D’amour et d’encre fraîchePlace et discours de l’amour dans la presse québécoise des 20e et 21e siècles[Notice]

  • Marie-Pier Luneau et
  • Adrien Rannaud

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Un double constat fournit le point de départ de ce numéro. D’une part, on observe depuis plusieurs années une intensification des études sur la presse au Québec. Dans la foulée des travaux fondateurs d’André Beaulieu et Jean Hamelin (1979-1985), et de ceux de Jean de Bonville sur la presse québécoise du tournant du 20e siècle (1988), le journal figure dorénavant au coeur de plusieurs chantiers, non plus en sa qualité de document historique, mais en tant qu’objet d’étude en soi, qui permet le renouvellement des perspectives d’analyse. Les études littéraires et culturelles, en particulier, ont généré une riche historiographie sur la presse comme laboratoire des pratiques culturelles (Lefebvre, 2016; Cambron, Gagnon et Côté, 2018), dans le même temps qu’elles ont oeuvré à une nouvelle histoire intégrée de la communication au Québec, en misant autant sur ses actrices, acteurs et ses pratiques (Cambron et Bédard, 2017), que sur les discours et supports qui fondent le régime et l’imaginaire médiatiques (Pinson, 2016). Le processus de numérisation des collections de journaux et revues entrepris par Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) n’est pas étranger à un tel engouement, et on peut s’attendre, dans les prochaines années, à une augmentation significative des projets portant sur ce patrimoine immense que constituent les périodiques au Québec. D’autre part, le discours amoureux, dont Roland Barthes disait qu’il était « d’une extrême solitude » (1977), fait l’objet d’un regain d’intérêt de la part des sciences humaines et sociales québécoises. Outre un numéro de la revue étudiante Postures consacré aux langages poétiques de l’amour (Godin et Pelletier, 2015), relevons un dossier de la revue Sociologie et sociétés qui s’intéresse précisément à l’intimité amoureuse (Piazzesi, 2014). L’inconvénient réfléchissait également aux rapports entre amour et sexualité au Québec, dans son numéro consacré à l’après mouvement Moi aussi (Collectif, 2018). Le sentiment amoureux constitue en ce sens le point de départ de recherches plus poussées invitant à repenser les relations entre individus, sociétés et institutions à travers le prisme des expériences collectives et personnelles, et de l’imaginaire qui en découle. Le présent dossier fait le pari de croiser ces deux grands axes d’étude, en s’attachant à comprendre la place qu’accorde la presse à l’amour au Québec et, inversement, à tenter de saisir l’éventail des discours, des représentations, des poétiques et des pratiques médiatiques qui ont accaparé le sentiment amoureux dans les revues et journaux québécois. En effet, nous partons de l’hypothèse que la maturation nouvelle de la presse, qui se met en place dès le tournant de 1900 et se poursuit tout au long du 20e siècle, est corrélée à un processus progressif, mais croissant, consistant à accorder de plus en plus de visibilité à l’amour dans l’espace public (diversification des modèles de couples, publicisation et commercialisation des relations intimes, mise en avant des désirs et de la notion de plaisir). Si la radio, la télévision, le cinéma propulsent de nouvelles façons de « dire » et de faire « l’amour », les périodiques cristallisent et façonnent aussi les rapports amoureux, en constituant des réservoirs d’information et de prescription, et en participant à l’incubation et au déploiement de récits qui modèlent la société québécoise. Ce dossier repose sur un parti pris : loin d’être universel (et encore moins unidimensionnel), l’amour est un « construit », variable selon les époques et les sociétés. Et il appert que, pour le 20e siècle, la presse périodique s’en fait l’un des vecteurs privilégiés – on le verra tout au long …

Parties annexes