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Le droit international classique, droit à vocation libérale[1], est longtemps resté de marbre à l’égard de la force armée, ceci en ce qu’il ne posa « aucune restriction à l’emploi de la force ou pour mettre en oeuvre de manière coercitive le droit ou encore pour protéger des intérêts politiques, économiques ou militaires »[2]. Ainsi, la guerre et les mesures de représailles armées étaient, avant 1919, deux instruments de politique étrangère parfaitement admise. Bien que la première décennie du XXe siècle a vu se dessiner les premières hypothèses, certes modestes, de limitation du recours à la force[3] qui ont été respectivement renforcées par le Traité de Versailles[4] et le Pacte Briand-Kellogg[5], c’est cependant avec la création de l’Organisation des Nations unies (ONU) que le Rubicon d’une réglementation du recours à la force dans les relations internationales a été véritablement franchi[6]. Cela fut possible notamment par l’entremise de l’article 2 § 4 de la Charte des Nations unies[7] qui a donné naissance à l’un des principes fondamentaux du droit international contemporain[8]. Mieux, le droit international s’est aussi employé à réglementer, au-delà de l’interdiction en elle-même, les moyens de conduite de la guerre en interdisant, à l’image des armes biologiques et chimiques[9], l’usage d’armes jugées particulièrement destructrices.

Si la prohibition du recours à la force dans les relations internationales constitue, sans doute, un « progrès intellectuel considérable »[10] du droit international, il s’en faut néanmoins de beaucoup pour conclure que cette interdiction ait été posée de manière absolue[11]. Aussi fondamentale soit-elle, l’abstention du recours à la force dans les relations internationales n’a pas une portée générale et absolue[12], pas plus que la prohibition de l’usage de certaines armes bien souvent mise à mal lors des conflits armés. Les bombardements effectués en Syrie par la France, les États-Unis et la Grande-Bretagne dans la nuit du 13 au 14 avril 2018, en réaction à des allégations d’usage d’armes chimiques, illustrent éloquemment ces situations qui témoignent du net écart qui peut exister entre le verbe et les conduites[13].

En considération, dans le droit fil des propos tenus en 2012 par le président Obama[14], de ce que « l’usage des armes chimiques est inacceptable et constitue une sorte de ligne rouge à ne pas dépasser »[15], les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne ont, dans le cadre d’une coalition internationale, entrepris des opérations militaires visant à détruire « l’arsenal chimique clandestin du régime syrien »[16], et ce, suite à de nouvelles allégations d’utilisation d’armes chimiques à Douma, dans la Ghouta orientale syrienne.

Cette intervention qui, au regard de son objet, avait vocation à prévenir toute nouvelle violation du droit international, en particulier des normes interdisant l’usage d’armes chimiques et bactériologiques[17], ne fut pas moins controversée en raison notamment de son caractère unilatéral. Assez palpable au sein du Conseil de sécurité de l’ONU[18], cette controverse ne manque pas de susciter la curiosité de l’internationaliste au regard notamment de la légalité de l’intervention. Sur quel fondement juridique repose l’opération militaire menée par les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne dans la nuit du 13 au 14 avril en Syrie ? Telle est la question majeure que l’on se pose lorsqu’on se penche sur les bombardements effectués par la coalition internationale.

Pour justifier cette opération, les autorités françaises n’ont pas manqué d’indiquer que celle-ci était à la fois légale et légitime, du moins si l’on s’en tient à la substance des déclarations faites à ce sujet. Si l’interview accordée par le président de la République française quelques jours après l’opération évoquait davantage la légitimité des frappes[19], le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a semblé justifier quant à lui les frappes aussi bien par des principes moraux que par le droit. Il indiqua en effet, au lendemain de l’intervention, que consécutivement à l’engagement pris en 2013 par le régime syrien de démanteler intégralement son arsenal chimique,

le Conseil de sécurité avait pris acte de cet engagement et décidé par sa Résolution 2118 que la Syrie devait s’y tenir, sous peine d’encourir des mesures relevant du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. [Puis, ajoute-t-il,] le chapitre VII a un sens clair : c’est le recours à des mesures militaires pour contraindre ceux qui menacent la paix et la sécurité internationale[20].

On pourrait valablement penser, sur la base des propos du ministre des affaires étrangères français, que les frappes menées en Syrie s’inscrivent dans le cadre de mesures coercitives décidées en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies.

En réalité et contrairement aux positions des autorités françaises et de leurs alliés[21], en particulier du ministre de l’Europe et des affaires étrangères français, la légalité autant que la légitimité des frappes de la coalition ne manquent pas de questionner. Par-delà les justifications officielles, une analyse poussée permet de noter que les frappes entreprises sur le territoire syrien suscitent des interrogations aussi bien légalement que moralement. C’est à ces questions que se propose de répondre la présente analyse qui entend démontrer que si, d’une part, le fondement légal de l’intervention militaire de la coalition internationale en Syrie reste introuvable (I), sa légitimité, de l’autre, n’en est pas moins discutable (II).

