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Psychiatry faces a vast array of problems today, including its inability to implement programs for the chronic mentally ill and to apply principles of differential therapeutics, the lack of funds for community services and the continuing severe fragmentation of the psychiatric delivery nonsytem. Old solutions will not suffice.

Talbott, 1985

Depuis les années cinquante et soixante en Occident, l’introduction de traitements pharmacologiques relativement sécuritaires et efficaces favorise le mouvement de désinstitutionnalisation. Ainsi, une vaste majorité de personnes présentant des troubles mentaux graves (TMG) quittent les hôpitaux pour la communauté (Lamb, 2001). Parallèlement, le locus de traitement et de suivi des individus se déplace graduellement de l’hôpital vers la communauté (Talbott, 1987). Ensemble, ces deux mouvements (des patients et des services) doivent favoriser l’accès des individus à un cadre de vie plus normal, faciliter leur intégration à la société et réduire les coûts des services. Pourtant, la redistribution de la clientèle et des services s’accompagne initialement d’un accroissement de la complexité du système de soins psychiatriques, limitant l’accès aux soins et la continuité entre les services pour des patients auparavant traités à l’hôpital (Mechanic, 1991 ; Bachrach, 1999 ; Lamb, 2001).

Pour y pallier, les systèmes de gestion de cas (case management) sont inaugurés aux États-Unis, puis en Angleterre au début des années quatre-vingt (Mueser et al., 1998). Dans une perspective de continuité entre les types de soins et services offerts (médicaux, sociaux, psychologiques), les modèles de gestion de cas se fondent sur la présence d’un intervenant pivot (une équipe pivot dans certains modèles de gestion de cas intensifs) qui agit à la fois comme évaluateur des besoins, dispensateur de soins et services, et coordonnateur (broker) des services.

Les programmes de transition Résidence Durost, et New Direction initiés en 1986 à Montréal, sont une illustration de ce modèle de gestion de cas pour des patients en voie d’obtenir leur congé de l’hôpital. L’objectif est d’assurer une continuité à la fois entre les étapes du traitement (l’hospitalisation et le suivi communautaire), entre les lieux du traitement (l’hôpital et la communauté) et entre les catégories de besoins (santé et psychosociaux). On suggère que la continuité est assurée par la stabilité d’une relation thérapeutique avec un intervenant pivot, l’évaluation individualisée des forces et intérêts du client, et l’exposition graduelle des patients hospitalisés à la communauté. Il est intéressant de noter que pour parvenir à assurer la continuité, Thomson ne réfère pas à l’implantation décontextualisée d’une nouvelle pratique, mais invoque plutôt une « compréhension intégrale et une plus grande utilisation des connaissances déjà disponibles » (Thompson, 1992, 105).

Au cours de la dernière décennie, dans un contexte socio-économique notamment marqué par l’émergence du managed care au États-Unis, la somme des « connaissances déjà disponibles » explose littéralement sous l’impulsion de la démarche d’identification et de développement des « interventions basées sur des données probantes » (Lehman et al., 2004 ; Lecomte, 2003). Ces nouvelles interventions concernent notamment le traitement des symptômes et de la détresse, le développement des habiletés fonctionnelles et les besoins liés aux déterminants sociaux de la santé (Lehman et al., 2004 ; Mueser et al., 2002). Dans ce contexte, le problème de la continuité des soins et services demeure au premier plan (Durbin et al., 2004), et s’inscrit au coeur des politiques de santé mentale, notamment aux États-Unis (New Freedom Commission on Mental Health, 2003), au Royaume-Uni (NHSE et SSI, 1999), et au Québec (Delorme et al., 2005). Aujourd’hui, la problématique de la continuité se pose en termes d’intégration et revêt plusieurs dimensions :

  • l’intégration des milieux de services et soins, hospitaliers et communautaires ;

  • celle des paradigmes cliniques médicaux (emphase biologique et pharmacologique) et de réhabilitation (emphase sur les habiletés et les approches psycho-sociales) ;

  • celle des services de santé et des services sociaux ;

  • enfin, celle des modèles de pratique (par exemple, IBDP) et des contextes spécifiques des clientèles et des organisations dans lesquelles elles doivent s’inscrire.

