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« Il y a un cercle de la vérité […] C’est que la question de la vérité est une question qui se présuppose elle-même. Nous savons déjà ce qu’est la vérité lorsque nous nous lançons dans l’entreprise du savoir ; son idée nous guide effectivement. Mais ses présuppositions ne peuvent cependant pas être entièrement élucidées car il n’y a pour nous ni vérité accessible sous forme d’un donné pur, ni vérité toute faite déjà sous forme d’une construction a priori. La vérité est toujours à faire ; elle se précède et s’annonce en même temps. Elle nous éclaire mais elle reste énigmatique[1]. »

Depuis l’émergence de ce que l’on désigne par le terme de « modernité », le concept de vérité a fait l’objet d’une importante mutation qui, sans pour autant invalider entièrement ce que la réflexion avait pu jusque-là révéler, a introduit un important facteur de relativité par rapport au concept traditionnel de vérité[2]. L’époque contemporaine a poursuivi et radicalisé cet examen critique en contestant la conception classique, « forte », de la vérité au profit d’une conception déflationniste de la vérité, voire d’un abandon du concept même de vérité. L’idée de vérité absolue s’est progressivement délitée au profit d’une vérité toujours plus relative. À l’issue de ce long procès d’« immanentisation » et d’humanisation de la vérité, où se sont sans cesse affirmées avec une radicalité croissante son historicité et sa contextualité, comment est-il encore possible de parler de vérité ? Faut-il plutôt se résoudre au relativisme ou au perspectivisme intégral ? Plus précisément : est-il possible de conserver quelque chose de la transcendance associée classiquement au concept de vérité, de sauvegarder la charge idéalisante de ce concept ?

Je répondrai affirmativement à cette question, en essayant de montrer que la réflexion actuelle sur la vérité est la résultante d’un long processus de problématisation et de radicalisation initié dès les origines de la réflexion philosophique occidentale. J’entends rappeler, comme la tradition philosophique l’a toujours plus ou moins soupçonné, qu’il n’existe pas de vérité sans médiation : le vrai ne se donne toujours que « médiatement ». Il se trouve que la conscience de cette médiation n’a cessé de s’affirmer toujours davantage pour culminer, lors du dernier siècle, dans une prise de conscience généralisée et approfondie de son ampleur. Cette prise de conscience est intrinsèquement liée à la reconnaissance de l’historicité de la vérité qui met en lumière l’effet de relativité qui est nécessairement lié à la vérité. Il me semble qu’il est possible d’inscrire la relativité du vrai dans un horizon de radicalité suggérant le lieu extra-mondain de sa manifestation « absolue », de faire droit à la contextualité de la vérité tout en maintenant la visée ultime de son intégralité comme moteur de la recherche scientifique. Si la médiation corrélative à la vérité entraîne un inévitable effet de relativité, cette admission ne constitue en rien un saufconduit vers le relativisme intégral. Il faut tenir à la fois la contextualité du vrai et la visée de radicalité qu’implique l’idée même de vérité.

En m’appuyant sur la réflexion de Jean Ladrière, je rappellerai d’abord cet événement fondamental qu’est la prise de conscience, par la philosophie contemporaine, de la coappartenance de la vérité et de l’histoire. Cette prise de conscience est l’aboutissement du passage moderne de la vérité-réception à la vérité-construction que j’esquisserai en un second temps. Puisque le thème de la vérité est immédiatement lié à celui de la science, et que celle-ci exerce un puissant effet dissolvant sur l’idée classique de vérité, il s’agira ensuite d’examiner comment se présente aujourd’hui la question de la vérité dans la démarche scientifique. Je terminerai par une brève esquisse du statut contemporain de la vérité.