I. L’Intervention Militaire de la Coalition Internationale en Syrie : Une Légalité Introuvable

Sur la base d’allégations faisant état d’usage d’armes chimiques contre les populations civiles dans l’enclave de la Ghouta orientale syrienne, les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne ont mené des opérations militaires qui auraient pour objet de détruire l’arsenal chimique clandestin du régime syrien. En menant ces opérations armées sur le territoire syrien, les États de la coalition internationale ont fait un usage de la force qui, sauf quelques exceptions entérinées par le droit international[22], reste formellement prohibé[23].

C’est tout naturellement à la lumière des quatre exceptions, du moins des trois hypothèses les plus usuelles[24] que sont le recours à la force sur autorisation du Conseil de sécurité, la légitime défense et l’usage de la force consécutif au consentement d’un État, qu’il convient en principe d’apprécier la légalité de l’intervention armée sur le territoire syrien. Toutefois, il est évident d’écarter, d’emblée, les deux dernières hypothèses intéressantes, l’une, l’intervention armée consentie par l’état territorial et, l’autre, relative à la légitime défense. Deux raisons en particulier expliquent cette démarche : la première est que l’absence de consentement du gouvernement syrien ne souffre d’aucune ambigüité dans la mesure où l’intervention, qui visait des cibles gouvernementales, a été dénoncée comme une agression américaine par le régime syrien[25]; la seconde tient, quant à elle, au fait que l’intervention ne s’est pas faite contre le régime syrien en réaction à une agression armée de ce dernier contre l’un des États de la coalition internationale[26]. Dans ces conditions, il est superfétatoire d’envisager l’idée que ces frappes aient été faites dans le cadre d’une légitime défense dans la mesure où aucun des États n’a justifié l’intervention comme consécutive à une agression armée imputable à la Syrie[27]. Au regard de ce qui précède, c’est essentiellement et de notre point de vue, à l’aune de la possibilité du recours à la force sur autorisation du Conseil de sécurité qu’il faille apprécier le ressort légal des opérations militaires conduites par la France, les États-Unis et la Grande-Bretagne sur le territoire syrien.

Dans sa déclaration du 14 avril 2018 consécutive aux opérations armées menées sur le territoire syrien, le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères, s’appuyant sur l’engagement du gouvernement syrien de démanteler son arsenal chimique en intégralité, évoqua la Résolution 2118 au soutien des frappes qui ont visé la Syrie. Dans cette déclaration, le ministre semble laisser entendre que les bombardements effectués en Syrie, consécutifs à une violation de la Résolution 2118 du 27 septembre 2013 du Conseil de sécurité, auraient pour fondement le chapitre VII de la Charte.

La légalité de l’intervention en Syrie reposerait, dans ce sens, sur la Résolution 2118 ou sur les résolutions postérieurement adoptées par le Conseil de sécurité, par lesquelles ses membres ont dû constater des manquements aux dispositions de la Résolution 2118. C’est en conséquence à l’aube de la Résolution 2118 (A) puis des résolutions postérieures (B) à celle-ci qu’il convient de rechercher le fondement légal des opérations militaires conduites par la coalition internationale en Syrie.

A. Une opération impossible à fonder sur la Résolution 2118

La volonté de restreindre le recours à la force et de centraliser autant que possible la responsabilité du maintien de la paix et de la sécurité internationales s’est corrélativement accompagnée d’un système dit de « sécurité collective »[28] dont le Conseil de sécurité de l’ONU est la clef de voute[29]. Prévu par l’article 39 de la Charte des Nations unies, le mécanisme de sécurité collective est une sorte « de contrat social international »[30] par lequel « la sécurité de chacun [est] articulée avec la sécurité de tous dans un ensemble organisé »[31]. S’étant efforcée de prohiber la force, il était tout aussi indispensable que, par un mécanisme commun, la paix et la sécurité de tous soient garanties. L’article 24 § 1 consacre donc une délégation de compétences de l’ensemble des membres des Nations unies à l’organe restreint auquel revient désormais la responsabilité première du maintien de la paix et de la sécurité internationales[32]. En vertu des pouvoirs à lui conférer et sur le fondement de l’article 42, le Conseil de sécurité peut autoriser le recours à la force lorsque les circonstances et nécessités du maintien de la paix en font une exigence[33].

Si ce pouvoir du Conseil de sécurité ne souffre d’aucune ambigüité, encore faut-il que ce dernier en fasse une utilisation expresse pour autoriser un recours à la force. Un tel usage a-t-il été fait via la Résolution 2118 et qui, en l’espèce, pourrait fonder les bombardements effectués par la coalition internationale en Syrie ? Bien qu’évoquant le chapitre VII de la Charte, la Résolution 2118 n’a cependant pas, dans sa lettre autant que dans son esprit, autorisé un recours exprès à la force, et cela pour deux raisons essentiellement. Adoptée à la 7038e séance du Conseil de sécurité, la Résolution 2118 est intervenue dans un contexte particulier qu’il n’est pas superflu, avant l’exposé des raisons susmentionnées, de rappeler brièvement, et ce, pour une saine appréciation aussi bien des circonstances qui ont prévalu lors de son adoption que pour une bonne compréhension de ses dispositions.