Le présent article présente le processus d’implantation d’un nouveau programme de soins dans deux unités d’hospitalisation de l’hôpital Douglas qui accueillent des individus présentant des TMGs et réfractaires aux interventions moins intensives. L’implantation de ce nouveau programme de réhabilitation de moyenne durée en milieu hospitalier représente un processus de changement administratif et clinique qui s’inscrit dans le contexte global d’intégration évoqué ci-haut. Il reflète une volonté d’intégration des milieux, des paradigmes, des catégories de soins et services et des différents contextes de développement et d’implantation des « meilleures pratiques ». Nous abordons les questions des paradigmes d’intervention qui orientent la pratique, de la réorganisation des services en cours dans l’ensemble des services de réhabilitation de l’hôpital, du processus d’implantation du nouveau programme dans les unités internes, et des défis à venir. Nous référons le lecteur à la communication brève présentée dans les pages suivantes pour une description plus extensive du contenu du programme proprement dit.

Nouveaux paradigmes et meilleures pratiques

La réhabilitation en milieu psychiatrique a souvent été assimilée au modèle de la réadaptation physique des lésions. Un bras cassé est traité, puis la personne entreprend un programme de physiothérapie afin de retrouver le plein usage de son bras. Si cela s’avère impossible, on envisage différentes techniques de correction ou le recours à des prothèses. Dans ce contexte, l’hospitalisation est toujours conçue comme une intervention de courte durée ciblant la résolution des symptômes aigus. Hélas, la maladie mentale ne présente pas la même problématique qu’un bras cassé. En psychopathologie, le cours de la maladie n’est pas linéaire et ce n’est pas le concept de lésion mais celui de vulnérabilité qui articule l’organisation des soins. Cette vulnérabilité s’exprime conjointement aux différents niveaux de fonctionnement de l’organisme : biologique, psychologique et social.

Au cours des dernières décennies, les principaux paradigmes qui ont orienté l’organisation des soins aux individus présentant des TMGs ont été le modèle médical, le modèle de la réhabilitation, le modèle du rétablissement (recovery) et le modèle intégré (biosystémique) de la psychopathologie (Spaulding et al., 2003). Le modèle médical, au sens restreint, vise la résolution des symptômes et son principal mode d’intervention est pharmacologique. Le modèle de réhabilitation met l’accent sur les interventions psycho-sociales et conçoit les TMGs comme une vulnérabilité à transgresser (disabilities to overcome) plutôt qu’une maladie à traiter (Liberman, 1989). La plupart des interventions pertinentes, regroupées sous la notion de « gestion du problème de santé mentale » (illness management ; Mueser et al., 2002) sont issues d’essais contrôlés maximisant la validité interne et sont dites « basées sur des données probantes ». Les IBDPs les plus souvent évoquées sont l’entraînement aux habiletés sociales, les thérapies des doubles diagnostiques (psychose et abus de substance), le support à l’emploi et au logement (« logement supervisé » ou « soutien au logement »), les programmes de suivi intensif dans la communauté, les thérapies familiales, la gestion des contingences, et la thérapie behaviorale-cognitive (Lehman et al., 2004). Récemment, des points de convergence entre le modèle médical et le modèle de réhabilitation ont été identifiés et des pistes d’intégration suggérées (Lenroot et al., 2003 ; Kopelowicz et Liberman, 2003).

Bien que certains de ses promoteurs n’adhèrent pas complètement au mouvement des IBDPs (Anthony et al., 2003), le modèle du rétablissement (recovery) peut être conçu comme une extension du modèle de réhabilitation dans la mesure où l’objectif est d’amener l’individu à « développer un nouveau sens à sa vie alors qu’il s’émancipe des effets catastrophiques de la maladie mentale » (Anthony, 1993). Il vise donc non seulement la « gestion du problème de santé mentale » mais aussi l’accomplissement personnel et social. L’attachement aux buts et aux intérêts propres de l’individu ainsi que le développement de l’auto-détermination en sont des composantes fondamentales (Ralph, 2000). De plus, pour certains auteurs, l’intégration à la vie communautaire représente la manifestation externe, concrète, de l’expérience de rétablissement (Bond et al., 2004). C’est ainsi qu’ils se font critiques des modèles de soins organisés en continuum qui tendent à ajuster les différents niveaux de services offerts (type d’hébergement, travail) au niveau de fonctionnement des individus. Ils privilégient plutôt le support des individus dans les seuls contextes de travail et de logement les plus normalisants (Ridgeway et Zipple, 1990 ; Parkinson et al., 1999).

