Corps de l’article

Introduction

En nous intéressant spécifiquement à la participation des femmes[1], nous proposons dans cet article[2], basé sur une recherche plus large[3], de comprendre une facette du militantisme au sein du mouvement des femmes. Cet article présente les résultats d’une recherche qui interroge l’expérience des femmes investies dans les comités de parents, à savoir de quelle façon s’actualise leur participation dans les maisons de naissance québécoises depuis les trente dernières années. Il s’agit d’abord de situer les contextes historique, politique, légal et institutionnel, ainsi que la pratique sage-femme, afin de circonscrire la problématique à l’étude. Ensuite, il s’agit de permettre une compréhension des raisons qui poussent certaines femmes à s’investir dans les comités de parents au sein des maisons de naissance et de saisir les caractéristiques des différents comités. Puis, le cadre conceptuel et la méthodologie de cette recherche seront développés afin d’en saisir les assises scientifiques et de permettre un développement cohérent des éléments d’analyse et de discussion présentés ci-dessous. Finalement, il sera pertinent de démystifier les défis et les stratégies qui se présentent aux comités, autant pour les participantes actuelles que pour les pionnières. Les connaissances issues de l’action et de la mobilisation de ces femmes permettront aussi de nourrir les réflexions et les interventions spécifiques à l’action collective en travail social et, plus précisément, en action communautaire. Il est à noter que peu d’articles ou de travaux abordent la participation et la place des femmes dans le mouvement pour l’humanisation de la naissance, ce qui renforce, selon nous, la pertinence de l’exploration de ces thématiques à travers nos travaux de maîtrise.

Contextes historique et politique

Depuis plusieurs décennies, les femmes et leurs alliés se sont mobilisés afin de défendre les droits des femmes durant la période périnatale (Giroux, 2008; Rivard, 2014). Dès les années 1970 et 1980, un mouvement féministe pour l’humanisation de la naissance et « l’auto-santé[4] » des femmes prend racine au Québec (Giroux, 2008; Rivard, 2014). Ce mouvement de contestation et de revendication vise à remettre en question la (sur)médicalisation de la naissance étant donné que la grossesse et l’accouchement sont pris en charge par la médecine et l’obstétrique. Ces deux évènements de la vie sont dorénavant exprimés en termes médicaux : grossesses à risque, surveillance de la mère et de l’enfant à naître, mesures, interventions, déclenchement (Rivard, 2014; St-Amant, 2013). L’enfantement n’est plus un évènement appartenant aux femmes et aux familles, mais plutôt un moment où la science médicale domine les savoirs d’expérience que la femme possède. Or, les femmes et les alliés du mouvement pour l’humanisation de la naissance désirent changer les choses. Celles-ci souhaitent acquérir plus d’autonomie et de contrôle dans toutes les étapes de leur maternité (Giroux, 2008; Rivard 2014; Savard, 1987). Deux des enjeux au coeur de ce mouvement sont la légalisation de la pratique sage-femme et l’accouchement hors du milieu hospitalier. Les femmes et les couples souhaitent être accompagnés différemment dans cette expérience et, dans une plus grande mesure, être autonomes et posséder leur plein pouvoir personnel lors de la grossesse et de l’enfantement.

Trois évènements majeurs marquent ces années de mobilisation et de militantisme pour les droits des femmes. Tout d’abord, en 1973, les instances gouvernementales créent la première politique périnatale, qui vise la réduction des mortalités maternelle et infantile et souligne la déshumanisation de la naissance au Québec. Cette politique propose, pour répondre aux objectifs, une réorganisation des services en périnatalité, une amélioration de la qualité des soins et une sensibilisation des femmes enceintes et des nouvelles mères (Valentini, 2004). Puis, en 1980, l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ) organise les onze colloques régionaux « Accoucher ou se faire accoucher » au cours desquels plus de 10 000 personnes sont interpellées : femmes, hommes, intervenantes, médecins, infirmières, citoyennes ou citoyens. Toutes ces personnes réunies partagent « leur inquiétude et contestent l’emprise du pouvoir médical sur le corps des femmes » (Valentini, 2004, p. 51). On se questionne sur la médicalisation de la naissance et sur la déshumanisation des soins de santé.

Comme suite à une mobilisation citoyenne qui est éventuellement devenue la Coalition pour la pratique sage-femme (CPPSF), à de nombreuses négociations et à une commission parlementaire sur la pratique des sages-femmes, la mise en place des projets pilotes prend forme en juin 1990, encadrée par une loi. Ces projets pilotes, au nombre de huit (soit ceux d’Alma, Gatineau, Mont-Joli, Pointe-Claire, Sherbrooke, Saint-Romuald, Montréal et Puvirnituk), peuvent être définis comme expérimentaux. En effet, ceux-ci doivent être évalués afin de mesurer les effets de la pratique des sages-femmes « sur l’humanisation et la continuité des soins, la prévention des naissances prématurées ou de faible poids, l’utilisation des technologies obstétricales et l’adaptation aux clientèles cibles », et ce, pour déterminer la sécurité et la faisabilité de la légalisation de la pratique (ministère de la Santé et des Services sociaux, 2015, p. 5). Il nous semble aussi important de souligner que les sages-femmes et les femmes ont été des alliées dans cette reconnaissance de leurs droits, comme femmes et sages-femmes.

En fin de compte, c’est la lutte pour la légalisation de la pratique sage-femme qui porte ses fruits et, le 19 juin 1999, la Loi sur les sages-femmes entre en vigueur au Québec (Giroux, 2008; Rivard 2014). Cette nouvelle législation a pour effet d’augmenter la liberté de choix quant au lieu où les femmes donneront naissance et à la personne qui les accompagnera (Giroux, 2008). Elle a aussi pour effet de rendre accessible dans un système public de santé un service qui jadis devait être payé par les parents. Au début, l’idée de la maison de naissance, telle qu’imaginée par les artisanes du projet, les groupes de femmes et les sages-femmes, était qu’elle soit autonome et qu’en son coeur prenne racine un milieu de vie où les familles et les mères pourraient s’impliquer (Comité provincial des maisons de naissance, 2000; Bouffard et Grégoire, 1998; Piché, 1987).

