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Au fil des réformes qui ont jalonné le droit de la « faillite », le législateur a oeuvré dans le sens d’un allègement des risques encourus par les dirigeants de personne morale. Mais le pouvoir sanctionnateur des procédures collectives subsiste à l’égard des dirigeants défaillants, fussent-ils associatifs. Cela suppose, à l’évidence, que les associations soient éligibles aux traitements institués par le livre VI du Code de commerce. Dans cette perspective, deux conditions sont exigées par la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 : jouir de la personnalité morale et fonctionner selon les principes de droit privé.

C’est dire qu’en cas de difficultés financières les associations risquent d’être soumises à une procédure collective, à l’occasion de laquelle leurs dirigeants, malgré l’écran de la personne morale, pourront être mis en cause dès lors qu’ils auront fait preuve d’incompétence ou de malhonnêteté. Toutefois, à défaut de régime spécifique de responsabilité, leur sort sera purement et simplement aligné sur celui des dirigeants sociaux, aucune exonération de responsabilité ne pouvant être recherchée dans un éventuel bénévolat.

Reste à savoir quand retenir une telle responsabilité ? Totalement déconnectée de la cessation des paiements du groupement, son appréciation reposera sur celle des comportements dont il faut, sur les plans civil et pénal, réprimer les déviances, en d’autres termes la conduite du dirigeant conditionnant le prononcé des sanctions. Il importe au préalable de déterminer ce qu’il faut entendre par dirigeant défaillant, pour envisager ensuite le sort qui lui est réservé [1].

La détermination du dirigeant défaillant

Le droit de la « faillite » permet d’engager la responsabilité de tous les dirigeants associatifs sans exception. L’essentiel est qu’ils exercent concrètement une activité de gestion au moment où ils se livrent aux faits qui leur sont reprochés. Cela induit un double examen portant, d’une part, sur la qualité proprement dite de dirigeant et, d’autre part, sur le comportement de ce dernier.

La qualité de dirigeant

Afin de prendre l’exacte mesure de cette qualité de dirigeant, il convient de l’apprécier non seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps.

L’appréciation dans l’espace

S’exposent éventuellement à une sanction les dirigeants personnes physiques ou morales, de droit ou de fait, rémunérés ou non. Le dirigeant peut donc être, tout d’abord, une personne physique ou une personne morale agissant par son représentant, qui aura la même responsabilité que s’il était dirigeant en son nom propre (art. L225-20 et L651-1 du Code de commerce, désormais C. com.). La jurisprudence recèle ainsi différents cas de participation en tant que dirigeant d’une personne morale de droit public à une association de droit privé (Legros, 2012).

Il peut s’agir, ensuite, d’un dirigeant de droit ou de fait. C’est celui nommé par les statuts et chargé, selon le droit des procédures collectives, de la gestion du groupement. La notion de dirigeant de fait, quant à elle, relève de la libre appréciation des juges du fond et est contrôlée par la Cour de cassation. Selon les hauts magistrats, une telle qualification suppose que la personne concernée ait exercé, en toute souveraineté et indépendance, une activité positive de gestion et de direction sans avoir été désignée à cet effet (Cour de cassation, 2008).

Enfin, le dirigeant peut être rémunéré ou non. Le mutisme du droit des procédures collectives sur ce point incite à mettre en cause tous les dirigeants. Au-delà, toute poursuite à leur encontre n’est recevable que s’ils étaient en fonction au moment de la commission des faits qui leur sont imputables, ce qui oblige à une appréciation temporelle de la qualité de dirigeant.

L’appréciation dans le temps

Le dirigeant peut ne plus exercer les fonctions pour lesquelles il a été mandaté, soit parce qu’il s’est retiré de l’association, soit parce qu’il est décédé. Le retrait du dirigeant, tout d’abord, ne peut avoir pour conséquence de soustraire celui-ci aux responsabilités attachées aux charges qu’il a acceptées et exercées. Il importe en effet d’éviter qu’un dirigeant fautif ne se forge une impunité en quittant l’association en difficulté. Tel est le message délivré par la jurisprudence lorsqu’elle procède à la condamnation de deux dirigeants successifs, la démission de l’ancien président ne le mettant pas à l’abri de poursuites pour des faits qui se sont déroulés sous sa présidence [2].

