Corps de l’article

L’expression « personnes trans » regroupe un large éventail de personnes qui se définissent comme étant transgenres ou transsexuelles et dont l’identité de genre ou l’expression des rôles et des comportements de genre ne correspondent pas aux attentes culturelles traditionnelles sur le genre (Grossman et D’Augelli, 2007 ; Hébert, Chamberland et Enriquez, 2012). Comparativement aux personnes qui expriment leurs rôles et comportements en concordance avec les stéréotypes traditionnels de genre, les jeunes trans sont plus à risque de vivre de la violence (Almeida, Johnson, Corliss, Molnar et Azrael, 2009 ; Grossman et D’Augelli, 2006, 2007 ; McGuire, Anderson, Toomey et Russell, 2010) et d’en voir leur santé mentale affectée (Grossman et D’Augelli, 2006). Par exemple, près de 9 jeunes trans sur 10 (87 %) vivraient de la victimisation basée sur le genre sous forme de violence verbale et plus de la moitié (53 %) rapporte avoir été harcelée physiquement dans des milieux de vie tels que l’école (Greytak, Kosciw et Diaz, 2009). Grossman et D’Augelli (2007) rapportent que jusqu’à 73 % des jeunes trans sont « parfois » ou « souvent » harcelés verbalement par leurs parents au sujet de leur expression de genre.

La victimisation jouerait un rôle médiateur important entre la non-conformité de genre et l’ajustement psychologique des jeunes (Toomey, Ryan, Diaz, Card et Russel, 2013). Cette victimisation expliquerait que les jeunes trans sont jusqu’à 6 fois plus à risque de présenter des symptômes de détresse psychologique que les jeunes cisgenres (Almeida et al., 2009 ; Clark et al., 2014 ; Grossman et D’Augelli, 2006, 2007), dont l’identité de genre correspond au sexe anatomique de naissance. Il en va de même pour le rejet par les parents qui constitue une source importante de stress affectant la santé mentale et le bien-être psychologique de ces jeunes (Grossman et D’Augelli, 2007).

La détresse associée à la victimisation basée sur le statut sexuel minoritaire se traduit pour une proportion significative de jeunes trans par des idéations suicidaires et des tentatives de suicide (Almeida et al., 2009 ; Grossman et D’Augelli, 2007 ; Robinson et Espelage, 2011). Ainsi, près de la moitié des jeunes trans auraient déjà pensé au suicide (Grossman et D’Augelli, 2007) et entre 12 et 20 % auraient déjà tenté de se suicider (Clark et al., 2014 ; Grossman et D’Augelli, 2007), ce qui représente un risque jusqu’à 5 fois plus important que les jeunes cisgenres. Il en va de même pour la victimisation des parents. Chez les jeunes trans, un rejet de la part d’un parent peut être une source importante de stress et mener au suicide (Grossman et D’Augelli, 2007). Il est donc prioritaire de mieux comprendre les facteurs associés à la détresse psychologique susceptibles de contribuer à la vulnérabilité particulière des jeunes trans.

L’estime de soi serait un des facteurs susceptibles d’expliquer l’impact de la victimisation homophobe sur la détresse psychologique. En effet, la victimisation basée sur le statut sexuel minoritaire serait associée à une plus faible estime de soi chez les jeunes de minorités sexuelles (Kosciw, Palmer, Kull et Greytak, 2013), notamment en raison de l’intériorisation d’une vision négative de son statut sexuel minoritaire (Blais, Gervais et Hébert, 2014). Il est donc plausible qu’en raison de la victimisation qu’ils subissent, les jeunes trans voient leur estime d’eux-mêmes diminuée et que cette variable joue un rôle médiateur significatif entre la victimisation et la détresse psychologique. Néanmoins, ces hypothèses, schématisées dans la Figure 1, restent non explorées parmi les jeunes trans.

Figure 1

Modèle acheminatoire postulant les effets du genre sur la victimisation et la santé mentale

Modèle acheminatoire postulant les effets du genre sur la victimisation et la santé mentale

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Dans ce contexte, cet article vise à 1) comparer les jeunes trans à de jeunes garçons et filles cisgenres exclusivement hétérosexuels à l’égard de deux formes de victimisation (par les parents et basée sur la non-conformité de genre), de l’estime de soi et de la détresse psychologique ; et 2) explorer le rôle de deux formes de victimisation (insultes par les parents et victimisation basée sur la non-conformité de genre) sur l’estime de soi et la détresse psychologique via un modèle acheminatoire.

