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L’économie sociale enfin à sa place !

Dans l’organigramme gouvernemental, l’économie sociale est enfin à sa place : celle d’une économie à part entière. De délégation interministérielle en secrétariat d’Etat [1], ballottée entre le Plan, le Premier ministre, les Affaires sociales, etc., avant de pratiquement disparaître dans le précédent gouvernement, l’économie sociale n’a qu’à de rares et brèves occasions été considérée pour ce qu’elle est depuis 1981 : d’abord un secteur économique. Son tort était sans doute de reposer sur des valeurs et de mettre en oeuvre des pratiques différentes, voire antagonistes, de celles du modèle dominant : l’économie capitaliste. Faute d’accepter ou de savoir lui reconnaître sa différence, les gouvernements préféraient jusqu’ici, à des degrés variables, ne retenir d’elle que sa capacité, par ailleurs réelle, voire supérieure, à créer des emplois durables et à contribuer à la cohésion sociale. Ce parti pris était d’autant plus affirmé dans les périodes où la situation de l’emploi se détériorait et où les tensions sociales s’exacerbaient. On l’instrumentalisait. Dans les périodes plus fastes, on l’ignorait, lorsqu’on ne la brocardait pas.

L’actuel positionnement de l’économie sociale, désormais servie par un ministre délégué à l’Economie, aux Finances et au Commerce extérieur, chargé de l’Economie sociale et solidaire, l’affranchit de ce rôle, jusqu’à présent conféré, de Croix-Rouge de l’économie en crise [2]. C’est ce qu’a indiqué le ministre, Benoît Hamon, lors de la passation de pouvoirs : « C’est la volonté aussi du président de la République et du Premier ministre de dire qu’il n’y a pas qu’un seul modèle économique, qui est le modèle d’entreprise classique tel qu’on le connaît, et c’est une forte volonté politique que de rattacher ce ministère à Bercy », car « on ne crée pas seulement de la richesse à travers le modèle économique classique ».

Entreprendre autrement, collectivement, démocratiquement, proscrire l’appropriation individuelle des profits, tendre simultanément à l’excellence économique et à l’excellence sociale, en un mot mettre l’économie au service du plus grand nombre, c’est la mission qu’inlassablement les acteurs de l’économie sociale n’ont cessé de remplir à travers les coopératives, les mutuelles et les associations. L’utilité de leur rôle est enfin reconnu et encouragé.

L’engagement avait été pris pendant la campagne pour l’élection présidentielle. Il a été tenu.

Marcel Caballero, Ciriec-France

Journée d’étude du RgoRESS

Le Réseau Grand Ouest de recherche en économie sociale et solidaire (RgoRESS) été créé en 2004 par Henry Noguès, professeur à l’université de Nantes. Il visait alors à renforcer la coopération entre les chercheurs des Pays de la Loire et entre chercheurs et acteurs. Ce réseau devait permettre de croiser les approches disciplinaires et sectorielles, la recherche théorique et la connaissance empirique, afin de pouvoir répondre à des appels à projets, régionaux ou nationaux, sur les thématiques de l’ESS. En 2010, il a élargi ses frontières aux chercheurs inscrits dans l’annuaire des chercheurs en ESS sur le Grand Ouest  [3], incluant les Pays de la Loire, la Bretagne et le Poitou-Charentes. Une réflexion commune a été engagée sur l’évolution de l’offre de formation dans le cadre des plans quadriennaux.

Au cours de la journée d’étude du RgoRESS qui s’est tenue à Angers le 25 mai 2012, a été évoqué le déficit d’audience dont souffre l’ESS dans les milieux académiques en France. Alors que nul ne doute de la pertinence et du potentiel dynamique de la démarche interdisciplinaire d’un point de vue heuristique, l’obligation de passer sous les fourches caudines de commissions disciplinaires très cloisonnées pour obtenir une reconnaissance académique n’a aucun sens… particulièrement pour l’ESS, qui, de ce fait, reste un objet insuffisamment identifié.