1. La prise de conscience de l’historicité de la vérité

Sous la mouvance de la réflexion sur l’historicité qui s’est développée au XXe siècle, notre époque a pris de plus en plus conscience de l’historicité de la vérité, c’est-à-dire du fait que la vérité est historiquement déterminée[3]. Il y un lien fondamental, une appartenance mutuelle entre vérité et historicité. L’historicité dont il est ici question est celle que l’on peut qualifier d’existentielle, en tant qu’elle caractérise l’existence humaine, en vertu de sa constitution ontologique, comme l’une de ses dimensions fondamentales. L’historicité désigne le fait que l’existence se vit nécessairement sous une forme historique. Selon la philosophie de l’historicité, l’histoire n’est plus pensée, à la manière des philosophies de l’histoire, sur le modèle du devenir de la nature, à partir de la catégorie de loi nécessitante mais à partir de l’existant humain[4]. L’histoire est désormais pensée à partir des catégories de la contingence, de l’événement, de la nouveauté et de l’émergence. Cette évolution a conduit à la remise en question de l’idée classique de savoir authentique, celui-ci étant défini selon l’idée régulatrice de la vérité comme critère de valeur de la connaissance. Sous l’influence paradigmatique du savoir mathématique, la vérité et le savoir authentique ont été conceptualisés comme immuables, reposant sur des principes intemporels. Cette conception a conduit, à l’aube de la philosophie occidentale, à la problématique des Idées chez Platon et à celle de l’essence chez Aristote. Contrairement à la nature, le savoir authentique doit être immuable et appuyé sur des principes eux-mêmes immuables. La remise en question du rationalisme classique a fait voir que le savoir rationnel n’échappe pas au temps. Le savoir devient un processus événementiel en constante émergence et en continuelle transformation. Il y a donc un devenir de la vérité, une histoire de la vérité. La vérité devient un processus instaurateur, une succession de figures, de propositions aléthiques, influencées par l’ensemble du contexte historique dans lequel s’inscrit l’existant humain. Toute conceptualité scientifique est marquée par le contexte dans lequel elle s’inscrit. Il se produit une liquidation de la prétention à la vérité inconditionnelle au profit d’un concept faillibiliste de la vérité. Le contexte d’inscription du vrai est déterminé par des a priori constitutifs, historiquement situés et qui commandent l’invention conceptuelle. Autrement dit, tout concept est affecté par la condition herméneutique : « […] la vérité vient au discours non par la vertu d’une saisie saturante que les termes du discours ne feraient qu’exprimer adéquatement, mais par la vertu d’un effort de construction qui n’exclut ni les inadéquations, inséparables de la discursivité, ni la pluralité des perspectives, ni la nécessité d’une incessante réinterprétation de l’acquis[5]. »

2. De la réceptivité de la vérité à sa production

Un bref survol historique permet de montrer l’émergence progressive de cette historicité de la vérité, liée à la prise de conscience sans cesse accrue de l’importance de la médiation qu’introduit le concept de vérité entre l’humain et le réel. L’examen de l’évolution du concept de vérité permet de dégager trois phases principales : la première phase correspond en gros à la philosophie antique et médiévale, qui promeut avant tout une conception de la vérité comme réception, par et dans l’esprit, de la manifestation ontologique. La modernité inaugure une seconde phase dans laquelle est mise de l’avant l’activité constructrice de la raison : la vérité se lie désormais aux conditions transcendantales de la production du vrai. Cette conception se radicalise progressivement et conduit, à l’époque contemporaine, à une conception herméneutique (au sens large du terme) du vrai liée au contexte de son énonciation.

2.1 La vérité comme réceptivité

Pour la conscience non encore critiquement éveillée, la vérité apparaît comme immédiate, comme une sorte de présentification d’elle-même. Mais cette immédiateté est trompeuse et ne va pas sans un minimum de médiation. La pensée en a tôt initié la critique comme en témoigne un texte qui se situe à l’origine de la réflexion occidentale sur la vérité. Le Poème de Parménide opère un partage décisif entre le discours vrai et le discours non vrai ou encore, de manière équivalente, entre le discours authentique et le discours inauthentique[6]. Le texte parménidien est structuré par une double corrélation qui fait en même temps double opposition, en contrastant radicalement l’être et le non-être, la vérité et la non-vérité, le positif et le négatif. Une correspondance s’établit entre les pôles opposés : les termes positifs sont corrélés entre eux (être et vérité), tout comme les termes négatifs (non-vérité et non-être). Il y a donc d’un côté le discours authentique, celui de la vérité, et de l’autre le discours inauthentique, celui de la non-vérité. La vérité est corrélative de l’être et la non-vérité du non-être. Il est remarquable que la monstration du vrai ne soit possible que moyennant référence à la négation. De plus, la vérité n’est pas donnée de manière immédiate, elle implique une prise de position, un choix résolu en sa faveur, un rejet de son contraire[7]. Or ce choix fait entrer dans un chemin, celui-là même qui conduit vers le vrai. La vérité est acheminement vers elle-même.

Dans la foulée de cette réflexion inaugurale, Aristote pose les linéaments de l’idée classique de vérité-correspondance : « Dire de l’être qu’il est et du non-être qu’il n’est pas, voilà le vrai ; dire du non-être qu’il est et du non-être qu’il n’est pas, voilà le faux[8]. » Aristote, comme Parménide, fait intervenir la négation : la caractérisation du vrai est inséparable, corrélative, de celle du faux. Or cette négation trouve son lieu dans le discours, et non pas dans les choses, au sens où le discours est le lieu du partage entre le vrai et le non-vrai. Cette médiation linguistique signifie que la vérité est liée au langage et que le non-être est une invention langagière : « […] la vérité c’est l’adéquation de ce qui est dit à l’état de choses qui est rapporté dans ce qui est dit[9]. » Mais le langage possède une dimension ontologique : il est relation au réel. La vérité est dans la proposition mais elle a aussi une dimension ontologique. Le partage entre le vrai et le faux intérieur au discours est ainsi parallèle à celui qui se produit dans l’être[10]. La position d’Aristote conduira à l’élaboration du concept classique de vérité-correspondance, repris et développé par les médiévaux selon l’adage adaequatio rei et intellectus. L’accent porte désormais sur l’intelligence et son acte, le jugement : il y a correspondance entre l’ordre des choses et ce qui est effectué dans le jugement. Le vrai est une qualité du jugement : il y a vérité lorsqu’il y a correspondance entre l’acte du jugement et le réel[11].

