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Dans la mouvance du succès mondial du film documentaire français intitulé Demain (2015), produit par Cyril Dion et Mélanie Laurent, des membres éminents de la Fondation David Suzuki s’engagent sur la voie de l’ingéniosité et des remèdes particuliers appliqués à la problématique environnementale, surtout les changements climatiques, en rédigeant le livre Demain le Québec. Des initiatives inspirantes pour un monde plus vert et plus juste (2018). Ils exemplifient le processus de réforme institutionnelle en cours au Québec, axée sur la modernisation écologique et le développement durable.

Ainsi, des femmes, des hommes et diverses associations tentent d’inverser la fatalité d’une empreinte indélébile de l’humanité sur la Terre, caractérisée par l’avènement d’une nouvelle ère géologique, dénommée l’anthropocène (Crutzen et Stoermer, 2000). Cette tâche colossale mobilise déjà les gouvernements, la communauté scientifique, mais aussi une expertise citoyenne, car la démocratie de la participation place l’action publique au coeur du changement social. L’ouvrage suggère également que beaucoup de jeunes et de femmes se trouvent à l’origine de ces audaces, inventions et innovations, nées parfois à la suite d’heureux hasards ou rencontres, en se créant ou en changeant d’emploi.

Aux thèmes classiques de l’environnementalisme (pollution, gaspillage, surconsommation) se greffent des spécificités liées au réchauffement planétaire – par exemple, l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre (GES), le transport alternatif qualifié d’intelligent, les énergies propres et renouvelables. Évidemment, « la solution ne sera pas que technologique » (p. 211), car les problèmes environnementaux dépassent la seule technique. Ils soulèvent entre autres des enjeux éthiques, et des contraintes économiques, politiques ou institutionnelles (lois, normes, certification, réglementation, etc.) subsistent encore. La démarche englobe également l’économie circulaire et, dans l’optique plus large du développement durable, l’achat local et l’équité sociale.

L’agriculture et la sécurité alimentaire (groupes d’achat de nourriture en vrac, banques alimentaires, location de terres cultivables) prennent beaucoup de place. Le virage vert prône le remplacement des engrais et pesticides dommageables par des éléments dits biologiques, tels que les micro-organismes. En plus de lutter contre la disparition des forêts, ces poumons de la planète, il faut reverdir villes et villages par la plantation d’arbres, l’installation de serres, de toits et de murs végétaux.

De même, parce que « près du tiers de la nourriture produite dans le monde est gaspillée » (p. 43), il convient d’en récupérer davantage et de tirer plus de profit de la nature par l’exploitation des produits forestiers non ligneux, à l’image des champignons, fruits sauvages, herbes, fougères et sirop d’érable, voire de manger des insectes. Dans cet ordre d’idées, le mouvement Zéro déchet trouve beaucoup d’échos au Québec, où on entreprend de recycler le plastique, qui empoisonne la faune marine. Enfin, les déchets organiques (bois, résidus domestiques, etc.) trouvent un débouché dans l’éthanol, une énergie verte et renouvelable, au sein de la lutte pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre.

Les auteurs montrent bien que l’environnement ne se limite pas à la nature. Il s’étend à l’environnement social, à l’équité et à la communauté locale. C’est alors que prend tout son sens le slogan écologiste, remontant au début des années 1970 : « Penser globalement, agir localement ». Pour preuves, l’extraordinaire vitalité communautaire de Saint-Camille, qui se cristallise autour de Jacques Proulx, un ancien président de l’Union des producteurs agricoles; la réappropriation par une brigade de jeunes d’une zone riveraine défavorisée à Trois-Rivières, au moyen du nettoyage des berges et de l’éducation; ou encore, la riposte à l’accaparement des terres, souvent causé par la spéculation, par la création de la Banque des terres; sans oublier l’accent mis sur l’achat local, qui passe par la production, la consommation, et même une monnaie, locales. En 2017, on lance cinq projets de monnaie locale au Québec (p. 155) à cet effet : s’agit-il d’une panacée ou du risque économique d’une monnaie parallèle au système en place ? L’expérience le dira.

Accessible au grand public, d’une lecture enthousiasmante et utile pour recharger ses batteries, l’ouvrage célèbre l’inventivité humaine et réitère sa confiance en l’avenir. À n’en pas douter, la prise de conscience de l’urgence climatique s’accélère depuis quelques années au Québec, où des gens déploient des trésors d’énergie, de solidarité et d’imagination, parfois à contre-courant de l’urbanisation galopante et de la mondialisation économique. En route vers un monde non seulement plus vert, mais aussi plus équitable : tel est l’esprit des initiatives individuelles et collectives présentées ici. Autant de victoires remportées sur la force d’inertie! En fermant le livre, on peut toutefois déplorer quelques anglicismes superfétatoires dans le texte, de même que le silence entourant les mesures relatives à l’adaptation aux changements climatiques, en particulier celles qui ont trait à l’eau (érosion côtière, inondations soudaines, approvisionnement d’eau potable), appelées à prendre de plus en plus d’importance dans un futur rapproché. Cela pourrait faire l’objet de la prochaine parution de la Fondation David Suzuki.