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Dans une étude réalisée sur la santé mentale des Canadiens à partir de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes : santé mentale et bien-être (ESCC 1.2), faite en 2002 par Satistique Canada, nous avions constaté (Caron et Liu, 2010) que la prévalence annuelle de la détresse psychologique est nettement plus fréquente au Québec (23,5 %) que dans les autres provinces canadiennes (20,7 %) confirmant une étude antérieure de Stephens et ses collaborateurs (2000). Toutefois bien que les Québécois ont un niveau de détresse psychologique plus élevé que les autres Canadiens, ils affichent des taux de troubles mentaux (10,2 %) parmi les plus bas au Canada lorsque comparés avec plusieurs autres provinces plus à l’ouest (Colombie-Britanique 12,4 %, Alberta, 12,2 %, Saskatchewan, 12 %). Le recours aux modèles stress/adaptation/soutien social (Lazarus, 1999) pourrait aider à formuler une hypothèse possible. Dans ces modèles, la détresse psychologique constitue un état transitoire causé par le stress chronique ou les évènements difficiles de la vie, état qui pourrait être atténué par les stratégies d’adaptation et le soutien social. L’une des hypothèses proposées pour expliquer ces résultats est la suivante : les Québécois vivent plus de situations stressantes et de détresse, mais ils utiliseraient de meilleures stratégies d’adaptation ou bénéficieraient d’un meilleur soutien social, évitant ainsi que leur détresse devienne un état chronique se soldant par l’apparition de troubles mentaux ou de problèmes de dépendance. Une autre hypothèse avancerait que les Québécois pourraient bénéficier de services de santé mentale au Québec en période de détresse évitant ainsi la chronicisation de leurs problèmes. Ces hypothèses restent cependant à démontrer par des études spécifiques sur ce phénomène.

De récentes analyses (Pearson, Janz et Ali, 2013) portant sur l’ESCC 2012, soit 10 ans plus tard, montrent que la prévalence annuelle des troubles mentaux ou de dépendance à l’alcool et aux drogues s’établit à 10,6 % dans la population canadienne et à 33,6 % lorsque ces problèmes sont considérés sur l’ensemble de leur vie. Cette étude préliminaire ne présente cependant pas de comparaisons interprovinciales.

Toutefois, l’ESCC 1.2 et l’ESCC 2012 ne mesurent pas l’ensemble des troubles mentaux, se limitant à certains troubles anxieux, aux troubles de l’humeur et aux dépendances aux drogues et à l’alcool. Kessler et al. (2005) ont estimé que 26,2 % de la population américaine souffraient d’un désordre mental spécifique, et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) rapporte que, déjà en 2004, les troubles mentaux étaient la principale cause d’incapacité aux États-Unis et au Canada, d’où l’importance de mettre en place des services de qualité.

Deux paramètres influencent les taux de prévalence, soit le taux d’incidence et la durée de la maladie. L’incidence est le nombre de nouveaux cas sur une période donnée et la durée de la maladie se définit comme la période pendant laquelle se manifestent les symptômes de la maladie jusqu’à sa rémission. Diminuer la prévalence implique deux types d’actions ; s’attaquer aux facteurs de risque qui influent sur l’apparition de nouveaux troubles mentaux dans la population afin de réduire l’incidence, et tenter de réduire la durée des troubles mentaux (Caron, 2010).

Réduire l’incidence des troubles mentaux passe par la prévention des troubles mentaux et la promotion de la santé mentale. Plusieurs approches simultanées s’imposent pour réduire la durée des troubles mentaux. D’une part, il y a la mise en place d’un système de détection et de traitement précoce de ces troubles et, d’autre part, il y a le développement de services de santé mentale efficaces et efficients et le soutien communautaire qui permet l’intégration sociale et professionnelle. La réduction du stigma social, associée aux troubles mentaux, constitue également un objectif majeur puisque celui-ci est un obstacle important au rétablissement. Ce concept décrit l’attitude négative de la population à l’égard des personnes souffrant d’un trouble mental, qui se manifeste par une faible tolérance à la déviance. Le stigma social est l’un des facteurs les plus importants qui entravent l’accès aux traitements et qui limitent la réadaptation à une vie « normale et signifiante » sur le plan social (Corrigan, 2000).

L’intervention précoce évite le développement des troubles avant qu’ils ne se chronicisent et contribue ainsi à réduire la durée de ces troubles. Donc, la santé publique privilégie le développement d’instruments sensibles et d’interventions permettant le diagnostic et le traitement rapide des problèmes de santé mentale. L’intervention précoce privilégie également l’évaluation et l’intervention auprès des enfants, des adolescents et des jeunes adultes présentant des facteurs de risque ou des signes avant-coureurs de troubles mentaux.

Lorsque la symptomatologie se développe dans une population, la qualité des services en santé mentale d’une communauté joue également un rôle important pour la santé publique. Plus les services, formels et informels, sont accessibles et efficaces, plus la durée de la détresse ou de la symptomatologie sera brève, réduisant ainsi la prévalence des problèmes de santé mentale dans cette population. Dans le cas de problèmes graves et persistants, l’adéquation des services permet une réduction de la symptomatologie, le maintien de la vie sociale et une meilleure qualité de vie des personnes atteintes et de leurs proches. Dans l’un de ses rapports, l’OMS (2004) souligne d’ailleurs l’impact croissant du système de santé sur l’état de santé de la population.

C’est dans cette perspective que le présent numéro thématique, Réformes du système de santé mentale : constats, témoignages et recommandations s’inscrit. Il permet d’apprécier l’évolution des services de santé mentale au Québec, les solutions mises de l’avant en Belgique, en Australie et dans les pays de l’OCDE et d’explorer des pistes pour son développement futur. Il présente également des expériences, opinions et témoignages sur différents paramètres touchant les services de santé mentale au Québec.

La Dre Marie-José Fleury et le Dr André Delorme sont les rédacteurs invités responsables de ce numéro. Marie-Josée Fleury, professeure au Département de psychiatrie de l’Université McGill, chercheure à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas et directrice scientifique du Centre de réadaptation en dépendance de Montréal-Institut universitaire, est une spécialiste reconnue internationalement de l’organisation des services en santé mentale. André Delorme est le Directeur de la santé mentale au ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec et responsable du prochain plan d’action en santé mentale.

Ce numéro thématique est accompagné d’une mosaïque de deux articles. Le premier de Dominique Imbeau, Sébastien Bouchard, Miguel M. Terradas et Valérie Simard de l’Université de Sherbrooke porte sur les attitudes des médecins omnipraticiens et des résidents en médecine familiale à l’endroit des personnes souffrant d’un trouble de personnalité limite. Cette recherche illustre l’importance du nombre d’années d’expérience professionnelle pour le développement d’attitudes plus positives à l’endroit des personnes atteintes de ce type de trouble.

Le second rapporte les résultats de l’évaluation de l’implantation d’un nouveau protocole de garde légal en établissement, régissant l’hospitalisation involontaire. Cette évaluation réalisée par Line LeBlanc de l’Université du Québec en Outaouais permet de comparer les perceptions des personnes hospitalisées et du personnel soignant d’établissement de santé en Outaouais et donne lieu à des recommandations lors de l’implantation de ce type de protocole.

Nous vous souhaitons une très bonne lecture.