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Alors que les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont pour les pays développés une possibilité extraordinaire et prometteuse, les pays en développement et moins développés (PED/PMD), en général, ne sont pas encore engagés dans l’ère numérique (p. 2). Bien que souvent les TIC y soient développées et utilisées, il s’agit régulièrement d’un phénomène à la mode, mal conçu et inadapté à l’usage public et sans valeur ajoutée pour le citoyen. L’ouvrage de Driss Kettani et Bernard Moulin offre un éclairage inestimable, car il introduit la question de l’utilisation des TIC dans le secteur public afin de favoriser la bonne gouvernance et le bien-être des citoyens. À travers l’utilisation des TIC, l’ouvrage traite plus spécifiquement de deux questions fondamentales, celle de la livraison des services aux citoyens et, à plus grande échelle, celle de la bonne gouvernance et de la participation citoyenne.

Résultat de la mise en oeuvre du projet eFez qui visait à développer un système d’e-gouvernement pilote (p. 14), l’ouvrage aborde les réalités de cette expérience dans le domaine des TIC pour le développement (ICT4D), dans un contexte de PED/PMD. Aux dires mêmes des auteurs, le projet eFez y est présenté dans son intégralité et sous la forme de manuel, afin qu’il puisse être utilisé comme support de formation (p. 27). La dimension « manuel » est en effet parfaitement perceptible dès la lecture de la structure du livre. Tout en minimisant les explications théoriques (p. 29), l’ouvrage couvre les aspects techniques et appliqués et tente de répondre à un certain nombre de questions de recherche d’importance majeure concernant l’e-gouvernement et la bonne gouvernance locale dans les pays en développement.

Tout d’abord, Kettani et Moulin examinent le contexte en deux chapitres : « le contexte global » qui a conduit à la rédaction du livre, puis « les deux facettes des TIC pour le développement », chapitre qui couvre le contexte indispensable à la compréhension de l’e-gouvernement pour le développement. La manière de titrer chacun de ces développements est significative du souci de contextualiser au mieux les enjeux de l’inscription des TIC dans l’e-gouvernement pour le développement et d’englober beaucoup des notions fondamentales et pratiques qui régissent et définissent les systèmes d’e-gouvernement. Cela permet d’éclairer notre compréhension des opportunités formidables et des menaces qu’amènent les deux facettes contradictoires de la technologie, soit la « facette positive » qui permet le développement et la « facette négative » qui renforce l’isolation. Pour ce faire, les auteurs offrent un intéressant rappel de l’historique de l’évolution des TIC et font une démonstration contrastée du bien-fondé des TIC pour le développement, soulignant au passage les liens possibles de la « fracture numérique » avec d’autres disparités dans le développement des sociétés. L’informatique omniprésente est une tendance bien établie ! À ce sujet, Kettani et Moulin soulignent avec insistance ses effets transformateurs au point de considérer que les TIC sont un catalyseur indispensable à la promotion du développement humain et social dans les pays en développement (p. 55). Contrairement à une conception de l’ICT4D liée aux matériels performants, au développement de pages Web…, les auteurs voient plutôt l’utilisation des TIC comme un moyen de favoriser le développement et de lutter contre la fracture numérique.

Cette première partie confirme aussi de manière claire et détaillée comment les systèmes d’e-gouvernement peuvent aboutir à une meilleure gouvernance et soulève en même temps les défis de la construction de tels systèmes (chap. 3). L’accent est mis sur le renforcement de l’e-gouvernement afin de surmonter les faiblesses de la gouvernance traditionnelle, notamment l’absence d’ouverture, une corruption excessive et le manque de responsabilité des décideurs et des gestionnaires envers les populations qui en résulte. Un certain nombre de faits et de chiffres illustrent bien les liens entre l’e-gouvernement et l’e-gouvernance et éclairent une conception de l’e-gouvernement et de l’e-gouvernance comme moyens de bonne gouvernance. De même, leurs domaines d’applications respectifs, leurs atouts et bénéfices, ainsi que les facteurs de risque auxquels les gouvernements font face y sont présentés.

L’ouvrage traite ensuite de la carte de route (road map) pour le développement et le déploiement des systèmes d’ICT4D/e-gouvernement, basée sur la bonne gouvernance et appliquée à des institutions gouvernementales locales. Pour ce faire, des chapitres à caractère méthodologique sont articulés et présentés sous une forme générique usuellement applicable dans le contexte des pays en développement.