Le paradigme intégré (biosystémique) de la psychopathologie est né du besoin de concevoir un modèle d’intervention qui rende compte de l’ensemble des connaissances issues de la psychopathologie expérimentale relative aux TMGs. Ses promoteurs suggèrent notamment que les paradigmes alternatifs au modèle médical (réhabilitation et rétablissement) sont « limités dans leur capacité à incorporer et à utiliser les nouveaux développements de la neurobiologie et des sciences cognitives et comportementales » (Spaulding et al., 2003). Au contraire, le paradigme intégré souscrit à une perspective biosystémique où le fonctionnement biologique et comportemental est maintenu par des mécanismes et processus interreliés aux différents niveaux neurophysiologique, neurocognitif, sociocognitif, sociocomportemental et socioenvironnemental.

Cette perspective intégrée modifie significativement la conceptualisation des TMGs : il ne s’agit plus de juxtaposer des interventions médicales et des interventions de réhabilitation ; mais plutôt de comprendre autant les symptômes, les habiletés fonctionnelles, les aspirations ou la qualité de vie dans le contexte d’un organisme complexe. Deux implications principales s’ensuivent. Premièrement, l’étiologie des différents problèmes d’un individu n’est pas déterminée par leur manifestation immédiate (délire, avolition, habiletés sociales, occupation), mais se trouve plutôt distribuée à travers les différents niveaux (neurologique, physiologique, cognitif, comportemental, environnemental) de fonctionnement de l’organisme. Deuxièmement, la détermination du niveau optimal d’intervention (ou de l’IBDP optimale) se réalise via une démarche hypothético-déductive (trial and test) dans laquelle sont recyclées, dans le contexte de leur application, les interventions qui présentent une assise empirique.

Dans ces conditions, les promoteurs du modèle intégré suggèrent que la polémique contemporaine entourant la décentralisation des soins est le reflet d’une confusion entre le locus et le focus des soins (Spaulding, 1999). Ainsi, bien qu’ils adhèrent au principe général de favoriser l’accès des individus aux environnements les moins contraignants (par exemple, logement subventionné avec suivi communautaire intensif) ; ils souscrivent néanmoins à une organisation des milieux de soins en continuum. Notamment, le maintien du recours aux environnements thérapeutiques hautement structurés est invoqué pour deux raisons. Premièrement, un modèle étiologique « distribué » impliquant l’opération de cycles dysfonctionnels entre les différents niveaux de fonctionnement de l’organisme confère un rôle significatif à l’environnement — et notamment à l’environnement contrôlé —, surtout dans le contexte de déstabilisation marquée que présentent certains individus en rechute. Deuxièmement, les environnements thérapeutiques contrôlés (l’unité interne d’un hôpital psychiatrique), se prêtent mieux à l’approche hypothético-déductive qui soutient la planification des interventions (ciblant différents niveaux de fonctionnement) dans le paradigme intégré.

Dans une récente revue de littérature sur le mouvement des meilleures pratiques, Lecomte (2003) fait écho aux propos de Corrigan et al. (1997), Green (2001) et Anthony (2003), en suggèrant que « les programmes doivent s’ajuster aux organisations dans lesquelles ils sont implantés et aux diverses populations auxquelles ils sont destinés ». Il soutient que les meilleures pratiques ne sont pas que les IBDPs elles-mêmes, mais peuvent être conçues comme des « processus de planification d’interventions les plus appropriées pour le milieu et la population ciblée ». Dans le même sens, plutôt que d’appliquer de façon intégrale des IBDPs importées « clé en main », nous croyons possible, conformément aux principes du paradigme intégré, d’instaurer une pratique novatrice correspondant aux caractéristiques de notre clientèle et de notre organisation, à condition d’en mesurer systématiquement les effets.

