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Ce troisième numéro du volume 49 de Recherches amérindiennes au Québec regroupe sept articles hors thème que la rédaction a réunis en associant trois mots clés : imaginaires, territoires et marginalisation. Ces trois perspectives sont abordées à travers différents ancrages disciplinaires (histoire, anthropologie, foresterie, sociologie, architecture) valorisant les perspectives et les réalités de différents groupes autochtones à travers le monde : les Innus, les Mi’gmaq et les femmes autochtones du Québec, les Nahuas du Mexique ainsi que les Kanaka Maoli de Hawaï. Basés sur des recherches ethnohistoriques, ethnographiques et sociologiques, les articles abordent différents thèmes, comme les relations entre humains et non-humains (Beaucage et al., Duchesne et Simard-Émond), les trajectoires missionnaires (Dubois), l’aménagement du territoire (André-Lescop), les valeurs associées au développement de la foresterie communautaire (Blouin et al.) et les processus de marginalisation et d’exclusion vécus par les peuples autochtones (Cunningham, Duhaime).

Ce numéro a été édité dans un contexte particulier. Ces derniers mois, l’actualité de la Revue et de la Société Recherches amérindiennes au Québec (SRAQ) a été marquée par plusieurs deuils. Le départ de Rémi Savard et de Sylvie Vincent, à quelques mois d’intervalle et dans l’année des cinquante ans du projet qu’ils avaient tous les deux contribué à façonner, restera comme un croc-en-jambe du destin. La Revue fêtera donc ses 50 ans, en 2021, sans deux de ses fondateurs. Un demi-siècle durant lequel l’engagement social a inspiré la ligne éditoriale d’un espace scientifique de réflexions, de diffusion et de solidarité avec les Premières Nations et les Inuit du Québec, et plus largement avec les peuples autochtones à travers la planète.

Cet automne, les membres de la Revue et de la Société, comme l’ensemble des citoyens et citoyennes du Québec, ont été indignés par un autre départ : celui de Joyce Echaquan, femme atikamekw originaire de Manawan, mère de sept enfants, décédée sous les insultes de membres du personnel soignant d’un hôpital du Québec. Son décès a été largement médiatisé et a entraîné une vague de condamnations à travers le monde. Comme d’autres organismes et individus, la Revue et la SRAQ ont pris position :

Les membres du Conseil d’administration et du Comité de rédaction de Recherches amérindiennes au Québec tiennent avant tout à exprimer leurs profondes sympathies, et leurs plus chaleureuses pensées, aux membres de la famille de Joyce Echaquan, à la communauté atikamekw de Manawan ainsi qu’à toute la Nation Atikamekw. Plusieurs commissions ont été mises en place ces dernières années, au Québec et au Canada, afin de documenter le caractère systémique et historique de la discrimination et du racisme subis par les peuples autochtones au Québec. Les rapports de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (2015), de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et les services publics (Rapport Viens, 2019), de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (2019) et, plus récemment, le plan d’action sur le racisme et la discrimination de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (2020) ont formulé de nombreuses recommandations et actions afin de lutter contre l’exclusion et favoriser le rapprochement entre peuples autochtones et non autochtones. La Société Recherches amérindiennes au Québec exprime toute sa solidarité envers les peuples autochtones du Québec et du Canada et demande l’application immédiate de ces recommandations et de ces actions.

Communiqué du 7 octobre 2020

Avec le décès de Joyce Echaquan, de nombreuses personnes découvraient ce que les Atikamekw de Manawan et d’autres membres des Premières Nations savaient déjà depuis de nombreuses années : il est possible, et il arrive régulièrement, que du personnel d’institutions publiques se permette de dominer, d’humilier et d’insulter des Autochtones en raison de leur appartenance identitaire, sur la base de traits supposément caractéristiques et partagés par l’ensemble des membres de ce groupe. Certes, certains programmes universitaires en sciences infirmières mettent en valeur l’approche humaniste caring :

Le caring promeut des soins infirmiers solidement ancrés dans les sciences et l’art d’une pratique professionnelle visant la préservation de la dignité humaine, la promotion de la santé et la guérison dans une harmonie du corps, de l’âme et de l’esprit.

Krol et Legault 2008 : 35

C’est le cas notamment de l’Université de Montréal qui a développé un modèle humaniste des soins infirmiers pour guider la formation des futurs infirmiers et futures infirmières au cours de leur cheminement académique (Cara et al. 2016). Dans ce programme, il existe un cours de santé communautaire, « Expérience de santé des communautés », dans lequel sont abordées les compétences culturelles et les questions autochtones. Sur trois ans de formation, seule une petite partie d’un seul cours est donc consacrée aux réalités des Premières Nations et des Inuits du Québec.

Le système actuel n’est sans doute pas pensé pour encourager le développement d’attitudes, de gestes, de paroles ou d’actions racistes et discriminatoires. Comme dans bien d’autres domaines, l’exception n’est pas la règle. Le racisme, dans les milieux de soin au Québec, n’est pas systématique. Mais les derniers mots entendus par Joyce Echaquan dans ce lieu où elle venait chercher la compassion, le soin et l’empathie ne sont pas non plus l’expression d’une exception. C’est en revanche l’expression d’une répétition. La question qui se pose alors est la suivante : qu’est-ce qui est fait, mais surtout qu’est-ce qui pourrait être fait de plus, dans le système, pour lutter contre ces actions et ces attitudes qui se répètent ?

Comme l’écrivait Mickaël Elbaz, un professeur d’anthropologie de l’Université Laval, dans un lexique de vocabulaire qu’il donnait en lecture dans le cadre de ses cours :

Face au racisme, aux racismes, l’indignation ne suffit pas. Lui opposer une idéologie anti-raciste ne suffit pas non plus. Le racisme est un fait social total et implique une réaction à la fois éthique, juridique et politique ainsi qu’une réallocation des ressources. La bataille contre le racisme est une nécessité démocratique.

La prise de position de RAQ et de la SRAQ sur le racisme et la discrimination systémiques n’est pas idéologique, elle est scientifique. La variable n’est pas le nombre d’attitudes ou d’actions racistes qui permettrait d’atteindre, par saturation, le seuil de représentativité nécessaire à la confirmation scientifique de l’existence du racisme dans un système (par exemple de santé). La variable est la répétition de telles attitudes et actions par des personnes qui font partie d’un même groupe, formées et appelées à intervenir dans ce système.

« Le racisme est la valorisation, généralisée et définitive, de différences, réelles ou imaginaires, au profit de l’accusateur et au détriment de sa victime, afin de justifier une agression ou un privilège. » (Memmi 1982 : 98-99) Cette définition du racisme formulée par l’intellectuel juif tunisien Albert Memmi, théoricien du postcolonialisme, résonne encore aujourd’hui dans cet hôpital de la région de Lanaudière, sur le territoire atikamekw et partout au Québec, alors que Justice pour Joyce n’a toujours pas été rendue.