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La reconnaissance des peuples autochtones au sein de l’Organisation des Nations unies (ONU) et la prise en compte de leurs revendications dans des organes spécifiques a été − et continue d’être − un travail de longue haleine. L’objectif de cette recherche menée entre février et juillet 2021 a été de faire état de la manière dont la pandémie du coronavirus a modifié la participation des peuples autochtones à l’ONU. Depuis le début de la pandémie en mars 2020, les rencontres entre les différents membres des Nations unies se sont interrompues. Les processus de discussions et de négociations internationales, nécessitant des déplacements transfrontaliers et des rendez-vous entre un nombre important de personnes dans un espace clos n’étaient évidemment plus possibles. Mais la crise sanitaire a également entraîné de nouvelles menaces auprès des peuples autochtones. Les mesures prescrites ont servi de prétexte à des violations des droits des Autochtones, et les États ont peiné à trouver des solutions adéquates de gestion de la crise sanitaire pour les peuples autochtones (IWGIA - International Work Group for Indigenous Affairs 2021). Des rencontres internationales afin de discuter de ces enjeux et trouver des solutions communes se sont alors montrées plus que nécessaires. Les institutions ayant pour mandat la protection des droits des peuples autochtones ont été forcées de se réorganiser afin de proposer des séances de discussions à distance.

Cette note sera l’occasion de revenir sur la manière dont la participation des organisations autochtones aux discussions internationales a été influencée par la crise sanitaire et les mesures imposées. Le format virtuel des discussions prescrit par la pandémie a entraîné une baisse significative de la participation des organisations autochtones dans les discussions. Les instances onusiennes n’ont pas toujours su réagir de façon adéquate face à la situation particulière des peuples autochtones. Le travail effectué lors de cette recherche permet également de revenir sur la mise en place de nouvelles actions de solidarité par les organisations autochtones qui, dans ce contexte, ont vu le jour grâce aux outils numériques, mais aussi sur le terrain.

Comment s’organise la participation des peuples autochtones à l’ONU ?

Le chef Cayuga Deskaheh évoque pour la première fois les problématiques autochtones à la Société des Nations à Genève en 1923 (Rostkowski 1998), mais ses revendications ne sont pas écoutées par les États membres. La Seconde Guerre mondiale remet en question la capacité des États à protéger les minorités, entraînant un important changement de paradigme dans l’idéologie de l’Organisation. En parallèle, de nombreux mouvements de droits civiques émergent en Amérique du Nord et permettent de faire pression sur l’ONU. En 1986, José R. Martinez Cobo est chargé de rédiger un premier rapport sur les droits des peuples autochtones par le Conseil économique et social des Nations unies (ECOSOC). Ce document historique permet de reconnaître la spécificité de ces populations qui nécessitent des mesures de protection et des droits particuliers à l’échelle internationale. Dans cette lignée, le Groupe de travail sur les populations autochtones (GTPA) est créé en 1982 et se charge de rédiger une déclaration pour protéger ces populations, incluant des porte-paroles autochtones dans sa rédaction. La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) voit le jour en 2007. D’abord rejeté par des pays directement concernés par les questions autochtones comme la Nouvelle-Zélande, le Canada, les États-Unis et l’Australie, le document est finalement signé par la plupart des États membres en 2010 (Bellier 2012 ; Morin 2012).