2.2 La vérité comme construction

La période moderne opère un déplacement de la réception de la vérité vers sa production. Le moteur de ce déplacement est l’avènement de la physique galiléenne et son expression philosophique la plus aboutie chez Kant. On ne saurait sous-estimer l’influence de la science, au sens moderne du terme, sur l’idée de vérité. La science newtonienne est un puissant moteur de remise en cause de l’idée classique de vérité, car elle repose sur la construction de l’intelligibilité et sur une pratique efficace d’intervention sur la nature[12]. La philosophie kantienne cristallise ce tournant dans sa théorie de l’a priori qui énonce les conditions de la constitution de l’objet scientifique[13]. Kant montre que la théorie physique est un processus de « construction par concepts ». La science ne se réduit pas à un simple enregistrement des données naturelles, elle implique une intervention active. Le paradigme transcendantal inauguré par Kant fait de la science un discours relatif aux possibilités de la connaissance humaine. Le lieu de la science est désormais l’esprit humain et non quelque point de vue extérieur et absolu. La science devient l’expression de la finitude humaine. Chez Kant, la raison n’est plus une ontologie des essences absolues[14]. La raison a accès à l’être pour nous, et non à l’être en soi. Il se produit une humanisation de la vérité, dont la transcendance est désormais saisie à partir de l’immanence. L’introduction de la perspective transcendantale signale un retournement remarquable dans l’auto-compréhension de la raison qui découvre sa capacité de production, son pouvoir d’auto-instauration. L’idée d’une productivité de la raison devient prégnante et la créativité de la raison manifeste[15]. La raison apparaît non plus seulement comme un pouvoir de compréhension, mais comme un pouvoir de production. Cette prise de conscience par la raison qu’elle est processus d’auto-instauration entraîne une modification du concept de vérité. Plus le discours scientifique s’impose et prend de l’ampleur, plus la question de la vérité se pense en termes de vérité-cohérence et d’utilité pragmatique, sans pour autant que le concept classique de vérité-correspondance perde toute sa pertinence.

2.3 La vérité comme interprétation

Comment se présente donc le concept de vérité aujourd’hui ? Pour répondre à cette question, il importe d’abord de distinguer le concept de vérité et les critères de vérité. Le critère fait le lien entre une proposition particulière et un concept préalablement défini de vérité et fournit ainsi un moyen d’en évaluer la teneur de vérité[16]. En d’autres termes, il opérationnalise le concept de vérité[17].

Il existe trois principales théories de la vérité : la vérité-correspondance, la vérité-cohérence et la vérité pragmatique, à laquelle on peut aussi ajouter une quatrième théorie, celle de la vérité intersubjective. De manière générale, la théorie de la vérité-correspondance affirme que la vérité d’une proposition est sa correspondance avec une réalité indépendante du langage et de la pensée[18]. Aujourd’hui, la question de la vérité-correspondance est habituellement abordée à partir du langage, qui devient le lieu privilégié de la vérité[19]. Le point de départ est la proposition plutôt que le jugement. L’adéquation est comprise comme l’accord entre la proposition et la réalité dont elle parle. Plutôt qu’une correspondance entre une proposition et une chose, l’analyse langagière manifeste que l’accord mis de l’avant par la théorie de la vérité-correspondance est une relation d’ordre structural, c’est-à-dire une relation entre la structure de la proposition et la structure ontologique, relation qui exprime l’appartenance de la propriété à la chose. En vertu de cet isomorphisme structural, une proposition vraie établit une correspondance entre l’attribution d’un prédicat au sujet et l’appartenance d’une certaine propriété, exprimée par le prédicat, à la réalité invoquée par le sujet. La correspondance n’est pas entre la proposition elle-même et un objet réel ou une situation réelle dans le monde. Le fait auquel il est fait allusion n’est pas une simple donnée factuelle, mais l’appartenance d’une propriété à un objet, ce qu’exprime précisément la proposition. La correspondance s’établit entre la structure du fait et celle de la proposition. La proposition est vraie si le fait qu’elle exprime se produit effectivement. Mais cela suppose une interprétation : le terme-prédicat introduit une certaine perspective, un certain angle sous lequel le sujet est visé[20]. La correspondance dont il est question est celle qui s’établit entre une opération qui présente la chose dans une certaine perspective, et ce qui assure l’appartenance effective de cette chose à cette perspective[21]. S’il est question d’accord, ce ne peut être au sens d’une simple réduplication du réel. Il faut que le discours, par son opérativité propre, prenne l’initiative. La pensée se fait certes lieu de la manifestation, mais via le discours. Et le discours introduit une distance par rapport au réel.