Quant au décès du dirigeant, celui-ci ne fait pas non plus obstacle à la mise en oeuvre de certaines mesures. La solution a été admise dans le cadre des sociétés, mais elle peut également valoir en matière associative. A l’évidence, seules les sanctions de nature patrimoniale sont toutefois susceptibles d’être prononcées. Ainsi a-t-il été décidé que le décès du dirigeant en cours d’instance ne met pas fin à la procédure, qui se poursuit [3]. Au-delà, il a même été admis que les héritiers pouvaient être assignés directement pour les fautes commises par le dirigeant, sans que la procédure ait été engagée contre lui avant son décès [4].

Le critère temporel occupe donc une place non négligeable, mais encore faut-il que le comportement du dirigeant traduise une défaillance caractérisée.

Le comportement du dirigeant

Pour être répréhensible, le comportement du dirigeant d’association doit être fautif. Cette référence à la notion de faute appelle une analyse de nature tout à la fois qualitative et quantitative.

L’analyse qualitative

Il s’agit, en l’occurrence, de préciser quelles sont les fautes susceptibles de justifier une sanction. Dans cette perspective, deux remarques s’imposent : d’une part, il ne faut pas confondre la défaillance de l’association et celle de son dirigeant et, d’autre part, en l’absence de définition légale du dirigeant fautif, la mise en oeuvre des responsabilités va relever d’une appréciation subjective. Concernant la première, il convient de rappeler qu’en matière de « faillites » la législation moderne a opéré une nette distinction entre le traitement de l’entreprise en difficulté et le régime des responsabilités et des sanctions. Ces dernières ne s’appliquent qu’en considération des comportements qu’elles visent, indépendamment du sort du groupement en procédure collective. Quant à la seconde, il faut préciser que le législateur soit se réfère de manière générale à la notion de faute ou de faute de gestion (à propos des sanctions patrimoniales), soit énumère limitativement les cas fautifs en fonction des sanctions envisagées (concernant les sanctions professionnelles et pénales).

Cela conduit à analyser globalement la faute par rapport au comportement du dirigeant normalement diligent et prudent. Elle constituerait ainsi un manquement à une pratique habituelle dans le monde des affaires. Il peut alors s’agir de toute faute détachable ou non des fonctions, intentionnelle ou non, légère ou grave, commise par action ou par omission, de bonne ou de mauvaise foi, concomitante à la création du groupement ou liée à son exploitation.

Notion floue, la faute de gestion s’adapte aux circonstances et peine à s’abstraire des faits. Pour schématiser, on peut dire que le dirigeant d’association aura commis au moins de simples fautes de gestion, au plus, de véritables délits, et qu’il engagera au minimum sa responsabilité civile, au maximum, sa responsabilité pénale (Saint-Alary-Houin 2010). De récentes interventions de la Cour de cassation invitent néanmoins, sur le plan quantitatif, à en préciser l’analyse.

L’analyse quantitative

En cas de pluralité de fautes justifiant une condamnation, chacune d’entre elles doit être légalement établie par les juges du fond. Tel est l’enseignement qui découle de plusieurs arrêts rendus récemment par la haute juridiction dans le domaine des responsabilités professionnelle [5] et patrimoniale [6]. Ainsi, tout en réaffirmant expressément le pouvoir souverain des juridictions inférieures en la matière, les magistrats de la chambre commerciale lui fixent une limite quantitative en le soumettant au principe de la proportionnalité.

Empruntée au droit pénal, l’application d’une telle règle en droit des procédures collectives permet d’écarter certaines pratiques arbitraires, en empêchant les juges du fond d’invoquer plusieurs griefs à l’encontre des dirigeants sans démontrer leur existence respective. On l’aura compris, tout abus significatif de la part du dirigeant d’association ne peut rester sans réponse juridique adaptée. Or, en l’absence de régime spécifique de responsabilité, son sort n’échappera pas aux dispositions répressives incluses dans le droit de « la faillite ».

Le sort du dirigeant défaillant

En fonction de ses agissements, le dirigeant s’expose à des sanctions de nature patrimoniale, personnelle et pénale. Celles-ci sont en principe exclusives de toute procédure de sauvegarde et cantonnées aux hypothèses les plus graves (hormis certaines infractions pénales éparses, voir infra). Un tel constat se vérifie à l’identique pour toutes les sanctions, qu’il s’agisse de simples mesures de réparation ou de véritables mesures d’intérêt public.

