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Si concentrés sont devenus les médias de masse dans leur propriété, si contractés dans leur idéologie, et si spectaculairement aliénants dans leurs pratiques, que leur contraire ne peut être qu’une chose citoyenne ou populaire, difficile à marquer politiquement, mais très certainement émancipatrice. N’en voulons donc pas à Andrea Langlois et Frédéric Dubois de présenter un ouvrage, simplement intitulé Médias autonomes, qui circonscrit moins bien son objet qu’il ne le célèbre. Que les médias autonomes soient définis selon leur contenu « une ?…] information qui est à la fois une alternative à celle des médias de masse privés et solidaire des luttes sociales », leur position sociale « (…] un type particulier de médias alternatifs ?…] qui cherche à fonctionner de façon autonome vis-à-vis de l’État et des entreprises ?…] », leur mode de gestion « (…] une structure autogérée et collective ?…] », ou leur lien (intime) avec le mouvement de la multitude globale pour la justice, est assez peu important. Ce qui compte, c’est ce qu’ils inventent comme manière de faire.

Plutôt que de tenir les éditeurs à la rigueur définitionnelle, considérons donc que nous avons affaire à un petit catalogue (dix chapitres) un peu raisonné (une introduction et une postface suffisent à situer le tout) de pratiques communicationnelles. Les curateurs ont nommé leur exposition Médias autonomes ; modestes, ils veulent « (…] documenter certaines pratiques des médias-activistes d’aujourd’hui – leurs stratégies, leurs tactiques, leurs succès et les défis qui se posent à eux ?…] » et donner « (…] au lecteur une idée de la pluralité et de la diversité des projets médiatiques autonomes ?…] ». Cette exposition ne vise pas l’exhaustivité : comme il n’y a que dix tableaux en deux salles, voyons-les tous.

La première salle compte les tableaux les plus ambitieux, malheureusement brossés à grands traits, à force d’auteurs à la mode réduits à leur plus simple expression : Scott Uzelman, dans l’article « Trimer dur dans le jardin de bambous. Les médias activistes et les mouvements sociaux », discourt sur le caractère rhizomique des médias autonomes, écrivant ce faisant une sorte de Deleuze et Guattari pour les nuls, ce qui n’est pas aussi péjoratif qu’il ne le semble. Andrea Langlois traite de l’open sourcing, nommant sans les citer Hakim Bey et Pierre Lévy, respectivement chantres des zones autonomes temporaires (les TAZ, très discutées il y a quelques années) et de la démocratie moléculaire (un thème à la mode quand le cyberespace apparaissait le lieu de toutes les réinventions). Tableau suivant : Tom Liacas discutant de détournement et de brouillage médiatique, invoquant bien évidemment Debord. Quatre tableaux convenables, qui offriraient dans tous les cas beaucoup plus si les auteurs évoqués et les exemples cités (la naissance de l’Indymedia à Seattle, Abbuster, l’internationale situationniste, etc.) n’étaient pas si bien connus de ceux que Médias autonomes est susceptible d’intéresser.

La seconde salle est plus intéressante. Y sont regroupés cinq beaux petits tableaux qui exposent de manière informée des expériences bien situées. Utilisant par métonymie une écriture que l’on qualifierait de sonore, Marian Van Der Zon décrit intelligemment de l’aventure de TAR 90.7 FM, une microstation d’un (seul et unique) watt, émettant donc à peine plus de bruit que les blogs desquels nous entretient Dawn Paley. Isabelle Mailloux-Beïque présente quant à elle son expérience au Centre des médias alternatifs du Québec (CMAQ), ainsi que celle de L’Itinéraire, un journal de rue montréalais vendu par une centaine de camelots. Pour leur part, Andréa Schmidt, « Le journalisme indépendant. Un outil pour développer la solidarité internationale », et Anthony Fenton, « Résister à un coup d’État. Les médias autonomes et la solidarité en Haïti », décrivent dans deux textes critiques animés d’une belle intelligence historique, deux expériences personnelles comme journalistes engagés. Andréa Schmidt a été « déléguée d’un projet de solidarité de la région de Montréal » en Iraq pendant trois mois, un an après le début de la seconde guerre du Golfe, et Anthony Fenton était chercheur et journaliste indépendant en Haïti, après le coup d’État de février 2004.

Avant la sortie, nous prenons le temps de lire les quelques notes de David Widgington. Nous y rencontrons entre autres Les Lucioles, collectif de vidéastes engagés basé à Montréal, et nous prenons envie de voir Vol socialement acceptable (2003) de Julien Boisvert et Stéphane Lahoud, qui « (…] suit une étudiante dans un supermarché où elle vole de la nourriture chère pour un souper de Noël qu’elle prépare pour sa mère et la copine de sa mère ». Quittant l’exposition, nous ne pouvons dire avec plus de certitude, d’autorité ou de référents savants, ce qu’est cette chose appelée médias autonomes, mais nous en savons plus sur ce qui se passe en marge des médias de masse. Une belle, petite, exposition.