Corps de l’article
Au Québec, dans le domaine de la sociologie du travail, on dispose de très peu d’écrits de synthèse qui abordent les phénomènes étudiés à travers une mise en perspective de leur genèse, de leur évolution et de leurs particularités. De ce point de vue, le livre de Colette Bernier est une contribution importante à la connaissance de la société québécoise, appréhendée sous l’angle de l’évolution de son système de formation de la main-d’oeuvre. L’auteure apporte un éclairage sociologique mais surtout historique, appuyé par une solide documentation, sur ce système qui a pris, progressivement, une place prépondérante dans le processus d’élaboration des politiques publiques relatives à l’emploi.
Le livre est organisé en trois grandes parties. Une première met en perspective les métamorphoses que le monde du travail a subies au cours des vingt-cinq dernières années, au Québec comme ailleurs en Occident : émergence du travail atypique, segmentation du marché du travail et changements dans la relation d’emploi menant au recours généralisé à l’employabilité comme fin en soi, vers lequel doivent converger les efforts individuels et collectifs (chap. 1-3). La deuxième partie aborde, sous un angle historique, la formation de la main-d’oeuvre à l’intérieur du système d’éducation québécois. De la domination de l’Église, instigatrice d’une scolarisation sélective au triomphe de l’État-providence, promoteur de l’égalité des chances (chap. 4), l’auteure passe en revue les diverses phases d’évolution du rapport entre l’école et la formation à des fins d’emploi. Elle analyse ainsi le resserrement progressif des liens entre école et entreprise, le développement de l’éducation des adultes et les réformes de programmes menant à l’« approche par les compétences » qui est adoptée au Québec dans les années 1980-1990 (chap. 5). L’ «apprentissage tout au long de la vie », processus qui émerge au Québec et qui devient une formule magique dans le monde du travail à partir des années 2000, fait l’objet du chapitre 6 de l’ouvrage. Enfin, la troisième partie (chap. 7-9) présente les nouveaux enjeux que signifie la formation pour le système d’emploi, en examinant l’évolution récente des politiques publiques et des institutions qui interviennent dans le processus de mise en lien du système de formation et du système d’emploi. En conclusion, l’auteure nous propose quelques réflexions sur les perspectives d’avenir en insistant sur « les droits des individus à la formation ».
Tout au long du livre, les analyses de Colette Bernier tendent à montrer comment l’impératif de l’employabilité subordonne les politiques publiques qui agissent afin de « responsabiliser l’individu face à sa formation et à son emploi ». Les mécanismes de passage de déterminants collectifs à une mobilisation individuelle sur le marché du travail sont au centre de l’ouvrage. Le ton est critique mais optimiste, et au-delà de la mise en cause et du dénigrement trop facile du « néolibéralisme », l’auteure prend acte avec lucidité que la fin du système fordiste semble bien amorcée.