Trois aspects sont ainsi développés. D’abord au chapitre 4, une méthode d’analyse qui fournit des moyens pour évaluer les impacts et les retombées des systèmes d’e-gouvernement sur la bonne gouvernance. Tout en offrant une approche d’évaluation des systèmes d’e-gouvernement, ce chapitre se concentre aussi sur la définition et les mesures de la bonne gouvernance. Au surplus, les divers développements soulignent à plusieurs égards des éléments solides de preuve nécessaires aux hauts gestionnaires et aux politiciens pour affiner leurs décisions concernant l’utilisation des TIC pour le développement. L’enjeu ici est que non seulement une telle méthode s’appuie sur l’évaluation des attentes des parties prenantes et des objectifs primaires, mais elle présente également le processus d’évaluation comme un moyen d’orienter la planification et l’ajustement au développement du projet en cours (p. 122), permettant une compréhension claire de la manière dont le projet et le système d’e-gouvernement ont contribué au développement global.

Puis, l’ouvrage se concentre sur les fondements de l’approche axée sur la transformation réussie des institutions dans lesquelles les TIC/e-gouvernement sont mis en oeuvre. Au-delà du travail préalable à la mise en place d’un système d’e-gouvernement comme moyen d’améliorer la réactivité et l’efficacité des institutions gouvernementales, qui fait l’objet du chapitre 5, Kettani et Moulin présentent les projets d’ICT4D/e-gouvernement comme étant des processus de transformation qui devraient être gérés en tant que tels. Toutefois, ils attirent l’attention sur une variété de défis qui devraient être abordés lors du lancement et de la gestion des tels projets, l’un des défis les plus importants étant la gestion adéquate des ressources immatérielles comme la gestion du changement. L’ouvrage propose une esquisse de notions clés, de principes et de conseils qui font l’objet d’un résumé (en annexe) destiné à guider le développement et le déploiement des systèmes d’ICT4D.

Enfin, les principales phases du cadre méthodologique (carte de route) sont abordées, soit l’aperçu de la carte de route générique, le modèle commun de présentation, la première phase de la carte de route qui initie le processus de transformation, et la phase de développement/déploiement/évaluation de la solution en détail (chap. 6). La carte de route présente, sous une forme technique, un ensemble d’indicateurs et de directives qui peuvent être adaptés au contexte particulier de tout projet d’e-gouvernement (p. 284). À travers la description d’un modèle du projet pilote de transformation en cinq phases, ce chapitre explique aux gestionnaires de projets comment personnaliser ce cadre pour les besoins spécifiques de leur projet d’ICT4D.

En outre, pour les personnes qui s’intéressent aux projets d’e-gouvernement, l’usage des aspects techniques est bien mis à profit au chapitre 7, qui illustre l’application de la carte de route à un projet d’e-gouvernement pratique dans la ville de Fès. Ce chapitre s’intéresse donc à l’application concrète de la carte de route conçue. Il met en lumière toute la diversité et la complexité des enjeux avec lesquels les acteurs doivent composer. Présenté dans un style narratif, ce chapitre permet au lecteur d’être aussi proche que possible de la façon dont les choses se sont réellement déroulées. Il en va de même du chapitre 8, qui aborde aussi les aspects techniques des systèmes d’e-gouvernement. Au-delà des aspects purement technologiques liés à la conception et à la mise en oeuvre des systèmes d’e-gouvernement, les sujets développés couvrent des questions fondamentales qui se posent avant et après le déploiement des systèmes d’e-gouvernement. Ce chapitre est conçu pour fournir des explications et des réponses aux cadres et aux décideurs ayant peu ou pas de connaissances/expériences techniques dans ce domaine, et pour offrir un aperçu complet de « l’écosystème » qui englobe la plate-forme technologique développée. L’ouvrage se termine avec un ensemble de recommandations.

Comme manuel, cet ouvrage est naturellement nourri par la littérature savante contemporaine. Structuré de manière pédagogique, il propose des repères historiques et pratiques très détaillés et une analyse pertinente des enjeux des TIC pour le développement. Il contient suffisamment d’idées originales et structurées pour servir de bonne référence aux enseignements dans le domaine de l’e-gouvernement et de l’e-gouvernance. Il a le mérite de rendre compte d’un projet de recherche participative sur l’e-gouvernement où les universitaires, les politiciens, les employés et les citoyens ont agi en tant que chercheurs. En ce sens, il s’adresse aux politiciens, aux décideurs et aux gestionnaires de projets. L’e-gouvernement pour la bonne gouvernance dans les pays en développement sera pour eux un apport exceptionnel pour éclairer la prise de décision quant à l’utilisation des TIC et soutenir la mise en oeuvre de l’e-gouvernement. L’ouvrage s’adresse aussi à ceux et celles qui initient, financent, gèrent et mettent en oeuvre les programmes de TIC pour le développement. En plus d’aborder les citoyens en tant que bénéficiaires, il aurait été intéressant que les auteurs se questionnent sur les effets transformateurs des systèmes d’e-gouvernement sur ces derniers, ce qui pourrait faire l’objet de recherches futures.