Les mesures de réparation

Le dirigeant associatif peut, sur le plan pécuniaire, tomber sous le coup de deux sanctions : la première, pour le moins classique, est l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif ; la seconde, beaucoup plus récente, est l’action en responsabilité pour contribution à la cessation des paiements.

L’action en responsabilité pour insuffisance d’actif

Régie par les articles L651-1 et suivants du Code de commerce, l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif ne peut être envisagée, depuis 2008, que dans le contexte d’une liquidation judiciaire. L’intérêt d’une telle sanction sur le plan économique est de permettre le recouvrement de fonds, qui seront répartis, dans le cadre de la procédure collective de l’association, entre les différents créanciers. Elle a donc pour objectif de faire supporter au dirigeant la totalité de l’insuffisance d’actif, en raison d’une faute de gestion ayant contribué à sa création ou à son accroissement. Or une condamnation pécuniaire du dirigeant n’a de sens que dans la mesure où la décision est exécutable sur un patrimoine connu qu’il convient de déterminer et de préserver (Delattre, 2010a). Tel est, justement, le but du dispositif prévu à l’article L651-4 du Code de commerce, lequel permet en effet au président du tribunal d’ordonner toute mesure conservatoire utile à l’égard des biens des dirigeants (au-delà, le nouvel article L663-1-1 du C. com. issu de la loi du 12 mars 2012 organise même la cession de tels actifs et l’affectation des sommes en résultant).

C’est un objectif identique que poursuit le législateur à l’occasion de la mise en oeuvre d’une mesure de réparation inédite à la charge des dirigeants. Alors que le législateur de 2005 avait supprimé toute sanction patrimoniale à leur encontre en matière de redressement judiciaire, un texte récent consacre en effet, dans le cadre d’une telle procédure, une action en responsabilité pour contribution à la cessation des paiements du débiteur.

L’action en responsabilité pour contribution à la cessation des paiements

La loi Petroplus du 12 mars 2012 (Roussel Galle, 2012) vient d’insérer dans le Code de commerce un nouvel article L631-10-1 autorisant le président du tribunal, sur demande de l’administrateur ou du mandataire judiciaire, à prendre des mesures conservatoires [7] à l’égard des biens du dirigeant subissant une action en responsabilité pour contribution à la cessation des paiements du débiteur en redressement judiciaire.

La généralité des termes utilisés dans le texte laisse à penser qu’une telle action peut théoriquement être exercée à l’encontre de dirigeants d’association. Ces derniers devront avoir commis une faute, de gestion ou non, ayant contribué à l’impossibilité pour la personne morale de faire face au passif exigible avec son actif disponible. L’article L631-10-1 consacrerait donc un régime spécial de responsabilité ayant pour but de faire supporter au dirigeant, en tout ou partie, le préjudice que constitue la cessation des paiements du groupement.

Curieusement, le législateur de 2012 n’envisage pas l’hypothèse du dirigeant condamné qui ne s’acquitterait pas de la dette mis à sa charge au titre de l’action en responsabilité pour contribution à la cessation des paiements. C’est là une différence importante avec l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif, laquelle peut éventuellement donner lieu, en cas de non-respect de la condamnation, au prononcé d’une mesure d’intérêt public.

Les mesures d’intérêt public

Par mesure d’intérêt public, il faut entendre les sanctions qui vont atteindre la personne même du dirigeant, et, là encore, peu importe qu’il s’agisse d’un dirigeant d’association. Il n’est plus question, en l’occurrence, de réparation d’un préjudice et donc de responsabilité civile, mais d’assainissement de la vie économique. C’est ce qui explique que de telles mesures ne soient, en général, applicables que dans les procédures de redressement ou de liquidation judiciaire. Cela justifie, par ailleurs, qu’elles ne soient pas cantonnées au seul domaine professionnel, mais qu’elles relèvent également de la matière pénale.