Dans cette dynamique novatrice, l’Instance permanente sur les questions autochtones (IPQA) voit le jour le 28 juillet 2000. Elle prend la forme d’un forum se réunissant chaque année pendant deux semaines à New York pour discuter d’un thème relatif aux Autochtones, décidé chaque année en lien avec les questions d’autodétermination. Elle permet à un nombre important d’organisations de se rencontrer et d’échanger directement avec les États membres. L’IPQA est assistée dans ses missions par le Rapporteur Spécial (RS) et le Mécanisme d’expert sur les droits des peuples autochtones (MEDPA). Le RS, créé en 2001, agit comme un informateur sur les questions du droit des peuples autochtones. Il réalise des enquêtes dans les pays où vivent des populations autochtones afin de rédiger des rapports sur les conditions de vie de ces peuples et formuler des recommandations. Le MEDPA, troisième instrument moderne, est créé en 2007 dans le but de faire appliquer les principes de la DNUDPA. Les peuples autochtones se répartissent en sept aires géographiques selon les instruments onusiens, à savoir l’Afrique ; l’Asie ; l’Amérique centrale, du sud et les Caraïbes ; l’Arctique ; l’Europe centrale et orientale, la Fédération de Russie, l’Asie centrale et la Transcaucasie ; l’Amérique du Nord ; et le Pacifique. Des sessions de préparation sont organisées par l’ONU en amont des rencontres internationales en fonction de ces zones géographiques, incitant les organisations à échanger sur des problèmes plus locaux.

Si les peuples autochtones bénéficient d’instruments spécifiques dans le système onusien, le chemin est encore long pour obtenir un quelconque pouvoir de décision dans les problématiques non-comprises dans leurs mandats notamment lors de rencontres globales sur les sujets environnementaux ou sociaux comme les COP. Ils peinent ainsi à faire entendre leurs voix dans les grandes conférences internationales et ne sont pas reconnus comme membres permanents du système onusien au même titre que les États. De plus, le respect de leurs droits reste conditionné au bon vouloir des pays dont ils dépendent, et les discriminations à leur encontre demeurent nombreuses.

Enfin, de nombreux débats existent encore, remettant en cause le principe même d’indigénéité et de peuples autochtones comme catégorie unifiée (Niezen 2003 ; Kuper 2003 ; Guenther et al. 2006).

Dans ce contexte de relative instabilité de leur place dans le système onusien et de combat encore régulier pour la reconnaissance de leurs droits, la crise sanitaire vient ajouter une difficulté supplémentaire aux luttes des peuples autochtones. Les mesures sanitaires imposées par la crise viennent en effet remettre en cause la participation de ces populations aux discussions les concernant.

Faire un terrain d’étude à distance à l’ONU

Entre avril et septembre 2021, j’ai pu observer les neuf discussions ouvertes de l’IPQA, qui fonctionne comme véritable forum de discussion, constituant ainsi un cas d’étude particulièrement pertinent. À ce titre, Irène Bellier, anthropologue à l’École des hautes études en sciences sociales, suit depuis 2002 les rendez-vous annuels de l’IPQA. Elle qualifie cette instance de « tribune et laboratoire de la participation autochtone » qui permet de développer des partenariats entre les États membres et les peuples autochtones (Bellier 2007 : 3). Ses recherches permettent de comprendre à la fois les logiques intrinsèques et les enjeux inhérents de la participation des peuples autochtones à l’ONU, mais aussi d’étudier l’évolution de cette participation au fil du temps (Bellier 2006 et 2012 ; Bellier et González-González 2015).

Alors étudiante en relations internationales, je suis partie de ces travaux et des comptes rendus produits depuis 2002 par le Centre de documentation, de recherche et d’information des peuples autochtones (DOCIP) pour réaliser mon étude à distance. Les peuples autochtones représentent une catégorie récente au sein du système onusien. De plus, ces populations sont dans des situations fragiles dans le monde entier. Plusieurs travaux ont été publiés depuis le début de la pandémie sur les conséquences du coronavirus et des mesures sanitaires sur les peuples autochtones (Cupertino et al. 2020 ; Mesa Vieira et al. 2020 ; Bellier 2020), mais peu se sont penchés sur l’influence de ces mesures concernant la participation des peuples autochtones dans les discussions internationales. Il me semblait particulièrement important d’étudier comment la pandémie à influencé la participation des peuples autochtones dans les instruments onusiens, l’ONU étant devenue pour de nombreuses communautés l’un des seuls moyens pour faire entendre leur voix.

