Marie Houde et Ghislain Otis
p. 7–46
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Résumé
Cet article porte sur la rationalité judiciaire dans l’appréciation de la preuve, et plus précisément sur la manière par laquelle s’opère la réflexion judiciaire dans l’évaluation de la valeur probante de la preuve sous la forme de récits oraux dans le contentieux relatif aux droits des peuples autochtones. À la lecture de la jurisprudence pertinente, on note qu’une fois admis en preuve, les récits oraux sont tantôt surévalués, tantôt sous-évalués, voire même ignorés, lors de la détermination des faits par le juge. Ces courants jurisprudentiels nous amènent à conclure que la rationalité judiciaire dans l’appréciation de la preuve sous la forme de récits oraux se déploie selon trois logiques : (1) la logique systématique, (2) la logique réconciliatrice et (3) la logique empathique. La découverte de ce triptyque de la rationalité judiciaire dans l’appréciation de la preuve sous la forme de récits oraux nous permet d’apporter un nouvel éclairage sur la complexité de l’acte de juger dans le cadre de litiges mettant en jeu un droit visé par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Cette analyse jette la lumière sur le fait que la démarche d’appréciation de la preuve dans le contentieux relatif aux droits des peuples autochtones est encore largement expérimentale et vient valider empiriquement l’assertion de la Cour suprême du Canada selon laquelle la résolution des revendications autochtones entraîne le droit, et donc le juge, dans les univers mal balisés de l’histoire, des légendes, de la politique et des obligations morales.
Benoît Frate, Monique Ménard-Kilrane et Lucie Lamarche
p. 47–92
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Résumé
Cet article analyse près de 200 Observations finales adoptées par le Comité du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies (PIDESC) pour la période allant de la 8e à la 40e session de ses travaux. Il vise à établir la contribution de l’Organisation internationale du travail (OIT) à ces Observations finales. Seule la partie de ces Observations concernant les droits fondamentaux du travail garantis par les articles 6 à 10 du PIDESC a été considérée. L’analyse conclut que les contributions spécialisées de VOIT aux travaux du PIDESC sont déterminantes et constituent un exemple de meilleures pratiques en matière de collaboration interinstitutionnelle. L’impact de ces contributions démontre notamment la prise en compte évolutive du sort des travailleurs de la marge par le Comité du PIDESC et par les instances de contrôle du suivi des conventions de l’OIT. L’étude illustre aussi le fait que de telles convergences ne portent pas atteinte à la mission respective des institutions qui, au contraire, dégagent leur marge de maoeuvre propre devant des situations systémiques d’abus des droits des travailleurs. Les conclusions de cette étude confirment la nécessité de préserver l’intégralité des différents mécanismes de contrôle international des droits des travailleurs.
Louis-Philippe Lampron et Eugénie Brouillet
p. 93–141
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Résumé
La Déclaration de Vienne, adoptée le 25 juin 1993 par la Conférence mondiale sur les droits de l’Homme, consacre juridiquement le principe d’indivisibilité des droits et libertés fondamentaux et son corollaire, l’absence de hiérarchie juridique entre ces mêmes droits et libertés. Cette consécration déclaratoire internationale a par ailleurs trouvé une résonance directe en droit canadien, à l’intérieur duquel la Cour suprême a très clairement intégré ce principe dans l’arrêt Dagenais, rendu un peu moins d’un an plus tard. Or, pour toute cohérente qu’elle puisse être sur un plan idéologique ou philosophique, l’élimination (ou l’interdiction) de toute hiérarchie juridique entre droits fondamentaux semble très peu susceptible d’être mise en œuvre concrètement. En effet, la nature toute particulière des objets de protection consacrés par les textes juridiques sur les droits fondamentaux, inextricablement liée à une certaine conception morale de la société, nous semble impliquer l'établissement, au fil du temps, d’une certaine hiérarchisation juridique entre droits et libertés fondamentaux au sein des nombreux régimes juridiques composant la société internationale actuelle. Sans aller jusqu’à affirmer que le principe de non-hiérarchie juridique entre droits fondamentaux doit être complètement mis à l’écart, les auteurs démontrent (1) que le très large libellé consacré, notamment, dans la Déclaration de Vienne de 1993 doit être nuancé, le concept de hiérarchie juridique entre droits fondamentaux devant bénéficier d’une définition non pas unidimensionnelle, mais plutôt bidimensionnelle (hiérarchies formelle et matérielle); et identifient (2) les principales caractéristiques permettant d’établir l’existence de hiérarchies matérielles entre droits fondamentaux au sein d’un régime juridique donné.
Christine Morin
p. 143–178
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Résumé
Le concept de la « capacité de tester » est fondamental en droit québécois puisqu’il conditionne la liberté de tester. Si le concept n’est pas nouveau, sa présentation dans le Code civil a changé et son interprétation jurisprudentielle a évolué. L’auteure présente les résultats d’une analyse doctrinale et jurisprudentielle approfondie de la « capacité de tester », qui met en évidence la difficulté d’établir un « profil type » de la personne capable ou incapable de consentir. Devant pareille difficulté, la nature des dispositions testamentaires et les circonstances qui entourent la confection du testament permettent aux tribunaux de faire une meilleure appréciation de la capacité à consentir du testateur. En effet, si la remise en cause de « la volonté » du testateur ne doit pas être un prétexte à l’appréciation de « ses volontés », la prise en compte de certains éléments extrinsèques permet aux tribunaux de vérifier si le contenu du testament est « logique », eu égard aux croyances, aux valeurs et aux autres caractéristiques personnelles du testateur. Les décisions rendues ont ainsi l’avantage d’être plus acceptables, dans la mesure où elles sont cohérentes avec ce qui distingue ou ce qui caractérise le testateur. L’auteure conclut en proposant des moyens simples pour faciliter la preuve devant les tribunaux de l’aptitude à consentir du testateur.
Mark C. Power et Justine Mageau
p. 179–235
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Résumé
Cet article analyse les propos tenus par les parlementaires et par d’autres intervenants, dont le Commissaire aux langues officielles du Canada, lors de l’étude du projet de loi C-72. Cet article conclut qu’en 1988, de façon claire, une importante majorité de parlementaires considérait que permettre au Commissaire d’ester en justice améliorerait nettement le régime linguistique fédéral. Il était jugé souhaitable que le Commissaire joue un rôle de premier plan devant les tribunaux, notamment en tant que partie demanderesse — ce point de vue se fondait surtout sur son expertise et sur le budget dont il disposait. Cela dit, le ministre de la Justice de l’époque précisait que le Commissaire ne devrait prendre de telles mesures qu’en cas de nécessité. Cette opinion était bien différente de celle des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Ces dernières revendiquaient la mise sur pied d’un tribunal administratif dont la seule vocation serait de veiller au statut du français et de l’anglais, de l’usage de ces langues, ainsi que des droits s’y rapportant, et qui pourrait, au besoin, sanctionner des institutions fédérales. Le Commissaire en poste en 1988 reconnaissait l’utilité de créer un recours judiciaire pour pallier les manquements aux droits linguistiques garantis par la loi, mais il semblait réticent face à l’idée de jouer un rôle actif devant les tribunaux. Cet article conclut qu’il appert que les Commissaires en poste depuis 1988 semblent réticents à exercer toute la panoplie des pouvoirs d’agir en justice qui leur ont été attribués à cette date.