Résumés
Résumé
Objectifs. La présente étude s’inscrit dans une démarche de transfert des connaissances intégré avec un organisme communautaire offrant divers services aux mères de moins de 25 ans et à leurs jeunes enfants. L’objectif global était d’améliorer l’engagement des jeunes mères envers les services. Après une consultation ayant mis en lumière que plusieurs facteurs entravant la participation des jeunes mères pouvaient être compris à travers le prisme du trauma complexe, le présent article documente : 1) l’adaptation des principes des approches sensibles aux traumas (AST) pour répondre aux besoins particuliers de l’organisme et 2) les premières étapes du processus d’implantation/d’évaluation. Résultats. Pour l’objectif 1, une journée de réflexion avec les employés et des activités connexes ont permis d’identifier différentes stratégies à maintenir, cesser ou mettre en place afin d’accroître la sensibilité aux traumas de l’organisme. Pour l’objectif 2, une autoévaluation organisationnelle à l’aide d’un questionnaire a montré, malgré le petit échantillon, une amélioration de la tendance à être flexible et à prioriser le sentiment de sécurité et l’alliance chez des employés après la distribution des capsules éducatives sur les AST (T2). Aucun autre résultat significatif n’a été identifié. Discussion. Les résultats sont encourageants et indiquent que l’adaptation et l’implantation d’une AST en contexte communautaire sont faisables et peuvent améliorer la sensibilité aux traumas des employés. D’autres études à grande échelle sont nécessaires afin d’approfondir notre compréhension de ce qui fonctionne, pour qui et dans quelles circonstances. Les leçons tirées de la présente étude aideront d’autres partenaires souhaitant implanter une AST en contexte communautaire.
Mots-clés :
- Approches sensibles aux traumas,
- services communautaires,
- familles vulnérables,
- jeunes mères,
- devis mixte
Abstract
Objectives. This study used an integrated knowledge transfer perspective with a small community organization offering various services to young mothers aged less than 25 years and their young children. The overall objective was to increase mothers’ engagement with the services. A consultation highlighted that several barriers to participation for young mothers could be understood through the lens of complex trauma. Thus, this article documents: 1) the adaptation of trauma-informed care (TIC) principals in line with the specific needs of the partner organization, and 2) the first steps of the implementation/evaluation process. Results. For objective 1, a reflection day and related activities involving the employees helped identify strategies to continue, cease, or create to enhance the organization’s sensitivity to trauma. For objective 2, an organizational self-evaluation with a questionnaire documented, despite a small sample size, an increase in employee’s flexibility and tendency to prioritize safety and positive relationships after video capsules on TIC were distributed (T2). No other significant effects were found. Discussion. Results are encouraging in that they show that adapting and implementing TIC is feasible in community organizations and can lead to positive changes in employees' sensitivity to trauma. More larger scale studies are needed to better understand what works, for whom, and in what circumstances when it comes to TIC implementation. Lessons learned throughout this project will help other partners who wish to implement a TIC approach in a community organization serving vulnerable young families.
Keywords:
- Trauma-informed care,
- community services,
- vulnerable families,
- young mothers,
- mixed methods
Corps de l’article
Introduction
Contexte du partenariat
Les organismes communautaires peuvent être d’importants vecteurs de résilience pour les familles vivant dans l’adversité (Berkes et Ross, 2013). Ils offrent souvent un large éventail de services et permettent un accès privilégié à des usagers qui ne se sentent pas à l’aise dans les établissements du réseau de la santé et des services sociaux (Damian et al., 2018). C’est dans le but d’optimiser le rayonnement des services offerts par notre organisme partenaire que ce projet de recherche collaborative a vu le jour. Cet organisme communautaire en milieu urbain défavorisé offre une variété de services médicaux et psychosociaux aux jeunes mères de moins de 25 ans et à leurs enfants d’âge préscolaire (≤ 5 ans) (ex. : garderie, centre de jour, aide alimentaire, programme de retour aux études, soutien à domicile, pédiatrie sociale, ateliers parents-enfants). Sa mission est d’aider et d’accompagner les jeunes mères ainsi que leurs enfants dans leur quête vers une vie équilibrée et autonome. Situé dans une couronne de Montréal (QC), l’organisme compte une vingtaine d’employés et dessert environ 200 familles défavorisées par année. En 2019, l’organisme constatait une baisse d’engagement des jeunes mères dans ses services et a voulu se pencher de plus près sur cet enjeu, d’où la naissance de ce partenariat. Par exemple, après une augmentation de 22 % des mères ayant bénéficié des services entre 2014-2015 et 2015-2016, une baisse d’environ 16 % a été observée en 2017-2018. Le nombre de mères participantes est resté stable l’année suivante, malgré une augmentation dans l’offre de services (ex. : démarrage du centre de pédiatrie sociale).
Une première consultation auprès de mères usagères des services et d’intervenants de l’organisme a été effectuée à l’aide de groupes de discussion (Langevin et Gagné, 2020). Cet exercice, qui visait à comprendre les facteurs pouvant nuire à l’engagement des mères dans les services de l’organisme de manière inductive, a permis à l’équipe de recherche d’identifier que plusieurs obstacles soulevés (ex. : difficultés à s’organiser, problèmes de santé physique et mentale, difficultés relationnelles à l’intérieur et à l’extérieur de l’organisme) pouvaient être compris à travers le prisme du trauma complexe. En effet, cette population de jeunes mères – dont la plupart présentent un historique de traumas interpersonnels multiples – a rapporté des défis qui cadrent avec les impacts bien documentés des traumas complexes sur le développement et le fonctionnement psychosocial. Leurs observations étaient généralement en cohérence avec celles des intervenants, qui ont pour leur part également soulevé les défis que représente le travail auprès de cette clientèle. En effet, trouver le juste équilibre entre les différents objectifs poursuivis et la pluralité des besoins est apparu comme un défi de taille. Ainsi, les difficultés semblant découler des traumas complexes vécus par les mères pourraient représenter des barrières importantes à leur engagement et à leur participation au sein des services. Ces constats ont mis en lumière un besoin de formation en ce qui concerne l’impact des traumas complexes et l’intervention auprès de cette clientèle.