Après avoir annulé sa 19e édition qui devait prendre place en avril 2020, l’IPQA a pu se tenir dans un format hybride du 19 au 30 avril 2021. Dans les faits, seuls les membres du bureau de l’IPQA pouvaient être présents et la grande majorité des participants intervenaient à distance.

Mon terrain dématérialisé a ainsi consisté en l’étude des prises de parole lors des séances de l’IPQA, toutes retransmises en direct sur la WebTV onusienne. J’ai également pu assister aux sessions de préparation des sept aires géographiques selon lesquelles s’organisent les groupes autochtones membres de l’IPQA. En plus de ces observations, j’ai réalisé onze entretiens semi-directifs par visioconférence. Huit de ces entretiens ont été réalisés avec des Autochtones des sept différentes aires géographiques, et les trois derniers avec les membres de deux organisations qui sont le Forum international des femmes autochtones (FIMI), et le DOCIP.

Tableau

Comptabilisation des interventions lors de l’IPQA 2019 (en présence) et 2021 (à distance)

Comptabilisation des interventions lors de l’IPQA 2019 (en présence) et 2021 (à distance)

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À l’IPQA comme au MEDPA, la prise de parole est divisée selon trois entités : les États membres, les organisations autochtones et les instances spécialisées de l’ONU rassemblées dans la même catégorie que les organisations non gouvernementales (ONG) avec un statut consultatif auprès de l’ECOSOC. Les seize membres de l’IPQA peuvent prendre la parole lorsqu’ils le souhaitent au cours de ces sessions. Lors des sessions en présence, les organisations autochtones sont invitées à participer à une intervention sur deux, ce qui les rendent particulièrement actives dans les discussions. En m’appuyant sur les synthèses réalisées par le DOCIP, j’ai réalisé des tableaux comparatifs des prises de paroles des organisations autochtones et des États membres selon les différentes aires géographiques et sur deux périodes différentes : lors des sessions 2019 qui avaient lieu en présence, et lors des sessions 2021, à distance. Les tableaux ne prennent en compte que les participations des États membres et des organisations autochtones. Les prises de parole des autres organisations et instances spécialisées ont volontairement été omises afin de simplifier le comptage. Ce travail quantitatif permet de se rendre compte des changements des profils de participation entre les deux sessions, et de les croiser avec les données récoltées lors des entretiens.

Une baisse de la participation des organisations autochtones

Lorsque l’on observe les prises de paroles des peuples autochtones et des États membres entre la session 2019 qui avait lieu en présence, et celle de 2021 qui s’est déroulée à distance (voir tab.), il est aisé de remarquer que la participation des Autochtones a nettement diminué.

Lors de la session de 2019, les États ont pris la parole 99 fois contre 167 pour les Autochtones. Ces interventions représentent 37 % du total des prises de parole. En 2021, ce chiffre grimpe à 48 % avec la version à distance de l’évènement. On observe une augmentation significative des prises de paroles des États membres face aux Autochtones. Cette modification du profil de participation peut s’expliquer de différentes manières.

La crise sanitaire a provoqué une augmentation de la fracture numérique du côté des peuples autochtones. Les inégalités d’accès aux technologies de l’information et de la communication (TIC) sont venues s’ajouter aux nombreuses discriminations auxquelles ces populations font déjà face. En effet, les peuples autochtones étant parmi les populations les plus touchées par la pauvreté, il peut leur être difficile de se procurer un ordinateur et/ou une connexion internet (CCA 2021). Les peuples autochtones forment 5 % de la population mondiale et représentent 15 % des personnes en situation d’extrême pauvreté dans le monde (IWGIA 2021). Certaines populations vivent dans des zones souvent reculées, dépourvues d’une connexion internet stable. À cet éloignement géographique peut s’ajouter un manque de maîtrise des outils informatiques. La participation à des discussions sous format de visioconférence nécessite une manipulation des outils qui peut poser problème à de nombreuses personnes, qu’elles soient autochtones ou non.

