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Fidèle à son titre, l’ouvrage d’Ulysse et Lesemann se penche sur l’insertion en emploi et la lutte à la pauvreté. Bien des textes ont envisagé ces questions au cours des dernières décennies, mais peu d’écrits rédigés en français l’ont fait sous l’angle particulier des politiques sociales. Pour résumer en une phrase l’essentiel du livre, disons qu’il se centre sur les politiques publiques québécoises en matière d’insertion en emploi et de lutte à la pauvreté, telles qu’elles apparaissent en 2003, à la veille de l’arrivée au pouvoir du Parti libéral à Québec.
Au moins deux éléments de contexte sont à considérer pour comprendre la teneur de l’ouvrage et pour en apprécier la portée. Le premier est que ce document s’inscrit dans le cadre d’échanges et de coopération entre l’Argentine et le Québec. Il constitue, en quelque sorte, une illustration de la perspective publique québécoise en ce qui concerne l’insertion en emploi et la lutte à la pauvreté. D’après les auteurs, on peut ainsi dégager des éléments d’originalité du « modèle québécois » en la matière et, peut-être, les partager avec d’autres nations qui épargneraient ainsi une partie du temps que nécessite toute expérimentation sociale. Or, en prenant en compte les éléments historiques permettant de comprendre les particularités de la structuration de ce modèle et d’apprécier l’unicité de ses dynamiques sociales et politiques, les auteurs posent des limites à la prétention de reproduire ce modèle. Un deuxième élément de contexte concerne le changement de garde à l’Assemblée nationale du Québec en 2003 ; l’ouvrage représente un effort pour valoriser l’intervention publique étatique dans la lutte contre la pauvreté et en faveur de l’innovation politique. La prise du pouvoir par le Parti libéral se déroule en effet dans une conjoncture de relance économique où tente de s’imposer l’idée que le marché peut constituer le mécanisme par excellence d’insertion et qu’il faille, pour y arriver, minimiser l’intervention de l’État qui, d’après les idéologues conservateurs, nuit à l’efficacité et à la capacité d’autorégulation de l’économie. En soulignant l’apport des associations, des diverses instances de l’État et des entreprises dans la lutte à la pauvreté et pour l’emploi, les auteurs prennent à la fois leur distance à l’égard du conservatisme politique prônant le « moins d’État » et face à l’étatisme de la gauche fordiste misant sur le « tout à l’État ».
La caractéristique essentielle du livre tient à sa description rigoureuse et précise des politiques publiques étatiques du Québec entre 1994 et 2003. Le livre présente l’intérêt de poser des repères permettant de juger du caractère progressif des mesures d’insertion et de lutte à la pauvreté dans un contexte postfordiste. En ce sens, il suggère bon nombre d’éléments qui caractérisent le traitement de la question sociale dans le « modèle québécois » ; on peut toutefois retenir trois contributions majeures.
Un premier aspect concerne la double préoccupation de cohésion sociale et d’expression de la société civile. D’après les auteurs, au cours des années 1990, les politiques et les pratiques québécoises d’insertion en emploi et de lutte à la pauvreté auraient réussi, d’un côté, à favoriser le vivre ensemble et auraient ainsi contribué à une certaine confiance dans le bien-fondé et dans la pérennité des compromis sociaux. Les notions de « partenariat », de « solidarité » et de « capital social » paraissent ainsi essentielles pour Ulysse et Lesemann, puisqu’elles permettent d’expliquer cette dimension intégratrice du modèle québécois. De l’autre côté, les dispositifs publics manifesteraient de l’ouverture aux mouvements sociaux. Ils auraient considéré les demandes sociales et favoriseraient une certaine justice sociale à court terme avec la sécurité du revenu et la fiscalité, notamment. Par ailleurs, les dispositifs publics auraient pris en compte les critiques adressées à l’assistance publique et auraient renouvelé les modalités d’intervention en développant des mesures d’accompagnement et de formation que le livre décrit en détail. À plus long terme, ce modèle aurait retenu des propositions des mouvements sociaux en faveur d’un modèle de développement favorable à l’intérêt général. Enfin, des formes de gouvernance nationale et locale ouvertes à la présence des organisations citoyennes caractériseraient le modèle québécois d’insertion en emploi et de lutte contre la pauvreté.
Un deuxième apport de l’ouvrage réside dans les détails et les nuances de la description de l’intervention gouvernementale. Peu de textes permettent de saisir les subtilités des activités ministérielles, informent sur les multiples volets des programmes publics et dégagent les lignes de force des législations en matière d’insertion en emploi et de lutte à la pauvreté. Cette description s’avère à la fois large et minutieuse. Large, puisque les champs couverts sont nombreux et concernent le logement, la politique familiale, l’équité salariale, la fiscalité, la sécurité du revenu et l’action communautaire autonome, pour ne nommer que ceux-là. En envisageant ces multiples champs d’application et en démontrant leur contribution à l’insertion en emploi et à la lutte à la pauvreté, Ulysse et Lesemann donnent une intelligibilité à cet ensemble de dispositifs publics qui, pour eux, forment un système, au sens d’un ensemble régularisé de pratiques et de relations sociales, orienté vers la résolution de la question sociale. Minutie, car la description apparaît complète. On remarque la préoccupation constante des auteurs pour faire connaître les modalités de fonctionnement des programmes, les ressources investies, les modes de coordination, les caractéristiques des bénéficiaires et des éléments d’évaluation.
La troisième et dernière contribution importante de l’ouvrage concerne les fondements théoriques conférant le fil conducteur et la logique à l’intervention publique québécoise pour combattre la précarité économique et les inégalités. Le « modèle québécois » s’apparenterait à une « gestion du risque social » et s’éloignerait du paternalisme qui caractérisait, au Québec, les mesures providentielles d’après-guerre. La gestion du risque social considère d’abord la multitude des dimensions et des phénomènes concourant à maintenir la pauvreté, qu’ils soient géographiques, économiques, culturels ou autres, puis elle met à contribution l’ensemble des actions pouvant être posées pour remédier aux situations de vulnérabilité et les prévenir. Elle recherche l’équilibre entre les différents systèmes de protection relevant de l’État, du marché et des dispositifs informels. Finalement, cette perspective reconnaît les actions publiques étatiques et non étatiques favorables à la redistribution et à la capacité des plus pauvres à faire face aux risques.
L’ouvrage paraît à une époque charnière non seulement pour le modèle québécois d’insertion en emploi et de lutte contre la pauvreté, mais plus largement pour la configuration de l’intervention étatique et le modèle de développement social. Les prochains événements politiques et les changements éventuels qui seront apportés à ce système de gestion du risque social diront dans quelle mesure le système décrit par ce livre appartient ou non au passé.