Concrètement, notre approche des meilleures pratiques intègre quatre principes : 1) l’application la plus respectueuse des IBDPs dans le contexte de la réalité de notre organisation, de notre clientèle et du contexte social et économique local et régional ; 2) une philosophie d’intervention conforme aux valeurs du paradigme du rétablissement (recovery) et du paradigme intégré incluant le recours aux environnements les moins restrictifs en fonction des caractéristiques et contextes de l’individu (Anthony, 2003 ; Spaulding et al., 2003) ; 3) le recours à l’analyse fonctionnelle du comportement dans la conceptualisation du plan de traitement afin de prendre en compte dans une démarche hypthético-déductive, l’ensemble des différents niveaux de fonctionnement organismiques dans le choix des interventions (Spaulding et al., 2003) ; 4) la mesure systématique de l’effet de nos interventions.

Réorganisation des services

Éléments du contexte de la réorganisation

L’implantation des meilleures pratiques dans les unités internes (alors dites de longue durée) du Programme des TMGs débute en 2002. Elle s’inscrit dans le cadre plus large de la restructuration progressive amorcée en 1998, de l’ensemble des services de réhabilitation du Programme des TMGs de l’hôpital. Cette restructuration est étroitement liée à deux objectifs stratégiques de l’hôpital : le développement de l’excellence clinique et de celui de notre rôle d’institut psychiatrique.

L’imbrication du projet d’implantation dans le cadre plus large des objectifs de l’institution représente une variable organisationnelle critique (Rosenheck, 2001 ; Milne et al., 2003). Le projet de modification du paradigme d’intervention affecte concrètement l’ensemble des dimensions de la pratique clinique. Dans ce contexte, le soutien des dirigeants de l’institution et des instances multidisciplinaires représente une condition de la mobilisation du leadership des administrateurs et coordonnateurs intermédiaires des unités (Corrigan et McCracken, 1997 ; Corrigan et al., 2001). La Direction des soins infirmiers, la Direction générale et le Département de psychiatrie souscrivent concrètement au projet d’implantation en en faisant une composante intégrale de leurs objectifs opérationnels.

La concertation régionale autour de la spécification des besoins de la clientèle et des vocations respectives des établissements généraux et psychiatriques représente un autre élément important du contexte de la réorganisation des services. En 2000, le ministère de la santé, sa mandataire régionale (RRSSS rebaptisée Agence de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux de Montréal — ADRLSSSS) et l’hôpital Douglas signent une entente tripartite dont un des objectifs est de faciliter l’accès aux services de réhabilitation intensive des deux hôpitaux psychiatriques montréalais (Louis-H. Lafontaine et Douglas). Cet objectif s’opérationnalise dans la mise en place d’un Comité d’admission régional, auquel siègent des représentants des hôpitaux et de l’ADRL.

La création du Comité régional permet d’abord de rapprocher les deux établissements psychiatriques et de sensibiliser les partenaires aux complexités du système de référence et d’accès, et au besoin de travailler en réseau pour trouver des solutions. Ensemble, procédant à l’évaluation détaillée et la gestion des références, les différents partenaires observent concrètement les conséquences du problème structurel que représente l’éventail restreint des alternatives offertes aux clientèles désinstitutionalisées.

Le processus d’évaluation des individus référés par les hôpitaux généraux aux services de réhabilitation intensive comporte une série de mesures standardisées (entrevues, questionnaires et échelles d’observation), des entrevues avec l’équipe référante (psychiatres et infirmières), et un inventaire commenté des essais de réhabilitation tentés à ce jour avec l’individu. Cet inventaire commenté décrit les milieux de placement impliqués, les types de suivi effectués, et une estimation du personnel référant et de l’individu quant aux facteurs qui ont empêché le succès de ces précédentes entreprises.

