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Crédit photo : Éric Labonté

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François Ricard a été professeur au Département de langue et littérature françaises (rebaptisé en 2019 Département des littératures de langue française, de traduction et de création) de l’Université McGill de 1971 jusqu’à sa retraite, en 2009. Né à Shawinigan en 1947, il est décédé à Montréal le 17 février 2022. Après avoir terminé une maîtrise en lettres françaises à l’Université McGill (1968), il avait obtenu, dans ce même domaine, un doctorat de 3e cycle de l’Université d’Aix-Marseille (1971).

Dès le début de sa carrière, François Ricard s’engage de manière active dans la vie littéraire québécoise, notamment dans le domaine de l’édition. Membre fondateur, en 1975, de la coopérative d’édition Les Quinze, il oeuvre également aux éditions du Jour et aux éditions Leméac avant de devenir, en 1983, membre du comité éditorial des Éditions du Boréal, où il crée et dirige, jusqu’à son décès, la collection « Papiers collés ». Cette collection accueillera quelques-uns des essais les plus importants qui ont été écrits sur le Québec et la société québécoise : Raisons communes de Fernand Dumont, Surprendre les voix d’André Belleau, L’Écologie du réel de Pierre Nepveu, La Conscience du désert de Michel Biron, sans compter plusieurs oeuvres de Jacques Brault, de Serge Bouchard et Bernard Arcand, d’André Major et de Gilles Marcotte. Parallèlement à ce travail d’édition, François Ricard intervient à titre de chroniqueur littéraire à la radio de Radio-Canada (aux émissions Book-Club et Littérature au pluriel, notamment) où il conçoit et présente, tout au long des années 1970, de nombreux documents sur des écrivains d’ici et d’ailleurs. Au début des années 1980, il réalise et anime, à la télévision de Radio-Québec, deux séries d’émissions sur l’histoire du Québec : Le 30-60 et Le 60-80. Cette entreprise d’historiographie et de vulgarisation le conduit à se joindre à l’équipe de Paul-André Linteau pour la rédaction du second volume de l’Histoire du Québec contemporain (Boréal, 1986) : Le Québec depuis 1930.

C’est toutefois à titre d’essayiste que la présence de François Ricard au sein de la vie intellectuelle québécoise sera la plus marquante. Dès le milieu des années 1970, il devient collaborateur, puis membre du comité de rédaction de la revue Liberté, avant d’en assumer la direction de 1980 à 1986. Cette collaboration à l’une des revues littéraires les plus importantes du Québec lui permet de révéler un rare talent d’observation et d’écriture. Sur une période d’une quinzaine d’années, il publie, dans Liberté et plusieurs autres revues, près de quatre-vingts chroniques, essais et comptes rendus qui lui fourniront la matière de son premier recueil, La littérature contre elle-même (Boréal, 1985), récompensé par le prix du Gouverneur général du Canada (section « essais »). Ce recueil sera suivi par trois autres : Chroniques d’un temps loufoque (Boréal, 2005), Moeurs de province (Boréal, 2014) et La littérature malgré tout (Boréal, 2018).

En 1992, il publie La Génération lyrique, essai sur la vie et l’oeuvre des premiers-nés du baby-boom (Boréal), qui s’impose comme l’une des plus brillantes synthèses littéraires, sociales et politiques sur les années 1960-1980, aussi bien pour l’intelligence et la nouveauté de son propos que pour l’illustration proprement exemplaire qu’elle offre de ce qu’un essai littéraire permet de comprendre et d’analyser. Nourri par un savoir historique et une grande rigueur de pensée, cet essai a connu un succès autant populaire que critique.

Après avoir raconté de manière clairvoyante et révélatrice la vie d’une génération, François Ricard publie en 1996 la biographie de Gabrielle Roy, Gabrielle Roy. Une vie (Boréal), là encore aussitôt saluée comme une oeuvre majeure. Que la romancière ait spécifiquement choisi François Ricard pour raconter l’histoire de sa vie – on sait que cette biographie était un souhait qu’elle avait exprimé – n’est pas un hasard : elle savait qu’il connaissait de façon experte son oeuvre, à laquelle il avait déjà consacré, en 1975, un ouvrage d’introduction (réédité chez Nota bene en 2001), mais elle savait aussi qu’il possédait l’art capable de donner vie à une existence tout entière consacrée à la littérature, et à en rendre la sensibilité et la singularité. Couronné par le prix Jean-Éthier-Blais de critique littéraire et le prix Maxime-Raymond de biographie historique (Institut d’histoire de l’Amérique française), Gabrielle Roy. Une vie représente un événement dans l’histoire de la critique littéraire au Québec en s’imposant comme un modèle du genre et en frayant le chemin pour plusieurs autres grandes biographies d‘écrivains, qu’on pense à celles de Gaston Miron, Saint-Denys Garneau ou Anne Hébert, publiées dans la foulée. Notons enfin les travaux internationalement reconnus qu’il a consacrés à l’oeuvre du romancier Milan Kundera, dont il a, en 2011, édité les oeuvres dans la prestigieuse collection « Bibliothèque de la Pléiade ».

La force de l’oeuvre de François Ricard tient à plusieurs éléments, au rang desquels l’intelligence et l’acuité jouent un rôle de premier plan. À ces qualités d’attention et de perspicacité s’en ajoute une autre, non moins importante : celle d’une générosité à l’endroit des objets abordés, d’une volonté marquée de les révéler, de les donner à comprendre et de les faire rayonner de façon à ce qu’ils nous éclairent en retour. Il y a dans cet engagement envers l’écriture une éthique, un sens de la mission et de la valeur dont François Ricard n’a jamais dévié tout au long de sa carrière. Celle-ci a été récompensée par de nombreux prix, notamment le prix André-Laureaudeau de l’ACFAS (2005), le prix Killam (2009) et le prix Athanase-David (2018). Il a également été fait Chevalier de l’Ordre national du Québec en 1997.

Tous ceux qui l’ont connu se souviendront de lui comme d’un homme à l’intelligence vive, profondément attentif et généreux.