Méthode

Design

Les données de cette étude proviennent de l’enquête sur les Parcours amoureux des jeunes du Québec, dans laquelle 8194 jeunes de 14 à 22 ans ont été recrutés. Un premier volet a été réalisé auprès de 34 écoles secondaires du Québec. Un deuxième volet, communautaire, porte spécifiquement sur les jeunes LGBTQ du Québec. Ces derniers participants ont été recrutés de diverses manières, par des organismes communautaires travaillant auprès de jeunes LGBTQ ainsi qu’au moyen de publicités ciblées sur les médias sociaux tels que Facebook. Le projet a été approuvé par le Comité institutionnel d’éthique de la recherche de l’Université du Québec à Montréal.

L’échantillon analysé dans la présente étude est composé de 37 jeunes trans ou en questionnement sur leur identité de genre, provenant du volet communautaire. Ces 37 jeunes trans ont été appariés à 37 jeunes femmes et 37 jeunes hommes cisgenres et exclusivement hétérosexuels. Les jeunes cisgenres ont été sélectionnés parmi les répondants du volet scolaire se décrivant comme exclusivement hétérosexuels afin de minimiser la possibilité que les jeunes cisgenres aient subi des expériences de victimisation sur la base d’un statut sexuel minoritaire, puisque les jeunes présentant une orientation sexuelle non exclusivement hétérosexuelle sont aussi fréquemment discriminés sur la base d’une non-conformité de genre (Kosciw, Greytak, Bartkiewicz, Boesen et Palmer, 2012). Les jeunes cisgenres ont été appariés aux jeunes trans en utilisant des scores de propension basés sur les caractéristiques sociodémographiques suivantes : âge, région géographique (Montréal, Québec ou autre), statut migratoire (Canadien de souche ou non), contexte de résidence familiale (résident avec les parents ou non) et niveau de scolarité (1er cycle du secondaire, 2e cycle du secondaire, postsecondaire ou autre). Un score de propension représente la probabilité qu’un individu soit assigné à un groupe considérant plusieurs variables. L’usage des scores de propension permet de réduire les possibles biais de sélection dans l’appariement de différents groupes. Dans un premier temps, des scores de propension ont été estimés par régression logistique pour chaque jeune trans et chaque fille à partir des variables sociodémographiques déjà indiquées. Ensuite, un indicateur de proximité est calculé pour déterminer les observations du groupe de comparaison les plus similaires à celles du groupe à l’étude. Les mêmes étapes ont été répétées pour apparier les jeunes garçons aux jeunes trans.

Variables

Statut sexuel. Trois catégories de statut sexuel ont été créées : jeunes trans, garçons cisgenres et filles cisgenres. Ce statut a été établi à partir de la combinaison du sexe et de la question suivante : « Quand leur sexe de naissance et leur identité de genre (sentiment d’appartenance à un sexe) ne concordent pas, certains se définissent comme une personne trans (transgenre, transsexuelle, trans). Te considères-tu comme une personne trans ? (oui/non/en questionnement) ». Les jeunes ont été classés comme trans s’ils répondaient oui ou en questionnement à cette question. Parmi les jeunes exclusivement hétérosexuels, ceux qui répondaient non étaient classés comme cisgenres.

Victimisation basée sur la non-conformité de genre. Un énoncé mesurait la victimisation basée sur la non-conformité de genre (Dans les 12 derniers mois, as-tu personnellement été traité de façon injuste parce qu’on considérait que tu étais trop féminin ou pas assez masculin [pour les garçons] ou trop masculine ou pas assez féminine [pour les filles] ?). À cet énoncé, les participants pouvaient répondre par oui, non, je ne sais pas. Un score dichotomique (oui vs non/je ne sais pas) a été calculé afin d’identifier les participants qui avaient vécu au moins un épisode de cette forme de victimisation au cours de la dernière année.

Violence verbale des parents. Deux énoncés, l’un pour la mère et l’autre pour le père, mesuraient la violence verbale (insultes ou remarques blessantes) des parents (Ma mère/mon père… me dit des choses blessantes et/ou insultantes). L’échelle de réponse se déclinait en 5 options sur une échelle de Likert : de jamais (1) à très souvent (5). Deux scores ont été calculés : 1) un score de prévalence distinguant aucune vs au moins une occurrence de victimisation (pour les analyses descriptives) et 2) une moyenne (pour le modèle acheminatoire).