Ces disparités expliquent en majeure partie les différences de participation selon les zones géographiques. On peut observer que les populations d’Afrique et d’Amérique du Nord sont peu représentées dans les prises de parole. S’il n’existe à ce jour aucune enquête mondiale sur les conditions d’accès des Autochtones aux TIC, des données nationales peuvent être retrouvées dans certains cas pour illustrer ces chiffres. Au Canada par exemple, la Canadian Radio Television and Telecommunications Commission (CRTC) indique que seuls 27 % des Autochtones vivant dans des réserves ont accès à une connexion internet haut débit (CRTC 2019 : 40). Concernant l’Afrique, une enquête de l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) montre que 14,3 % seulement des foyers africains avaient accès à internet en 2019 alors que la moyenne mondiale était de 57,4 % (ITU – International Telecommunications Union 2021).

Ainsi, les difficultés informatiques auxquelles les peuples autochtones font face sont venues se superposer aux discriminations que ces populations subissent, qu’elles soient d’ordre économique, sociologique ou encore géographique.

Ces constats montrent que les États membres disposent de davantage de moyens pour participer à ces discussions. Les instances étatiques bénéficient en général de conditions technologiques privilégiées pouvant permettre d’expliquer ces changements.

De plus, plusieurs leaders autochtones affirment s’être moins mobilisés pour la session en ligne. Les discussions à distance changent l’essence même de l’Instance permanente qui a été créée comme un forum de discussions. Selon Kenneth Deer, représentant Haudenosaunee, « le travail le plus important se fait dans les couloirs et pas dans les sessions directes ». Ainsi, pour de nombreux délégués, le but principal de l’IPQA est de permettre aux populations de se rencontrer, d’atteindre les États membres et de conclure diverses ententes pour mettre en place des actions concrètes. Or la situation sanitaire a rendu tout rendez-vous en personne impossible. Ainsi, les leaders autochtones ont moins perçu l’intérêt de se mobiliser à l’international, en établissant de fait que leurs interventions allaient moins être considérées dans leur format en ligne et sans échanges directs possibles avec les États membres et les autres organisations.

Lors des entretiens, plusieurs enquêtés dont Kenneth Deer et Rodion Sulyandziga, représentant des peuples autochtones de Russie, déplorent l’absence de jeunes leaders lors des sessions 2021. Alors que les jeunes générations sont souvent celles qui ont davantage accès et la maîtrise des outils virtuels, elles n’ont pas − ou très peu − participé aux séances à distance de l’IPQA. Cette baisse de la participation des plus jeunes pourrait s’expliquer par une déception face à l’impossibilité de se rencontrer en face à face. La numérisation des discussions rend difficile l’émergence de nouveaux leaders : les jeunes générations qui disposent de peu de réseaux ont besoin de rencontres en personne afin de les développer et de se faire une place en tant que personne représentante.

Ainsi les difficultés de participation aux discussions en ligne et les propos retenus lors des entretiens permettent de proposer des explications concernant la baisse de participation des Autochtones. Mais cette baisse de la participation peut également s’expliquer par un manque de flexibilité de la part du système onusien.

Un système onusien rigide qui peine à répondre aux besoins des Autochtones

En plus de la fracture numérique, la participation des Autochtones aux discussions internationales a été fortement limitée par la rigidité bureaucratique du système onusien.

Malgré les problèmes évidents posés par la pandémie sur les peuples autochtones, les Nations unies n’ont pas su agir de façon adéquate afin de contrebalancer le défaut de participation des porte-paroles autochtones aux discussions les concernant. Le fonctionnement bureaucratique et rigide de l’organisation a pu, au contraire, bloquer l’accès de certaines communautés, montrant une certaine défaillance de ces instruments pendant la pandémie.

