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Les défis des 50 prochaines années, tel était le titre du colloque des 29 et 30 octobre 2009, organisé conjointement par Gérard Duhaime, Andrée Fortin et Simon Langlois, à l’occasion du 50e anniversaire de Recherches sociographiques. Ce numéro présente quelques textes issus des conférences prononcées lors de ce colloque, réunies sous le thème du devenir du Québec.

Fernand Dumont (1993) a qualifié le 19e siècle québécois d’« hiver de la survivance » ; la langue et la religion étaient les deux piliers de cette survivance, garantissant le maintien du fait français en Amérique. Au début du 20e siècle, Édouard Montpetit (1914) prononçait des conférences sur le thème de la survivance, dont la clé pour lui se situait dans l’économie et la culture, passant ainsi d’une vision de la reproduction sociale du Canada français à celle de la construction de cette société dans une trajectoire ouverte, dans un devenir.

Le devenir dans ce numéro est abordé tant du point de vue collectif qu’individuel, culturel que politique ; à l’intersection de la culture et du politique. Line Grenier se penche sur la chanson québécoise alors que Joseph Yvon Thériault scrute les liens entre la nation et la démocratie. À partir de champs de réflexion à priori bien différents, Thériault et Grenier arrivent à la même conclusion, c’est-à-dire que La question du Québec, pour reprendre l’expression de Marcel Rioux (1969), ne cesse de se poser, sur fond de crise et de précarité, ce qui relance chaque fois le défi du devenir aux générations successives. Dans mon texte, je parle des identités collectives et des utopies portées par l’art, abordant de la sorte les liens entre l’art et le politique. Ces trois textes portent sur la dimension collective du devenir. Marianne Kempeneers et Isabelle Van Pevenage montrent pour leur part comment au quotidien s’organise ce devenir, alors que Daniel Dagenais analyse le suicide des jeunes comme un refus ou une peur de devenir.

Une autre forme de devenir dont il est question dans ce numéro est celui même de notre revue. Jean-Philippe Warren et Yves Gingras le montrent bien, au fil des années, des rédacteurs et des thèmes abordés, Recherches sociographiques est restée fidèle au projet de ses fondateurs, celui de décrire et d’analyser la société québécoise où elle est produite, sans pour autant négliger les études comparatives et l’ouverture sur l’ailleurs. Pour Recherches sociographiques, publier en français est nécessaire pour atteindre un public plus large que celui des universitaires. Pour nous en effet décrire et analyser le Québec n’est pas un projet uniquement académique et universitaire, et contribue à éclairer le devenir du Québec, la question du Québec. À cet égard, je reprends cet extrait de la présentation du premier numéro, que citent également Warren et Gingras.

Cette solidarité qui tantôt prend le visage de l’amour et tantôt celui de la colère, nous ne tenterons jamais d’en cerner le visage dans ces cahiers. Mais il fallait dire, une fois seulement, qu’elle est inséparable de nos travaux. (Fernand Dumont et Jean-Charles Falardeau, « Pour la recherche sociographique au Canada français », Recherches sociographiques, vol. 1, n° 1, 1960.)

Par ailleurs, le devenir d’une revue universitaire en ce début de 21e siècle semble incertain. La version électronique supplante lentement mais sûrement la version papier ; celle-ci permet de rejoindre un large lectorat, mais en contrepartie met en péril l’unité des numéros, car l’édition électronique donne accès aux articles séparément, hors de la cohérence éditoriale des numéros. À cet égard, les défis des prochaines années s’annoncent nombreux, car aux enjeux de format sont liés des enjeux financiers.

Je reprends la rédaction de la revue, que j’avais assumée de 1993 à 2005. Merci à Simon Langlois, qui a alors pris la relève avant de me transmettre à nouveau le flambeau à l’automne 2010. Sous sa dynamique direction, la revue a pris plusieurs tournants : le plus évident étant celui de la couverture, mais il me faut aussi saluer la multiplication des notes critiques. Cela dit, dans les prochaines années comme dans les quelque cinquante dernières, le devenir du Québec demeurera l’interrogation fondamentale derrière les travaux publiés dans Recherches sociographiques.