dictées principalement par des considérations relatives au terrorisme international. Il obéit à une tendance lourde en faveur de ce qu’Anna Pratt attribue à une « gouvernance par le crime »[88]. Les cas passés en revue attestent solidairement de l’ensemble des moyens et des prérogatives que s’attribue un État d’exception lorsque ce dernier répand une rhétorique de danger permanent.

Les paramètres de sécurité actuels à partir desquels opèrent les démocraties libérales précipitent le transnationalisme libéral dans un nouveau cycle de paradoxes. D’une part, alors que la logique néolibérale impose l’accélération de l’ouverture des frontières en vue de faciliter la libre circulation des biens, les mesures de sécurité prises conjointement par le Canada et les États-Unis pour prévenir les menaces terroristes et y répondre s’orientent au contraire vers un accroissement des contrôles frontaliers. D’une politique de facilitation des flux, on est donc passé à une politique de restriction des mouvements. D’autre part, les politiques et les mesures de sécurité ainsi étudiées et mises en contexte, et qui sont destinées à protéger les démocraties libérales contre la menace terroriste, risquent d’avoir l’effet contraire en torpillant les formes de gouvernements libéraux démocratiques. Dans ces conditions, les préoccupations sécuritaires sont de nature à absorber les attentes libérales transnationales. Ce paradoxe est illustré ici par les récits des effets des mesures de sécurité canadiennes dans le champ du politique. Comme nous l’avons vu, ces diverses situations mettent en évidence un processus d’institutionnalisation du profilage racial et de la société du risque, une « réappréciation » de l’appartenance à la communauté politique et un double standard de la citoyenneté et, enfin, une surveillance accrue des mouvements transnationaux. Ces trois manifestations du régime de sécurité en place indiquent et illustrent en même temps une nouvelle problématisation du trinôme sécurité, liberté et citoyenneté au Canada.

En « re-problématisant » les interactions complexes qu’entretiennent présentement les différents segments de ce trinôme, il nous a été donné de capter le dilemme profond qui hante les acteurs du libéralisme transnational à l’ère sécuritaire. Ce dilemme est particulièrement à l’oeuvre quand on se réfère à la manière dont les pouvoirs publics appréhendent le rapport entre liberté et sécurité. Les propos tenus par l’ancien ministre libéral canadien de la Justice, Irwin Cotler, sont très évocateurs à ce sujet. Les mesures antiterroristes adoptées par le Canada, fait-il remarquer, vont « au fondement même de la protection de nos droits, c’est-à-dire le droit à la vie, la liberté et la sécurité de la personne… On ne peut pas considérer les droits et les limitations aux droits dans l’abstrait, mais dans le contexte dans lequel ils surgissent[89]. » L’énoncé de la politique de sécurité nationale du Canada abonde dans le même sens : « Un engagement en matière de sécurité et un engagement envers les valeurs qui nous tiennent le plus à coeur n’entrent pas en conflit, note-t-on. Il s’agit dans l’un et l’autre cas de renforcer notre pays[90]. » Ce dilemme est tout aussi présent au sein des associations de défense des droits et libertés, car ces dernières évoquent la non-antinomie entre le devoir des États de protéger les droits des personnes menacées par le terrorisme et leur responsabilité de s’assurer que la protection de la sécurité ne sape pas les autres droits. En ce sens, protéger les individus des actes terroristes et respecter les droits de l’homme relèvent tous deux « d’un même système de protection incombant à l’État[91] ». Ainsi, les États doivent considérer les droits humains non pas comme un obstacle à la sécurité, mais plutôt comme le moyen d’y parvenir[92].

L’analyse du rapport actuel qu’entretiennent l’État et la société dans les pays à tradition démocratique libérale aide à faire le constat d’une rupture de cet équilibre nécessaire, de ces tensions permanentes qui doivent exister entre les droits fondamentaux et les revendications en termes de valeurs auxquelles fait référence Jef Huysmans. Les gouvernements libéraux démocratiques se considèrent davantage comme étant en état de guerre permanent qu’en état permanent de « paix démocratique »[93]. Dans un tel contexte, l’établissement de nouvelles règles du jeu « démocratique », quoique exceptionnelles, qui sont adoptées en vue de structurer les relations État-citoyens et pour répondre à la problématique de sécurité ambiante, traduit dans les faits une conjoncture périlleuse pour les droits et les initiatives citoyens. Les conditions exceptionnelles dans lesquelles s’installe cette « gouvernementalité par l’inquiétude » modifient les équilibres internes entre sécurité et liberté et élargit l’espace des contrôles. À court et moyen terme, le nouveau paradigme de sécurité canadien continuera de peser lourdement sur le déclin graduel de la conception libérale des libertés civiles et de la citoyenneté permanente. La tension entre sécurité et liberté dans la lutte contre le terrorisme international trace ainsi de nouvelles limites quant à la place, au statut et aux acquis citoyens dans les sociétés démocratiques.