Le 21 août 2013, des allégations firent état de ce que des armes chimiques auraient été utilisées en République arabe syrienne, notamment dans la Ghouta, Faubourg de Damas. En application des pouvoirs qui lui ont été reconnus par l’Assemblée générale[34] et le Conseil de sécurité[35], l’ancien Secrétaire général Ban Ki Moon avait décidé, en coopération avec l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS), d’actionner la Mission d’enquête des Nations unies relative aux allégations d’emploi d’armes chimiques. La Mission, déjà présente en Syrie dans le cadre des enquêtes sur les précédentes allégations d’usage d’armes chimiques à Khan al-Assal notamment, rendit le 16 septembre 2013 un rapport sur l’utilisation présumée d’armes chimiques dans la Ghouta[36].

Consécutivement à ce rapport, le Conseil de sécurité, après avoir condamné avec « la plus grande fermeté l’emploi d’armes chimiques en République arabe syrienne »[37], décida d’imposer à la Syrie un certain nombre de mesures tenant principalement en l’interdiction d’emploi, de mise au point, de fabrication, d’acquisition d’aucune manière, de stockage et de détention d’armes chimiques[38].

Pour assurer l’effectivité des décisions susmentionnées, le Conseil décida « qu’en cas de non-respect de la “Résolution 1128”, y compris de transfert non autorisé ou d’emploi d’armes chimiques par quiconque en République arabe syrienne, il imposera des mesures en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies »[39]. Peut-on interpréter cette résolution comme autorisant un recours à la force ?

Comme indiqué précédemment, l’on ne peut répondre par l’affirmative à cette interrogation, loin s’en faut ! S’il est exact que le Conseil de sécurité a fait mention de son intention d’imposer, en cas de non-respect des décisions de la Résolution 2118, des mesures relevant du chapitre VII, il s’en faut cependant de beaucoup pour avancer qu’il ait explicitement autorisé un recours à la force. Conclure que cette disposition particulière de la Résolution 2118 équivaut à une autorisation à recourir à la force est particulièrement excessif, et cela, pour deux raisons en particulier.

D’une part, il faut observer que le Conseil de sécurité opère un simple renvoi au chapitre VII. Il n’autorise pas expressément, contrairement aux déclarations du ministre français des Affaires étrangères, le recours à des mesures militaires. Le chapitre VII de la Charte ne couvre pas uniquement les mesures coercitives telles que prévues par l’article 42, il permet tout aussi au Conseil de sécurité de « décider quelles mesures n’impliquant pas l’emploi de la force armée doivent être prises pour donner effet à ses décisions »[40]. Eu égard au renvoi général que fait le Conseil de sécurité au chapitre VII, la thèse selon laquelle la Résolution 2118 aurait autorisé, même implicitement, des mesures militaires en cas de non-respect des décisions du Conseil est difficile à tenir[41]. Tant dans son préambule que dans ses dispositions, la Résolution 2118 ne fait pas expressément, encore moins implicitement, mention d’une quelconque autorisation à utiliser la force tant pour les violations constatées dans la Ghouta que pour celles qui pourraient, éventuellement et postérieurement, être commises en Syrie.

Bien qu’elle fût adoptée consécutivement au Rapport précédemment évoqué de la Mission d’enquête, qui fit clairement état de l’utilisation d’armes chimiques à relativement grande échelle contre des civils, y compris des enfants en Syrie[42], la Résolution 2118 n’a ni autorisé un recours à la force pour les violations constatées du droit international, ni indiqué expressément un tel recours en cas d’usages ultérieurs d’armes chimiques en Syrie. Après avoir condamné l’utilisation d’armes chimiques lors des combats qui avaient lieu dans la Ghouta, le Conseil de sécurité avait plutôt opté, comme il appert de l’économie générale de la Résolution 2118, pour l’imposition de mesures non militaires visant à endiguer le développement et l’utilisation des armes de ce type.

D’autre part, même en s’affranchissant des exigences herméneutiques qui voudraient qu’on envisage, eu égard au renvoi général que fait la Résolution 2118 au chapitre VII, les différents types de mesures prévues par ledit chapitre, les frappes armées ne manquent pas moins de base légale. L’autorisation à recourir à la force étant une compétence exclusive du Conseil de sécurité[43], elle ne se présume pas[44]. Il va dès lors de soi que seule une décision émanant de cet organe peut ouvrir la voie à l’utilisation effective de mesures impliquant la force armée. En l’absence d’une agression armée imputable au régime syrien, « le recours à la force n’est légal qu’à la seule condition que le Conseil de sécurité l’ait au préalable autorisé »[45]. En décidant qu’il imposera des mesures en vertu du chapitre VII de la Charte, et ce, en cas de non-respect de la Résolution 2118, le Conseil de sécurité n’a fait que manifester une simple intention et non une autorisation expresse à recourir à la force.