Un exemple frappant de cette inertie est l’inscription préalable en ligne afin de prendre la parole lors des séances. Un grand nombre d’organisations se sont plaintes de la difficulté d’accès aux plateformes d’inscriptions, qui a pu dissuader des Autochtones de participer. Les individus qui n’avaient pas eu le temps de finir leur déclaration avaient également la possibilité de la soumettre en ligne. Mais ces possibilités restent conditionnées à un accès aux TIC et à leur maîtrise. Ainsi, Hindou Ibrahim, représentante de la Zone Afrique déplore le fait que sur 134 inscriptions, seules six organisations africaines ont réussi à surmonter ces difficultés et à soumettre leur candidature en ligne.

Le blocage du Fonds de contributions volontaires des Nations unies pour les Peuples autochtones est un autre exemple de la paralysie du système onusien face à la situation. Ce fonds essentiel permet chaque année, et ce depuis 1985, à des centaines de leaders autochtones de se déplacer pour assister ou participer à des évènements internationaux. Or, entre mars 2020 et 2021, aucune bourse n’a pu être décernée. Ainsi le fonds, créé uniquement pour les déplacements de longue distance des élus autochtones n’a pas pu être dirigé vers d’autres mandats, échouant dans sa mission de favoriser la participation des Autochtones dans les discussions internationales.

De plus, les entretiens et l’observation des sessions laissent apparaître que les forums de discussions virtuelles peinent à répondre aux attentes des Autochtones. Le format laissait, en effet, à chaque individu deux minutes pour énoncer son propos avant d’être coupé pour permettre au suivant de participer. Ce mode de prise de parole a permis d’éviter toute disparité concernant la durée d’intervention. L’année précédente, trois minutes étaient accordées à chaque individu, mais des tendances au débordement étaient souvent observables. Cependant, ce nouveau format a très fortement limité les interactions et a été une véritable entrave au dynamisme des discussions. En plus de cela, le format de deux minutes obligeait les participants à adopter un débit de parole très élevé. Il est arrivé à plusieurs reprises que les interprètes n’arrivent pas à suivre le rythme, laissant l’intervenant finir son propos sans traduction, et donc avec une portée bien plus faible.

La naissance de nouvelles formes de coopération : réseaux numériques et actions de terrain

Si la crise sanitaire et la dématérialisation des discussions ont restreint la participation des peuples autochtones à l’IPQA, cela ne veut pas dire que les organisations autochtones se sont moins mobilisées pendant la crise sanitaire. Au contraire, les entretiens que j’ai réalisés ainsi que les engagements pris par des groupes autochtones mettent en évidence la continuité, voire l’intensification de la mobilisation autochtone.

Globalement, on peut identifier deux stratégies différentes face à la crise sanitaire. Les organisations des zones les moins touchées par la fracture numérique ont réussi à se saisir du « tout en ligne », engendré par les mesures sanitaires, pour accroître leurs réseaux et développer ainsi leurs actions à distance. C’est la stratégie qu’ont notamment pu adopter les populations de l’Arctique. Aili Keskitalo, présidente du Parlement sami de Norvège a pris la parole sur les avantages des nouvelles technologies dans la revitalisation des langues autochtones. Selon elle, ces nouveaux outils sont une chance pour les populations et ouvrent de nombreuses opportunités pour partager leurs expériences dans le monde en plus de permettre aux différentes organisations de se connecter plus facilement. La situation a également permis la mise en place de nouvelles démarches. Illuna Sorensen, jeune Inuit originaire du Groenland, a fondé sa propre association : Greenland 4 Nature. Si ce n’est pas la situation en elle-même qui a mis sur pied cette organisation, le passage en ligne des conférences et des évènements a permis à ce que davantage de personnes venant de zones diverses puissent participer. En plus de faciliter les échanges, le format en ligne des évènements permet d’accroître leur diffusion.