Les jeunes mères et les expériences traumatiques
Les mères adolescentes ou les très jeunes mères adultes vivent souvent dans des contextes d’adversité et de précarité et présentent plusieurs difficultés en matière de santé mentale (Hodgkinson et al., 2014, King et Van Wert, 2017). Elles rapportent également des taux élevés d’expériences traumatiques (ex. Martinez et al., 2017). Par exemple, une étude indiquait que les mères adolescentes avaient vécu en moyenne cinq évènements traumatiques, dont de la violence interpersonnelle et de la maltraitance durant l’enfance (Leplatte et al., 2012). Ces expériences traumatiques, surtout lorsqu’elles sont cumulatives (polyvictimisation), sont associées à un large spectre de conséquences pouvant être compris à travers le prisme du Developmental Trauma Disorder (DTD) (Ford, 2017). Le DTD est un cadre conceptuel intégratif formulé originalement sur la base du Disorders of Extreme Stress Not Otherwise Specified (DESNOS; van Der Kolk et al., 2005), mais adapté pour intégrer les résultats d’études récentes sur les traumas complexes, soit ceux de nature interpersonnelle et répétée survenant à des périodes développementales clés comme l’enfance et l’adolescence (Ford, 2017; Milot et al., 2019). Ainsi, le DTD inclut des symptômes touchant plusieurs sphères du fonctionnement, dont des difficultés de régulation physiologique et affective, de régulation de l’attention, des cognitions et des comportements et de régulation des relations sociales (Ford, 2017; Milot et al., 2019). Ces difficultés peuvent persister à l’âge adulte et affecter les capacités parentales des jeunes mères et l’environnement dans lequel elles élèvent leurs enfants (p. ex. : Banyard et al., 2003; Langevin, Hébert, Bernier, et al., 2022; Marshall et al., 2022; Muzik et al., 2017), ce qui, en retour, conduit parfois à une transmission intergénérationnelle des traumas et à des problèmes de santé mentale chez les enfants (Langevin, Gagné et al., 2022; Langevin, Hébert, et Kern, 2021).
Bien que les expériences traumatiques soient fréquentes chez les usagers des services en milieu communautaire, étant donné les conditions d’adversité dans lesquelles plusieurs évoluent (Oral et al., 2016), ces organismes ne sont pas toujours outillés pour répondre aux besoins des personnes qui ont subi des traumas (Damian et al., 2018; Miller et al., 2017). Tel qu’observé auprès de notre organisme partenaire, ce manque d’outils peut constituer un obstacle à la participation des usagers, limitant ainsi le rayonnement des organismes au sein de leur communauté. La prise de conscience des impacts importants découlant des traumas et l’intégration de ces connaissances dans les procédures, politiques et pratiques organisationnelles – la caractéristique fondamentale des approches sensibles aux traumas (AST) (Substance Abuse and Mental Health Services Administration – SAMHSA, 2014) – nous ont semblé être une avenue prometteuse. C’est ainsi que l’équipe de recherche et l’organisme sont arrivés à une décision commune d’adapter et d’implanter une approche sensible aux traumas (AST) au sein de l’organisme dans l’espoir de favoriser la sensibilité aux impacts des traumas chez tous les acteurs de l’organisme et, ultimement, d’améliorer l’engagement des mères envers les services pour maximiser les bénéfices qu’elles en retirent.
L’approche sensible aux traumas
Une approche de soins répondant aux besoins multiples des jeunes mères et sensible à leur historique traumatique pourrait avoir des retombées positives sur elles et leurs enfants. L’AST est une approche de soins flexible adaptable aux différentes réalités des milieux les mettant en oeuvre. Elles impliquent de résister activement à la retraumatisation et de réduire les risques de trauma vicariant pour les employés. SAMHSA (2014) propose six principes clés des AST devant se refléter à tous les niveaux organisationnels et qui ont été considérés dans la présente étude, soit l’importance de : 1) la sécurité (physique et psychologique); 2) la fiabilité et la transparence; 3) le soutien par les pairs; 4) la collaboration et la mutualité; 5) l’empowerment, la prise de parole et les choix; et 6) la considération des enjeux culturels, historiques et genrés. Plusieurs études montrent des impacts positifs des AST sur les croyances, les attitudes, les connaissances et les pratiques des intervenants travaillant avec des jeunes, de même que sur leur bien-être au travail (voir Gagné et al. dans ce numéro pour une recension systématique). Les AST sont aussi associées à une hausse de l’engagement des usagers envers les services d’organismes desservant diverses populations comme les adultes émergents sans domicile fixe (Vitopoulos et al., 2017) ou les adolescentes vivant en contexte d’adversité (Suarez et al., 2014). Pour ce qui est des jeunes mères survivantes de trauma plus spécifiquement, une étude a montré que la mise en oeuvre d’une AST en contexte de services de soins prénataux avait eu un impact positif sur les taux de participation aux rendez-vous de suivi des mères adolescentes. De plus, l’AST a été aussi associée à des impacts positifs sur l’état de santé de leurs enfants à la naissance (Ashby et al., 2019).
Cadre et objectif de la présente étude
Pour maximiser l’impact de l’implantation d’une AST, les études antérieures montrent que l’adoption d’une approche collaborative impliquant activement les employés, les membres de la direction et les usagers des services est cruciale (Bryson et al., 2017). Ainsi, une approche d’application des connaissances intégrées (ACI) (Canadian Institutes of Health Research, 2012) a été sélectionnée pour la présente étude. L’ACI implique la participation des utilisateurs des connaissances au processus de recherche du début à la fin. Dans le contexte de notre projet, des membres de la direction de l’organisme ont contribué à titre de co-chercheuses à la préparation de la demande fonds, donc à la conceptualisation de l’étude. Une fois le financement obtenu, un comité de partenariat a été formé et incluait deux chercheuses universitaires, deux intervenantes, et deux membres de la direction de l’organisme. Ce comité se réunissait mensuellement pour prendre les décisions relatives aux différentes étapes du projet d’adaptation et d’implantation de l’approche. Il était chargé de réviser le matériel et les rapports produits par les chercheuses, et de faire le lien entre le personnel de l’organisme et les chercheuses.