Cette intention est d’autant moins précise qu’elle vise un large éventail de mesures pouvant être décidées sur le fondement du chapitre VII, et non pas exclusivement celles impliquant la force armée. Aussi bien dans son esprit que dans sa lettre, la Résolution 2118 ne permet donc pas de justifier légalement un recours à la force. Pour passer de l’intention à l’autorisation, il aurait fallu que le Conseil de sécurité, via une autre résolution, précise sa volonté de recourir au chapitre VII en donnant son feu vert à un usage de la force. Cela est d’autant plus nécessaire que ce dernier ne s’est aucunement dessaisi du cas syrien puisqu’il a décidé dans la Résolution 2118 « de demeurer activement saisi de la question »[46]. Cette formule de style, pour citer le professeur Yves Nouvel, « montre assez que le Conseil exerçait sa fonction principale et était en mesure de répondre à l’urgence de la situation »[47]. En conséquence, seule une décision expresse indiquant le recours à la force parmi la batterie de mesures possibles doit indispensablement fonder toute utilisation de la force en raison d’une violation de la Résolution 2118. D’où la nécessité d’étudier de près les résolutions ultérieures à la Résolution 2118 à l’effet de déterminer si le Conseil de sécurité a effectivement concrétisé l’hypothèse émise au paragraphe 21 de la Résolution 2118.

B. Une opération non autorisée par les résolutions postérieures à la Résolution 2118

La question syrienne est, sans conteste, l’un des cas de menace à la paix et à la sécurité internationales ayant le plus mobilisé le Conseil de sécurité ces dernières années. Pas moins d’une vingtaine de résolutions sont intervenues sur le conflit syrien postérieurement à la Résolution 2118[48]. On pourrait valablement présumer qu’une de ces résolutions a expressément autorisé le recours à la force, à la suite à l’usage d’armes chimiques par l’une ou l’autre des parties syriennes en violation des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité[49].

En réalité, aucune de ces résolutions n’ouvre la voie à des mesures impliquant la force armée en Syrie en cas de violation de la Résolution 2118. Pas même la Résolution 2314 dans laquelle le Conseil de sécurité notait « de nouvelles allégations concernant l’emploi d’armes chimiques en Syrie »[50]. Non plus la Résolution 2235 par laquelle le Conseil indiqua sa « profonde indignation que des civils continuent d’être tués ou blessés par des produits chimiques toxiques utilisés comme arme dans le pays »[51]. Ce défaut d’une autorisation du Conseil de sécurité à recourir à la force soulève de nouveau le problème de la légalité externe des opérations militaires menées en réaction aux allégations d’usage d’armes chimiques à Douma.

Que l’on considère la période antérieure aux allégations d’utilisation d’armes chimiques à Douma, ou le laps de temps qui s’est écoulé entre ces allégations et le déclenchement des frappes, aucune résolution n’a rendu effective l’option militaire comme moyen de réponse à des violations du droit international en Syrie. Des réunions du Conseil de sécurité qui ont suivi les affirmations de possibles usages d’armes chimiques dans les combats opposants les forces armées gouvernementales aux rebelles syriens dans la Ghouta orientale, aucune n’a en effet donné lieu à l’adoption d’une résolution autorisant l’usage de la force armée[52]. Mieux, les trois projets de résolution qui ont été soumis au vote, notamment par les États-Unis et la Russie, intéressaient moins une autorisation à recourir à la force que « la création d’un nouveau mécanisme d’enquête indépendant des Nations unies sur le recours aux armes chimiques en Syrie aux fins de sanctionner la violation du droit international »[53]. Le mandat du Mécanisme conjoint d’enquêtes créée par la Résolution 2235 du Conseil de sécurité étant arrivé à terme, les débats au Conseil ont particulièrement porté sur une possible création d’un nouveau mécanisme d’enquêtes plutôt que sur des projets de résolution autorisant un recours à la force[54].

L’absence manifeste d’autorisation par le Conseil de sécurité à user de la force en réaction aux allégations d’usage d’armes chimiques, conduit à conclure d’une flagrante violation de l’obligation de s’abstenir de recourir à la force dans les relations internationales. Aussi graves soient ces violations si elles sont confirmées par les enquêtes diligentées à cet effet, il est douteux qu’un État ou une coalition d’États puisse préemptivement réagir à celles-ci en violant une norme impérative du droit international général[55]. Certes, rien dans la Charte ne s’oppose à ce que des États ou des organisations internationales recourent à la force en vue du maintien ou du rétablissement de la paix et la sécurité internationales, toutefois ce recours n’est légal que s’il a été autorisé par le Conseil de sécurité. Il en résulte qu’un État ne peut pas, uti singuli, user de la force armée tout en faisant l’économie d’une autorisation ex ante[56] du Conseil, importe peu à cet égard que la forme de l’autorisation soit explicite ou implicite[57]. Ultérieurement à la Résolution 2118, l’usage systématique du droit de véto par les membres permanents du Conseil de sécurité n’a pas permis la création d’un organe d’enquêtes indépendant sur l’usage probable d’armes chimiques, ce fut encore moins le cas d’une autorisation à mener des opérations armées en Syrie. Il s’ensuit que les frappes militaires menées sur le territoire syrien s’inscrivent en marge de la légalité internationale. Ainsi analysées, ces opérations relèvent de « l’hypothèse de [l’autorisation présumée] qui n’a trouvé jusqu’ici aucune consécration »[58] en droit international positif.