En parallèle, les communautés les plus touchées par la fracture numérique n’ont cessé de se mobiliser. En Afrique et en Asie notamment, les organisations autochtones ont pu se recentrer sur des actions de terrain, permettant d’améliorer leur présence au plus proche des populations. Pour Aminatu du FIMI, les délégués autochtones, moins détournés de leurs activités par les déplacements exigés lors des évènements internationaux, ont pu se concentrer sur des opérations plus locales. Ainsi, l’Africa Indigenous Women Organization (AIWO) a mis en place de nombreuses actions de formations pour renforcer la maîtrise des outils du numérique des Autochtones, mais également pour alerter les populations sur d’autres sujets comme le VIH ou l’accès aux systèmes de santé. D’autres groupes ont profité du fait de ne pas avoir à se déplacer pour développer des formations spécifiquement destinées pour leurs membres. La docteure Meenakshi Munda souligne les efforts de l’Asia Young Indigenous Peoples Network qui a mis en place des activités et des ateliers au sein de plusieurs pays, notamment en Inde ou aux Philippines. Ces activités avaient pour but d’entraîner les plus jeunes à comprendre le fonctionnement des instances internationales et à s’exprimer au sein des forums afin d’être prêts pour de futurs évènements. Enfin, les organisations autochtones ont joué un rôle de relais des consignes sanitaires des différents pays, qui omettaient souvent de prendre en compte les populations autochtones en diffusant des consignes non traduites et uniquement par internet. De telles observations ont été relevées par de nombreux participants notamment en Amérique du Sud et en Afrique.

Ainsi même pendant la crise sanitaire, les peuples autochtones ont continué à se mobiliser mondialement et localement, démontrant leurs formidables capacités d’adaptation. Alors que certaines communautés ont pu accroître leur visibilité et renforcer leurs réseaux, de nouvelles formes de solidarités ont pu se développer chez d’autres par un renforcement des actions au plus proche des communautés. Dans les deux cas, de telles actions ont permis aux organisations autochtones de légitimer leur position essentielle au sein du système local, mais aussi international.

La crise sanitaire et la dématérialisation des discussions n’ont fait que confirmer et intensifier le désintérêt ou la méconnaissance de nombreux Autochtones à l’égard des instruments onusiens. Ghazalli Ohorella, qui a lancé son propre direct pour commenter les discussions de l’IPQA, remarque que sur cinq millions d’Autochtones dans le monde, seul 1 % ont conscience de ce qu’il se passe aux Nations unies. Ces constats peuvent être le résultat d’un manque de confiance des Autochtones vis-à-vis des instruments internationaux, comme d’une impression d’insignifiance des décisions internationales à l’échelle locale. Les déplacements en personne à New York ou Genève avaient l’avantage de doter les Autochtones d’une expérience de terrain complète, de rencontrer les États et les instances et surtout, d’être écoutés. Les évènements en personne permettaient aux Autochtones du monde entier de se rendre compte de certaines similitudes de conditions de vie et de collaborer afin de se faire entendre sur la plus haute marche de l’échelle. Enfin, elles permettaient aux leaders de diffuser, au sein même de leurs communautés, les décisions et actions prises en leur faveur aux Nations unies. Sans cela, le fossé entre les Autochtones et les bureaucrates, à la fois des États et des Nations unies, ne fait que se renforcer comme le confirment les entretiens. Le développement de nouvelles formes de coopérations qui ne passent plus par le système onusien renforce véritablement ce constat. Cela pourrait souligner une volonté des Autochtones de se détourner des instances internationales pour mettre en place des formes de coopération davantage locales ou bilatérales ayant plus de chance d’aboutir à des résultats concrets.

Conclusion

La crise de la COVID-19 a entraîné un changement notable du profil de participation des acteurs prenant part aux discussions de l’IPQA. L’évolution s’est surtout faite au détriment des organisations autochtones, favorisant la participation des États membres. Ces inégalités révélées par la crise sanitaire permettent de faire état de la rigidité du système onusien qui n’a pas toujours su adapter sa bureaucratie à la situation, démontrant la place encore fragile des peuples autochtones à l’ONU. Cependant, de nouvelles formes de solidarité ont pu être observées dans les différentes communautés, mises en relief par les entretiens. La crise sanitaire et la multiplication des opportunités virtuelles ont permis aux populations autochtones de développer de nouvelles formes de solidarité et de renforcer leurs réseaux. D’autres populations en ont profité pour développer leurs actions de terrain, démontrant ainsi une formidable adaptabilité.