Estime de soi. Afin de mesurer l’estime de soi des participants, des items tirés du Self-Description Questionnaire (Marsh et O’Neill, 1984) ont été utilisés. Les répondants devaient indiquer à quel point les énoncés proposés décrivaient ce qu’ils pensent d’eux-mêmes (par exemple : « En général, je m’aime comme je suis », « J’ai beaucoup de qualités »). Une échelle de réponses proposant 5 choix était présentée : Faux (1), Plutôt faux (2), Parfois faux/Parfois vrai (3), Plutôt vrai (4) et Vrai (5). La cohérence interne de cette échelle est excellente (α = 0,91). Deux scores ont été calculés : 1) la prévalence d’une faible estime de soi (score de 10 et moins ; cf. Statistique Canada, 2005, pour les résultats descriptifs) et 2) la moyenne (pour le modèle acheminatoire).

Détresse psychologique. La détresse psychologique a été mesurée par le Kessler Psychological Distress Scale (Kessler et al., 2002) : « Au cours de la semaine qui vient de s’écouler, à quelle fréquence t’es-tu senti/e… ». La question était suivie de 10 énoncés (par exemple : … épuisé/e sans véritable raison). Chaque énoncé était mesuré par une échelle de Likert à 5 options : Jamais (0), Rarement (1), Parfois (2), La plupart du temps (3) et Tout le temps (4). La cohérence interne de cette échelle est excellente (α = 0,93). Deux scores ont été calculés : 1) la prévalence de la détresse psychologique clinique (score de 20 et plus, cf. Donker et al., 2010, pour les résultats descriptifs) et 2) la moyenne (pour le modèle acheminatoire).

Analyses statistiques

Dans l’objectif de comparer les groupes de jeunes trans, de filles cisgenres et de garçons cisgenres sur les mesures retenues, une analyse de variance a été réalisée pour la variable d’âge (continue) et des tests exacts de Fisher ont été réalisés pour les autres variables en raison de leur nature catégorielle et de la présence de cellules à faible effectif. L’identification des différences entre les trois groupes sur les variables catégorielles repose sur l’examen des résidus standardisés ajustés.

Dans l’objectif de modéliser l’impact du genre et de la victimisation sur l’estime de soi et la détresse psychologique, le modèle acheminatoire présenté à la Figure 1 a été testé avec le logiciel Mplus 7.11 sur l’ensemble de l’échantillon regroupant les jeunes trans et les jeunes cisgenres (Muthén et Muthén, 1998-2013). Le modèle a été estimé avec un estimateur non linéaire et robuste à l’anormalité des distributions (WLSMV). Les modifications apportées au modèle ont été basées sur l’examen des résidus qui résultent de la différence entre les patrons de réponses observés et les patrons de réponses prédits par le modèle testé. L’ajustement du modèle a été déterminé par un test de chi-carré non significatif qui signale l’absence de différence significative entre le modèle postulé et les données observées.

Résultats

Le tableau 1 présente les caractéristiques des participants. L’âge moyen des participants est de 16 ans. Les garçons et les filles cisgenres habitaient tous avec au moins un de leur parent d’origine. Les jeunes trans habitaient avec leurs deux parents d’origine ou un seul des deux parents (71,5 %), alors que 8,1 % habitaient avec leur partenaire amoureux et que 20,4 % vivaient dans un autre contexte (famille élargie, famille d’accueil, colocation, appartement supervisé). Plus de la moitié des répondants résidaient dans la région de Montréal et plus de 90 % étaient nés au Canada. Près des trois quarts (73 %) d’entre eux étaient étudiants au 2e cycle du secondaire. Seuls l’âge et le niveau de scolarité étaient significativement plus élevés chez les participants trans.

Tableau 1

Description des participants

Description des participants
*

Les sous-groupes partageant le même exposant sont significativement différents l’un de l’autre.

La valeur p rapportée a été déterminée à partir de tests exacts de Fisher, plus robustes que les tests de Chi-carré de Pearson lorsque les tableaux croisés comportent des cellules à faible effectif.

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En ce qui concerne les indicateurs de santé mentale et de bien-être, la proportion de répondants rapportant un score clinique de détresse psychologique était de 44,9 %. Cette proportion était significativement plus élevée chez les jeunes trans (72,7 %), alors qu’elle était plus faible chez les garçons cisgenres (18,9 %) et ne s’en distinguait pas chez les filles cisgenres (45,9 %). Environ un tiers (30,2 %) de l’ensemble des répondants présentait une faible estime de soi. La proportion observée chez les filles cisgenres (29,7 %) se rapproche de la moyenne observée dans l’ensemble de l’échantillon, alors que les jeunes trans présentaient une proportion significativement plus élevée (53,1 %), contrairement aux garçons cisgenres qui présentaient un niveau plus faible (10,8 %).

