Débat : Faut-il supprimer les voix?

Le risque de perdre sa « voix » ou les dangers de la perte de sens en psychiatrie[Notice]

  • Georges Robitaille

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  • Georges Robitaille, M.D.
    Psychiatre

J’ai lu avec intérêt et attention votre texte argumentaire Mesdames St-Onge et Provencher. Quel stimulant sujet et combien plus potentiellement utile au plan clinique que les sempiternelles « nouveautés » pharmacologiques ! Psychiatre généraliste, mon focus psychothérapeutique et psychanalytique des 15 dernières années ayant été, avant tout, auprès d’individus souffrant de troubles sévères de la personnalité, de troubles dissociatifs et de troubles de stress post-traumatique, les hallucinations auditives ont été pour moi et mes patient(e)s une source exceptionnelle et indispensable d’insight. Par ailleurs ces patient(e)s, même si certain(e)s avaient eu à juste titre un diagnostic de psychose ou de schizophrénie ou en portaient toujours un, ils ou elles ne souffraient pas de schizophrénie à mon sens. Comme vous le soulignez dans votre texte, les hallucinations auditives ne sont pas l’apanage de la psychose ou de son prototype la schizophrénie. Les phénomènes hallucinatoires sont omniprésents au cours du cycle de vie. Par exemple, très fréquemment, les jeunes enfants âgés de moins de 12 ans (46,2 % jusqu’à 65 % : Pearson et al., 2001 ; Taylor et al., 2004) interagissent de façon cognitivo-perceptuelle avec leurs compagnons imaginaires au gré de leurs besoins et imaginaire fertile. À 7-8 ans, un échantillon non clinique de Jenner et al. (2005) montre une prévalence de 8.7 % au cours de la dernière année d’hallucinations auditives dont le tiers des enfants étaient évalués comme portant une charge psychique sévère par la fréquence (plus d’une fois par jour), l’intensité de celles-ci au plan sonore et l’interférence des hallucinations sur la capacité de penser. Yoshizumi et al. (2004) ont constaté chez des jeunes de 11-12 ans d’une communauté japonaise, que 21 % d’entre eux avaient des vécus hallucinatoires. De son côté, Olfson et al. (2002) rapportent, dans une population adulte vivant dans la communauté, un taux de 21 % chez les participants ayant un ou plusieurs symptômes psychotiques et dont les hallucinations auditives sont le symptôme le plus rapporté (61 % de ceux-ci). Ceux qui rapportent ces symptômes psychotiques présentent plus de troubles anxio-dépressifs, d’abus d’alcool, d’idées suicidaires et de stresseurs psychosociaux. Sont-ils réellement tous psychotiques ? Bien sûr que non ! Simulateurs ? Pas plus ! Les hallucinations et particulièrement les hallucinations auditives sont donc des phénomènes très fréquents au cours des différents âges de la vie (ils augmentent d’ailleurs au troisième âge en association avec diverses pathologies médicales), tant dans la population clinique que non clinique. Heureusement des mouvements communautaires se sont développés tels le « Hearing Voices Network » (www.hearing-voices.org) à la fin des années 80 afin de déstigmatiser ces phénomènes, de favoriser le développement et la diffusion des connaissances sur ceux-ci et d’apporter un soutien à ceux qui en souffrent. Par ailleurs, ces phénomènes hallucinatoires semblent similaires sur le plan de la forme (Honig et al., 1998) chez les patients psychotiques et non psychotiques. Les contenus, la qualité émotionnelle et l’attribution diffèrent. On peut, je crois, suspecter des éléments sous-jacents non spécifiques qui sont à la base de ces phénomènes tant chez les « normaux » que chez notre clientèle psychotique ou psychiatrique en général, mais dont la pondération et/ou l’impact (de ces facteurs sous-jacents) serait accrue au sein de ces clientèles plus sévèrement touchées. Deux facteurs développementaux m’apparaissent cruciaux pour l’atteinte d’un « Self » cohérent et résilient : un attachement sécure et l’absence de vécu majeur traumatique. Un attachement insécure et particulièrement la forme la plus sévère « Désorganisé/Désorienté » représente un facteur de risque important d’une psychopathologie à l’âge adulte (Dozier et al., 1999). Bowlby (1973) a utilisé la métaphore de « branching railway lines » pour imager l’inégalité …

Parties annexes