Deux tables rondes ont réuni chercheurs et praticiens du Grand Ouest autour des thèmes « Innover et entreprendre en ESS » et « L’ESS en débats : valeurs, statuts, projets ». En marge des informations factuelles sur les initiatives en cours de réalisation, les intervenants ont souligné la nécessité pour l’ESS de redécouvrir une capacité à innover sur le plan théorique (notamment dans le domaine statutaire) afin d’accompagner les projets. Ajoutons que cela pose la question du fonctionnement du tandem chercheurs-acteurs, souvent réduit au rappel à la pureté doctrinale des seconds par les premiers. Les uns et les autres gagneraient à ce que les chercheurs sortent de ce rôle exclusif de gardiens du temple des valeurs pour se lancer dans un processus de renouvellement de la doctrine. Non seulement doctrine et pratiques doivent être en concordance, mais elles doivent se nourrir mutuellement et continûment.

Patricia Toucas-Truyen

Centenaire de la pharmacie mutualiste de Rochefort-sur-Mer

Le 2 juin 2012, l’Union mutualiste rochefortaise (UMR) a fêté son centenaire à Rochefort-sur-Mer, en Charente-Maritime. Si ces célébrations commémoratives étaient assez fréquentes dans le monde mutualiste à la fin du siècle dernier, elles sont devenues beaucoup plus rares après la promulgation du code de 2001, tant celui-ci a entraîné le mouvement dans un processus de fusion-absorption qui, loin de s’arrêter, prend la forme d’une spirale cyclonique en constante progression. Si le cas rochefortais mérite d’être signalé, c’est moins en raison de sa longévité que par la permanence de caractéristiques qui ont fait son originalité dès les années 1840 : une mutualité ouvrière et militante, avec un fort enracinement local. Animées par les ouvriers de l’Arsenal, les sociétés de secours mutuels rochefortaises étaient républicaines sous le Second Empire, elles ont été socialisantes sous la Troisième République. Porté par des administrateurs militants, le mouvement rochefortais s’est distingué de la neutralité politique affichée par la Mutualité française entre le décret de 1852 et le congrès de Saint-Malo en 1967, date à laquelle la FNMF a abandonné sa neutralité au profit du concept d’indépendance.

Après la fermeture de l’Arsenal en 1927, la mutualité rochefortaise est devenue moins ouvrière, suivant en cela l’évolution de la population de la ville. Elle n’a toutefois rien perdu de son caractère populaire et indépendant. L’UMR a fonctionné jusqu’au début du xxie siècle sans adhérer ni à la FNMF ni à l’union départementale de Charente-Maritime, créée en 1897. Le tiers payant était en vigueur à la pharmacie dès 1912. Au cours des années 70, elle s’est dotée d’un centre dentaire, d’un centre optique, de services d’orthopédie et d’audioprothèse. Ces dernières années, se sont ajoutés une maison de retraite, une entreprise de services à domicile et un accueil de jour pour les malades d’Alzheimer. Ces réalisations ont été conçues de façon à maintenir un lien de proximité entre l’union et ses 8 400 adhérents, soit environ 16 000 bénéficiaires dans une commune qui ne compte que 26 300 habitants.

La pharmacie historique figure parmi les cinquante pharmacies mutualistes toujours en fonctionnement en France, en dépit d’une réglementation constamment défavorable et de l’hostilité tenace des commerçants pharmaciens – dans le même département, l’avenir de la pharmacie mutualiste de La Rochelle, fondée en 1925, est fortement compromis. La présence enthousiaste des quelque 200 participants aux festivités du 2 juin témoigne de l’attachement fort de la population rochefortaise à cette mutualité territoriale qui ne dévie pas de ses objectifs solidaires.

Patricia Toucas-Truyen

La protection sociale est un « grand sujet »

Le sociologue Henri Hatzfeld, auteur d’un livre pionnier sur l’histoire de la protection sociale, Du paupérisme à la Sécurité sociale, publié en 1971, rapporte volontiers que ce thème était alors considéré comme « un petit sujet » par la communauté historienne. Il semble que quatre décennies plus tard la protection sociale soit restée un thème mineur, non seulement dans les milieux académiques, mais également – ce qui est plus lourd de conséquences pour les citoyens français – pour les responsables politiques, à en juger par le peu de place qui lui a été accordé dans la campagne présidentielle. Faute de s’y intéresser spontanément, certains candidats ont cependant répondu à la lettre qui leur avait été adressée par la Mutualité française. Parmi eux, le futur président de la République, François Hollande, a exprimé, sur les sujets les plus sensibles de l’avenir du système de protection sociale, des propositions proches de celles de la FNMF. Il semble utile de les rappeler (Afim, 2 mai 2012) :