Actuellement, des groupes citoyens de revendications pour les services sages-femmes sont actifs dans une grande majorité des régions du Québec, que ce soit en milieu urbain ou en région éloignée. De plus, on trouve des comités de parents dans les douze maisons de naissance existantes, ainsi qu’un comité dans un service de sage-femme et dix-huit groupes citoyens dans près de douze régions du Québec (Groupe MAMAN, 2015; Regroupement Les Sages-femmes du Québec [RSFQ], 2015; ministère de la Santé et des Services sociaux, 2015). C’est donc dire qu’il s’agit d’une réalité présente dans l’ensemble de la province québécoise.

Contextes juridique et institutionnel

D’un point de vue légal, c’est la Loi sur les sages-femmes, entrée en vigueur le 19 juin 1999, qui balise le travail des sages-femmes québécoises (gouvernement du Québec, 2015a). Cette loi permet d’établir les rôles et les responsabilités professionnelles des sages-femmes. Toutefois, celle-ci ne permet pas de situer les comités de parents, puisqu’il n’y a pas d’informations sur la participation des usagères. En effet, cette loi n’a pour objectif que de définir le champ de pratique des sages-femmes, leurs responsabilités et l’exercice de cette profession.

La seconde loi qui encadre la pratique sage-femme est la Loi sur les services de santé et les services sociaux puisque les sages-femmes pratiquent dans les centres de santé et de services sociaux (CSSS), maintenant CISSS[5] et CIUSSS[6] (gouvernement du Québec, 2015b). Cette loi nous renseigne sur l’exercice des fonctions des responsables des services de sage-femme, ainsi que sur le conseil des sages-femmes[7]. Il est intéressant de noter que cette loi fait état des comités d’usagers des établissements de santé qui doivent normalement être institués pour chaque établissement. Il serait donc possible de proposer que les usagères d’une maison de naissance s’impliquent dans le comité qui représente tous les usagers des différents services du CISSS ou du CIUSSS. Il est toutefois important de rappeler qu’historiquement, les usagères ont pu s’engager directement dans le comité de parents de la maison de naissance, préservant ainsi le caractère communautaire et familial de cette institution publique. Il est aussi nécessaire de souligner les alinéas qui concernent le conseil des sages-femmes puisque celui-ci peut adopter, selon l’alinéa 225.5, « des règlements concernant sa régie interne, la création de comités et leur fonctionnement ainsi que la poursuite de ses fins » (gouvernement du Québec, 2015b). Ce passage nous informe donc de la possibilité, pour le conseil des sages-femmes d’une maison de naissance, d’ajouter dans ses règlements internes la création d’un comité de parents et d’y inclure la manière dont celui-ci sera fondé (mission, objectifs, activités, financement).

Sur le plan institutionnel, la maison de naissance relève, d’un point de vue administratif et organisationnel, du CISSS ou du CIUSSS. Ce lieu est toutefois une installation distincte du centre hospitalier, bien que les femmes et les sages-femmes puissent s’y référer pour les tests, pour les échographies ou lors des transferts. Toutefois, il est indiqué que ce lien n’est pas hiérarchique et, donc, les sages-femmes qui pratiquent en maison de naissance demeurent autonomes dans leurs actes professionnels (ministère de la Santé et des Services sociaux, 2015).

La pratique sage-femme

L’implication des femmes et des familles dans les différentes étapes de la maternité est une dimension très importante de la pratique sage-femme. Un bilan réalisé par le Groupe MAMAN (Mouvement pour l’autonomie dans la maternité et l’accouchement naturel) en 1998 montre l’importance que les femmes accordent à l’autonomie et à l’accompagnement dans les accouchements réalisés avec les sages-femmes, et ce, en opposition avec le contrôle exercé par les personnes détenant le « savoir » (Bouffard et Grégoire, 1998).

Il est aussi important de mentionner les valeurs de la pratique sage-femme afin de bien cerner les différentes composantes de cette pratique qui donne une place importante aux femmes suivies en maison de naissance. Ainsi, en nous basant sur le site Internet du Regroupement Les Sages-femmes du Québec (RSFQ), il est possible d’identifier les plus importantes :

  • La pratique des sages-femmes est basée sur le respect de la grossesse et de l’accouchement comme processus physiologiques normaux, porteurs d’une signification profonde dans la vie des femmes;

  • Les sages-femmes reconnaissent que l’accouchement et la naissance appartiennent aux femmes et à leur famille […] dans la sécurité et dans la dignité;

  • La pratique des sages-femmes s’exerce dans le cadre d’une relation personnelle et égalitaire […];

  • Les sages-femmes […] conçoivent les décisions comme résultant d’un processus où les responsabilités sont partagées entre la femme, sa famille (telle que définie par la femme) et les professionnels de la santé. Elles reconnaissent que la décision finale appartient à la femme (RSFQ, 2015).

Ces différents extraits de la philosophie sage-femme démontrent que la femme est au coeur de ses préoccupations et que les soins sont développés en tenant compte du vécu de la femme, de la signification qu’elle donne à la naissance, de son pouvoir à enfanter, de la relation égalitaire qui l’unit à sa sage-femme et de la responsabilité partagée dans la prise de décision. Donc, la pratique sage-femme contemporaine est née, depuis les années 1970, à partir des demandes des femmes et de leurs besoins, les plaçant ainsi au centre de cette pratique (Giroux, 2008; Rivard, 2014). Il est important de reconnaître la place des parents dans les maisons de naissance puisqu’ils veillent sur les pratiques qui s’y exercent en s’assurant qu’elles répondent réellement aux besoins des femmes et des familles. Il est aussi intéressant d’analyser comment la participation active des femmes sur le plan du suivi individuel se transpose en une participation active sur le plan collectif, ainsi que dans la vie communautaire et politique de la maison de naissance.

La maison de naissance et la participation des femmes

La maison de naissance permet d’offrir des services de périnatalité de première ligne. D’un point de vue fonctionnel, la maison de naissance est un des trois lieux où l’on peut donner la vie. Les deux autres lieux sont le domicile de la femme ou l’hôpital. La maison de naissance est le principal lieu de pratique des sages-femmes. Outre celles-ci, d’autres personnes y travaillent. Dans chacune des maisons de naissance, on trouve une responsable des services de sage-femme, une équipe d’aides-natales, du personnel pour effectuer le soutien administratif et, sauf exception en un endroit, la coordination y est toujours assurée par les sages-femmes. Une autre maison de naissance compte aussi sur le soutien d’une agente de planification, programmation et recherche. Ces deux personnes sont réputées agir en soutien à leur groupe de parents respectif.