Environ soixante-dix pour cent (70,3 %) des participants trans ont subi de la violence basée sur la non-conformité de genre et 65,6 % d’entre eux ont subi de la violence verbale de la part de leurs parents. Ces proportions étaient significativement plus élevées que les taux moyens observés dans l’échantillon (27,9 % pour la violence basée sur la non-conformité de genre et 47,8 % pour la violence verbale des parents).

Le tableau 2 présente la matrice de corrélation à partir de laquelle le modèle présenté à la Figure 1 a été testé. Ce modèle a été testé sur l’ensemble de l’échantillon, regroupant les jeunes trans, les garçons cisgenres et les filles cisgenres. Pour tenir compte de la différence entre ces groupes, deux variables indicatrices ont été incluses (garçons cisgenres vs trans, filles cisgenres vs trans), permettant ainsi d’isoler les différences potentielles entre les jeunes trans, le groupe d’intérêt, et les jeunes cisgenres des deux sexes. Bien que le modèle testé (Figure 1) montre des relations significatives entre les variables dans les directions postulées, le test du modèle suggère un ajustement inadéquat aux données observées, souligné par une valeur p inférieure à 0,05 (χ2 (dl = 7) = 15,11, p = 0,035). Des relations directes entre les deux indicateurs de victimisation et la détresse psychologique ont été ajoutées dans le modèle révisé (voir Figure 2) et ont permis d’obtenir un excellent ajustement (χ2 (dl = 5) = 3,32, p = 0,65).

Tableau 2

Coefficients de corrélation entre les variables incluses dans le modèle acheminatoire

Coefficients de corrélation entre les variables incluses dans le modèle acheminatoire

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Ce modèle confirme que les jeunes trans étaient significativement plus nombreux à avoir subi de la victimisation sur la base de la non-conformité de genre que les garçons et les filles cisgenres. Ils étaient aussi plus susceptibles de rapporter de la violence verbale parentale que les garçons cisgenres, mais ne se distinguaient pas significativement des filles cisgenres à cet égard (bien qu’une tendance statistique se dégage avec une valeur p = 0,054). Les résultats montrent que la violence verbale des parents et la victimisation basée sur la non-conformité de genre sont toutes deux directement et négativement associées à l’estime de soi, dont la proportion de variance expliquée par le modèle est de 35,9 %. Le statut sexuel explique 19,6 % de la variance de la victimisation parentale et 50,6 % de la variance de la victimisation sur la base du statut sexuel minoritaire. Or, une estime de soi plus élevée est associée à une diminution de la détresse psychologique (variation expliquée : 66,9 %). Enfin, la violence verbale des parents est aussi directement associée à des scores de détresse psychologique plus élevés. Bien qu’il n’y ait pas de relation directe entre le statut trans et la détresse psychologique ou l’estime de soi, les effets indirects totaux du statut trans sur ces deux indicateurs de santé mentale et de bien-être sont significatifs (valeur p < 0,001), suggérant que l’impact du statut sexuel minoritaire est médiatisé par la victimisation à laquelle il est associé.

Figure 2

Modèle acheminatoire révisé (coefficients standardisés)

Modèle acheminatoire révisé (coefficients standardisés)

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Discussion

Cet article visait à 1) comparer des jeunes trans à de jeunes garçons et filles cisgenres exclusivement hétérosexuels sur des indices de santé mentale, de bien-être et de victimisation sur la base du statut sexuel minoritaire ; et 2) explorer le rôle de deux formes de victimisation (par les parents et basée sur la non-conformité de genre) sur l’estime de soi et la détresse psychologique. En ce qui concerne le premier objectif, les résultats confirment que les jeunes trans présentent des indices de santé mentale et de bien-être plus faibles que les garçons et les filles cisgenres, 72,7 % rapportant de la détresse psychologique clinique et 53,1 % une estime d’eux-mêmes significativement faible. Cet écart s’avère beaucoup plus grand entre les garçons cisgenres et les jeunes trans qu’entre ces derniers et les filles cisgenres. Cette différence où les jeunes filles présentent généralement des scores plus élevés de symptômes dépressifs et d’idéations suicidaires que les garçons est aussi observée dans d’autres études (Schneider, O’Donnell, Stueve et Coulter, 2012). Les résultats montrent aussi que plus des deux tiers des jeunes trans rapportent des expériences de victimisation sur la base de la non-conformité de genre et d’insultes ou de remarques blessantes de leurs parents. Bien que les mesures utilisées ne permettent pas de savoir si ces remarques ciblent spécifiquement leur genre, cette différence souligne néanmoins que le statut trans augmente l’exposition à la violence verbale des parents. Ces prévalences sont similaires dans les deux cas à celles rapportées par Greytak et al. (2009) et Grossman et D’Augelli (2007).