Cette recherche s’inspire également des étapes du modèle de recherche interventionnelle suggérées par Fraser et Galinsky (2010) (voir la référence originale pour plus de détails) : 1) définir la problématique et l’approche théorique; 2) concevoir le matériel/les mesures du programme; 3) affiner le modèle par des études d’efficacité à petite échelle; 4) évaluer l’efficacité dans d’autres contextes; 5) disséminer les résultats. La première étape a été réalisée lors des consultations décrites plus haut effectuées en début de collaboration avec l’organisme. Les deux étapes suivantes (2 et 3) de la recherche interventionnelle font l’objet des objectifs 1 et 2 du présent article.
L’objectif global poursuivi dans la présente étude, déterminé par l’organisme partenaire en collaboration avec l’équipe de recherche, était d’améliorer l’engagement des jeunes mères envers les services. L’étape 1 de Fraser et Galinsky nous a permis de constater que les difficultés possiblement liées aux traumas complexes vécus par les mères constituaient des obstacles importants à leur participation à l’organisme. Cette étape nous a également orientées vers la pertinence des AST pour atténuer ces barrières à l’engagement. Ainsi, le présent article documente spécifiquement : 1) l’adaptation des principes clés des AST afin de répondre aux besoins particuliers de cet organisme (étape 2 de Fraser et Galinsky); et 2) les premières étapes du processus d’implantation (application) et de son évaluation en termes de changements rapportés dans les connaissances, les attitudes et les pratiques des intervenants exposés aux efforts d’implantation (étape 3 de Fraser et Galinsky). En raison de la démarche d’ACI adoptée pour ce projet de recherche, les premiers bénéficiaires en sont les membres du personnel et les usagers des services (mères, enfants) de notre organisme partenaire. Cet article contribue toutefois à la littérature scientifique en offrant des données additionnelles quant aux effets de l’adaptation et de l’implantation d’une AST en milieu communautaire urbain desservant de jeunes familles vulnérables. En ce qui concerne sa pertinence sociale, il offrira des pistes de réflexion et des recommandations pratiques pour les milieux et les chercheurs voulant s’impliquer dans un tel processus. En démontrant la faisabilité d’implanter une AST dans un milieu communautaire de petite taille et les impacts positifs d’une telle implantation, nous souhaitons encourager d’autres milieux de pratique à emboîter le pas, et ainsi contribuer à l’avènement d’une société qui répond mieux aux besoins des personnes ayant vécu des traumas complexes.
Méthode
Participants et procédures
Afin d’adapter et d’implanter une AST, le comité de partenariat a déterminé que les étapes préliminaires suivantes étaient souhaitables : 1) créer et diffuser des capsules vidéo éducatives abordant différents aspects clés des AST pour sensibiliser les employés (étape 2 de Fraser et Galinsky); 2) organiser un atelier de réflexion d’une journée avec les employés pour stimuler leur réflexion face aux services offerts dans une perspective d’AST (n = 22) (étape 2 de Fraser et Galinsky); 3) faire une autoévaluation de l’adhésion aux principes des AST chez les employés à l’aide d’un questionnaire et suivre l’évolution des réponses au questionnaire sur une période d’un an à raison de quatre temps de mesure stratégiquement placés après chaque activité d’adaptation/implantation (N = 18; 11 à 15 par temps de mesure) (étape 3 de Fraser et Galinsky); 4) obtenir la perspective des usagères sur les stratégies suggérées lors de l’atelier de réflexion (étape 3 de Fraser et Galinsky). Les différentes activités de recherche, présentées à la Figure 1, ont été approuvées par le Comité d’éthique à la recherche de l’Université McGill. Il est à noter que l’étape 4 (recueillir la perspective des mères) est en cours de réalisation et ne sera pas présentée dans le présent article.
Figure 1
Calendrier des activités de recherche
Mesures
Atelier de réflexion
L’atelier de réflexion a eu lieu dans les locaux de l’organisme. La journée a été divisée en quatre parties : phase d’entrée dans les services, phase d’utilisation des services, transition hors des services, aspects organisationnels. Pour chacune de ces parties, les principes clés des AST (sécurité, fiabilité/transparence, collaboration/mutualité, empowerment/prise de parole/choix, enjeux culturels/historiques/genrés, soutien par les pairs) ont fait l’objet des questions suivantes : 1) Qu’est-ce que l’organisme fait déjà (Conserver) pour répondre à ce principe? 2) Qu’est-ce qui pourrait compromettre le bien-être des personnes ayant subi des traumas (Cesser)? 3) Qu’est-ce que l’organisme pourrait adopter dans le futur (Créer) pour mieux répondre à ce principe? Les employés étaient divisés en quatre tables et ceux d’un même service étaient regroupés à une même table. Des échanges en grand groupe avaient lieu régulièrement durant la journée. Des traces écrites ont été conservées grâce aux membres du comité de partenariat répartis sur les quatre tables qui avaient pour responsabilité de noter les réflexions des sous-groupes. Les participants ont également été appelés à rédiger une réflexion personnelle à la fin de la journée. Tout ce matériel a été collecté par les chercheuses et combiné en un seul document électronique.