La maison de naissance est un lieu d’accouchement sécuritaire et de consultations axé sur la continuité et le caractère naturel de la grossesse. Cette maison doit permettre l’accueil des étudiantes sages-femmes (ministère de la Santé et des Services sociaux, 2015, p. 50; Comité provincial des maisons de naissance, 2000). Le cadre de référence (2015) précise aussi que la maison de naissance se doit de favoriser le regroupement des femmes et des familles, comme c’est le cas pour les activités organisées par un groupe de parents. À cet effet, le descriptif de l’organisation de la maison de naissance précise qu’on doit y retrouver une salle de jeux pour les enfants et la famille, une salle de documentation et de rencontres, ainsi qu’une salle communautaire (ministère de la Santé et des Services sociaux, 2015). Bien qu’historiquement on accorde une place centrale à la participation des femmes dans l’élaboration et la mise sur pied des maisons de naissance, ainsi que dans la vie quotidienne de la maison, aujourd’hui, cette reconnaissance « citoyenne » se fait plus discrète. À cet effet, le cadre de référence (2015) parle d’un lien à créer et à privilégier entre les CIUSSS ou les CISSS et la communauté d’appartenance. Ce document nous informe aussi sur différents aspects qui doivent être établis afin de faciliter la viabilité des comités : soutien, structures modulables et diversifiées selon la situation, autonomie des groupes, budget d’autofinancement ou de contributions et implication des groupes mobilisés dans la mise en place des nouveaux projets de maison de naissance (ministère de la Santé et des Services sociaux, 2015, p. 53). Paradoxalement, il est pourtant précisé que le comité de parents, le groupe ou le réseau agit à titre consultatif seulement. Cela illustre bien la fragilité de la place citoyenne dans un système qui voit l’accouchement comme un acte médical réservé aux professionnels de la santé. Cette entité ne peut pas prendre de décisions concernant l’organisation, les services ou l’administration, mais doit être mise à contribution dans une visée « d’amélioration continue des services ainsi que dans l’actualisation de la mission communautaire de la maison de naissance » (ministère de la Santé et des Services sociaux, 2015, p. 53).

Cadre conceptuel

Les objectifs spécifiques de cette recherche sont d’analyser la participation des femmes à l’orientation de la maison de naissance et leur pouvoir dans les comités de parents. Pour ce faire, nous comparons leurs attentes avec leur vécu au sein des structures, autant pour les pionnières que pour les femmes impliquées actuellement. Les données qui émergent de cette recherche sont analysées en tenant compte du cadre conceptuel de la participation. Plusieurs auteurs ont développé des concepts en lien avec la participation sous diverses formes (Bouquet, Draperi et Jaeger, 2009; Godbout, 1983; Mercier, 2009; Patsias, 2016), en lien avec la participation des membres ou en lien avec les pratiques démocratiques au sein des groupes communautaires (Guberman, 2004; René, Soulières et Jolicoeur, 2004). Certains abordent le concept de participation, aussi nommé « citoyenneté », en le considérant sous différents aspects : le contexte, l’objet de la participation ainsi que son espace d’action. Certains auteurs sont donc amenés à définir des termes pour en distinguer les frontières : participation démocratique, publique, politique, civique ou sociale (Commissaire à la santé et au bien-être [CSBE], 2004; Mercier, 2009). D’autres auteurs présentent, quant à eux, les formes de la participation communautaire et ses éléments constitutifs : 1) être présent; 2) prendre la parole; 3) passer à l’action; 4) s’impliquer à un niveau décisionnel (René, Soulières et Jolicoeur, 2004, p. 71).

La participation politique peut se définir comme étant l’exercice d’un pouvoir indirect ou direct. Cette participation s’exprime au niveau « des structures décisionnelles formelles, institutionnalisées et liées au pouvoir de l’État » qui définissent les espaces participatifs (Mercier, 2009, p. 26). Cette conception peut souvent être liée à la participation publique, qui est mise en place et encadrée par l’État. Dans ce cas précis, c’est donc lui qui organise et invite les citoyennes et les citoyens à prendre part à une initiative telle qu’un forum ou une consultation (CSBE, 2004, p.8). Au-delà de cette conception de la participation publique, Mercier (2009) définit, quant à lui, la participation sociale en la comparant à la citoyenneté sociale. L’objet de cette participation est alors de « transformer et d’influencer les politiques, les normes, et les structures sociales au plan macro-social et à celui des communautés locales » (Mercier, 2009, p. 26). Godbout définit, quant à lui, la participation comme suit : « la participation c’est le processus d’échange volontaire entre une organisation qui accorde un certain degré de pouvoir aux personnes touchées par elle et ces personnes, qui acceptent en retour un certain degré de mobilisation en faveur de l’organisation. Pour constituer un phénomène stable, la participation suppose un équilibre entre pouvoir et mobilisation » (Godbout, 1983, p. 35). Selon nous, c’est la définition de Godbout qui semble apporter des éléments intéressants permettant de comprendre la participation des femmes au sein des maisons de naissance. En s’attardant aux attentes des femmes, il sera possible d’analyser si les femmes sont en mesure de se mobiliser et d’agir dans certaines structures démocratiques de la maison et d’acquérir un pouvoir. À l’instar des éléments proposés par Godbout, c’est cet équilibre entre le pouvoir et la mobilisation qui permet aux personnes mobilisées d’acquérir un pouvoir dans les structures d’une organisation et d’être reconnues comme participant à l’ensemble des processus.