La théorie de la vérité-cohérence affirme que la vérité d’une proposition se détermine par rapport à la place qu’elle occupe dans la totalité des propositions, c’est-à-dire par rapport à son accord avec la totalité du discours[22]. La cohérence vise l’articulation interne du discours, plutôt que sa relation à ce qui lui est externe. Il s’agit de comparer des propositions et de vérifier les liens logiques qui s’établissent entre elles, sur la base qu’une proposition ne peut faire sens que rattachée à l’ensemble des propositions d’un discours donné. La version forte de la vérité-cohérence est celle de l’idéalisme qui repose sur la possibilité d’atteindre un discours complet et fermé, ce qu’illustre de manière exemplaire la philosophie hégélienne. Chez Hegel, la vérité est relative à la totalité du discours qui exprime, de manière totalement adéquate, la réalité elle-même puisque le discours est précisément l’automanifestation intégrale de la réalité totale[23]. La vision faible de la vérité-cohérence est celle de l’empirisme. Ici aussi la vérité d’une proposition est relative à celle de l’ensemble des propositions dans laquelle elle s’inscrit. Mais l’appartenance d’une proposition à une totalité donnée n’est toujours que provisoire et limitée, puisque la totalité est considérée en principe comme extensible et non définitive. La vérité est alors seulement relative[24]. Critiquant l’idée de vérité-correspondance, la théorie de la vérité-cohérence s’appuie sur l’hétérogénéité entre le langage et ce qui lui est extérieur : seules des propositions peuvent être comparées entre elles. On demeure donc à l’intérieur du langage : il n’est pas possible de briser la clôture langagière et de rejoindre la monde extra-langagier. Il est certes possible de retrouver ici l’idée de correspondance, mais avec une modification importante : une proposition particulière n’est dite vraie que par l’intermédiaire du tout, donc indirectement. Dans cette perspective, si l’idée de correspondance peut encore avoir en sens, ce n’est que par rapport à un tout présomptif [25].

La théorie pragmatique de la vérité est basée sur l’idée d’utilité du point de vue de l’action. Elle affirme que la vérité d’une proposition réside dans son efficacité par rapport à certaines intentions ou un certain cours d’action. Plus qu’un concept à proprement parler, la théorie pragmatique fournit un critère pertinent de l’idée de vérité, sous la forme d’un indice voulant que la vérité consiste en l’adaptation efficace de l’action à la réalité[26]. Mais comme l’action n’est efficace que si elle s’adapte effectivement au contexte de la réalité, on rejoint là encore l’idée de correspondance[27]. La conception consensuelle de la vérité, enfin, est basée sur l’accord intersubjectif dans une situation communicationnelle idéale. Mais cette approche, malgré l’importance du rôle qu’elle joue dans la démarche scientifique, peut difficilement éviter, en définitive, de poser la question du lien entre la proposition et la chose elle-même.

Il semble donc que, dans toutes ces théories, on retrouve toujours, d’une manière ou d’une autre, sous-jacente, l’idée de vérité-correspondance qui s’affirme comme le sens fondamental du concept de vérité[28]. Ces précisions apportées sur le concept de vérité, examinons ce qu’il en est de la vérité en science. Pour ce faire, il importe tout d’abord de se donner une vue adéquate du processus scientifique.

3. La vérité en science

La science, au sens moderne du terme, contribue puissamment à relativiser l’idée de vérité. La notion de médiation s’avère ici de nouveau éclairante. La connaissance scientifique n’a prise sur le réel que de manière indirecte. Elle introduit une médiation entre le sujet connaissant et le réel, par l’intermédiaire d’appareillages construits hautement sophistiqués prenant la forme d’un véritable dispositif à la fois théorique et pratique. Il importe d’examiner la question à partir de la dynamique interne de la science. Dans ce qui suit, je distinguerai six médiations toutes inter-reliées : la médiation historique, la médiation constructiviste, la médiation théorique et expérimentale, la médiation méthodologique, la médiation herméneutique, et enfin celle de l’opératoire.

Médiation historique

La médiation historique est sans doute la plus fondamentale. Ce qui frappe d’emblée est que la science est essentiellement un devenir, un processus historique[29]. Elle se caractérise par une dynamique interne qui en détermine la modalité propre d’historicité. Cette dynamique se manifeste dans la remarquable capacité d’auto-développement ou encore d’auto-amplification de la science, dont témoigne sa capacité constante de création, de renouvellement et d’expansion. La science est un processus constructif d’auto-élaboration qui prend l’allure d’un système auto-évolutif et auto-finalisé[30]. La théorie scientifique est ainsi toujours frappée d’historicité : particulière et contingente, elle n’est toujours qu’une figure transitoire de la recherche du vrai[31]. Toute connaissance scientifique est un produit momentané qui « révèle l’historicité de l’expérience catégoriale »[32].

