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Spécialiste réputé de la Francophonie institutionnelle, ancien journaliste, en somme écrivain brillant avant tout, fin géopoliticien, Jean-Louis Roy livre ici un ouvrage novateur dans sa perspective sur la Francophonie. Le but de l’ouvrage est de chercher à comprendre les effets de la mondialisation, ses impacts sur la restructuration de la communauté internationale.

Roy cherche à connaître et apprécier la politique réelle qui déjà mobilise, structure et ouvre sur une compétition linguistique et culturelle intense. Il cherche en outre à comprendre la Francophonie telle qu’elle est devenue quarante ans après son émergence dans l’histoire tout en dressant un inventaire d’ensemble de son héritage. Plus qu’une simple analyse de l’émergence de la langue française dans les pays adhérents à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), sujet auquel nous ont habitués les monographies pendant des années, l’ouvrage recadre l’importance de la langue française dans un espace géopolitique complexe. La Chine, pays où les droits de l’homme ne sont que lettre morte, veut établir le chinois comme lingua franca. Elle compte pour ce faire sur une présence importante en Asie du Nord et du Sud-Est (encore faudrait-il parler d’occupation pour le Tibet), en Amérique latine et en Afrique et sur des avantages offerts aux apprenants de sa langue.

L’ouvrage comporte neuf chapitres, une conclusion, une table des sigles et la liste des publications citées. Dans son introduction, l’auteur relève les principales caracté­ristiques de l’OIF, son mandat, celui de son secrétaire général. Il dresse les principales caractéristiques de la Francophonie : physiques, culturelles, linguistiques. Le premier chapitre, « Un monde de communautés », s’intéresse notamment au phénomène de la mondialisation, thème récurrent de l’ouvrage. Le chapitre 2 intitulé « La prépondérance anglo-saxonne » fait voir la progression de la langue anglaise dans le monde, qu’il explique par l’affaiblissement de la Grande-Bretagne, la politique américaine visant à tirer le maximum de bénéfices du démembrement de l’empire britannique. L’auteur fait état de la prépondérance américaine dans le monde en matière de recherche, de développement et de défense. La supériorité américaine l’inquiète, notamment en ce qui concerne la prolifération de l’armement nucléaire, l’effondrement des traités internationaux, dont le traité limitant les forces conventionnelles en Europe, renié par le président Poutine en décembre 2007.

Dans le chapitre troisième « Vers une concurrence culturelle mondiale », ce n’est plus des États-Unis dont il est question, c’est de la Chine, où à Beijing on prétend que l’influence du chinois sera ce qu’a été celle de l’anglais au XXe siècle. Si le Tibet n’a pas réussi comme le Québec à se libérer du terrorisme qui sévit en son pays, c’est faute d’alliances politiques, l’appui de la France ne restant que symbolique. Mais c’est au chapitre 4 que le problème de la Francophonie est soulevé en tant que tel, sans référence au contexte géopolitique mondial. L’auteur passe en revue la charte et la Convention intergouvernementale de Niamey, celle de Antananarivo en 2005 et il évoque l’importance du Sommet de Dakar en 1989 en ce qui concerne les interventions en matière de liberté humaine, etc. Le chapitre 5 intitulé « La Francophonie politique » soulève quelques plaintes provenant des Noirs africains, notamment en référence aux solutions apportées par l’OIF dans le conflit togolais, dans ceux des deux Congo, etc. L’auteur nous interroge sur l’existence potentielle d’une Francophonie à deux vitesses, ou, selon l’expression de René Lévesque, avec un « double standard ». La réalité est telle, souligne pertinemment l’auteur, que les intérêts des francophones ne coïncident pas toujours (p. 127). Mais il ne manque pas de rappeler malgré ces précisions les motifs qui poussent les adhérents à joindre la Francophonie (p. 130). Le chapitre 6 « Francophonie et démocratie : indissociables » s’intéresse notamment à la condamnation des coups d’État par le Conseil permanent de la Francophonie. Dans le chapitre qu’il consacre à la langue française, Roy s’intéresse aux différents opérateurs de la Francophonie et aux actions concrètes conduites au sein de son organisation, notamment le Festival de la Francophonie tenu en France en 2006, où la France cherchait à se libérer de sa réputation de considérer la Francophonie comme étant les autres. Après avoir traité de l’éducation, l’auteur aborde un autre thème central, celui des énergies renouvelables, plus récemment développé par les décisions prises au Sommet de Québec en 1987. L’auteur conclut en synthétisant de manière claire les défis qui se posent aujourd’hui à la Francophonie : « Voici donc quelques questions d’ensemble qui semblent primordiales pour le maintien et l’enrichissement de la coopération qu’elle déploie avec détermination : la consolidation de son positionnement international […] ; la cohésion de la communauté ; l’équilibre entre ses missions politiques et de coopération, et le changement d’échelle requis dans ses interventions compte tenu de la concurrence nouvelle qui se déploie dans l’espace culturel mondial » (p. 241). L’ouvrage se présente, en définitive, non tant comme une introduction à la question de la Francophonie institutionnelle mais plutôt comme un ouvrage pour lecteurs déjà spécialisés dans le domaine. Cette innovation est fort pertinente étant donné le nombre de publications sur la Francophonie qui ressassent toujours le même discours ronflant.