La participation des femmes dans les maisons de naissance est aussi intrinsèquement liée à leur militantisme. En effet, c’est en tant que militantes que les femmes s’engagent au sein de la maison de naissance. Ces usagères adhèrent à une cause, celle de la pratique sage-femme et d’une grossesse vécue dans l’autonomie. Plus largement, il est possible de constater que ces femmes militent aussi pour la reconnaissance des droits des femmes lors de la période périnatale en souhaitant informer et sensibiliser la société québécoise au sujet des différents enjeux entourant la grossesse et l’accouchement. L’expérience des comités de parents est donc une action citoyenne. Cet engagement des femmes les amène à militer pour la reconnaissance de leurs comités de parents, lieux privilégiés d’implication essentiels à la préservation du caractère distinctif des maisons de naissance. Les femmes participent donc à la vie politique et sociale de la maison de naissance. C’est à travers l’exercice de cette participation que les femmes arrivent à se définir comme des militantes.

Ce sont donc ces perspectives qui permettent d’analyser les données de la recherche en tentant de situer des concepts comme le pouvoir, la prise de décision, les valeurs de la maison de naissance ainsi que les espaces d’actions et de revendications des femmes. Les choix des thèmes de recherche réfèrent ainsi à différents éléments de la participation démocratique et de l’engagement. Le premier thème tente de comprendre l’émergence et la structure des comités. Le second thème décrit la trajectoire d’implication des femmes et permet de définir leurs motivations à s’impliquer dans le comité de parents. Le troisième thème caractérise les modalités du fonctionnement démocratique des groupes et de la vie associative et présente les objectifs, le fonctionnement et la nature des activités. Le quatrième thème situe l’expérience concrète des participantes dans les structures en abordant leurs attentes, leur participation ainsi que la place accordée aux femmes et aux familles. Le cinquième thème aborde le sens et la symbolique associés, d’une part, à la place des femmes et, d’autre part, à la maison de naissance. Le dernier thème définit les pistes d’actions et les stratégies pour soutenir les comités de parents.

Méthodologie

La collecte de données a été effectuée par l’entremise d’entretiens semi-dirigés et par la rédaction d’un journal de bord permettant de colliger différentes réflexions conceptuelles, méthodologiques et théoriques. Les dix-huit entretiens ont été réalisés auprès de femmes, dont quatorze auprès d’une représentante d’un comité[8] de parents actuellement actif dans une maison de naissance ou un service de sage-femme et quatre auprès des femmes pionnières impliquées durant les projets pilotes. Les données recueillies permettent d’atteindre une représentativité à l’échelle du territoire du Québec puisque toutes les régions ayant une maison de naissance ou un service de sage-femme, et où il existe un comité de parents actif, ont été considérées lors du terrain de recherche. Plusieurs thématiques ont été abordées lors des entrevues portant sur les thèmes mentionnés plus haut. L’analyse qualitative des données a été réalisée à partir d’une codification et d’une catégorisation, permettant de lier les éléments bruts de la recherche à des phénomènes clés de l’engagement et de la participation (Mucchielli, 2004).

S’engager dans une maternité respectée pour soi et pour sa collectivité

D’emblée, il est important de signifier que les propos rapportés dans les prochaines sections concernent autant les participantes actuelles que les pionnières impliquées il y a plus de vingt ans. Les données recueillies lors des entretiens nous permettent de constater que plusieurs éléments réunissent toutes les participantes, peu importe le moment de leur implication. Il est donc possible de penser qu’à travers les années, malgré certains changements spécifiques, il existe plusieurs similitudes dans l’expérience des participantes actuelles et pionnières.

Les femmes qui choisissent de s’engager dans le comité de parents de leur maison de naissance, ou plus largement dans le mouvement pour l’humanisation de la naissance, le font pour répondre à des motivations personnelles qui prennent forme soit pendant leur grossesse et leur suivi sage-femme, soit dans les semaines ou les mois qui suivent leur accouchement. Pour les participantes rencontrées, la mise au monde d’un ou de plusieurs enfants les a incitées à vouloir s’investir dans la vie communautaire de leur maison de naissance. Les propos des femmes rejoignent ceux d’auteures qui mentionnent assez clairement qu’il s’opère un changement dans le corps et dans l’esprit de la femme, révélant ainsi le caractère unique et marquant de cette expérience (Davis-Floyd, 2003; Rouillier, 2015) :

« J’ai eu un accouchement vraiment beau, magnifique […] Pis après ça, j’étais tellement habitée par ça, et par mon accouchement […], j’avais vraiment le goût de faire quelque chose. »

Participante actuelle 1

« Un accouchement naturel, ça te change une vie, c’est incroyable. En tout cas, ça m’a changé toute ma mentalité […] Ça t’amène à prendre des décisions par toi-même, […], à te faire confiance, pis à t’écouter. C’est ce qui a fait en sorte que [tout], par après est venu […] »

Participante actuelle 11

Les femmes impliquées actuellement et les pionnières témoignent aussi, en plus de décrire qu’il s’agit d’un évènement transformateur, qu’elles souhaitent sensibiliser les femmes à cette possibilité de donner naissance autrement. Elles militent afin que plus de femmes puissent avoir accès à un suivi avec des sages-femmes. Elles souhaitent permettre à toutes les femmes d’avoir accès au personnel et au lieu de naissance de leur choix :

« Vraiment ça a été comme une fleur qui s’ouvre… pour moi c’est ça que ça représente mon accouchement à l’aide d’une sage-femme. Et puis, je me suis dit : «Mon dieu, si toutes les femmes avaient ça dans leur vie, on pourrait changer le monde.» Vraiment. C’est pour ça que je m’implique parce que je veux que toutes les femmes aient accès à ça. »

Participante actuelle 4

« Pour moi, c’était une révélation qui avait modifié la qualité de l’expérience au point de … […] Je me disais, ça a pas de bon sens que le monde sache pas ça, que ça accouche dans les hôpitaux à se faire dire quoi faire, quoi pas faire. […] Nous autres, c’était vraiment pour que les femmes sachent qu’on peut accoucher autrement, puis se réapproprier cette expérience-là. C’était ça le coeur de notre motivation. »

Participante pionnière 4

Pour au moins une participante, il s’agit d’avoir la possibilité de redonner ce qu’elle a reçu. Les femmes ayant eu un suivi avec les sages-femmes souhaitent pouvoir offrir l’accès à un suivi à d’autres femmes. Les participantes expriment par ailleurs un fort désir de participer à la vie collective de la maison de naissance et de faire la promotion des sages-femmes, toujours dans l’esprit de vouloir transmettre et redonner :