Auto-évaluation
Afin de réaliser l’évaluation, les employés de l’organisme ont rempli l’autoquestionnaire Attitudes Related to Trauma-Informed Care (ARTIC) Scale (Baker et al., 2016). Ce questionnaire validé contient 45 énoncés qui visent à évaluer les attitudes de professionnels et de paraprofessionnels vis-à-vis des principes des AST. Le répondant se voit présenter deux énoncés représentant les deux extrémités d’un continuum. Il doit ensuite indiquer lequel des énoncés représente le plus fidèlement sa perspective sur une échelle Likert de 1 à 7 (ex. : « Les clients ont été élevés d’une certaine façon, et il n’y a rien que je puisse y faire » versus « Les clients ont été élevés d’une certaine façon, et ils ne savent donc pas encore comment faire ce que je leur demande »). Certains énoncés sont ensuite recodés pour qu’un score élevé représente toujours une plus forte adhésion aux principes des AST. Enfin, une moyenne globale (score total) et sur les énoncés spécifiques aux sept sous-échelles (scores qui varient entre 1 et 7) est calculée. Les sous-échelles (5-7 énoncés/échelle) sont les suivantes : 1) causes sous-jacentes (c.-à-d., propension à attribuer les comportements problématiques et les symptômes à des facteurs externes et malléables plutôt qu’internes et fixes); 2) réponse (c.-à-d., la tendance, face à des comportements problématiques ou à des symptômes, à insister sur les règles, les conséquences possibles et l’élimination des comportements plutôt que sur la flexibilité, le sentiment de sécurité et l’alliance); 3) comportements au travail (c.-à-d., les comportements axés sur le contrôle plutôt que sur l’empathie); 4) auto-efficacité (c.-à-d., le sentiment d’être capable ou non de répondre aux demandes du travail auprès de populations traumatisées); 5) réactions (c.-à-d., la démonstration d’une minimisation des effets du trauma vicariant et d’une tendance à les ignorer plutôt qu’une reconnaissance de celui-ci et une tendance à chercher de l’aide); 6) appui personnel à l’approche (c.-à-d., l’expression des préoccupations vis-à-vis de l’AST plutôt que d’en soutenir l’implantation); et 7) appui organisationnel à l’approche (c.-à-d., le sentiment d’être soutenu ou non par les collègues, les superviseurs et l’administration dans le processus d’implantation).
Résultats
Capsules vidéo éducatives
En préparation pour la journée de réflexion avec les employés, quatre capsules éducatives sur les AST ont été élaborées et diffusées aux employés entre mai et septembre 2021. Chacune d’entre elles était d’une durée de 15 à 20 minutes et accompagnée d’un résumé infographique. Les thématiques abordées, déterminées par le comité de partenariat, étaient les suivantes : a) qu’est-ce que le trauma complexe?; b) principes clés des AST; c) stratégies d’implantation des AST; et d) fatigue de compassion et trauma vicariant. Nous avons informé les employés qu’ils devaient visionner toutes ces capsules avant leur participation à la journée de réflexion, qui a eu lieu en septembre 2021.
Atelier de réflexion
Pour connaître les résultats détaillés des discussions, veuillez consulter le Tableau 1. Certains éléments, notamment ceux plus directement en lien avec les interventions auprès des usagères de service, sont soulignés dans les sections suivantes.
Tableau 1
Stratégies discutées dans le cadre de l'atelier de réflexion
Sécurité, fiabilité, transparence
Les employés présents ont mentionné l’importance de conserver plusieurs pratiques comme de s’assurer d’obtenir un consentement éclairé et en continu pour différents aspects, notamment pour la prise de photos et l’échange d’informations entre les services. L’importance de continuer d’être sensibles aux causes sous-jacentes des comportements problématiques – mais aussi parfois de cesser d’ignorer les besoins sous-jacents aux comportements problématiques – et de revenir de manière transparente sur les interventions moins réussies a également été soulevée. Continuer d’accompagner les mères et les enfants lors du moment charnière de la transition hors des services de l’organisme a aussi été mentionné. Les employés ont indiqué qu’il serait pertinent de cesser d’avoir des règles différentes entre les différents services de l’organisme et de procéder aux inscriptions à l’accueil où la confidentialité n’est pas préservée. En ce qui concerne l’adoption de nouvelles pratiques (créer), les employés ont parlé d’avoir un intervenant dédié à l’inscription des nouvelles usagères, et de prendre en considération le lien privilégié que les mères ou les enfants peuvent avoir créé avec certains intervenants.
Collaboration/mutualité, empowerment/prise de parole et choix
Plusieurs pratiques à conserver ont été mises en lumière lors des échanges, notamment celles de continuer d’impliquer les mères dans les décisions au sujet de leur trajectoire de service, d’avoir un Comité des mères et de favoriser le partage d’expérience entre les mères. Continuer d’adopter une posture d’accompagnement dans l’intervention et non d’expert a été soulevé. Par ailleurs, les intervenants ont discuté de l’intérêt de cesser de faire les choses pour les mères plutôt qu’avec elles afin de favoriser leur autonomie. Les employés ont recommandé de cesser de se centrer uniquement sur les mères qui participent pour se tourner également vers celles qui ne viennent pas aux activités. Ils ont souligné l’importance de cesser d’effectuer rapidement la transition à l’extérieur des services par manque de temps. Enfin, ils ont proposé plusieurs pratiques à mettre en place (créer) comme de renforcer la présence de bénévoles, d’éduquer les mères sur les pratiques éducatives éprouvées, d’établir un plan de transition hors des services pour les mères, d’élaborer la programmation annuelle avec les mères et d’améliorer la communication avec celles-ci.
Enjeux culturels, historiques et genrés
Les intervenants ont semblé prendre conscience de plusieurs aspects du fonctionnement de l’organisme pouvant limiter le sentiment d’inclusion de certaines mères issues de la diversité. Ils ont noté l’importance de cesser de porter des jugements rapides et de recadrer les propos non inclusifs de certains collègues ou de mères usagères plus systématiquement. Des stratégies très concrètes à mettre en place (créer) ont été suggérées comme la révision du langage dans les formulaires utilisés (ex. : consentement) et du logo pour s’adresser à toutes les personnes s’identifiant comme mères, même celles issues de la diversité sexuelle et de genre. En outre, il est apparu pertinent lors des échanges d’offrir davantage de formation aux employés, de porter attention aux biais culturels et de consulter les mères issues de la diversité. L’importance de continuer d’embaucher des employés issus de la diversité pour favoriser la compétence culturelle et le sentiment d’inclusion a été soulevée. Enfin, les intervenants ont suggéré le maintien de l’adaptation des services et des accommodements aux différentes réalités culturelles et religieuses (ex. : lors des repas organisés avec les mères).
