Comptes rendus

Francis Dupuis-Déri, La crise de la masculinité : autopsie d’un mythe tenace, Montréal, Les éditions du remue-ménage, coll. « Observatoire de l’antiféminisme », 2018, 320 p.[Notice]

  • Anne-Marie Pilote et
  • Raphaëlle Décloître

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  • Anne-Marie Pilote
    Université du Québec à Montréal

  • Raphaëlle Décloître
    Université McGill/Université Grenoble Alpes

Les hommes seraient en « crise », en perte de repères, parce que les luttes féministes ont permis aux femmes de prendre une place plus grande dans les sociétés contemporaines. Dans La crise de la masculinité : autopsie d’un mythe tenace, Francis Dupuis-Déri présente le fruit de 15 années de recherches passées à déconstruire le discours de la « crise de la masculinité » – car c’est d’un discours de crise qu’il est question et non d’une crise réelle, souligne d’emblée le professeur de science politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et chercheur affilié à l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF). Dans un ouvrage nécessaire et très bien documenté, Dupuis-Déri, allié précieux et de longue date des féministes, analyse les effets pervers de la rhétorique de la crise de la masculinité qui tend à poser les hommes en victimes, à justifier les violences masculines contre les femmes et à faire reculer le processus d’émancipation des femmes au nom des « droits des hommes ». L’objectif est toujours le maintien de la suprématie masculine, le discours de la crise de la masculinité relevant en effet d’une logique suprémaciste (p. 44-45). L’une des grandes forces de l’ouvrage se situe sans doute dans la mise au point historique qui occupe le premier tiers de l’ouvrage. S’il apparaît ambitieux de produire une étude exhaustive – en ce sens où les paragraphes sur l’Antiquité et le Moyen Âge ne paraissent pas nécessaires, révélant par leur traitement rapide cette exhaustivité impossible –, les cas de figure présentés par Dupuis-Déri suffisent à montrer que l’expression d’une prétendue crise de la masculinité n’est absolument pas un fait nouveau, et n’est donc pas le contrecoup des progrès féministes des dernières décennies : dès lors que les femmes refusaient de se comporter selon les normes de genre en cours à leur époque, un discours de crise émergeait. Attachés à une différenciation des sexes et à la hiérarchie (en faveur des hommes) qu’elle suppose, « [les] hommes font des crises quand des femmes refusent le rôle de sexe qui leur est assigné, quand elles transgressent les normes de sexe, quand elles résistent et contestent. Les hommes font des crises, car ils ne supportent pas d’être contredits et contestés » (p. 312). Pour l’auteur, les discours sur la crise des hommes relèvent donc d’une attitude résolument antiféministe, en ce qu’ils cherchent à discréditer les contestations soulevées par les femmes et nécessaires à la marche vers l’égalité (p. 123). Ce premier segment historique lève par conséquent le voile sur le point commun de ces crises supposées, peu importe le lieu et le siècle où celles-ci sont exprimées : à partir du moment où la domination masculine se sent menacée (p. 43), un discours de crise des hommes émerge en réaction à une impression de perte de privilèges. Ce sentiment de perte de privilèges permet de comprendre l’essor du « mouvement des hommes » à partir des années 60, qui se caractérise par la création d’espaces masculins pour parler et réfléchir sur la condition d’homme. Dupuis-Déri constate rapidement que la non-mixité n’a pas la même valeur pour les groupes d’hommes que pour les groupes de femmes : « malgré les bonnes intentions du début des hommes proféministes, l’initiative de se regrouper entre hommes a ouvert la voie au développement de l’idéologie masculiniste […]. Des dominants qui se regroupent […] ont tendance à partager leurs inquiétudes face aux subalternes et à leurs revendications pour plus de liberté et l’égalité » (p. 131). De façon pernicieuse, les groupes d’hommes sont alors devenus des lieux où des principes chers aux féministes – comme …

Parties annexes