Analyser les effets de la crise sanitaire sur la participation des peuples autochtones permet de dresser un bilan sur la situation de ces acteurs au sein du système onusien, presque quinze ans après l’adoption de la DNUDPA. Deux éléments doivent être retenus de cette recherche.

Pour commencer, les remarques soulevées lors de cette étude soulignent la place encore trop fragile des peuples autochtones au sein du système onusien. Dans des situations de crise, ces populations sont trop souvent mises de côté à la faveur des États. Les Nations unies ont encore beaucoup à accomplir afin de mieux protéger ces populations qui doivent être prises en compte plus efficacement dans les processus de discussion. Malgré ses faiblesses, le système onusien reste essentiel pour faire reconnaître l’existence des problématiques autochtones. L’ONU doit continuer son rôle de médiateur et permettre à ces populations de s’imposer dans les négociations internationales, qui continuent de faciliter les échanges avec les États et entre les différentes organisations autochtones.

Paradoxalement, la crise sanitaire a permis un certain renforcement de la dynamique commune propre aux peuples autochtones à travers le monde. En effet, ces populations pourtant diverses ont subi des conséquences souvent similaires face à la pandémie. La crise sanitaire a servi de prétexte à de nouvelles violations des droits des Autochtones dans de nombreuses parties du globe et les peuples autochtones ont été parmi les plus délaissés dans les réponses apportées par les États. À titre d’illustration, selon Mélania Canales, présidente de l’ONAMIAP (Organisation nationale des femmes autochtones des Andes et de l’Amazonie du Pérou) les États ont largement usurpé le droit au consentement libre, préalable et éclairé en donnant leur feu vert à de grands projets privés sur des territoires autochtones notamment en Asie et en Amérique du Sud. Les accords étaient signés de manière virtuelle dans des rencontres où les Autochtones étaient souvent exclus. De plus, les solutions virtuelles mises en place par les instances onusiennes se sont montrées inadaptées à la situation de nombreux Autochtones, souvent touchés par la précarité numérique. Abandonnés par le système international et les États, les peuples autochtones ont pourtant su trouver leurs propres solutions et innovations face à la situation, leur permettant de se renforcer comme catégorie particulière dans le système-monde. Ils s’imposent comme un groupe singulier avec des connaissances primordiales notamment en matière sanitaire et, de plus en plus, dans d’autres domaines comme l’environnement. Il ne serait ainsi pas étonnant de voir leur rôle international s’accroître dans les prochaines années, notamment sur la question des savoirs traditionnels, qui semblent de plus en plus intéresser les Nations unies.

Les constats relevés ici servent surtout à mettre en avant le manque de données à la fois sur l’accès des peuples autochtones aux nouvelles technologies, et à souligner un possible désintérêt des Autochtones dans le système onusien, deux dynamiques renforcées par le contexte pandémique. Aller plus loin dans les propos tenus aurait été particulièrement compliqué dans un contexte sanitaire contraignant et inédit. Je pense que cette note de recherche doit surtout être lue comme un tour d’horizon de la situation post pandémie des peuples autochtones aux Nations unies. Ce travail est en effet une invitation à mener davantage de recherches sur la situation des Autochtones aux Nations unies, qui permettraient d’analyser le sentiment de ces populations vis-à-vis des instances internationales. Ce sujet central nécessiterait notamment d’interroger des leaders autochtones adhérant au système onusien, tout en élargissant la recherche à des personnes qui ne sont pas directement impliquées. Enfin, le processus de participation des Autochtones aux Nations unies est en constante évolution. J’invite les scientifiques à continuer ce travail à la vue des nouvelles actualités. Depuis ce travail, deux nouvelles sessions de l'IPQA ont eu lieu. Il pourrait être intéressant de mesurer la participation à ces nouvelles sessions et d’observer si les limites soulevées dans cette note ont été davantage prises en compte.