« Moi, mon suivi sage-femme a changé ma vie complètement, complètement […] C’est mon suivi sage-femme qui m’a donné tellement confiance en moi, en mes capacités de femme, de mère… et c’est ce petit peu-là que j’ai envie, ben ce gros-là, mais que j’ai envie d’aller en redonner un p’tit peu aux femmes […] Tout ça m’a ouvert une passion pour la périnatalité, parce que […] je me rends compte à quel point c’est riche, pis que tu peux grandir de ces expériences-là. »

Participante actuelle 2

Bien au-delà d’une motivation personnelle, les femmes parlent aussi de motivations qui rejoignent leur collectivité. En participant à la vie communautaire, elles souhaitent être présentes dans un lieu significatif, à la fois individuellement dans le suivi et collectivement dans le sentiment d’appartenance qui s’y crée. Pour certaines femmes, l’implication au sein du comité de parents est motivée par le désir de s’engager sur le plan politique, afin de mobiliser les femmes et d’agir « ailleurs et autrement », comme c’est le cas pour le mouvement féministe et communautaire. Les femmes souhaitent vivre l’expérience de la maternité à l’extérieur des espaces technocratiques et ceux de la médecine.

Plusieurs participantes témoignent d’un réel besoin de poursuivre une expérience engagée au-delà du suivi avec la sage-femme. Que ce soit à cause des liens que les femmes ont développés avec celle-ci ou à cause de leur sentiment d’appartenance au lieu sacré de la maison de naissance, il semble que la rupture abrupte du lien avec les sages-femmes soit difficile. Certaines participantes expriment même le désir que ce lien perdure dans le temps, sans qu’il n’y ait de fin prévue, ce qui les motive à s’impliquer :

« Pis après mon suivi sage-femme, j’en pleurais; j’étais là, voyons, je ne peux pas croire que c’est fini parce que je savais que j’aurais pas d’autres enfants. J’ai dit mon dieu c’est fini, ça ne se peut pas. Fait que là, j’ai entendu parler du comité de parents. […] J’ai fait, ah mon dieu c’est l’occasion rêvée. Fait que je suis embarquée dans le comité de parents. Je voulais pas lâcher la maison de naissance, puis je sentais que y’avait quelque chose, une connexion qui pouvait pas s’éteindre. »

Participante actuelle 6

Il existe aussi un désir, chez les femmes, de rester connectées à une communauté de valeurs et de partager un vécu commun avec d’autres femmes et familles. Ce contact avec d’autres usagères permet aussi de briser l’isolement et de se retrouver avec des personnes ayant un vécu similaire, ou un mode de vie alternatif.

Des structures et des fonctionnements diversifiés

Bien que plusieurs éléments reviennent d’un comité à l’autre et permettent de constater des tendances homogènes, par exemple en ce qui concerne les origines ou la nature des activités, il y a parfois des éléments distinctifs. Il est donc pertinent de présenter le fonctionnement des comités de parents et de proposer une typologie qui permettra de dresser un portrait le plus fidèle possible de ceux-ci.

Nous notons que les origines des comités ne suivent pas une tendance précise qui permette de prédire le type de comité qui prendra forme. Toutefois, il semble que trois sources de mobilisation puissent donner lieu à la mise sur pied d’un comité : une initiative des sages-femmes pour unir des usagères, une mobilisation des femmes (usagères), ou encore une transition du groupe citoyen[9] en comité de parents. Lorsque la mobilisation s’effectue par l’entremise des sages-femmes, celles-ci travaillent de manière à mobiliser des usagères qu’elles croient être intéressées à participer à un tel projet :

« Moi, pendant ma grossesse, j’ai trouvé que ça pourrait être [intéressant] après avoir accouché de se retrouver à la maison de naissance. J’ai demandé à ma sage-femme, et elle m’a mise en contact avec une autre fille qui voulait faire la même chose. Ensemble, on avait créé une petite affiche et on avait créé [la première] rencontre. Bien sûr avec l’accord des sages-femmes. »

Participante actuelle 8

Les participantes ont mentionné avoir des objectifs à court terme et à long terme. Certains groupes ont indiqué vouloir augmenter la visibilité du comité, créer des liens avec les sages-femmes ou avoir une action politique, comme c’est le cas dans la revendication pour la création d’une maison de naissance. Les objectifs généraux sont de faire de ce lieu unique un espace d’échange et de partage entre les femmes et pour leur communauté. Il s’agit de pouvoir contrer l’isolement, celui vécu par les femmes qui se retrouvent seules en congé de maternité avec un bébé. Cet endroit permet aux femmes de se rassembler et de s’exprimer dans un esprit qui correspond aux valeurs de la pratique sage-femme : autonomie, respect des choix, accueil, etc. Selon une des participantes, la mission des comités de parents s’est transformée dans les dernières années, et ce qui apparaît le plus important :

« Maintenant c’est de briser l’isolement [et] de créer des liens entre les parents qui ont des valeurs similaires. »

Participante actuelle 4

Quelques comités poursuivent aussi un objectif de rétroaction des soins et souhaitent donc pouvoir assurer un retour sur le suivi individuel des femmes avec les sages-femmes. Il existe, pour au moins trois comités, un désir d’effectuer ce travail de rétroaction éventuellement. Les participantes mentionnent toutefois que le moment n’est pas jugé opportun compte tenu de la récente création du comité et de la reconnaissance de celui-ci qui reste à construire.

À la lumière des résultats de recherche, il est possible de développer une typologie, présentée dans le tableau 1, en classant les différents comités selon divers éléments comme la structure du groupe, la participation des femmes, la nature des activités et l’autonomie du groupe. Ce tableau présente trois catégories : comités « associatifs », comités « associatifs et politiques » et comités « enregistrés ». La première catégorie correspond à des comités qui ont généralement une participation difficile sur le plan du recrutement pour l’organisation des activités et qui ne font aucune activité de nature politique. Dans cette catégorie, seules les activités à caractère social sont coordonnées, et plusieurs de ces comités remettent en question leur réelle autonomie d’action. La deuxième catégorie rassemble les comités qui, en plus d’organiser des activités sociales, organisent des actions politiques (manifestations, comités de travail sur la pratique sage-femme) ou y participent. Finalement, la troisième catégorie renferme tous les comités qui sont enregistrés selon la loi des entreprises à titre d’organisme sans but lucratif (OSBL). On retrouve des comités qui font des activités politiques et associatives et qui, en plus, ont choisi d’obtenir un statut officiel.