Médiation constructiviste

L’historicité de la conceptualisation scientifique est étroitement liée à la dimension de construction en science. La science est un processus d’instauration et d’édification de la connaissance déployant une pratique complexe « qui se redéfinit sans cesse elle-même dans l’activité en laquelle elle engendre ses produits. Les connaissances acquises ne sont qu’un moment figé de ce procès[33]. » Elle suppose une intervention active, ce qui fait que la vérité n’est pas donnée, mais construite[34]. La créativité de la science met en oeuvre « une intelligibilité constructive » et une véritable productivité[35]. Comme Kant l’a bien vu, la science procède par construction de concepts, c’est-à-dire par modélisation[36]. Cette représentation formelle joint le concept et l’intuition pure mathématique. La démarche d’objectivation construit les entités (« constructs » épistémiques) qui deviennent l’objet de la recherche scientifique. C’est dire que la vérité vient toujours avec et à travers un « construct » théorique[37]. Cet aspect constructif n’est donc pas lié uniquement à la création des conditions expérimentales, mais aussi à l’aspect théorique qui guide l’expérimentation. Le moment théorique est une reconstruction qui « prête (au phénomène) en quelque sorte le support virtuel qui lui permet de se montrer comme si il était lui-même phénomène[38] ». Il faut ajouter que cette dimension constructrice ne nie pas l’aspect de découverte. La science n’est pas purement et uniquement constructiviste. On peut dire que la découverte est construction mais il faut ajouter que la théorie demeure liée aux strictes conditions de la mise à l’épreuve. Si la science est productrice, c’est en tant qu’elle cherche à reproduire les productions de la nature[39].

Médiation théorique et expérimentale

Cette activité de construction se médiatise à travers un ensemble de procédures aussi bien théoriques qu’expérimentales. La science conjugue appareil théorique et expérience empirique. On sait désormais que la distinction entre les composantes théoriques et empiriques de cette activité doit être relativisée : c’est l’ensemble de l’activité scientifique qui est « chargée de théorie » au sens où il y a va-et-vient constant entre l’expérimentation et la modélisation théorique[40]. La science déploie un appareil théorique, un système conceptuel qui fonctionne comme modèle interprétatif et explicatif à la manière d’un a priori[41]. Mais si la composante théorique comporte bien entendu des termes théoriques, c’est également le cas de la composante empirique. Les termes théoriques se référent alors à des entités ou à des propriétés observables. L’expérimentation comporte en effet un montage expérimental et un dispositif matériel mais aussi un appareil théorique d’interprétation. Il y a toujours, en science, l’intervention de systèmes conceptuels pour interpréter et comprendre les données factuelles. S’instaure ainsi une double médiation, constituée d’une part d’un corps théorique de propositions qui fournit les hypothèses et d’autre part d’investigations empiriques qui cherchent à éprouver les hypothèses[42].

Médiation méthodologique

On voit par là l’importance cruciale que joue l’idée de méthode en science. La méthode est le moyen d’acquisition du savoir[43]. Elle doit être élaborée, et donc inventée, pour ensuite être mise en oeuvre : « En d’autres termes, la méthode est nécessairement affectée d’historicité[44]. » L’aspect méthodologique ne se limite pas à la composante expérimentale : globalement, la science est un ensemble d’appareils méthodologiques à la fois matériels et conceptuels[45]. L’idée de connaissance scientifique suppose que celle-ci n’est acquise que par le processus même de sa constitution, lequel au fond n’est autre chose que la méthode elle-même. La vérité est ainsi liée au processus historique de constitution de la connaissance, tout particulièrement sur le plan méthodologique qui comporte toute une série de raisonnements complexes[46]. La théorie scientifique ne décrit pas la réalité de manière entièrement objective, puisqu’elle ne sépare pas l’objet des moyens mis en oeuvre pour l’étudier[47].

Médiation herméneutique

Tout ceci peut encore être précisé à l’aide de la notion d’interprétation. L’objet scientifique est atteint à travers un médium d’interprétation. La théorie est un résonateur, une réinvention ; elle n’est pas une image du monde mais une « reconstruction conjecturale de la réalité »[48]. La médiation théorique implique que la visée de vérité qui la supporte passe précisément par la théorie[49]. Ce détour par la théorie met en lumière la composante herméneutique de la science[50]. Ce statut herméneutique se manifeste à travers le recours à la modélisation[51]. Un modèle est une représentation idéale, schématisée de la chose au moyen d’un schéma mathématique. Les propriétés de l’objet réel y sont reconstruites à partir des propriétés du modèle, de manière à ce que le réel devienne compréhensible par analogie avec le modèle[52]. On cherche ensuite à vérifier expérimentalement l’adéquation du modèle au réel. Mais le modèle est construit et n’est jamais parfait. Si sa capacité explicative peut être considérée comme un signe de vérité, le modèle conduit en même temps à un doute généralisé sur l’idée de vérité (au sens du modèle classique de l’adéquation). L’interprétation en science est un mouvement infini[53].

