Le lecteur sera peut-être un peu désarçonné en abordant cet ouvrage. L’auteur (dans la suite : A) n’hésite pas par endroit à s’adresser à lui directement, à l’interpeller. Il n’hésite pas non plus à mettre lui-même en relief ce qui lui semble le plus important, et à faire une place singulière, presque envahissante, aux citations. Dans ce qui peut apparaître donc aussi comme la recherche d’une forme d’écriture, l’auteur mêle expérience et philosophie, témoignages de vie et références académiques. L’A. met en effet à profit son expérience dans le milieu du grand handicap physique pour fonder une philosophie de la rencontre sur des situations aussi exceptionnelles que suggestives, pour placer en fait « la vulnérabilité au point cardinal de nos relations-rencontres ». Lévinas pour qui l’être humain risque tout dans le rapport social s’inscrit naturellement au coeur de cette recherche : comme le signe d’une autorité reconnue et inspirante, comme une orientation décisive aussi d’une relecture de la réalité fondée non sur la conscience et le savoir mais justement sur la rencontre. Ces multiples croisements qui se veulent aussi « creusements » représentent le grand mérite de cette étude. Celle-ci, reprise d’une thèse de doctorat, n’évacue pas une nécessaire fondation conceptuelle. Et c’est d’ailleurs pour cette raison que la lecture de la première partie peut s’avérer laborieuse. Au risque de perdre parfois son lecteur, l’A. introduit dans ces deux premiers chapitres ses propres concepts et joue sur les définitions : ainsi en est-il de « response » expliqué p. 50, ou bien encore de la distinction entre « Autre », « Autrui », « autre ». Aussi le Lexique en fin d’ouvrage s’avère-t-il bien utile. De manière plus fondamentale, l’auteur pratique « l’approche phénoménologique pour mettre en lumière les mouvements qui incarnent la rencontre. La séparation, la liaison, la dissymétrie, l’anarchie, le dessaisissement, l’altération, la désappartenance sont à considérer, non comme des moments ponctuels qui phasent un avènement linéaire qui se nommerait rencontre, mais comme la rencontre entendue dans sa cinétique où s’infléchissent des dispositions, des gestes corporellement déployés. » L’A. propose en fait de suivre un cheminement « qui « baigne » dans un monde de la vie qui se donne et non la description d’un monde exact stabilisé par un programme des sciences de la nature. Plus qu’un voir le monde, il s’agit d’un vivre le monde » (p. 13). De manière donc plutôt audacieuse, l’auteur fonde donc sa philosophie sur la rencontre, une philosophie qui ne s’arrête pas cependant au face-à-face de la rencontre mais cherche aussi à « aller vers la société ». Composée de trois chapitres, la seconde partie se lit plus facilement : peut-être parce que plus en phase avec des questionnements de société, relisant des moments d’histoire significatifs comme la Shoah (à partir de la p. 174) et livrant, par exemple, de belles pages sur les notions de fraternité (p. 128-137) et d’hospitalité (p. 197-204). On restera d’autant plus intéressé qu’on perçoit progressivement l’audacieux projet que porte l’A. : changer de logiciel, de manière de penser, et plus encore proposer une « démocratie sensible ». Car pour l’auteur, « une sensibilité de l’autre, réanimée par chaque rencontre, permet d’envisager, dans le passage au tiers, un projet de société » (p. 245). Selon lui « la seule zone susceptible de produire des transformations majeures à la hauteur de nos défis contemporains est celle des relations entre les êtres humains, celles de mes relations, de ma capacité relationnante ; tout autre point de départ (…) n’est pas aussi essentiel » (p. 247). L’originalité de ce livre réside donc dans ce « test » qui, contre …
Yves Pillant, Une philosophie de la rencontre. Lecture de notre réalité commune avec Emmanuel Levinas (Ouverture philosophique). Paris, Éditions L’Harmattan, 2021, 15,5 × 23,8 cm, 274 pages, ISBN 978-2-343-23371-0
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Rémi Caucanas
Études supérieures – Faculté de philosophie, Collège universitaire dominicain, Ottawa
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