Soutien par les pairs
Des stratégies ont été suggérées pour les mères, les enfants et les employés comme celle de créer un système de mentorat par le pairage d’une mère habituée de l’organisme avec une nouvelle mère. Le maintien et la bonification de l’utilisation de témoignages de mères à différents moments de la trajectoire de service ont été soulevés. Pour terminer, les intervenants ont souligné l’importance de continuer à mobiliser les enfants fréquentant déjà la garderie pour faciliter l’intégration de nouveaux enfants.
Après la journée de réflexion, un rapport résumant les résultats des discussions a été rédigé par les chercheuses et distribué à l’ensemble du personnel. Une présentation en personne a également été réalisée pour discuter de ces résultats avec les employés (environ une dizaine d’individus a pu se libérer pour y assister) et dans le but d’obtenir leur rétroaction. Ceux-ci ont unanimement rapporté que les éléments exposés représentaient bien le contenu de leurs échanges lors de la journée de réflexion.
Auto-évaluation organisationnelle
Comme présenté dans la Figure 1, l’ARTIC a été rempli à quatre moments stratégiques du projet sur une période d’un an : 1) en début de projet; 2) après la diffusion des capsules vidéo; 3) après l’atelier de réflexion; et 4) après la présentation des résultats de l’atelier de réflexion. Les moyennes et écarts-types pour les différentes sous-échelles de l’autoquestionnaire ARTIC à chacun des temps de mesure sont présentés dans le Tableau 2. Les scores pouvant varier de 1 à 7, des moyennes principalement dans les 5 ou 6 tendent à indiquer une adhésion plutôt forte aux principes des AST chez les employés de l’organisme, et ce, dès le début du partenariat.
Tableau 2
Moyennes et écarts-types pour le ARTIC aux quatre temps de mesure
Huit employés ont rempli l’ARTIC à tous les temps de mesure. Des analyses de variance à mesures répétées non paramétriques (ANOVA de Friedman) ont été effectuées avec les scores de ces employés afin d’examiner leur évolution sur les différentes sous-échelles de l’ARTIC (Tableau 3). Les résultats n’indiquent aucun changement dans les scores sur l’échelle évaluant la propension à considérer les facteurs étiologiques externes et malléables plutôt qu’internes et fixes lorsque confrontés à des comportements problématiques ou à des symptômes chez les usagères. Les analyses post-hoc de Wilcoxon indiquent également que les scores aux T1 ne diffèrent pas significativement des scores aux autres temps de mesure.
Tableau 3
Résultat des analyses non paramétriques à mesures répétées
Note. Le texte en gras représente une différence significative par rapport au T1. * p < .05; m p < .10.
En ce qui concerne les scores de réponses aux comportements problématiques et aux symptômes, les résultats indiquent une amélioration globale non significative, mais marginale (p < 0,10). Par ailleurs, l’examen des analyses post-hoc montre une différence significative entre les scores du T1 (Mdn = 5,93) et ceux du T2 (Mdn = 6,21) (T = 42,50, z = -2,41, p = 0,016), mais pas de différence entre le T1 et les T3 et T4.
Aucun changement significatif tant globalement qu’au niveau des analyses post-hoc n’a été rapporté dans la propension à utiliser des stratégies basées sur l’empathie plutôt que le contrôle (comportement au travail), dans le sentiment d’auto-efficacité en ce qui concerne la capacité à répondre aux besoins de clientèles traumatisées et dans la propension à reconnaître les risques de trauma vicariant et à y répondre à cherchant du soutien (réactions).
Une majorité de participants ont indiqué non applicable à plusieurs énoncés des sous-échelles d’appui personnel et organisationnel à l’approche aux T1 et au T2 puisqu’ils ne se sentaient pas suffisamment familiers avec l’approche pour répondre aux questions. Nous avons donc analysé l’évolution entre le T3 et le T4 seulement pour ces sous-échelles. Les résultats indiquent une absence de changement entre le T3 et le T4.
Un score total partiel a été calculé avec cinq des sept sous-échelles de l’ARTIC pour lesquelles des données presque complètes étaient disponibles entre le T1 et le T4, excluant donc les deux sous-échelles d’appui à l’approche. Globalement, aucun changement significatif n’est rapporté sur ce score. Toutefois, l’examen des analyses post-hoc indique une différence marginalement significative entre les scores au T1 (Mdn = 5,34) et ceux au T3 (Mdn = 6,14) (T = 36,50, z = -1,66, p = 0,096).
Discussion
Cet article avait pour objectif de rendre compte des activités de recherche visant à adapter et à entamer l’implantation d’une AST dans un organisme communautaire en milieu urbain offrant des services aux jeunes mères de moins de 25 ans et à leurs enfants d’âge préscolaire. Pour l’objectif 1, la distribution de capsules d’information a permis de familiariser les employés de l’organisme aux AST. Puis, une journée de réflexion avec les employés et les membres de la direction de l’organisme ainsi que des activités connexes ont permis de générer différentes stratégies à maintenir (ex. : le consentement en continu, l’encouragement du soutien par les pairs, la position d’accompagnement dans l’intervention), à cesser (ex. : les règles différentes entre les services, les formulaires et le logo genrés, le fait de se centrer uniquement sur les usagères qui viennent) ou à mettre en place (ex. : intégrer les usagères à la planification annuelle, recadrer systématiquement les propos non inclusifs) au sein de l’organisme afin d’accroître sa sensibilité au vécu traumatique de ses membres (usagères, employés, etc.). Pour l’objectif 2, une autoévaluation organisationnelle en quatre temps de mesure sur un an a permis de documenter objectivement certains progrès dans les attitudes des employés de l’organisme vis-à-vis des principes des AST.