Ce fait herméneutique montre le rôle crucial de la précompréhension en science[54]. Les sciences de la nature n’échappent pas au cercle herméneutique : la compréhension y est basée sur une précompréhension de l’objet et l’interprétation seule donne accès à l’objet[55]. La science développe un savoir opératoire à efficacité locale. Elle procède à un découpage du réel ; elle envisage ce dernier à partir de perspectives abstraites et partielles à travers lesquelles elle tente de rendre compte du fonctionnement effectif des systèmes ainsi isolés[56]. On peut parler d’une médiation herméneutique fondamentale liée au type de savoir que constitue la science. Ce savoir est abstrait : il repose sur une réduction du vécu au construit, sur un processus d’objectivation, et donc sur une construction, appuyé sur une ontologie implicite. Cette interprétation est un présupposé qui « impose comme à l’avance une forme déterminée d’interprétation du réel que fournit la représentation scientifique[57] ».

Médiation opératoire

L’interprétation en science a un caractère essentiellement opératoire[58]. La science est un ensemble de procédures, d’explications, d’interprétation, de prédiction et d’anticipation. Véritable système d’action, elle est une pratique faisant intervenir des appareillages complexes et repose sur « une intervention délibérée dans le cours des choses » appuyée sur des schémas préétablis et la médiation d’objets artificiels[59]. On peut parler de la science comme d’une « intelligibilité de l’opératoire » au sens où la science ne fournit pas une représentation de la réalité, mais repose sur l’intelligibilité propre aux démarches opératoires[60]. La théorie elle-même est un ensemble d’opérations et le moment théorique fait lui-même partie du processus de l’action[61]. Le moment théorique et le moment expérimental forment les deux pôles de la démarche opératoire[62]. Il faut en conclure que la représentation scientifique est un dispositif formel « dont on s’attend qu’il fasse comprendre en montrant indirectement, par les opérations qu’il effectue, ce qui se passe dans le phénomène, et qui est accepté comme valide dans le mesure (toujours relative) où les prédictions qu’il permet de faire s’accordent avec les données recueillies par les dispositifs expérimentaux[63] ».

En somme, la théorie scientifique est toujours particulière et contingente, elle est pénétrée d’historicité « et doit être considérée comme une figure transitoire de la vérité ». La connaissance scientifique est limitée, sa vérité approximative[64]. Elle ne fournit pas une vérité-tableau, au sens où elle serait un double représentatif du réel, un discours de la représentation mais une réeffectuation opératoire des phénomènes, une explication productrice d’un réel partiel[65]. Le savoir scientifique n’a rien d’un savoir absolu. Il définit plutôt le statut contemporain de la vérité :

À l’idée d’un savoir assuré de lui-même, s’organisant sous l’égide d’un concept de vérité qui autorisait, en principe, une approche progressive de la validité absolue, se substitue l’idée d’un savoir toujours incertain de ses propres fondements, se reconnaissant vulnérable, exposé à tout instant à la falsification, associé à un concept de vérité qui se formule en termes d’approximations, de connaissance probable, et ne se traduit que par des critères dont la portée elle-même est reconnue comme essentiellement relative[66].

4. Le statut contemporain de la vérité

De quelle manière la dynamique scientifique permet-elle de préciser le statut de la vérité aujourd’hui ? La question de la vérité en science est abordée surtout à travers la question du critère de vérité[67]. Le critère de vérité, comme on l’a dit, doit en effet être distingué du concept de vérité. Le critère est un moyen de vérifier la conformité d’un énoncé à ce qu’indique le concept de vérité, c’est-à-dire de s’assurer de la validité épistémique. Le critère est lié à l’intervention d’une procédure de justification (validation) qui permet de reconnaître les propositions valides[68]. Cette procédure prend l’allure d’un processus de vérification (confirmation) qui a trait à l’adéquation de la théorie au domaine empirique considéré au moyen d’une mise à l’épreuve s’appuyant sur un schéma d’action[69]. La raison scientifique fait voir la validité épistémique, mais de façon indirecte. La justification comporte un double aspect, théorique et pratique. Au plan théorique, les critères de validation vérifient l’adéquation entre la représentation théorique et la réalité empirique comme champ limité du réel. Au plan pratique (pragmatique), ils visent à étendre le champ de l’action afin de faire apparaître toujours davantage ce qui échappe à la perception immédiate[70]. Les deux aspects de la démarche sont liés, ce qui permet à la fois d’élaborer une représentation théorique et d’accroître le savoir-faire relatif à l’intervention sur le réel. Il y a mouvement circulaire et co-implication mutuelle entre le moment cognitif et pragmatique.

