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L’extrême droite, le racisme et plus récemment le populisme connaissent un attrait grandissant au sein du milieu universitaire et de l’espace public. L’ouvrage Reactionary Democracy: How Racism and the Populist Far Right Became Mainstream, écrit par le politologue Aurélien Mondon et le criminologue Aaron Winter, apporte un éclairage original et interdisciplinaire sur le processus de mainstreaming du racisme, de l’extrême droite et du populisme à partir de trois cas d’étude : les États-Unis, la France et le Royaume-Uni. Au coeur de leur argumentaire, les auteurs considèrent qu’une conception étriquée du phénomène, notamment par les analyses restreintes aux élections et aux partis politiques d’extrême droite, participe à une fausse compréhension du phénomène et à la légitimation d’idées réactionnaires au sein des sociétés libérales contemporaines. En quatre chapitres, plusieurs facettes du phénomène sont abordées afin d’élargir cette vision.

Dans le premier chapitre, l’évolution du racisme illibéral est présentée via une approche historique fouillée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans cette partie, l’ensemble des pratiques du racisme illibéral sont étudiées par le biais des mouvements, des groupes et des partis politiques d’extrême droite. Dans cette idée, le racisme illibéral se restreint à sa forme marginalisée, extrémiste et individuelle (c’est-à-dire une haine explicite de l’Autre basée sur sa race). Pour Mondon et Winter, il s’agit là d’une compréhension historique du racisme qui le rattache schématiquement à cette forme illibérale via les spectres du fascisme et du nazisme. Un défaut de compréhension commun qui entraîne une frilosité à utiliser le terme dans les sociétés contemporaines et qui sert de caution antiraciste pour les sociétés dites post-raciales. Pourtant, cette forme de racisme peut constituer une composante des sociétés libérales, tel que cela a été le cas dans le passé. Pour les auteurs, cette vision erronée du phénomène a pour conséquence l’impossibilité d’apporter un regard critique sur les éventuelles pratiques et institutions racistes contemporaines.

Dans leur deuxième chapitre, Mondon et Winter approfondissent cette articulation entre les racismes illibéral et libéral. D’abord, ils discutent la vision dichotomique entre ces différentes formes de racisme véhiculées dans l’espace public. Ensuite, ils avancent que les frontières peuvent être poreuses en fonction des contextes politique, social et historique des sociétés étudiées. Dans ce chapitre, le racisme libéral se définit par le rejet de l’Autre en raison de sa non-appartenance et de sa non-adhésion à la société libérale et à ses valeurs. Selon eux, du fait que le racisme libéral se défend d’être raciste, les sociétés contemporaines se concentrent sur la dénonciation de l’expression des formes de racisme illibéral. Les auteurs estiment que cette focalisation sur les pratiques racistes individuelles permet de renchérir l’idée répandue selon laquelle la montée du racisme et de l’extrême droite résulterait d’une demande populaire. En conséquence, les sociétés libérales négligent les autres formes de racisme libéral (tels le racisme systémique ou la discrimination) et participent à la normalisation du racisme.

Le troisième chapitre, pour sa part, est consacré à la mise en évidence des failles du libéralisme. Ce constat permet aux auteurs de souligner la reconstruction du racisme et de l’extrême droite par le biais de la mise à l’agenda des idées réactionnaires avec la connivence, volontaire ou involontaire, des élites du courant mainstream. Selon eux, cette évolution interroge quant au respect des principes libéraux et un éventuel tournant vers l’illibéralisme. Dans l’étude du processus de mainstreaming, l’analyse des auteurs se distingue des travaux précédents du fait de l’intégration des élites politiques, médiatiques et intellectuelles au-delà des périodes électorales. Ce prisme plus large cherche à dégager la normalisation des idées d’extrême droite et des idées racistes au sein des sociétés contemporaines.

Dans le quatrième chapitre, Mondon et Winter posent que la multiplication des usages du terme populisme, notamment pour caractériser l’extrême droite, influe sur le processus de légitimation des idées racistes. Dans cette perspective, les élites se seraient droitisées par souci démocratique. À contrepied, les auteurs présentent une étude de l’opinion publique et soulignent les biais attenants à l’analyse des études électorales tels que l’abstentionnisme. Leur argumentaire ne sert pas à amoindrir le phénomène, mais plutôt à nuancer la montée électorale de partis d’extrême droite.

In fine, cet ouvrage engagé d’approche critique se distingue sans conteste des travaux précédents sur le phénomène et s’inscrit au coeur des débats démocratiques actuels. Néanmoins, malgré la richesse interdisciplinaire de l’ouvrage, cette approche aurait pu profiter de la présentation davantage décortiquée des analyses du discours ainsi que de la méthodologie, un apport qui aurait permis de souligner les stratégies discursives et politiques. De plus, bien que les auteurs considèrent la problématique de l’abstentionnisme dans leur ouvrage, leur réflexion plus large sur la démocratie aurait pu relever les formes d’expression citoyenne au-delà du cadre électoral. Cela leur aurait permis d’appuyer leur argumentaire sur les déficits des démocraties libérales. Ces points de défaillances ne retirent rien à la contribution majeure faite par Aurélien Mondon et Aaron Winter sur l’évolution du racisme, de l’extrême droite et du populisme, et la subtilité des processus de normalisation dans les démocraties libérales. Les universitaires s’enrichiront aisément du cadre analytique et des réflexions proposées en vue de prochaines recherches, bien que les avertis de la littérature sur l’extrême droite et le racisme retrouveront peut-être des redites dans les deux premiers chapitres sur l’évolution historique. Un public plus large se passionnera pour l’abondance et la précision des thématiques abordées appuyant la démonstration d’un point de vue novateur sur le phénomène à l’étude.