Vu sous un autre angle, ces frappes constituent en tant que telles des représailles armées au regard de leur visée répressive et punitive, trait caractéristique des représailles[59]. Il en est ainsi parce qu’elles s’apparentent davantage à une expédition armée visant, à court et moyen terme, à punir le régime syrien pour l’usage allégué d’armes chimiques tout en prévenant, à long terme, l’utilisation potentielle de ces armes dans les combats qui l’opposent aux autres parties syriennes[60]. En dépit de la justesse morale d’une telle intention, elle ne fait pas moins des frappes visées, en l’absence d’une autorisation du Conseil de sécurité, des représailles armées qui sont « considérées comme [hors-la-loi] depuis que l’article 2 §4 de la Charte des Nations unies a consacré l’interdiction de recourir à la force des armes dans les relations internationales »[61].

Le secrétaire général des Nations unies a d’ailleurs pris la mesure de la violation des règles internationales pertinentes en la matière. Il affirma en effet au lendemain des bombardements qu’il y a « une obligation, notamment en matière de paix et de sécurité, d’agir conformément à la Charte des Nations unies et au droit international en général »[62], ajoutant que la « Charte de l’ONU est très claire sur ces questions »[63].

Sans autorisation du Conseil de sécurité à recourir à la force aux fins de destruction des sites gouvernementaux syriens, il est manifeste qu’en l’espèce il s’agit d’un recours unilatéral à la force, fut-il de la part de trois membres permanents du Conseil de sécurité. Cette opération armée conduite par les forces de la coalition internationale constitue donc, au regard de la définition de l’agression adoptée par l’Assemblée générale[64]; une agression armée qui emporte la violation de l’article 2 § 4 de la Charte ainsi que la Déclaration sur les relations amicales du 24 octobre 1970[65].

Aussi flagrante soit-elle, l’inexistence d’un fondement légal autorisant le recours à la force contre des sites syriens ne dispense pas de s’interroger sur la légitimité de cette opération. En l’absence de légalité, peut-on au moins trouver une légitimité aux frappes menées en Syrie par les États de la coalition internationale ?

II. L’intervention de la Coalition Internationale en Syrie : Une Légitimité Discutable

Devant la légalité on ne peut plus litigieuse des opérations conduites par la coalition internationale, c’est la légitimité qui a été brandie pour fonder les frappes militaires qui visaient à détruire des cibles appartenant au gouvernement de Bachar Al Assad[66]. Aussi récurrent ait été l’argument de la légitimité, il ne semble pas moins sujet à caution. En effet, à bien y regarder, la légitimité des raids militaires est tout aussi discutable que la légalité ci-haut évoquée. Si la gravité des faits allégués semble conférer une certaine légitimité aux frappes de la coalition internationale, et ce, au regard des précédents d’usage d’armes chimiques qui ont jalonné le conflit syrien (A), l’antériorité de l’intervention à la vérification matérielle des allégations ne suscite pas moins des réserves (B).

A. Une opération relativement légitimée par les précédents d’usage d’armes chimiques

« Silent enim leges inter arma »[67], ces termes par lesquels Cicéron plaida la cause de Milone, accusé de l’assassinat de Publius Clodius Pulcher (52 av. J.-C), soulignent toute la difficulté qui semble si congénitalement attachée à l’effectivité du droit en période de guerre[68]. Par essence, la guerre ne peut être saisie que comme la résultante de l’échec du droit à prévenir et régler, en amont, les antagonismes sociaux. Lorsque le droit se trouve incapable de régler les différends sociaux, cet échec ne peut que préfigurer, en aval, la contemption ou la périphérisation inéluctable du respect des règles juridiques pendant les hostilités. À l’image de nombre de conflits armés, le conflit syrien n’a donc pas manqué de confirmer la formule précédemment évoquée du célèbre philosophe romain.