  • la consolidation du financement de la Sécurité sociale par la remise en question des niches sociales et la mise à contribution de l’ensemble des revenus ;

  • la mise en oeuvre d’une politique du médicament propre à réduire les coûts ;

  • la création de pôles de santé de proximité pour mettre un coup d’arrêt au phénomène de désertification médicale ;

  • l’instauration d’une contribution sur les revenus du capital et du placement à hauteur de celle sur les revenus du travail ;

  • le rapprochement de l’impôt sur le revenu et de la CSG, première étape de la mise en place d’un prélèvement simplifié sur le revenu (PSR) visant à « sanctuariser le financement de la protection sociale ».

TSCA et dépassements d’honoraires : les épines dans le pied des mutuelles

Le monde mutualiste a été bien malmené à la fin du dernier quinquennat, notamment avec l’instauration, puis le doublement de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA). Le résultat s’est rapidement fait sentir sur les comptes des mutuelles, comme en témoigne la baisse des résultats d’une mutuelle aussi solide que la MGEN (19 millions d’euros en 2011, contre 71,6 en 2010).

Recevant une délégation de la FNMF, Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales [4], a affirmé que, si le gouvernement n’envisage pas dans l’immédiat de supprimer la TSCA, il s’engage néanmoins à la moduler, afin que celle-ci pèse moins lourdement sur les contrats dits « solidaires et responsables ». Clairement, la taxe pourrait être abaissée en échange d’une meilleure prise en charge des dépassements d’honoraires par les mutuelles. Si cette mesure est certainement plébiscitée par les adhérents, soucieux avant tout de la rentabilisation de leur cotisation, elle ne réglerait pas pour autant la question de l’inflation des honoraires médicaux, qui empêche aujourd’hui nombre de citoyens d’accéder à des soins de qualité. Depuis des décennies, cette question revient comme un serpent de mer dont les sorties seraient de plus en plus fréquentes et décomplexées dans le loch Ness de l’Assurance maladie, soulignant la difficulté à faire converger les intérêts des médecins libéraux et l’intérêt général. Sur ce sujet, la FNMF préconise de revenir à une réelle opposabilité des tarifs médicaux.

La saison électorale étant terminée, les négociations entre gouvernement, syndicats médicaux et complémentaires santé vont pouvoir commencer… Elles s’annoncent ardues !

Un environnement politique plus bienveillant ?

C’est dire si les attentes sont fortes du côté mutualiste au lendemain de l’élection de François Hollande. Lors de son discours prononcé le 12 juin au Conseil économique, social et environnemental (CESE), le nouveau président a réhabilité le concept de « justice sociale », qui se traduirait par une amélioration de l’accès aux soins pour tous. Dès son installation, la ministre des Affaires sociales a rencontré le président de la FNMF, Etienne Caniard. De son côté, Benoît Hamon, ministre chargé de l’Economie sociale et solidaire, a assuré les représentants mutualistes qu’il participerait activement aux débats en cours sur le statut de la mutuelle européenne. Alors, la reconfiguration du paysage politique augure-t-elle de relations apaisées entre le gouvernement et la mutualité ?

« Le changement politique intervenu en mai et juin nous permet de penser que la mutualité occupera la place qu’elle mérite au sein de la communauté nationale. » Cette déclaration, qui figure dans le registre des réunions d’une mutuelle de Charente-Maritime, date de la fin de l’année 1981 [5]. Trente et un ans plus tard, dans un environnement économique et social autrement plus difficile, soumis à la prédation du marché qui ne connaît pas de frontières, l’optimisme serein n’est pas de mise. Il s’agit moins de considérer la mutualité comme un acteur économique, cherchant à tirer à elle la couverture de la complémentaire maladie au détriment de l’assurance commerciale, que comme l’acteur historique et incontournable. L’avenir de la mutualité comme celui de la Sécurité sociale dépendent d’une volonté politique d’insuffler un changement de paradigme, en détrônant la doxa néolibérale qui s’est imposée dans tous les domaines, pour le plus grand dommage des populations. Il importe donc que, en dépit des contraintes économiques qui monopolisent aujourd’hui leur attention, les mutuelles se pensent en tant que lieux de vigilance citoyenne, propres à initier et à accompagner les changements attendus dans le comportement de l’Etat à l’égard de la protection sociale.

Patricia Toucas-Truyen