Barrières et facilitateurs à l’adaptation et l’implantation d’une AST dans un organisme communautaire de petite taille
L’intérêt suscité chez les membres de l’organisme partenaire pour les capsules éducatives de même que la participation de la plupart des employés à la journée de réflexion appuie la pertinence et la faisabilité de l’implantation d’une AST dans un organisme communautaire de petite taille. La journée de réflexion a mis en lumière la créativité des employés et leur volonté de réfléchir à leurs pratiques en vue de les bonifier et de mieux répondre aux besoins des usagères dans une perspective sensible aux traumas. Plusieurs éléments facilitateurs ont contribué à la faisabilité de ce projet et conviennent d’être soulevés. Premièrement, il convient de noter que les efforts d’adaptation et d’implantation sont le résultat d’un travail d’équipe entre les chercheurs et l’organisme. De plus, le fait d’avoir une communication régulière avec l’organisme et de s’assurer du soutien continu de la direction et des employés a été essentiel. L’importance d’offrir du soutien continu a été soulevée dans des études antérieures comme étant un élément clé pouvant affecter la portée d’un projet d’implantation d’AST (voir Gagné et al. dans ce numéro thématique pour une recension systématique). Des praticiens ont notamment indiqué que le manque de soutien organisationnel restreignait leur capacité à mettre en oeuvre des pratiques en lien avec une AST (ex. Baker et al., 2018; Miller et al., 2017). Deuxièmement, la mise sur pied d’un comité de partenariat relativement stable incluant des employés et des membres de la direction très motivés et adhérant à l’idée qu’une AST peut être grandement bénéfique pour eux et pour la clientèle qu’ils desservent est un important facilitateur. Il a notamment été noté dans une étude que les praticiens qui travaillent auprès d’agences ayant mis en place un comité de consultation tout au long de l’implantation démontraient une plus grande adhésion aux principes de l’AST à la fin de la mise en oeuvre que ceux des agences n’ayant pas adopté cette approche (Brown et al., 2012). Troisièmement, certaines caractéristiques de l’organisme se sont aussi avérées aidantes. Comme nous l’avons observé lors de l’atelier de réflexion, notamment au sujet des stratégies à conserver, notre partenaire adhérait déjà en grande partie aux principes clés des AST et était aussi quelque peu familier et sensible aux notions de trauma, de trauma complexe et de trauma vicariant. Ainsi, l’implantation d’une AST ne représentait pas un changement de culture majeur et ne nécessitait parfois que des ajustements mineurs dans les pratiques des employés (ex. : renforcer l’approche de soutien par les pairs et l’implication des mères dans les décisions de l’organisme). Enfin, les organismes communautaires, surtout ceux de petite taille, ont une grande flexibilité et agilité, si bien que des changements sont apportés rapidement sans lourdeur administrative. Les décisions peuvent être prises rapidement et des changements mis en place du jour au lendemain. Ces caractéristiques contrastent énormément avec celles des établissements de grande taille comme ceux du réseau de la santé et des services sociaux (ex. : hôpitaux, CLSC) où la lourdeur administrative entrave parfois l’innovation dans les changements d’approches à privilégier.
Le travail auprès d’un organisme communautaire n’est toutefois pas sans défi, surtout en contexte pandémique. Les employés du domaine de la santé et des services sociaux sont souvent surchargés, la demande dépassant fortement la capacité à fournir des services, et notre partenaire n’y fait pas exception. Les petits organismes fonctionnent avec des budgets très serrés et profitent généralement de peu de personnel de soutien pouvant prendre en charge des tâches administratives afin de libérer les intervenants pour leur travail direct avec la clientèle desservie. La charge de travail administrative élevée et qui a peu d’incidence sur la réponse aux besoins des usagers a déjà été soulevée par d’autres intervenants comme étant une barrière à la mise en oeuvre d’AST. En effet, le temps et l’énergie alloués à ces tâches administratives entraînent nécessairement une moins grande allocation de temps à la mise en oeuvre d’AST (ex. : Ezell, 2019; MacLochlainn et al., 2021). Cette réalité, se reflétant dans plusieurs pistes de réflexion soulevées lors de la journée de réflexion (ex. : augmenter la présence de bénévoles), s’accompagne d’une difficulté à mobiliser les membres du comité de partenariat en dehors des rencontres prévues même lorsque ce travail peut entrer dans leurs heures rémunérées selon l’entente avec la direction. Dans un même ordre d’idée, il était parfois difficile de s’assurer de la participation aux activités de recherche des employés de l’organisme et plusieurs rappels étaient nécessaires (ex. : présentation des résultats de la journée de réflexion, autoévaluation organisationnelle). Le roulement de personnel, qui a suscité plusieurs discussions et des idées de stratégies à mettre en place lors de la journée de réflexion (ex. : mentorat entre anciens et nouveaux employés), a également représenté un défi au cours de notre collaboration, ralentissant les progrès et menant à une attrition entre les différents temps de mesure pour l’autoévaluation organisationnelle. Des défis en lien avec la clientèle desservie sont également à mentionner (jeunes mères présentant plusieurs problèmes psychosociaux) et ont fait l’objet de recommandations et de discussions lors des échanges à la journée de réflexion. Cette clientèle peut être difficile à mobiliser pour participer aux décisions administratives de l’organisme ou aux activités de soutien par les pairs qui sont cohérentes avec les AST. Enfin, l’agilité et la flexibilité de l’organisme, bien qu’elles soient des facilitateurs à certains égards, représentent également un défi pour l’équipe de recherche. La rigueur en recherche demande souvent du temps pour s’assurer de bien mesurer et contrôler les facteurs confondants, d’avoir des mesures pré et post recherche afin de pouvoir documenter l’évolution, etc. L’agilité des organismes communautaires de petite taille requiert donc une adaptation et une flexibilité des chercheurs pour trouver un juste équilibre entre les besoins de la recherche et ceux du milieu.