Depuis l’entame de ce conflit, le respect du droit international notamment humanitaire a été particulièrement mis à mal par l’ensemble des belligérants[69]. Des piétinements récurrents du droit international, le monde fut en particulier ému par la violation « d’un tabou »[70], à savoir l’usage d’armes chimiques dans la Ghouta, ainsi qu’à Talmenes, Sarmin, Marea et dans bien d’autres localités[71]. En dehors de quelques cas pour lesquels les éléments matériels et les témoignages n’ont pas permis de déterminer la nature des produits utilisés ou les auteurs des attaques à l’arme chimique[72], dans la plupart des localités ayant été l’objet d’attaque à l’arme chimique, la Mission d’enquête des Nations unies puis le Mécanisme conjoint d’enquête de l’ONU et de l’OIAC[73] ont pu établir, parfois au-delà de tout doute raisonnable[74] et sur la base des renseignements recueillis, la paternité des attaques chimiques contre la population civile. Les autorités syriennes ainsi que « l’État islamique » furent ainsi expressément désignés par les enquêteurs comme responsables de bombardements à l’arme chimique et bactériologique notamment à Tell Ménis (21 avril 2014), Sarmin (16 mars 2015), Marea (21 août 2015)[75] ainsi qu’à Qaminas lors des attaques du 16 mars 2015[76].

En dépit de ces conclusions sans appel, le constat général fit état d’une impuissance générale d’un Conseil de sécurité, en particulier à l’égard du régime syrien en raison de la protection de la Russie[77]. S’il est possible d’observer que les combats engagés contre « l’État islamique » ont pu probablement servir de support d’endiguement et de destruction des facultés de l’organisation terroriste à continuer à faire usage d’armes chimiques, il en va autrement du régime syrien qui semble avoir conservé ses pleines capacités chimiques. On peut d’ailleurs s’en étonner, car consécutivement à la décision de la Syrie d’appliquer provisoirement la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction[78], fut lancé en 2013 un programme accéléré de destruction de ses armes chimiques par le Conseil de l’OIAC, et ce, en application de la décision dite « Destruction des armes chimiques syriennes »[79].

Ce programme qui a été conduit sous les auspices de l’OIAC ne semble pas avoir entamé la faculté du régime à développer et à faire usage d’armes chimiques. L’utilisation ultérieure avérée d’armes chimiques par les forces armées syriennes dans la localité de Khan Cheïkhoun notamment[80], en violation de l’obligation d’élimination complète des armes chimiques, telle que posée par le Traité de Paris[81], suffit pour s’en convaincre.

Dans ce contexte et face aux violations répétées de la Syrie des règles du jus in bello, confortée en cela par l’usage quasi mécanique de la Russie de son droit de véto[82], et ce, alors même que le Conseil de sécurité s’était engagé par nombre de ses résolutions à imposer des mesures coercitives en cas de récidive dans l’usage d’armes chimiques[83], on ne peut dénier toute légitimité aux bombardements visant à détruire l’arsenal chimique du régime syrien. L’impunité dont semblaient jouir les autorités syriennes en raison de l’inaction de la communauté internationale, laissait planer le spectre d’un statu quo, d’une banalisation du recours aux armes chimiques voire de l’abandon des victimes de telles armes à leur sort[84]. Certes, l’intervention pose problème en ce qu’elle ne s’adosse à aucun fondement légal, mais devrait-on pour autant et par anticipation de cette illégalité, fermer les yeux sur la récurrence de l’usage d’armes chimiques en s’abstenant de toute action ?

Devant ce que certains spécialistes du droit de la guerre n’hésitent pas à qualifier comme la « [p] lus grande catastrophe humanitaire du XXIe siècle »[85], le conflit syrien ne peut s’affranchir de tout regard moral parce qu’il interroge notre responsabilité collective de protéger[86]. Et de ce point de vue, sans rien enlever à l’illégalité des bombardements en cause, ce regard moral permet tout au moins de lui trouver des circonstances atténuantes. Jusqu’à ce que ne devienne effective, si tant est qu’elle puisse l’être, l’idée qu’une responsabilité incombe aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité de s’abstenir du véto systématique devant certaines atrocités[87], l’on ne peut faire abstraction totale de la morale dans l’analyse des recours non autorisés à la force.

L’usage unilatéral de la force contre des sites appartenant aux autorités de Damas soulève incontestablement la thèse dite du « illégal, mais légitime »[88], thèse mobilisée par certains auteurs dans le cadre notamment des guerres dites d’humanité, ceci afin de justifier des interventions certes illégales, mais moralement excusables, tolérables. S’il est vrai que le droit moderne se dispense de trouver en la morale un point d’ancrage, le droit international reste « au contraire un espace dans lequel la moralité a encore un rôle »[89]. Il est une dimension éthique inséparable du droit international[90], en particulier du droit du maintien de la paix fondamentalement gouverné par la conscience de « l’intérêt général projeté dans l’idée d’une communauté internationale »[91].