Tableau 1

Typologie des comités

Typologie des comités

-> Voir la liste des tableaux

Les activités sociales des comités sont diversifiées : pique-nique annuel, causeries libres ou thématiques, conférences, ateliers, témoignages, projections, rencontres post-natales, repas communautaire, recueils de récits d’accouchements et activités variées d’autofinancement. Quant aux actions à caractère politique, il est possible de constater que pour les comités existants durant les projets pilotes, cette dimension est présente pour les quatre groupes rencontrés. En effet, il semble que le contexte social des pionnières ait apporté un ancrage politique marqué pour les comités. Le fait que la pratique sage-femme ne soit pas encore légalisée semble avoir insufflé une mobilisation auprès des femmes et des familles durant les projets pilotes. Dans ce contexte, les sages-femmes et les femmes ont eu besoin les unes des autres afin de militer ensemble à la reconnaissance de la pratique. Or, dans le contexte actuel, les acquis de la profession pour les sages-femmes et les femmes semblent ralentir la mobilisation de certains groupes.

Des défis de taille et des stratégies d’action

Plusieurs facteurs contraignant ou facilitant la participation des femmes dans les maisons de naissance sont à mentionner puisque ceux-ci influencent directement l’expérience et l’action des groupes selon les femmes interrogées. Les comités de parents sont donc tributaires d’un grand nombre de facteurs.

La réalité des femmes

La réalité des femmes est un facteur d’influence qui revient constamment chez les participantes rencontrées. Les usagères mentionnent à plusieurs reprises que le manque de temps limite leur action. Que ce soit en raison de l’énergie dont elles disposent ou des différents chapeaux qu’elles portent (la famille, le travail et le bénévolat), elles mentionnent avoir de la difficulté à accomplir tous les projets. Nous notons que, malgré le fait que la participation des femmes au sein du comité puisse être bonne, il n’en demeure pas moins que, par moment, l’engagement des usagères peut être difficile. La durée de l’implication étant variable, pouvant parfois suivre le rythme du congé de maternité des femmes, il arrive donc qu’il y ait un fort roulement au sein du comité, ce qui en fragilise la continuité. À cet effet, une des participantes affirmait :

« Il y a beaucoup de femmes qui s’impliquent quand y sont en congé de maternité parce que y’ont pas le goût d’être toutes seules, y’ont le goût de rencontrer des gens. […] Après la réalité de recommencer à travailler pis tout ça… Ça devient comme plus difficile. »

Participante actuelle 3

Les participantes reconnaissent aussi l’horaire chargé des sages-femmes et le fait qu’il arrive que ces professionnelles puissent manquer de temps. Les usagères souhaitent ne pas mettre de pression supplémentaire sur les sages-femmes qui en accomplissent déjà beaucoup.

L’espace physique et les locaux

Pour la majorité des comités de parents, l’utilisation des lieux par le groupe représente un défi de taille. Pour plusieurs, l’accès à un local afin de tenir des activités est complexifié par la configuration des lieux et le manque de place. Cette situation incite certains comités à tenir leurs activités hors des murs du service de sage-femme, ce qui a un impact sur la présence des sages-femmes aux activités. Toutefois, nous notons que la présence ou non d’une maison de naissance n’influence pas directement l’utilisation de l’espace. Ainsi, pour deux comités de parents situés dans un service de sage-femme, donc sans maison de naissance, la situation est distincte, l’un pouvant utiliser des espaces facilement et l’autre ne pouvant pas le faire. Dans les deux cas, les comités respectifs sont mobilisés pour la construction d’une maison de naissance afin de pouvoir, entre autres, bénéficier d’un espace physique accessible et assez grand. Pourtant, la présence d’une maison de naissance ne permet pas nécessairement un accès facile aux espaces communautaires. Plusieurs comités vivent des difficultés quant à l’usage du local, que ce soit pour la réservation, pour les plages horaires ou encore pour y accéder.

Les liens avec les sages-femmes et l’institution

Les liens entre les différents acteurs gravitant autour de la maison de naissance nous permettent de constater que les comités entretiennent des relations fort différentes avec les instances en présence, que ce soit avec les sages-femmes ou avec le personnel des établissements (CISSS ou CIUSSS) des différentes régions. Ces liens influencent différents aspects entourant l’action des groupes : la qualité des interventions, la reconnaissance du comité et le soutien offert au comité. Les situations sont fort distinctes entre les divers comités. Certaines femmes qualifient leurs relations avec les sages-femmes comme instables ou inexistantes, alors que d’autres sont très enthousiastes quant aux relations qu’elles entretiennent avec celles-ci. Pour les premiers comités issus des projets pilotes, les liens entretenus entre les femmes et les sages-femmes semblent aller de soi, et les participantes s’expriment en disant qu’elles sont accueillies et soutenues à tous points de vue par les sages-femmes.

Pour près de la moitié des comités avec lesquels nous avons eu un entretien, l’implication des sages-femmes est limitée, voire inexistante. Pour l’autre moitié, elle se concrétise par une présence soutenue et des actes concrets d’aide. Le lien qui se crée entre les sages-femmes et le comité influence directement la visibilité dont le comité peut bénéficier. D’une part, plusieurs comités s’interrogent à savoir si les sages-femmes connaissent l’existence du groupe et, d’autre part, quelques groupes ignorent si les sages-femmes font la promotion du comité pendant leurs rencontres individuelles avec les femmes. Une participante s’exprime clairement sur ce sujet en disant :

« […] la dernière fois, on se demandait même si toutes les sages-femmes savaient qu’on existait […] »

Participante actuelle 2

Pourtant, pour les femmes, il apparaît clair que le bouche-à-oreille des sages-femmes est un bon outil de recrutement puisque celles-ci établissent une relation de confiance avec les femmes qu’elles rencontrent. Le lien créé avec les femmes et la présence des sages-femmes dans la maison de naissance est donc un facteur déterminant pour assurer la visibilité du groupe et, par le fait même, la promotion de celui-ci.