Les sanctions professionnelles

Il s’agit de la faillite personnelle (art. L653-2, C. com.) et de son démembrement que constitue l’interdiction de gérer (art. L653-8, C. com.). Leur objectif, dénué de toute ambiguïté, est d’évincer pour un temps maximum de quinze ans (Delattre, 2007) les dirigeants incompétents ou malhonnêtes de la vie des affaires. La faillite personnelle interdit, principalement, à la personne sanctionnée d’exercer toute fonction de direction ou de contrôle dans toute entreprise ou personne morale. Elle peut également entraîner son élimination de toute fonction publique élective. L’interdiction de gérer, quant à elle, peut être limitée à une ou à plusieurs entreprises ou personnes morales et ne produit pas les effets secondaires de la faillite personnelle.

Autant dire que la distinction entre les deux n’est pas vraiment significative, car tous les cas de faillite personnelle sont potentiellement des hypothèses d’interdiction de gérer. On remarquera qu’en principe les faits réprimés doivent avoir été accomplis par le dirigeant avant le prononcé du redressement ou de la liquidation judiciaire à l’encontre du groupement. Par exception, toutefois, le comportement du dirigeant (Delattre, 2010b) postérieur au jugement d’ouverture peut justifier le prononcé de la faillite personnelle ou de l’interdiction de gérer à son égard lorsqu’il porte atteinte au bon déroulement de la procédure collective (art. L653-5, 5°, et L653-8, al. 2, C. com.). Au-delà, il peut arriver que certains dirigeants ne respectent pas les mesures qui leur ont été infligées. Ils s’exposent alors à des sanctions pénales bien plus sévères.

Les sanctions pénales

Certaines sanctions pénales demeurent en matière de « faillites », car elles constituent des garde-fous indispensables à une bonne régulation de l’économie. Pour les actes les plus graves qui ont causé un trouble important, une telle répression se justifie en effet pleinement. Tel est le cas de dirigeants qui, en dépit des sanctions professionnelles prononcées à leur encontre dans le cadre d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire, continuent de commettre des dégâts sur le tissu économique en persistant à se livrer à des actes de gestion. Dans ce type de situation, le législateur a prévu une réponse pénale significative en punissant les individus d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 375 000 euros (art. L654-15, C. com.). Quel serait sinon le sens d’une condamnation antérieure entraînant des interdictions non respectées ?

La réponse pénale n’est toutefois pas limitée à ceux qui ne se conforment pas aux mesures prises sur le plan purement civil. Il y a, en effet, d’autres infractions très spécifiques au droit des procédures collectives qui nécessitent une peine adaptée. Il s’agit, tout d’abord, de la banqueroute. Le livre VI du Code de commerce n’autorise sa répression qu’en cas d’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. La caractérisation d’une telle infraction exige la réunion de tous les éléments classiques aux délits pénaux. Ainsi, sur le plan matériel, divers types d’agissement sont envisagés par l’article 654-2 du Code de commerce, tous ayant pour finalité d’assurer la conservation des droits des tiers sur le patrimoine du débiteur.

Par ailleurs, le délit de banqueroute est nécessairement intentionnel, que le dol soit général ou spécial. A titre de peine complémentaire, la juridiction qui condamne un individu pour banqueroute peut également prononcer à son encontre soit la faillite personnelle, soit l’interdiction de gérer. Il s’agit, ensuite, d’infractions éparses qui, présentant la particularité de ne pas être cantonnées au domaine du redressement et de la liquidation judiciaires, peuvent être exceptionnellement réprimées dans le cadre d’une procédure de sauvegarde (paiements effectués malgré l’interdiction de la loi, art. L654-8, 1°, C. com. ; actes réalisés en violation des dispositions du plan de continuation, art. L654-8, 2°, C. com. ; organisation frauduleuse d’insolvabilité, art. L654-14, al. 1, C. com.).

Conclusion

Force est de constater que le tableau dressé de la responsabilité des dirigeants d’association en difficulté est plutôt sombre. La procédure collective accroît en effet les risques encourus, lesquels sont non négligeables et trop souvent ignorés. L’existence de la personnalité morale de l’association ne faisant pas obstacle à leur responsabilité et les tribunaux n’étant pas enclins à leur accorder de faveurs particulières, même en ces temps maussades pour l’économie (Delattre, 2012), on ne saurait donc que conseiller aux dirigeants associatifs d’apporter à la gestion du groupement toute la diligence nécessaire dans le strict respect des règles légales. Mais n’est pas dirigeant qui veut… C’est la raison pour laquelle il convient de garder à l’esprit qu’ici comme ailleurs les pouvoirs s’accompagnent de responsabilités.