L’irrédentisme des valeurs humaines en droit international invite à ne pas appréhender toutes les situations en droit international sous un prisme exclusivement ou spécifiquement juridique. La dimension axiologique consubstantielle au droit international, en particulier celui relatif au maintien de la paix internationale[92], appelle à interroger, au-delà de la légalité, le fondement moral de certains faits et actes relevant du droit international. Face aux violations à répétition du droit humanitaire, l’inaction ne devrait pas être une option, et ce, au nom de la nécessité de mettre fin, fût-ce parfois au prix de l’illégalité, à des actes d’oppression extraordinaire qui choquent particulièrement la conscience de l’humanité[93]. Aussi bien pour le conflit syrien que pour ceux en cours, une absence de réaction, même unilatérale, aurait constitué un précédent dangereux quant à la violation de l’interdiction de l’utilisation d’armes chimiques. Tel est, au-delà de la base légale à proprement parler, le fondement moral ayant justifié, du moins aux dires des officiels des États impliqués[94], les opérations militaires menées par la coalition internationale aux fins de destruction de l’arsenal chimique clandestin du régime syrien. C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères au lendemain des opérations militaires. Il affirma en effet que l’intervention est légitime tant au regard de sa finalité (mettre un terme à une atteinte grave au droit) que de sa proportionnalité (sa circonscription à des objectifs précis : la destruction des capacités chimiques du régime syrien sans que celui-ci, ses alliés ou encore moins la population ne soient aucunement ciblés)[95]. En somme, la légitimité des opérations conduites dans la nuit du 13 au 14 avril réside dans les violations répétées du droit international humanitaire en Syrie et permet d’envoyer, au-delà de ce conflit, un signal important à l’endroit de tous ceux qui, tirant profit des blocages persistants du Conseil de sécurité, pourraient être tentés par de telles violations.

Bien que le facteur moral ait été décisif dans l’intervention en Syrie, il n’empêche toutefois que certains points tenant notamment à la légalité interne des violations imputées aux forces syriennes, invitent à émettre quelques réserves sur la légitimité des frappes effectuées par la coalition internationale.

B. Une légitimité non moins sujette à des réserves

Il n’est pas rare d’opposer, à la légalité, l’argument de la légitimité pour justifier des interventions unilatérales sur le territoire d’un État[96]. Toutefois, cette dichotomie n’est pas toujours aussi étanche que l’on pourrait le croire; il arrive certes rarement que des considérations légales influent sur la légitimité d’une intervention. Les opérations militaires conduites sur le territoire syrien par les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne témoignent de cette hypothèse où la légitimité d’une intervention ne manque pas de susciter des questions en considération de facteurs légaux.

En effet, bien qu’il soit possible de justifier moralement les bombardements effectués en Syrie en s’appuyant notamment sur les nombreux précédents de violation de l’interdiction de l’usage d’armes chimiques, il n’en reste pas moins que la matérialité des dernières allégations imputées aux régimes, et qui ont justifié les frappes militaires de la coalition internationale dans la nuit du 13 au 14 avril 2018, soulève quelques réserves. L’intervention armée conduite par la coalition internationale pose une question cruciale quant à sa légalité interne, ceci en raison du doute qui entoure la réalité de la violation du droit international. Où sont les preuves de l’usage d’armes chimiques dans la Douma sur le fondement duquel la coalition internationale a-t-elle effectué des bombardements en Syrie ? L’impossibilité de répondre à cette question souligne toute la difficulté, du moins la nécessité de nuancer la justification morale de l’intervention en Syrie. Cette torsion de la légalité internationale pour des faits non établis à ce jour interroge la légitimité de l’intervention à un double niveau : d’une part, en raison de la matérialité dont on ne peut attester et, de l’autre, compte tenu de l’imputabilité non établie à ce jour.

En effet, devant des informations faisant état de l’utilisation, une fois de plus, d’armes chimiques en République arabe syrienne, des bombardements ont été effectués sur le sol syrien en vue d’annihiler les capacités chimiques du régime syrien, et ce, sans que des enquêtes soient diligentées sur le terrain pour attester de la matérialité des violations alléguées[97]. Des allégations non confirmées ne devraient pas, à notre sens, autoriser un ou plusieurs États à s’affranchir du respect d’un principe aussi cardinal que celui du non-recours à la force. Le caractère fondamental de l’article 2 § 4 de la Charte des Nations unies[98] commande qu’une dérogation à cette interdiction soit motivée par des faits et non des allégations.

L’antériorité des bombardements à la vérification matérielle des faits, vérification lancée seulement après les opérations militaires, n’est pas sans incidence sur l’existence de l’infraction imputée aux forces syriennes et partant, sur la légitimité de l’intervention. Il s’ensuit, sur un plan strictement légal, que l’on ne peut conclure, au moment de l’opération, de l’existence d’une violation imputable au régime de Bachar Al Assad, ceci dans la mesure où il ne s’agit, pour l’instant, que d’une utilisation présumée d’armes chimiques. Ce défaut de vérification amène à relativiser la légitimité de l’intervention au motif que les faits incriminés ne sont pas établis.

