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On peut se demander si cet ouvrage collectif, publié dans la Collection Géographie contemporaine des Presses de l’Université du Québec, n’aurait pas pu intéresser la collection Sciences régionales du même éditeur. Quoi qu’il en soit, la géographie s’intéresse au territoire et cette collection s’intéresse à toutes les questions relatives au territoire qui sont au coeur des débats sociaux contemporains. Selon Bélanger et Lapointe, force est de constater que les dynamiques contemporaines du développement capitaliste transforment les espaces et les territoires et engendrent des restructurations économiques spatiales accélérant les injustices dans les villes comme dans les régions.

Cet ouvrage se donne comme objectif de contribuer à une réflexion collective sur le renouveau des approches critiques en études urbaines, régionales et territoriales, approches que l’on ne veut plus mettre en opposition mais en synergie. Ce message me semble au coeur de la démarche méthodologique de plusieurs textes de l’ouvrage et il s’agit d’une posture forte qui fait de sa publication un événement marquant dans l’histoire des études régionales. Cela dit, quelques articles centrés sur des quartiers urbains restent proches des approches classiques en études urbaines.

Dominic Lapointe et Hélène Bélanger signent une véritable introduction en ce sens qu’ils définissent les principes d’une analyse critique en études territoriales qui donne leur cohérence aux différents textes. Une ligne de force de cette analyse critique consiste à attribuer les inégalités socio-économiques au capitalisme.

Le texte de Yann Fournis m’a particulièrement intéressé pour l’analyse solide qu’il propose des luttes rurales dans les régions périphériques, analyse qui débouche sur la revendication d’un droit d’habiter, concept moins ambigu que celui d’occupation du territoire. Il conclut en faisant un parallèle entre le droit d’habiter et le droit à la ville, montrant les aspects communs entre la ruralité et l’urbanité.

Les six chapitres suivants s’intéressent à deux thématiques. D’abord, les études urbaines avec des articles sur la justice spatiale et les politiques urbaines, un autre sur la ville anti-Noirs et sur le Mile-End au-delà du village gai. Ensuite, les études touristiques avec le tourisme de croisière en Gaspésie et l’introduction du tourisme dans la Technopole Angus; et finalement un chapitre sur la Plaza Saint-Hubert. Ce qui m’a intéressé est le caractère novateur de ces sujets, en particulier le tourisme de croisière en Gaspésie.

Julie-Anne Boudreau de l’INRS-Urbanisation, culture et sociétés signe une postface qui tente de poser les bases d’une épistémologie de la recherche critique, mais certains de ses propos sont difficiles à comprendre : « L’objectif est d’agir dans la rue pour comprendre et réfléchir de façon plus abstraite pour agir » (p. 198). La compréhension, si elle s’enrichit de l’action, ne peut se limiter à des actions réfléchies et des réflexions agissantes.

Cet ouvrage, comme ceux qui ont fait l’objet des deux recensions précédentes, s’inscrit dans une jeune tradition d’études régionales ou territoriales marquée par la forte ambition de renouvellement des sciences sociales qui a animé les chercheurs s’étant installés dans les nouvelles universités situées en région. Ils faisaient l’hypothèse que le lieu où se fait la recherche n’est pas neutre et que ce lieu influence les résultats de recherche. Un exemple bien connu est celui de l’École de Chicago. L’arrivée d’institutions universitaires dans cette ville alors en effervescence a généré de nouveaux savoirs, notamment en écologie urbaine et en sociologie urbaine. Cela dit, assistons-nous à la formation d’une École en sciences régionales au Québec? Il est encore un peu tôt pour se prononcer, mais des observateurs étrangers le pensent. Or dans le langage de nos institutions publiques de soutien à la recherche scientifique, la reconnaissance du rayonnement international d’un domaine de recherche est devenue un critère de son financement.

Il est évident que les sciences sociales québécoises se sont enrichies d’un nouveau domaine de connaissance, encore difficile à nommer : développement régional, sciences régionales ou comme on le voit plus récemment, développement territorial. Comme le montrent ces ouvrages, le territoire fait sens et participe fortement à la construction de l’identité des acteurs sociaux. Il ne peut donc être ignoré par une science qui veut justement rendre intelligibles les ressorts de la vie en société.