En ce qui concerne le second objectif, les résultats confirment l’impact de la victimisation par les parents et de celle basée sur la non-conformité de genre sur l’estime de soi des jeunes et leurs répercussions sur la détresse psychologique. Contrairement au modèle initialement proposé, l’effet de la victimisation sur la détresse psychologique ne se traduit pas entièrement via ses effets sur l’estime de soi. En effet, la détresse psychologique est influencée à la fois directement par la victimisation et, indirectement, via l’impact de cette dernière sur l’estime de soi. L’estime de soi joue donc un rôle de médiation partielle entre la victimisation et la détresse psychologique.

Ces résultats confirment les conclusions des études antérieures auprès de jeunes trans sur la prévalence significativement plus élevée des difficultés de santé mentale (Almeida et al., 2009 ; Kosciw et al., 2012), bien que la prévalence de détresse psychologique dans le présent échantillon soit plus élevée que celles rapportées par Clark et al. (2014 ; 72,7 % vs 41,3 %). La relation observée entre la victimisation basée sur le statut sexuel minoritaire et l’estime de soi par Kosciw et al. (2013) dans leur étude auprès de jeunes de minorités sexuelles est ici confirmée. De plus, les résultats montrent que la relation observée par Williams, Connolly, Pepler et Craig (2005) sur le rôle médiateur de la victimisation entre le statut sexuel minoritaire et la santé mentale chez des jeunes non exclusivement hétérosexuels est également présente chez les jeunes trans. La relation observée entre les propos insultants ou blessants des parents et la détresse psychologique fait écho aux résultats de Ryan, Huebner, Diaz et Sanchez (2009) montrant que les jeunes qui vivent du rejet de la part de leurs parents sont plus susceptibles de rapporter des symptômes de dépression.

Ces résultats montrent l’importance de mettre en place des programmes visant la prévention de la violence faite aux personnes trans et le changement des attitudes défavorables qui invalident le vécu des jeunes trans, notamment l’idée que la transidentité peut être une phase ou doit être traitée (Singh, Meng et Hansen, 2014). Des actions concrètes telles que la formation du personnel scolaire ou la sensibilisation des élèves devraient être développées et implantées pour réduire l’intimidation dans les écoles. De tels programmes permettent d’ailleurs aux étudiants trans de se sentir plus reconnus par le personnel de l’école et plus en sécurité (McGuire et al., 2010). Des programmes de soutien pour les jeunes trans victimes de violence devraient être mis en place afin de créer des espaces sécuritaires et ouverts à la diversité sexuelle. Ces programmes devraient notamment favoriser le renforcement de l’estime de soi et le développement d’habiletés de gestion face à la victimisation. En ce qui a trait aux parents, il est nécessaire de les aider à mieux comprendre la réalité trans et à se montrer plus ouverts à la diversité sexuelle et de genre. Ils doivent également être conscientisés quant à leur rôle déterminant sur la santé mentale de leur enfant. Il est nécessaire de mieux les outiller pour faire face aux réalités de leur enfant trans afin de le soutenir face à la discrimination à laquelle il est exposé, et en faire des alliés de son développement harmonieux.

Cette étude comporte certaines limites. D’abord, il s’agit d’une étude corrélationnelle et les résultats ne permettent pas de statuer sur le caractère causal des relations observées. De plus, les mesures autorapportées sont sujettes à des biais de désirabilité sociale, de mémoire et de minimisation ou d’amplification des expériences vécues. Il aurait aussi été utile de demander aux participants trans de spécifier leur sexe à la naissance et leur genre souhaité (masculin vers féminin, ou féminin vers masculin). Cette information aurait permis d’explorer la différence du vécu trans selon la direction de la transition ou du questionnement. Une autre limite réfère aux modalités de recrutement. Les jeunes trans ont été recrutés via des organismes communautaires travaillant auprès des jeunes de minorités sexuelles ou des ressources en ligne les ciblant. Ces jeunes peuvent donc présenter des caractéristiques différentes des jeunes qui n’ont pas été rejoints par l’étude. Enfin, il importe de souligner que le petit échantillon implique une faible puissance statistique et une sous-détection probable de certaines différences entre les groupes.

En dépit de ces limites, cette étude a permis de confirmer que les jeunes trans présentent un niveau de victimisation élevé et qu’ils doivent faire l’objet d’une attention particulière dans les politiques de lutte contre la transphobie et l’intimidation. La prévention des problèmes de santé mentale des jeunes trans passe par l’éducation et la mise en place de programmes d’intervention spécifiques à leur réalité.