Le doute concernant la réalité des faits allégués affecte d’autant plus la légitimité de l’intervention que le conflit syrien a souvent donné lieu à des allégations qui, après vérification, n’ont pas été confirmées[99]. Sans que le contexte et les violations alléguées soient les mêmes, un parallèle intéressant peut tout de même être établi avec le précédent irakien. On se souvient encore des conclusions sans appel du Rapport Duelfer[100] qui contribua décisivement à enterrer l’hypothèse d’une possession d’armes de destruction massive par l’Irak[101]. Un tel précédent devrait inciter, par-delà le cas d’espèce, à apprécier ce type d’allégation avec prudence et recul.

Au-delà de l’effectivité des violations, la légitimité de l’opération conduite par la coalition internationale, même en présumant la réalité des allégations, est encore discutable au regard de l’imputabilité des violations. C’est une chose de prouver l’usage d’armes chimiques, c’en est certainement une autre d’en identifier les auteurs. Hormis l’existence matérielle des faits, il est tout aussi primordial d’identifier les auteurs afin de situer les responsabilités. L’imputabilité semble d’autant plus indispensable à établir que des acteurs non étatiques ont été souvent pointés du doigt tant dans l’usage que dans la possession d’armes chimiques depuis le déclenchement du conflit syrien[102]. Le caractère hâtif des opérations militaires, déclenchées sans autre forme de vérification crée trop d’incertitudes sur la réalité des violations et, par ricochet, sur l’identité des auteurs.

Certes par le passé des violations ont été commises par le régime syrien ainsi qu’en témoignent les enquêtes menées en Syrie[103]. Mais doit-on au regard de ce passif et en se fondant sur des allégations non encore étayées, acter une intervention armée et, de surcroit, non autorisée ?

La réponse à cette question ne peut qu’être négative au regard de l’importance de l’interdiction du recours à la force, considérée à juste titre comme une « pièce maîtresse dans l’édifice du système de sécurité collective mis en place en 1945 »[104]. On aurait pu y répondre différemment en nuançant davantage le propos si les preuves des allégations avaient été établies et que le Conseil de sécurité, incapable de dépasser ses contradictions, n’avait pas été en mesure d’en apporter les réponses militaires nécessaires. Dans un tel cas de figure, l’intervention, qui ferait alors office de palliatif certes illégal à l’inaction du Conseil de sécurité, aurait eu davantage de légitimité et appellerait, en conséquence, à une prise de position moins tranchée, d’autant plus proportionnée que les opérations militaires seraient la résultante de violations graves et tangibles, moralement inacceptables.

Il est à bien des égards éthiquement louable au regard de l’interdépendance et de la solidarité entre les peuples de recourir à la force pour mettre fin à des violations graves et massives du droit international, et ce, dans le respect de la légalité internationale. Si un tel usage devait s’inscrire dans un cadre unilatéral en raison d’une paralysie du Conseil de sécurité, encore faut-il, pour une justification morale incontestable, que celui-ci soit fondé sur des faits. C’est sur des violations tangibles que doit se fonder l’hypothèse, au demeurant contestée[105], que l’on peut exceptionnellement et sans conclure de l’existence d’un droit d’intervention[106], user unilatéralement de la force pour mettre fin à des violations graves et massives des droits de la personne[107].

Au regard de ce qui précède, les opérations menées en Syrie n’ont pas qu’un fondement légal introuvable, même sous l’angle éthique et en faisant abstraction des précédents d’usage d’armes chimiques qui ont émaillé le conflit syrien depuis 2013, la légitimité de l’intervention est tout aussi mitigée et contestable en ce qu’elle sanctionne des violations présumées. Partant, cette intervention aussi bien par ses motivations que son caractère unilatéral ne manque pas de susciter des interrogations sur la responsabilité de protéger et, surtout, sur la pérennité du multilatéralisme tel qu’il a été pensé à l’issue de la Seconde Guerre mondiale.

D’une part, ce type d’intervention interroge l’efficacité de la responsabilité de protéger parce qu’elle met à nue l’une de ses faiblesses. Dès lors que la mise en branle de la responsabilité de protéger, notamment lorsqu’elle requiert l’usage de la force, ne peut être effective que par une autorisation du Conseil de sécurité, son efficacité est fatalement tributaire des postures dudit Conseil. Ce déterminisme congénital soulève la question de savoir si la responsabilité de protéger, tel qu’elle résulte du Document final du sommet mondial de 2005[108], ne porte-t-elle pas en elle-même les germes de sa propre paralysie.

D’autre part, c’est l’avenir du multilatéralisme qu’interrogent ces frappes, plus spécifiquement le cadre fixé par la Charte des Nations unies et le rôle confié au Conseil de sécurité en tant que clef de voûte du système de sécurité collective, si tant est qu’il en existe vraiment une[109]. Ne court-on pas le risque avec de telles opérations armées, à l’instar de l’intervention de l’OTAN au Kosovo[110], d’une remise en cause des pouvoirs du Conseil de sécurité en tant qu’organe principal du maintien de la paix et de la sécurité internationales ?