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Dans la préface de ses mémoires, Alex Paterson évoque les grands traits de la redéfinition qu’a dû se donner d’elle-même la communauté québécoise de langue anglaise dans le contexte de l’histoire récente du Québec, marquée notamment par la Crise d’octobre 1970, l’élection du Parti québécois en 1976, l’adoption de la Charte de la langue française l’année suivante, le référendum de 1980 et « la menace de la séparation ». Des Québécois de langue anglaise, rappelle l’auteur, ont décidé de continuer à vivre en anglais ailleurs au Canada ou à l’étranger, mais ceux qui, comme lui-même, n’ont jamais songé à quitter leur milieu d’origine se sont plus intensément engagés dans la vie collective de la société québécoise, prenant conscience comme jamais auparavant d’y former une minorité et veillant avec une détermi- nation inédite à la préservation de leur identité, au maintien et au développement des institutions leur appartenant en propre, en particulier dans les domaines de l’éducation et de la santé – tout en s’adaptant à un environnement public où le français devient progressivement la langue principale de communication (l’auteur note que, dans le cabinet d’avocats essentiellement anglophone auquel il s’est joint en 1957, le français a maintenant préséance sur l’anglais comme langue de travail). L’itinéraire que retrace Paterson dans son ouvrage constitue une excellente illustration de cette évolution.

L’auteur a judicieusement choisi de présenter ses mémoires, non pas selon un ordre chronologique strict, mais sous la forme d’une dizaine de tableaux thématiques constituant autant de chapitres rédigés dans le style simple et vivant d’une personne qui manifestement se plaît à raconter, souvent avec humour et parfois avec candeur, les épisodes les plus significatifs de son cheminement professionnel et de son engagement dans la collectivité.

Les deux premiers chapitres établissent l’enracinement de la famille de l’auteur dans la communauté historique québécoise de langue anglaise et son appartenance à la classe sociale à laquelle cette communauté s’est surtout identifiée. Par son père, Paterson se rattache à un ancêtre venu d’Écosse à Montréal en 1850 et par sa mère, à un ancêtre venu également d’Écosse à Québec dès 1766 ; les deux lignées sont associées aux milieux d’affaires, assurances et banques notamment. Jeune, il habite Montréal, mais il passe ses étés à La Malbaie (qu’il dénomme toujours Murray Bay). Il fréquente une école élémentaire privée à laquelle sont aussi inscrits des fils Timmins, Bronfman et Goldbloom, l’école secondaire Trinity College School de Port Hope où il compte parmi ses confrères Charles Bronfman, Charles Taylor et Reed Scowen, puis l’Université Bishop, alors un établissement sélect de quelque 200 étudiants, avant de s’inscrire à la Faculté de droit de l’Université McGill.

En dépit de ce que laisse supposer le titre de l’ouvrage, l’auteur ne consacre qu’un court chapitre à l’exercice proprement dit de sa profession, depuis plus de cinquante ans au sein de la même firme montréalaise, initialement Heward Holden, devenue par la suite McMaster Meighen, puis finalement Borden Ladner Gervais. Il s’y consacre au droit maritime et au droit des affaires, mais surtout, pour plus de la moitié de sa pratique, au droit de la santé comme procureur d’hôpitaux.

Quatre chapitres rendent compte de l’engagement d’Alex Paterson dans le domaine de l’éducation comme administrateur puis chancelier de l’Université Bishop, comme membre et ensuite président du Bureau des gouverneurs de l’Université McGill, comme collaborateur bénévole dans des écoles spécialisées pour enfants handicapés (Mackay Centre, Summit School, Bancroft School) et comme associé à divers titres, depuis plus de trente ans, à l’évolution du dossier des hôpitaux d’enseignement affiliés à l’Université McGill, jouant un rôle de premier plan dans le projet de création du Centre universitaire de santé McGill dès sa première ébauche en 1992.

Au lendemain de l’élection portant au pouvoir le Parti québécois, le 15 novembre 1976, la minorité québécoise de langue anglaise, sous le choc, s’est rapidement rassemblée autour de l’objectif de défense de ses intérêts principalement mis de l’avant par le Comité d’action positive, coprésidé par le professeur Storrs McCall de l’Université McGill et Alex Paterson. Ce comité a notamment pris l’initiative de l’important manifeste publié en avril 1977 et signé par 115 leaders de la communauté anglophone du Québec, en réaction à la publication du livre blanc du ministre Camille Laurin sur la politique de la langue française et le projet de Charte de la langue française. Le même regroupement a joué un rôle majeur dans la mobilisation des forces du NON en vue du référendum de 1980. À ces événements, celui qu’on a appelé « the Confederation Man » (Annexe A, « Citation – Ordre du Canada ») consacre un chapitre qu’on aurait souhaité plus substantiel, compte tenu de la part qu’il y a prise.

Dans deux chapitres distincts, Paterson fait état de mandats que lui a confiés le gouvernement du Québec : en 1976, à titre de représentant de la communauté anglophone au sein de la commission, présidée par le juge Gilles Poirier, chargée de proposer des voies de solution au conflit perturbant le monde scolaire depuis plusieurs mois ; en août 1990, comme négociateur en chef dans le cadre de la crise d’Oka. Dans le premier cas, la proximité de l’élection de novembre a favorisé des règlements dans le sens proposé par les commissaires. Dans le second cas, l’auteur fait de son expérience, plutôt frustrante, une relation très critique à l’égard de l’attitude du gouvernement Bourassa dans la gestion de la crise : un témoignage de grand intérêt à joindre au dossier peu glorieux de la crise d’Oka.

Quelques erreurs ont échappé à l’attention de l’auteur et de l’éditeur. C’est en 1977 et non en 1976 (p. xiv) qu’a été adoptée la Charte de la langue française ; le ministre de l’Éducation était alors Jacques-Yvan (et non Yvon) Morin (p. 84) ; si, en 1985, Claude Forget a pu aider l’auteur à obtenir l’appui de Québec dans un dossier, ce n’était pas en tant que ministre (p. 82), mais peut-être comme ancien ministre (1973-1976) ; aux pages 3 et 8, il fallait renvoyer aux annexes B et C plutôt qu’aux annexes A et B. Et je me permets de signaler qu’une maison d’édition dont l’adresse est montréalaise devrait être au fait que, conformément à la désignation fixée par la Charte de la langue française (article 14), Québec et Montréal doivent s’écrire avec l’accent aigu sur le « e ».