L’analyse de ces évaluations des références illustre clairement que la clientèle psychiatrique qui engorge les urgences ou « habite » littéralement les unités psychiatriques se compose de clientèles hétérogènes nécessitant des interventions complexes (Wasylenki et al., 2000 ; Trieman et Leff, 1996), et que comme ailleurs en Amérique, la grande majorité d’entre eux n’ont pas accès aux interventions psychosociales pertinentes (Lehman et Steinwachs, 2003). Certains des candidats référés requièrent différentes formes d’hébergement spécialisé (supportive housing) ou supporté (supported housing) associées à des modes de suivi communautaire intensifs qui ne leur ont pas été disponibles jusqu’alors (Parkinson et al., 1999).

D’autres candidats présentent des caractéristiques qui requièrent d’abord une réhabilitation intensive dans un environnement protégé et structurant (Walensky et al., 2000 ; Spaulding, 1999). Dans son travail d’évaluation et de gestion des références, le Comité doit constamment composer avec la rareté de l’hébergement spécialisé ou supporté, disponible au moment de l’évaluation des références ou à la suite d’un séjour en réhabilitation intensive en milieu hospitalier (Lesage et al., 2003). Il est observé que cette situation impose des limites structurelles aux hôpitaux psychiatriques dans la diversification des formules de réhabilitation.

La réorganisation des services

L’effort d’implantation des meilleures pratiques ne se limite pas à la seule adoption des IBDPs, mais se fonde sur un processus de planification d’interventions les plus appropriées pour le milieu et la population ciblée. Dans ces conditions, la réorganisation entreprise de l’ensemble des services de réhabilitation du Programme des TMGs contribue à la transposition concrète de notre approche des meilleures pratiques.

L’analyse du contexte régional de soins et services et des caractéristiques de la clientèle a conduit à deux principaux constats : 1) la diversification des modes de suivi communautaire est limitée par les conditions de l’offre en ressources d’hébergement adéquates ; 2) le besoin des individus présentant des psychoses réfractaires à bénéficier de formules de réhabilitation intégrée en milieu hospitalier est sous-estimé. La solution retenue pour faire face à ces problèmes est de maximiser l’utilisation des ressources actuelles de réhabilitation de trois façons : 1) Spécifier systématiquement les niveaux de besoins de la clientèle afin d’optimiser la répartition des individus à l’intérieur des différents niveaux de services ; 2) Intensifier la formation interactive du personnel afin d’améliorer son aptitude à réaliser cette spécification des besoins et d’accroître son expertise au chapitre des interventions psychosociales de pointe ; 3) Développer la fluidité entre les niveaux de services en fonction des besoins de la clientèle et du contexte de l’offre de services disponibles. Spécifiquement, il s’agit à la fois de maximiser les opportunités d’intégrer les individus aux niveaux de soins les moins intensifs et restrictifs, et inversement, de faciliter le retour ponctuel (court et moyen terme) à des niveaux de soins plus intensifs.

Trois équipes de travail ont été mises en place pour contribuer au processus de restructuration. Le Comité Réseau regroupe des représentants des différentes équipes des services de réhabilitation (personnel administratif et soignant) qui examinent les problèmes particuliers limitant l’accès des individus aux types et intensités de services requis. Le Comité de formation travaille à identifier les besoins de formation du personnel de réhabilitation, créer des curriculums et des manuels de formation, et dispenser des formations interactives dans les unités. Le comité d’implantation se concentre sur les unités internes de réhabilitation intensive. Il y examine et ajuste les conditions et le processus de formation du personnel et d’implantation des interventions (Corrigan et McCraken, 1997).

À l’échelle des unités internes de réhabilitation intensive, les deux unités de longue durée et la Résidence de réhabilitation ont créé un continuum allant du milieu le plus restrictif (unité fermée), au traitement en milieu résidentiel sur le campus de l’hôpital, en passant par une unité de réhabilitation ouverte. Ces trois volets s’inspirent de la même philosophie d’intervention, mais diffèrent en ce qui concerne les restrictions, le niveau de fonctionnement des patients et le degré d’engagement auquel les patients veulent souscrire dans le cadre de leur processus de réhabilitation. Des mécanismes de transfert et de support ont été mis en place qui permettent aux patients de passer d’un milieu à l’autre de façon ponctuelle ou plus permanente. Cette circulation est prescrite par les résultats de l’analyse fonctionnelle des comportements, tels que mesurés par l’atteinte des indicateurs de changement inclus dans les plans d’intervention individualisés.