Les ressources humaines et financières

Les participantes mentionnent qu’il est difficile, dans bien des cas, de réaliser pleinement leur mission compte tenu du fait que les groupes n’ont pas de financement. À l’exception d’un comité qui a mentionné se faire rembourser ses dépenses par la maison de naissance, les groupes sont laissés à eux-mêmes sur le plan financier. Il s’agit donc d’un défi majeur qui empêche la poursuite de certaines activités ou qui nécessite l’ajout d’un prix d’entrée pour certains ateliers.

Un autre élément important concerne le soutien des comités. Au moins deux participantes mentionnent qu’un facteur facilitant leur travail et permettant une continuité de leurs actions est sans contredit la présence d’une personne qui coordonne et assiste les parents dans leurs projets de manière régulière. Pour ces deux groupes, la personne-ressource partage deux chapeaux : l’un d’ancienne usagère et l’autre de coordonnatrice du groupe. Cette personne reconnaît la participation essentielle des parents. Les comités qui reçoivent l’aide d’une coordonnatrice externe au comité mettent l’accent sur l’importance du rôle et de la place de celle-ci dans la pérennité de leurs actions :

« Je te dirais que la place des femmes est grande et elle est primordiale en fait dans la maison de naissance. Cette place-là, il faut qu’il y ait une personne comme moi pour la garantir. Parce que c’est pas une mauvaise volonté, mais ça prend quelqu’un. [Pour] la vigilance, en fait [pour être] la gardienne de cette place-là. Parce que les sages-femmes ont leur rôle de laisser la place dans leurs suivis cliniques, mais il y a plus que ça. »

Participante actuelle 13

Bien que certains comités puissent compter sur l’appui ponctuel des sages-femmes ou de la responsable des services de sage-femme, ceux qui reçoivent une aide continue et encadrée de la part d’une travailleuse de la maison de naissance soulignent l’importance de cette présence. Pour plus de la moitié des groupes interrogés, l’ajout d’une ressource humaine permettrait d’assurer la continuité de leur groupe d’appartenance.

Quelle est la participation des femmes dans la maison?

Dans la philosophie sage-femme, ainsi que dans le Cadre de référence pour le déploiement des services de sage-femme, la participation des femmes dans la maison de naissance renvoie à l’idée que celles-ci prennent part aux différentes facettes de la vie communautaire de la maison de naissance. En fait, comme la philosophie sage-femme le décrit, le suivi sage-femme permet aux femmes de reprendre du pouvoir sur leur grossesse et leur accouchement en étant au coeur des décisions, la sage-femme agissant comme facilitatrice (RSFQ, 2015). Cette quête d’autonomie et cette quête d’action collective dans la maison de naissance sont aussi deux éléments importants de questionnement de cette recherche. Ainsi, il est pertinent de s’interroger sur la participation des usagères à la vie communautaire de la maison de naissance, à leur place, ainsi qu’à la reconnaissance de leurs actions et de leurs rôles dans les décisions. Les différentes expériences des participantes nous laissent croire que la prise en compte des femmes et de leur famille varie d’un lieu à l’autre. Celle-ci est d’ailleurs influencée par plusieurs défis qui ont été nommés précédemment :

« C’est extrêmement démotivant. Chaque fois qu’on arrive là, on est des souris, pis on espère qu’[elle ne] nous verra pas [descendre]. […] On a toujours l’impression de déranger, on n’a aucune aide de cette personne-là. Pour ce qui est de la responsable sage-femme, c’est embêtant, parce que, comme je disais tout à l’heure, entre ce qui est dit, pis entre ce qui est fait, c’est deux choses. Elle veut […] qu’on continue, […] qu’on soit vivant, mais on reçoit pas d’aide. »

Participante actuelle 2

Il est aussi possible de comprendre que le pouvoir de décision et d’action détenu varie beaucoup d’un comité à l’autre et dépend de la qualité ou même de l’existence des liens avec les sages-femmes de la maison de naissance. Cette différence s’exprime autant dans la définition de leur mission et de leur structure que dans les prises de décisions concernant la maison de naissance. Pour certains comités, il semble y avoir des instances qui soient mises en place afin de protéger la place des femmes et de favoriser leur participation aux décisions. Une participante s’exprime d’ailleurs à ce sujet :

« C’est vraiment avec le conseil sage-femme […] le double lien qui a été créé. C’est comme nouveau ça, cette place-là qui a été créée dans l’organigramme […] »

Participante actuelle 3

Pour un des comités, il s’agit aussi d’acquérir une place privilégiée dans la maison de naissance, permettant ainsi une reconnaissance de leur vécu de femmes et des savoirs des participantes concernant les enjeux discutés :

« Je pense qu’il y a des compromis que le comité de parents est capable de négocier entre l’institution et les travailleuses pour faire en sorte qu’on adoucit tout ça un peu […]. Parce que jusqu’à présent, il y avait beaucoup d’opposition pis de tensions. […] Je pense que oui, définitivement, y’a une forme de pouvoir qui est très tangible, qu’on est allé chercher là. »

Participante actuelle 14

Pour plusieurs participantes, la notion de pouvoir a aussi suscité beaucoup d’hésitation. Ces interrogations ou ces réflexions semblent correspondre à celles d’autres femmes militantes dans le mouvement des femmes, comme le démontrent les recherches d’Évelyne Tardy (1995). Il ne semble donc pas anodin que la notion de pouvoir soit remise en question. Les femmes rencontrées ont émis des réserves quant à l’utilisation du terme « pouvoir », souhaitant plutôt utiliser un terme comme « place » ou « liberté ». Pour faciliter la compréhension des participantes de cet enjeu, nous avons aussi utilisé ultérieurement le terme « pouvoir d’action » afin de le rendre plus concret. Pour un des groupes, la notion de pouvoir est associée à un partage de pouvoirs, comme au sein d’une famille, et ce comité qualifie les sages-femmes comme des usagères au même titre que les femmes, au sens où les deux groupes utilisent l’espace de la maison de naissance :