Autoévaluation organisationnelle
Face à des comportements problématiques ou à des symptômes, une amélioration de la tendance à démontrer de la flexibilité et à prioriser le sentiment de sécurité et l’alliance a été observée après la distribution des capsules éducatives (T2). De plus, une amélioration marginalement significative du score global partiel a été observée quelques semaines après la journée de réflexion (T3), mais elle ne s’est pas maintenue au suivi d’un an. Ces résultats, significatifs malgré un très petit échantillon, sont encourageants et en cohérence avec ceux d’études antérieures démontrant les effets positifs des efforts d’implantation d’une AST dans différents organismes oeuvrant auprès de jeunes de 12 à 25 ans (voir Gagné et al. dans ce numéro thématique pour une recension systématique). Gagné et al. ont identifié que sur huit études ayant documenté l’évolution des attitudes et des croyances des intervenants exposés à des efforts d’implantation d’une AST, dans six d’entre elles on a observé des améliorations significatives. Des cinq études recensées où l’évolution des connaissances en lien avec les AST a été évaluée et des cinq études où les chercheurs se sont intéressés à l’évolution des pratiques, dans quatre d’entre elles on a observé des effets positifs pré/post implantation (Gagné et al., ce numéro). À titre d’exemple, Black et al. (2021) ont noté une augmentation des scores sur cinq sous-échelles de l’ARTIC (causes sous-jacentes, réponses, comportements au travail, auto-efficacité et réactions) chez des intervenants en protection de l’enfance sur une période d’un an. Brown et al. (2012) ont aussi noté un accroissement des connaissances sur les AST, une amélioration des croyances en regard des AST et une augmentation des comportements cohérents avec une AST chez des intervenants pré et post-intervention. À titre de dernier exemple, Lang et al. (2016) ont observé une hausse de la compréhension des concepts clés des AST et une amélioration dans la capacité à intégrer les concepts des AST chez les employés de divers secteurs de la protection de l’enfance sur une période de deux ans. En somme, une majorité d’études, tout comme la nôtre, démontrent que l’implantation d’une AST dans différents milieux de pratique auprès des jeunes mène à une amélioration significative des connaissances, des pratiques, et des attitudes des employés au sujet des AST. Toutefois, tout comme dans d’autres études, des nuances sont présentes et une absence d’amélioration sur plusieurs sous-échelles de l’ARTIC a été observée (Gagné et al., ce numéro).
Plus spécifiquement, aucun changement significatif sur un an n’a été rapporté au niveau de la propension à considérer les facteurs étiologiques externes et malléables plutôt qu’internes et fixes et dans la propension à utiliser des stratégies basées sur l’empathie plutôt que le contrôle lorsque l’intervenant est confronté à des comportements problématiques ou à des symptômes chez les usagères. En outre, aucun changement dans le sentiment d’auto-efficacité des employés et dans la propension à reconnaître les risques de trauma vicariant et à y répondre en cherchant du soutien n’a été documenté. Le petit échantillon pourrait évidemment expliquer cette absence de résultat significatif (manque de puissance statistique). En effet, une augmentation du score moyen est observée entre le T1 et le T4 sur les échelles de causes sous-jacentes (5,68 à 6,02) et de réponses (6,05 à 6,32). De plus, l’examen des scores moyens tend à indiquer la présence d’un effet plafond en ce qui concerne les échelles des comportements et des réactions, celles-ci présentant déjà des scores moyens très élevés (> 6) au premier temps de mesure. Pour ce qui est du sentiment d’auto-efficacité, une première hypothèse est que dans le cadre de ces premières étapes d’implantation, les activités visaient à familiariser les intervenants aux AST et à les faire réfléchir aux manières d’améliorer la sensibilité aux traumas de leur organisme. La mise en place de ces stratégies n’avait pas encore été formalisée et les intervenants n’avaient pas encore pu profiter de formations plus approfondies au sujet des AST, ce qui viendra dans des étapes ultérieures. Une autre hypothèse concerne la pandémie de COVID-19. Notre étude s’est déroulée pendant la pandémie (janvier 2020 – mai 2022), alors que le système de santé du Québec, et, par répercussion, tous les organismes communautaires oeuvrant dans le domaine psychosocial et de la santé ont été surchargés après avoir été mis à l’arrêt par les mesures sanitaires. Les employés et les membres de la direction de notre organisme partenaire ont à plusieurs reprises exprimé que la demande accrue et la complexification des problèmes psychosociaux présentés par les mères desservies représentaient un défi important en contexte pandémique. La pandémie a aussi provoqué un roulement de personnel encore jamais vu au sein de l’organisme et a mené plusieurs employés à l’épuisement professionnel, ce qui a exercé une pression additionnelle sur la direction et sur les intervenants restant en poste. Ainsi, il est probable que le contexte de l’étude ait limité les gains quant au sentiment des employés de l’organisme de pouvoir répondre aux besoins des clientèles traumatisées, mais aussi concernant les autres sous-échelles de l’ARTIC.
Notre partenaire a maintes fois réitéré son appui à la démarche et sa volonté d’aller de l’avant avec l’implantation d’une AST, mais les scores d’appui personnel et organisationnel à l’approche n’ont pas changé entre les deux derniers temps de mesure de l’étude. Les membres du comité de partenariat nous ont exprimé les défis auxquels ils faisaient face pour l’implantation d’une nouvelle approche en contexte d’arrivée massive de nouveaux intervenants à former. Au début de notre collaboration (2019-2020 – avant la pandémie), l’organisme avait une équipe d’intervenants stable et expérimentée et réfléchissait à la meilleure façon d’améliorer le service auprès de sa clientèle dans une optique de perfectionnement. Au dernier temps de mesure, après deux ans de pandémie, les priorités de l’organisme étaient toutes autres, soit de s’assurer de recruter rapidement de nouveaux employés pour combler les postes laissés vacants, de favoriser la rétention du personnel en place en contexte d’épuisement généralisé des travailleurs du domaine de la santé et des services sociaux, et de parvenir à familiariser les nouveaux venus aux activités de base réalisées par l’organisme et à la clientèle desservie. Ce retour à la base était difficilement compatible avec la démarche de perfectionnement originalement développée. Quoi qu’il en soit, nos résultats mitigés ne sont pas sans ressemblance avec ceux d’autres études. Par exemple, Beidas et al. (2016), n’ont pas observé de changement dans les connaissances des employés après l’implantation et ont noté une diminution de l’ouverture face aux AST entre le post-test et le suivi six mois. Galvin et al. (2020) ont pour leur part également rapporté un possible effet plafond au niveau des attitudes envers les AST dans leur échantillon d’intervenants. Ils ont également observé des nuances en fonction des postes occupés. Enfin, Damian et al. (2019) n’ont pas remarqué de changement dans le sentiment d’auto-efficacité des employés des services sociaux, de police, de la santé et de l’éducation bien qu’une amélioration des connaissances et des attitudes envers les usagers ait été notée. Ainsi, d’autres études sont nécessaires pour approfondir notre compréhension des facteurs et des circonstances qui influencent la réussite de l’implantation d’une AST, ainsi que des personnes concernées par celle-ci.