Le critère de correspondance opère depuis l’intérieur de la démarche scientifique. La science est un système d’interprétation particulier, basé sur des critères d’adéquation internes aux démarches propres de la science. Ce qui est visé est la compatibilité entre l’hypothèse et les données empiriques disponibles. On examine s’il y a accord suffisant entre le résultat obtenu et le résultat attendu (prédiction). Si c’est le cas, l’hypothèse est confirmée, mais n’est pas nécessairement vraie. La garantie de la validité provient en effet de sa capacité à soutenir des interventions qui retrouvent dans le réel lui-même les propriétés impliquées dans la réduction initiale. La validité est donc toujours approximative, limitée. On n’obtient pas une garantie ultime de vérité au sujet de l’hypothèse, ni de fondation absolue. Il s’agit toujours d’une visée, au sens où l’on peut parler d’une correspondance plus ou moins forte, plus au moins approximative[71]. La normativité épistémique se joue autour de la justification de la méthode : en quoi le savoir obtenu par la méthode mise en oeuvre peut-il être considéré comme authentique, satisfaisant, valable, adéquat ? La norme épistémique, qui justifie la méthode et le savoir acquis, est exprimée par le concept de vérité qui fournit une représentation jugée adéquate de cette normativité. Mais la vérité demeure difficile à définir : celle-ci est à la fois objective (dans les choses) et « (inter) subjective » (au sens où elle réside dans la proposition et dans la validité procédurale). La vérité demeurant formelle, elle doit être précisée par ce qu’indique la normativité des méthodes : « Tout progrès dans les méthodes représente une approximation plus prégnante de l’idée de vérité[72] ». La vérité n’est pas donnée, mais construite par une intervention active[73]. Ce que vise la science, c’est une présomption, la reconstruction conjecturale de la réalité au sens de la recherche d’une résonance entre la théorie et le réel : « Puisque l’objectivation est une construction, rien ne nous assure qu’elle puisse satisfaire de façon en quelque sorte automatique à des critères raisonnables d’adéquation. Il faut précisément les mécanismes compliqués de la mise à l’épreuve pour décider de la valeur de vérité (toujours relative d’ailleurs) de nos représentations[74]. » Bien que la science valide ses propositions par des procédures exigeantes, la composante expérimentale ne peut que fournir des indications indirectes par l’intermédiaire d’appareils sensoriels[75].

La vérité en science comporte un aspect cohérentiste. La cohérence d’une théorie scientifique se définit en termes de capacité d’intégration d’un système d’action à deux composantes[76]. Pour rendre compte de l’idée de vérité en science, il faut partir de l’idée que la praxis scientifique est un processus expansionniste d’approfondissement continu. La science se présente comme un système auto-organisateur guidé par une régulation interne. De ce point de vue, la vérité scientifique peut être définie en termes d’auto-organisation[77]. L’accord obtenu entre la théorie et les données empiriques est compris en termes de capacité intégrative et synthétisante des composantes théorique et expérimentale comprises comme les pôles d’une même action. La vérité devient « la norme d’une tension unificatrice ». La vérité n’est plus liée à une théorie représentationniste de la vérité mais à une conception « actionniste » qui s’exprime davantage en termes d’intégration et d’unification plutôt que d’adéquation[78]. La vérité d’un système est son potentiel intégrateur, sa capacité d’assimilation, de s’intégrer aux autres systèmes, de s’accorder à la totalité du réel cosmique et à celle du sens[79].

La vérité pragmatique joue également un rôle dans le processus scientifique. La confirmation n’est pas une garantie de vérité : elle indique la compatibilité entre les proposition examinées et les données empiriques disponibles et renvoie donc aux conditions de la vérification. Le concept de vérité en science comporte une part d’instrumentalisme. Une théorie scientifique n’est pas une description vraie (au sens de la vérité-correspondance), « mais (est) seulement acceptée comme une représentation qui est en accord avec les données empiriques disponibles[80] ».

La pertinence des critères de cohérence et d’utilité pratique en science ne signifie pas que l’idée de vérité-adéquation perd toute pertinence. L’utilité pragmatique et la cohérence sont des critères certes pertinents, mais non suffisants. On peut penser que l’idée de vérité-adéquation demeure régulatrice en arrière-fond de la démarche scientifique à la manière d’une idée régulatrice[81]. Le critère d’acceptabilité d’une proposition scientifique renvoie à l’idée d’une conformité entre l’énoncé et le cours des choses, à une correspondance entre le réel et la représentation scientifique et donc à une adéquation par rapport au donné. Mais le rôle régulateur de l’idée de la vérité n’entraîne pas une position réaliste stricte[82]. Cela se vérifie, comme on y a fait allusion précédemment, en observant le rôle joué par les modèles. Le problème de la vérité porte en fait sur la représentation modélisante. Ce que recherche la pratique scientifique, c’est la classe de modèles la plus appropriée, la mieux accordée au réel, celle qui permet l’accord avec ce qui se passe effectivement. Mais cet accord est toujours relatif. Le modèle ne fournit pas une image, une représentation ou une réduplication du réel. Nous ne rejoignons le monde qu’à travers la structuration modélisante et les opérations discursives qui lui sont associées. Nous ne pouvons pas sortir de nos opérations. Il faut renoncer à l’image et à la métaphysique de la représentation. La correspondance doit être comprise comme accord ou consonance, et non pas comme « transcription reproductrice ». C’est bien toutefois le propre du modèle que de manifester ce qu’il en est de l’être. Il faut comprendre le logos scientifique en termes de présentification : c’est le logos qui est le lieu de la manifestation en tant qu’il fait voir, en tant qu’il est le lieu de l’advenir du sens dans l’événement même de son éclosion. La vérité est l’événement même de l’accord, le don de l’être à la pensée qui l’accueille par l’opérativité de sa propre discursivité[83].