« Ben oui et non jusque dans une certaine mesure parce que eux ils sont […] usagères d’une certaine façon. On est une famille. Dans le fond, nous on est comme les enfants, y’a des parents aussi, pis y’a des oncles, pis des tantes. Une grande famille… Tout le monde qui veut être, tout le monde qui a le goût d’écouter, pis de s’impliquer a son pouvoir de dire […] »

Participante actuelle 10

Les participantes associent aussi le pouvoir dont elles disposent et leur participation réelle à la manière dont les actions des comités sont reconnues par l’équipe de sages-femmes, par la responsable des services de sage-femme ou par la coordonnatrice de la maison de naissance :

« De manière générale, on a beaucoup de reconnaissance. […] Je crois qu’ils apprécient notre présence quand on est là. Pis y apprécient ce qu’on fait aussi parce que ça garde un peu la maison plus vivante. Ben, on arrive, pis on est vingt familles [rires], c’est moins vide un peu. »

Participante actuelle 12

Même si cette reconnaissance n’est jamais acquise, au moins trois comités ont mentionné qu’il s’agissait d’un défi que d’être reconnu. En fait, ils ont exprimé le désir de prendre leur place, processus demandant du temps, et d’établir d’une relation entre les usagères et les sages-femmes. La place reconnue aux groupes influence aussi directement les prises de décisions des femmes au sein de la maison de naissance. Ainsi, les femmes nomment différentes situations où les comités peuvent profiter d’une autonomie d’action et de décision. Pour au moins un comité, cette autonomie est limitée par les contraintes imposées directement par la maison de naissance. Pour certains groupes, il est ressenti que les contraintes ne proviennent pas nécessairement des sages-femmes, mais plutôt de l’établissement auquel ils sont rattachés :

« Je pense que oui là. Mais, en même temps, c’est sûr que la maison de naissance faisant partie d’un centre intégré de soins de santé […], je pense que y’a une certaine obligation envers ça. Tsé y sont quand même dans une structure qui [est plus grande]. Même si je pense qu’elles ont quand même une bonne autonomie. […] Je pense qu’il y a quand même une grande ouverture. Je pense que justement les femmes, on a le pouvoir de nommer pis peut-être que les choses changent et s’améliorent. »

Participante actuelle 3

En mettant en relation les définitions de la participation proposées par les auteurs et le vécu des participantes au sein des comités de parents, nous constatons que la participation des femmes s’inscrit à mi-chemin entre une participation sociale et une participation publique. En effet, la maison de naissance est financée par les fonds publics, ce qui la rend, théoriquement, liée au concept de participation publique plus formel et institutionnalisé. Toutefois, en relation avec la pratique professionnelle des sages-femmes, qui est autonome, ainsi qu’avec l’historique des comités de parents et du mouvement pour l’humanisation de la naissance, il est aussi possible de discuter de cette participation en des termes plus « sociaux » et ouverts, la mobilisation ayant été amorcée par et pour les femmes conjointement avec les sages-femmes et d’autres alliées. Cette opposition nous amène à circonscrire la participation des femmes au sein des maisons de naissance en lien avec la participation démocratique, au même sens qu’entendu au sein des organismes communautaires autonomes.

Plusieurs éléments nous amènent donc à concevoir avec une certaine ambiguïté la participation des femmes aux orientations des maisons de naissance. D’un côté, les femmes sont, pour la plupart, heureuses de leur suivi et donc satisfaites de l’organisation clinique. D’un autre côté, il semble que les rapports entre les femmes, les sages-femmes et l’établissement puissent être empreints de contrôle. Nous constatons qu’il y a, depuis plusieurs années au sein des maisons de naissance, une diminution des convergences entre les intérêts des femmes et ceux des sages-femmes, à l’instar de ce que Godbout a lui aussi démontré concernant les tensions existantes au sein des syndicats entre les intérêts des personnes salariées et ceux de leurs membres (Godbout, 1983). Ainsi, les intérêts des sages-femmes, reconnues comme salariées, ne coïncident pas nécessairement avec les intérêts des femmes. Les sages-femmes qui luttent pour leurs conditions de travail peuvent le faire en s’érigeant contre le militantisme des femmes. Celles-ci, en demeurant des militantes de « l’ailleurs et autrement », souhaitent que soit reconnue comme légitime leur participation en dehors des structures technocratiques et médicales qui leur semblent oppressantes. Les femmes souhaitent faire perdurer le mouvement social et les pratiques alternatives de la maternité présentes depuis la création des maisons de naissance en étant partie prenante de ce mouvement et des décisions les concernant.

Conclusion

En s’inspirant des valeurs qui ont nourri la création des maisons de naissance et celles de la pratique sage-femme, cet article tente de démontrer le sens que prend ce lieu pour les femmes et leurs familles. Il est clair, à partir des témoignages des participantes, qu’elles s’impliquent dans les comités d’usagères sur la base d’une expérience commune, d’une volonté d’appartenir à un lieu ou à un groupe. À travers cette action collective, elles décident d’agir, souvent à la suite de la naissance d’un enfant. Les actions, variant d’une maison de naissance à une autre, s’organisent autour de la vie associative de la maison, des revendications politiques ou de la sensibilisation, des préoccupations concernant la pratique sage-femme et son développement. La recherche en cours nous permet de constater que l’évolution des maisons de naissance a marqué une rupture entre les expériences des pionnières et celles des participantes actuelles. À cet effet, nous remarquons que le contexte du mouvement pour l’humanisation de la naissance et celui autour de la pratique sage-femme ont évolué, engendrant des modifications dans les rapports entre les femmes, les sages-femmes et les établissements. Ainsi, deux constats semblent manifestes pour les comités actuels : le manque de soutien au sein de la maison de naissance et la perte de la reconnaissance qui lui était jadis accordée. À cet égard, nous pensons que les actions militantes et participatives des femmes pourraient bénéficier d’une reconnaissance dans leur travail et dans la vie communautaire. Le travail social pouvant accompagner des groupes dans l’exercice de la citoyenneté ou de la participation aux structures et processus démocratiques, il est possible d’imaginer que cette discipline puisse répondre aux besoins de ces femmes en soutenant leur action collective (Bouquet, Draperi et Jaeger, 2009).