Limites
Bien qu’elle ait permis de documenter le processus d’adaptation et d’implantation d’une AST dans un organisme communautaire en milieu urbain desservant une population particulière de jeunes mères vulnérables, notre étude à petite échelle comporte plusieurs limites qu’il convient de mentionner. D’abord, les résultats de notre étude concernent un seul organisme communautaire de petite taille. Ils sont donc difficilement généralisables à d’autres contextes de soins et de services. Les petites tailles d’échantillon sont également une limite dans ce contexte, tout comme l’attrition entre les différents temps de mesure, en grande partie due aux mouvements de personnel au sein de l’organisme (ex. : départ en congé maladie, démissions) et à la surcharge de travail. En l’absence de groupe de comparaison, il est impossible de comparer l’évolution des scores des employés exposés aux efforts d’implantation à celle d’autres employés qui n’y auraient pas été exposés. Le contexte pandémique nécessite également une contextualisation des résultats, tant pour l’objectif 1 que pour l’objectif 2. Ceux-ci pourraient ne pas être généralisables à d’autres périodes historiques. Enfin, les résultats présentés ici sont préliminaires puisque les activités d’implantation de l’AST ne sont pas encore terminées et que la collaboration est toujours en cours. Le fait d’organiser la journée de réflexion après une formation approfondie sur les AST pour tous les membres de l’organisme plutôt qu’avant la formation aurait possiblement entraîné des discussions encore plus riches.
Conclusions et recommandations
Cette étude a permis de décrire nos efforts d’adaptation et d’implantation d’une AST en contexte communautaire après avoir identifié qu’une telle approche pouvait être bénéfique. Les résultats montrent des améliorations du score global partiel de l’ARTIC et dans la propension des employés de l’organisme à se montrer flexibles et à prioriser le sentiment de sécurité et l’alliance lorsque confrontés à des comportements problématiques ou à des symptômes chez les usagères. Les résultats sont toutefois moins concluants en ce qui concerne le sentiment d’auto-efficacité des intervenants quand vient le temps de répondre aux besoins de clientèles hautement traumatisées et en matière de soutien personnel et organisationnel aux AST. D’autres études robustes sur le plan méthodologique (ex. : incluant des groupes de comparaison et une randomisation, auprès de plusieurs organismes, avec plusieurs temps de mesure sur quelques années) sont nécessaires pour mieux comprendre les facteurs pouvant maximiser l’impact des efforts d’implantation d’une AST dans divers contextes organisationnels et auprès de diverses clientèles. L’impact de ces efforts sur la qualité des soins reçus et sur les usagers des services doit également faire l’objet d’études robustes. Une exploration des retombées des AST sur des facteurs en lien avec la santé et le bien-être des usagers permettrait une compréhension plus approfondie des impacts des AST. Ces questions gagneraient à être étudiées par le biais d’études à devis mixte, permettant ainsi une analyse plus complète étant donné l’inclusion de mesures objectives et subjectives de l’expérience des usagers avec les AST. Notre expérience démontre l’importance de développer une collaboration solide entre l’équipe de recherche et les partenaires des milieux et de trouver un juste équilibre entre les besoins de la recherche et ceux des milieux aux différentes étapes du travail collaboratif. Elle illustre également le potentiel d’adaptation qu’offrent les AST, permettant ainsi une implantation de l’approche personnalisée pouvant répondre aux réalités et aux besoins spécifiques du milieu la mettant en oeuvre. En conclusion, puisque les organismes communautaires offrant des services psychosociaux aux jeunes familles vulnérables peuvent être d’importants vecteurs de résilience intergénérationnelle, surtout s’ils démontrent une sensibilité aux impacts du vécu traumatique de leur clientèle, l’implantation d’une AST en contexte de services communautaires de proximité est prometteuse et pourrait favoriser un meilleur engagement envers les services chez ces populations parfois difficiles à rejoindre.
Parties annexes
Remerciements
Nous souhaitons remercier notre organisme partenaire et plus particulièrement les membres du comité de partenariat qui ont grandement contribué à la réalisation de ce projet. Un remerciement chaleureux aux deux membres du comité de partenariat qui ont pris le temps de relire attentivement le manuscrit pour nous offrir leur rétroaction. Ce projet a été financé par une subvention RBC Fellowship du Centre de recherche sur les enfants et la famille de l’Université McGill et par une subvention d’Engagement partenarial du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, toutes deux octroyées à Dr. Langevin. Dr. Langevin est également chercheuse-boursière des Fonds de recherche du Québec – Santé et titulaire d’un William Dawson Scholar Award de l’Université McGill.
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Liste des figures
Figure 1
Calendrier des activités de recherche
Liste des tableaux
Tableau 1
Stratégies discutées dans le cadre de l'atelier de réflexion
Tableau 2
Moyennes et écarts-types pour le ARTIC aux quatre temps de mesure
Tableau 3
Résultat des analyses non paramétriques à mesures répétées