La science est bien porteuse d’une visée de vérité ; elle implique un rapport à la vérité, mais la vérité est à l’infini[84]. L’idée de justification épistémique suppose que la vérité n’est jamais qu’un horizon. Le rapport entre la science et la vérité doit s’exprimer en termes d’une tension vers la vérité considérée comme l’incessant advenir d’elle-même C’est pourquoi il n’y a pas de vérité ni d’assurance absolues en science[85]. La connaissance scientifique est limitée, contingente, et la vérité qu’elle produit historiquement déterminée[86] : « Il n’y a pas de garantie ultime, ou de nécessité fondatrice, ou d’ancrage dernier, ou de justification réflexive radicale[87]. » En définitive, le processus de la construction de la science (est) « une réinterprétation et une spécification progressive de l’idée de vérité[88] ».

Il n’a été question dans cet exposé que de la vérité du point de vue des sciences empirico-formelles. Mais il serait possible, mutatis mutandis, de transposer ce qui a été dit au secteur des sciences humaines en tant que sciences herméneutiques. La notion d’interprétation fait en effet appel à celle de vérité, et celle-ci s’y révèle tout aussi relative.

Conclusion

L’histoire du concept de vérité en montre la problématisation et la complexification croissantes. Je suis convaincu que ce nous enseigne cette histoire constitue un apport essentiellement positif : nous comprenons mieux aujourd’hui ce qu’il en est de la vérité en tant que lieu de médiation entre la phénoménalisation ontologique et l’esprit humain. Le devenir de la science nous permet de préciser constamment l’idée de vérité qui en constitue le dynamisme finalisant. La construction du vrai est inséparable de la constitution du savoir authentique. Cette instauration est la condition même de la monstration du vrai. La vérité est le retentissement dans le discours de ce que la chose révèle d’elle-même. La recherche de la vérité est une exploration du champ de la manifestation, et la science, selon son propre projet, en fait apparaître certaines modalités en lesquelles il est possible de reconnaître une figure, certes provisoire, mais néanmoins authentique, de la vérité.

Loin de nous conduire au seul relativisme, la recherche de la vérité nous apprend que celle-ci est à la fois relative et inconditionnelle. C’est dans l’articulation de ces deux dimensions que réside sa nature profonde. La vérité ne se manifeste toujours que de manière limitée et imparfaite, que transie d’historicité ; mais c’est précisément cette contextualité qui fait voir son irréductible souveraineté : la limitation même de la vérité témoigne de son caractère illimité, de son excédence sur toute conceptualisation, sur toute diction. La transcendance de la vérité ne s’affirme que dans la fragilité de la contingence. La vérité n’est toujours que relative, mais cette relativité n’a de sens que par rapport à un horizon de complétude. On pourrait dire que la vérité-historique, en tant que partie prenante d’un devenir historique, s’inscrit dans la perspective d’une vérité-anticipation[89]. En devenant un interminable processus et un incessant advenir, la vérité devient également une espérance[90]. Il y a un cercle de la vérité : toujours à faire, elle se précède elle-même, à la manière d’un éclairage énigmatique s’appuyant sur l’antique reconnaissance du partage entre le vrai et le faux, condition de toute donation comme de tout sens[91]. La vérité est « suspendue pour ainsi dire à un avènement qui est toujours à venir, au terme d’un parcours de sens appelé à se poursuivre en un incessant cheminement[92] ».

« La vérité, écrivait Joubert, consiste à avoir de quelque chose la même idée que Dieu en a[93]. » Nous savons certes mieux aujourd’hui la différence qui sépare notre accès à la vérité de celui que Dieu peut en avoir. N’est-ce pas le rôle de la théologie que de sauvegarder à tout prix cette insurmontable différence en tenant le pari qu’il existe précisément un lien entre Dieu et la vérité, que l’effort humain d’énonciation de la vérité, si fragile et si malhabile qu’il puisse être, dans son itinérance militante même, n’est pas si totalement étranger à la vérité de Dieu qu’il puisse en être considéré comme une lointaine et imparfaite anticipation ?