Au sein du Comité Réseau, des démarches ont été entreprises pour renforcer l’arrimage administratif et clinique entre les trois unités internes et les services de réhabilitation et de support communautaire Spectrum. Le Spectrum comporte des services d’évaluation des habiletés, buts et intérêts des clients, des services de loisirs à l’interne et dans la communauté et des services de préparation ou de support à l’emploi (par exemple, IPS) ou à l’éducation.

Les unités internes sont également en lien administratif et clinique avec les Services ambulatoires par le biais du Comité Réseau. Les services ambulatoires comportent des services de suivi d’intensité variable. La clinique externe spécialisée dans les TMGs souscrit à un modèle de gestion de cas de type « coordonnateur de services » (broker) dont les principales fonctions sont l’évaluation des besoins, la planification des services, la référence aux fournisseurs de services, le suivi et la représentation du client auprès des instances administratives (Intagliata, 1982). L’équipe résidentielle joue sensiblement le même rôle auprès des individus vivant dans les familles d’accueil et résidences intermédiaires. De plus, elle assiste concrètement les résidants et les responsables des ressources d’hébergement à solutionner les difficultés qui s’expriment dans les résidences elles-mêmes. L’équipe ACT est multidisciplinaire, les intervenants partagent le suivi de près de 70 clients réfractaires, l’essentiel des interventions prend place dans la communauté. Les interventions peuvent cibler différents domaines (symptômes, besoins, ressources, qualité de vie) dans la perspective pragmatique de maintenir l’individu dans la communauté (Stein et Test, 1980). L’équipe de réhabilitation intensive dans le milieu (RIM) représente la plus récente extension de nos services de suivi communautaire. Il ne s’agit pas de gestion de cas proprement dit, mais de suivi clinique temporaire en communauté répondant à un besoin spécifique. L’équipe multidisciplinaire se caractérise par l’intensité des activités de psychothérapie et d’entraînement aux habiletés in vivo.

Cette nouvelle structure d’organisation intégrée des services nous permet de rester à l’affût des besoins changeants de la clientèle, du contexte local et régional d’offre de soins et de services, des processus de formation du personnel et d’implantation des nouvelles interventions et de la diffusion accélérée des innovations cliniques. Le suivi des transformations et l’échange accru des informations entre les membres du réseau nous permettent de réagir plus prestement aux conditions sociales, économiques, administratives et cliniques changeantes de l’environnement de soins et services.

Implantation du nouveau programme

Le processus d’implantation du nouveau programme des unités internes a commencé en 2002 et nous sommes aujourd’hui à mi-parcours. Initialement, il existe deux unités de longue durée dont le fonctionnement clinique s’inspire essentiellement du paradigme bio-médical. Les activités thérapeutiques visant le développement des habiletés et de l’autonomie sont parsemées, peu représentatives des IBDPs, et mal intégrées à l’environnement des soins. L’environnement des soins ne reflète pas les principes du rétablissement notamment parce que les patients et les membres de la famille ne sont pas des participants actifs au processus de traitement. Les unités n’entretiennent pas de liens avec les organismes extérieurs. Il n’y a pas d’activité d’évaluation continue, ni de recherche clinique qui puisse informer la pratique.

À partir de 2002, les travaux du Comité de formation et du Comité d’implantation conduisent à l’identification de quatre axes prioritaires d’implantation : 1) l’analyse des besoins des unités en matière de programmes définis par le personnel soignant ; 2) la formation interactive du personnel ; 3) la transformation des équipes cliniques autour d’une approche interdisciplinaire et l’implantation de nouveaux outils et procédures cliniques ; 4) la modification de l’environnement de soins et le transfert des patients qui présentent des problématiques différentes (déficience intellectuelle et gérontopsychiatrie).

