Notes critiques

Sur la dénationalisation du discours identitaireMathieu Bock-Côté, La dénationalisation tranquille, Montréal, Boréal, 2007, 211 p.[Notice]

  • Éric Bédard

…plus d’informations

  • Éric Bédard
    Historien,
    TÉLUQ,
    Université du Québec à Montréal.

La thèse soutenue par Mathieu Bock-Côté dans La dénationalisation tranquille sera connue de celles et de ceux, trop nombreux selon certains, qui suivent attentivement les débats sur l’identité québécoise ayant cours depuis un moment. À la suite du fameux discours de Jacques Parizeau sur les « votes ethniques », l’élite politique souverainiste et une certaine intelligentsia québécoise, accablée par la mauvaise conscience, auraient entrepris la tâche démiurgique de réformer l’imaginaire historique des Québécois. Parce qu’il fallait ouvrir le cercle de la nation aux nouveaux arrivants, faire en sorte que le dernier immigré puisse, sans trop d’efforts, se reconnaître dans le roman national que se racontent les Québécois depuis des générations, il devenait impératif d’éviter les références trop explicites à cette communauté de mémoire et de destin qui, de tout temps, avait lutté pour sa survie et son affranchissement. Faire référence à cette majorité francophone, ne fût-ce qu’en prenant toutes les précautions nécessaires, c’était courir le risque de devenir le porte-parole ombrageux de l’ethnicité canadienne-française. Parler de la nation québécoise autrement qu’en se référant à un territoire, à une charte des droits et libertés ou à des valeurs communes (social-démocratie, écologisme, altermondialisme, etc.), c’était communier à une vision étroite, frileuse, pour ne pas dire ringarde d’une réalité québécoise changeante et pluraliste. Les exemples de cette « dénationalisation » – l’expression nous semble appropriée – du discours sont nombreux et présentés de façon percutante par l’auteur dans le premier chapitre. La direction du Bloc québécois, lors du congrès de janvier 2000, proposa de rayer de la mémoire collective toute référence aux « peuples fondateurs » du Canada, sous prétexte que cela pouvait heurter les nouveaux arrivants qui ne se reconnaissaient pas dans ce vieux Canada français geignard. L’affaire Michaud, qui provoqua la démission de Lucien Bouchard, donna lieu, dans le camp souverainiste, à une surenchère moderniste et jacobine. Les souverainistes attachés à la mémoire longue de la communauté francophone furent alors sommés de quitter le mouvement souverainiste ou de donner un sens plus moderne à leur engagement. Plus tard, trois mousquetaires devenus députés et un chef péquiste éphémère reprirent à leur compte ce refrain sur la nation « civique » à laquelle une jeunesse oublieuse aurait adhéré depuis peu. Rendue publique en avril 2006, la première mouture du nouveau programme d’histoire et d’« éducation à la citoyenneté », concocté par le ministère de l’Éducation, « des Loisirs et du Sport » (!), faisait totalement l’impasse sur les faits structurants qui habitent la conscience historique de la majorité francophone : Conquête, rébellions de 1837, infériorité économique des Canadiens français, etc. Après avoir glané, dans l’actualité politique, de multiples exemples de cette dénationalisation tranquille dans ce qui prend la forme d’une chronique pour le moins loufoque de l’actualité politique québécoise, Bock-Côté s’attaque aux oeuvres respectives de Gérard Bouchard et de Jocelyn Létourneau, deux historiens qui, selon cet essayiste doté d’un vrai talent pour les formules chocs autant qu’évocatrices, se seraient aventurés sur le sentier risqué de l’« ingénierie identitaire ». Comme le rappelle Bock-Côté, les deux historiens poursuivent des objectifs bien différents, à première vue : l’un rêve d’un nouvel imaginaire national plus en phase avec les réalités pluriculturelles du Québec qui permettrait de relancer, sur des bases nouvelles, le projet souverainiste alors que l’autre souhaite proposer aux Québécois un grand récit postnational qui permettrait de « rompre avec la problématique de la survivance et de l’humiliation » (p. 93). Malgré ces divergences évidentes, ces deux projets historiographiques seraient cependant inspirés par la même épistémologie constructiviste radicale. Les deux historiens semblent postuler que l’histoire d’un peuple est d’abord un construit qui sert les intérêts …