La perspective du personnel soignant en matière de programmes est exprimée lors des journées d’étude à l’intention des intervenants afin qu’ils partagent leurs attentes et leurs besoins. Cet exercice se poursuit dans le cadre de rencontres hebdomadaires dans les unités. Trois principaux problèmes sont identifiés : le manque d’activités structurées et/ou thérapeutiques ; la réticence apparente des patients à participer à leur traitement (symptômes négatifs ; nature de l’environnement qui conditionne les attentes ; etc) ; et la préoccupation affirmée du personnel quant à l’incidence de comportements agressifs sur les unités. Sur cette base, les Comités d’implantation et de Formation trouvent un terrain d’entente avec le personnel en identifiant des points de convergence. À ce jour, les rencontres hebdomadaires se poursuivent et permettent d’obtenir le feedback des intervenants, d’identifier les difficultés et de rajuster le tir.

La formation du personnel de première ligne s’amorce avec des sessions ponctuelles de formation aux IBDPs, notamment les modules d’entraînement aux habiletés sociales (Liberman et al., 1989), la thérapie behaviorale cognitive (Garety et al., 2000), et l’entrevue motivationnelle (Miller et Rollnick, 2002). Par la suite, des membres du personnel et de l’administration effectuent des visites de formation dans un centre de réhabilitation de modèle américain. Ces visites permettent d’observer directement l’application des IBDPs et de mieux comprendre l’opérationalisation technique et administrative d’un programme de réhabilitation intensive basé sur le paradigme intégré.

Des sessions de formation régulières sont ensuite mises en place à l’interne visant à familiariser le personnel aux paradigmes du rétablissement et intégré. Les thèmes privilégiés dans le cadre des formations au paradigme du rétablissement sont les déterminants de la santé que sont le travail et le logement, les formules de soutien et de support au travail et au logement, et la question du rôle actif que doivent prendre les patients et leurs familles ou proches dans la conception du plan de traitement. S’agissant du paradigme intégré, les intervenants apprennent à conceptualiser les problèmes des patients en fonction des différents niveaux de fonctionnement (neurophysiologique, neurocognitif, sociocognitif, sociocomportemental et socioenvironnemental) et de leurs interactions. D’autres activités de formation sont directement associées à l’introduction des nouveaux outils et procédures cliniques.

La réorganisation des équipes cliniques implique la modification de l’organisation du travail au quotidien dans les unités. Il s’agit notamment de la transformation du tandem « infirmier-psychiatre » en équipe interdisciplinaire. L’infirmier (ère) devient un coordonnateur de soins, c’est-à-dire la personne de référence pour le patient et pour l’équipe. Le plan de traitement s’élabore en concertation avec les différents professionnels (psychologue, travailleur social, ergothérapeute, éducateur, assistant en réhabilitation, psychiatre et généraliste). Ceux-ci n’agissent pas à titre de consultants ou d’évaluateurs des problématiques spécifiques, mais contribuent au sein de l’équipe, à la conception et la mise en oeuvre du plan de traitement. Celles-ci s’élaborent selon l’approche hypothético-déductive centrale au paradigme intégré. Il s’agit ainsi de caractériser les problèmes en fonction des niveaux de fonctionnement biosystémiques, d’identifier et de concevoir les interventions initiales, de les appliquer et d’en évaluer systématiquement les effets, puis d’identifier les éventuelles interventions de rechange.

L’implantation de nouveaux outils et procédures cliniques accompagne la réorganisation des équipes cliniques et se fait en étroite association aux activités de formation. Des formateurs développés à l’interne assistent les équipes interdisciplinaires dans l’élaboration et la mise en oeuvre des plans de traitement. Des formations régulières sont introduites portant sur l’administration de mesures standardisées et individualisées des symptômes, comportements, besoins et habiletés de fonctionnement, ainsi que sur la conception et l’usage des programmes individualisés de modification des comportements (dont l’agression).

L’environnement de soin se transforme graduellement avec l’introduction des sessions thérapeutiques de groupe et individuelles. Avec les activités sociales, de loisir et physique, ces sessions contribuent à structurer l’horaire hebdomadaire des patients. L’activité des clients s’inscrit dans un modèle d’apprentissage social normalisant où des contingences de renforcement sont mises en place afin de soutenir la participation des patients et de souligner leurs accomplissements. Graduellement, le personnel et les patients s’habituent à échanger d’égal à égal et à collaborer à la construction des plans de traitement. La grille horaire hebdomadaire des patients comporte des plages horaires réservées au counselling de réhabilitation avec leur coordonnateur de soins. Ces périodes dédiées sont l’occasion privilégiée de discuter des activités du programme et de leurs liens aux objectifs du client. Elles ont aussi pour effet de réduire sensiblement la fréquence des comportements de demande d’attention à d’autres moments de la journée.

Des modifications à l’environnement physique sont aussi apportées. Elles impliquent d’abord le réaménagement des espaces pour créer des salles de thérapie de groupe et individuelle. Un projet est en cours visant à déménager une partie de la clientèle dans de nouveaux locaux afin de promouvoir l’ambiance thérapeutique (ward atmosphere). Finalement, les patients qui présentent des problématiques de déficience intellectuelle et de gérontopsychiatrie sont graduellement redirigés vers les unités de soins pertinentes.

Défis

En résumé, le processus d’implantation du nouveau programme de soins dans les unités internes de réhabilitation intensive s’est fondé sur : 1) la référence aux développements scientifiques empiriques pertinents ; 2) l’intégration de ces développements à nos pratiques en fonction des caractéristiques propres de la clientèle, de l’organisation et de l’offre de service locale et régionale ; 3) l’évaluation continue du processus d’implantation. De façon itérative, l’amélioration des pratiques a favorisé une meilleure spécification des besoins des patients qui à son tour a contribué au raffinement des interventions. La spécification des besoins des patients, l’intensification de la formation du personnel et le décloisonnement des services ont permis de promouvoir la continuité des soins.

Pour les individus présentant des troubles mentaux graves, l’intégration des modèles de soins (biomédical, rétablissement, etc), la continuité temporelle des soins et le décloisonnement des services sont des enjeux centraux de la nouvelle hiérarchisation des services en santé mentale au Québec (Delorme et al., 2005). Le développement des pratiques de soins partagés à l’échelle des réseaux locaux (CSSS) et régionaux requiert d’abord l’inventaire des pratiques de pointe et la spécification des caractéristiques de la clientèle. Ces deux entreprises sont dynamiques : l’identification des interventions pertinentes et la spécification des besoins évoluent au rythme de l’intégration graduelle des pratiques médicales et psycho-sociales dans le soin des toubles mentaux graves.

Les services de troisième ligne de l’hôpital psychiatrique jouent un double rôle dans ce processus. Premièrement, les équipes spécialisées de troisième ligne continuent de développer une expertise d’intégration des modèles de soins : elles développent ou adaptent des interventions de pointe, contribuant concurremment à spécifier les caractéristiques de la clientèle qui déterminent les niveaux de soins requis. Une composante stratégique de cette expertise est la mesure continue de l’effet des interventions et de l’implantation des changements.

Par le biais de ces activités expertes, les services de troisième ligne sont à même de jouer également un rôle de support aux équipes de deuxième ligne dans le développement des soins partagés. Pour les troubles mentaux graves, le développement des soins partagés requiert la formation du personnel de première ligne à identifier le développement ou l’évolution des pathologies ; à assurer le monitoring continu de la clientèle suivie en première ligne (signes précurseurs, adhérence au traitement, usage de substances, etc) ; à dispenser des interventions psychosociales et médicales ; à reconnaître les critères qui permettent de décider de référer à des soins de deuxième et troisième lignes ; et à contribuer au développement de plans de traitement partagés.

Outre la formation elle-même, des procédures doivent être définies et opérationnalisées qui permettent que circulent rapidement d’un niveau d’accès à l’autre, les informations, le personnel de support ponctuel, et les clients eux-mêmes. En raison du fondement clinique de leur expertise de traitement et de mesure, les équipes de troisième ligne des hôpitaux psychiatriques peuvent contribuer grandement au développement de ces soins partagés.