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Introduction

Le Québec figure encore parmi les provinces présentant les taux de suicide ajustés les plus élevés, avec un taux de 13,8 décès pour 100 000 personnes1, en comparaison avec le Canada, où le taux de suicide enregistré en 2015 s’élevait à 12,3 décès pour 100 000 personnes2. L’utilisation des services de santé et le contact avec les services de santé mentale dans la période précédant le suicide ont été largement étudiés pour orienter les stratégies de détection et de prévention du suicide.

Une récente métarégression de Walby et coll. (2018)3 sur 35 études a montré que 18,3 % et 25,7 % des personnes décédées par suicide avaient été hospitalisées en psychiatrie et avaient consulté des services de santé mentale en ambulatoire. Les auteurs ont rapporté beaucoup plus de variations dans les estimés portants sur l’utilisation des services de santé ambulatoires que les hospitalisations, en partie expliquées par les grandes variations dans l’organisation des services externes des différents pays3. De plus, une étude récente sur les bases médico-administratives en Ontario a rapporté que près de 92 % des personnes décédées par suicide entre 1989 et 2011 avaient consulté des services de santé dans les 12 mois précédant leur décès, et près de 66 % des personnes avaient au moins fait une visite reliée à la santé mentale4. Ces résultats sont similaires aux données médico-administratives de la province de l’Alberta entre 2002 et 2006, montrant que 86 % des cas de suicide avaient eu un contact avec un médecin, 58 % avaient visité l’urgence, 28 % avaient été hospitalisés et 8 % avaient reçu des services communautaires de santé mentale dans l’année qui précédait le décès5.

Dans une étude cas-témoins appariée basée sur une revue des dossiers médicaux, Chock et coll. (2015)6 ont montré que même si les cas de suicide avaient en moyenne plus de visites, la prévalence des troubles de santé mentale identifiée dans l’année précédant le décès était de 51,2 %. Les études sur les personnes décédées par suicide conduites à partir d’audits ou d’autopsies psychologiques montrent des prévalences de troubles mentaux plus élevées. En effet, une méta-analyse conduite auprès de 27 études par Arsenault-Lapierre et coll. (2004)7 a montré que la prévalence des troubles de santé mentale avant le décès par suicide s’élevait à 87,3 %. Un résultat similaire (87,5 %) a aussi été rapporté au Québec pour la prévalence à vie des troubles de santé mentale chez des personnes décédées par suicide, âgées de 25 ans et moins8. Les troubles de l’humeur, liés à l’utilisation de substances et à la personnalité, étaient les plus fréquents8.

Deux études canadiennes, s’appuyant sur des autopsies psychologiques, ont révélé des déficits importants devant être étudiés8, 9. Tout d’abord, il est essentiel de mieux informer et sensibiliser la population générale ainsi que les médecins oeuvrant en première ligne sur les problèmes de santé mentale8, 9. De plus, les auteurs suggèrent de renforcer la formation des médecins de première ligne concernant le diagnostic des troubles mentaux, les traitements, et le processus de référence aux services spécialisés8, 9. Dans le même ordre d’idées, ils soulèvent l’existence de lacunes au niveau de la coordination et de la continuité des soins entre les services de première ligne et spécialisés, et les problèmes d’accès aux services spécialisés en santé mentale8, 9. Finalement, ils recommandent également d’adapter les services afin de tenir compte des besoins et des différentes comorbidités psychiatriques du patient8, 9.

Au Québec, le plus récent plan d’action en santé mentale (2015-2020) souligne à nouveau l’importance d’offrir un meilleur soutien et suivi aux personnes présentant un risque suicidaire10. Les objectifs de cette étude sont de décrire et comparer l’utilisation des services de santé auprès des personnes décédées par suicide au Québec, avec et sans diagnostic de troubles mentaux (TM) et de dépendances (D) (TM/D), et auprès du groupe témoin des Québécois vivants présentant un TM/D, afin de mieux cibler les personnes à risque de suicide et d’informer les cliniciens au sujet de la détection des troubles de santé mentale de celles-ci.

Méthodologie

Les données employées dans le cadre de cette étude proviennent du Système intégré de surveillance des maladies chroniques du Québec (SISMACQ). Ce système regroupe les données de cinq banques médico-administratives jumelées de façon individuelle : le registre des décès, les registres médicaux rémunérés à l’acte et pharmaceutiques de la Régie d’assurance maladie du Québec (RAMQ), la base MED-ÉCHO (Maintenance et exploitation des données pour l’étude de la clientèle hospitalière) et le Fichier d’inscription des personnes assurées (FIPA)11.

Population de l’étude

La population admissible à l’étude est composée de Québécois âgés de 15 ans et plus assurés entre le 1er janvier 1996 et le 31 décembre 2012 par la RAMQ. Pour les objectifs de cette étude, trois cohortes ont été construites en se basant sur les cas de suicide répertoriés entre le 1er janvier 2003 et le 31 décembre 2012 :

  1. Les cas de suicide sans diagnostic de TM/D dans les 7 années précédant la date de décès ;

  2. Les cas de suicide avec diagnostic de TM/D dans les 7 années précédant la date de décès ;

  3. Un groupe témoin de personnes vivantes à la date du décès du cas de suicide avec un diagnostic de TM/D dans les 7 années. Pour ce dernier groupe, cinq personnes vivantes, avec un TM/D (n’importe lequel), ont été sélectionnées à la date de décès du suicide et appariées selon la région sociosanitaire (n = 16) et les zones du Québec (n = 2) (voir tableau 1), et le sexe et le groupe d’âge (15-24 ; 25-44 ; 45-64 ; 65+) du cas. L’appariement du témoin selon la date de décès du suicide permet le contrôle des différents facteurs de confusion potentiels reliés à la période de calendrier, comme l’organisation des services de santé, la diffusion de plan d’actions et des lignes directrices influençant la détection, et le traitement et les habitudes de prescription des médecins.

Cette période d’identification des diagnostics de TM/D (1996-2012) a été retenue afin de maximiser la période d’observation à l’étude et de couvrir les diagnostics dans les 7 dernières années des premiers cas de suicide identifiés en 2003. Cette période de référence a été choisie afin d’augmenter la sensibilité des cas de TM/D. Les données répertoriées en 2012 étaient les plus récentes disponibles. Pour l’ensemble de cette période, 10 180 cas de décès par suicide ont été répertoriés parmi les individus admissibles à la RAMQ. De ce nombre, 7 672 ont reçu un diagnostic de TM/D dans les 7 années avant le suicide et 2 508 n’ont reçu aucun diagnostic de TM/D, que ce soit dans le fichier des services médicaux ou en diagnostics principaux ou secondaires d’hospitalisations. Pour ces 10 180 cas, un total de 50 824 témoins ont été appariés. Les régions du nord du Québec (Nunavik, Terres-Cries-de-la-Baie-James, Nord-du-Québec et Côte-Nord) ont été réunies pour l’appariement. À noter que pour 58 cas de suicide, il n’a pas été possible de les apparier avec 5 personnes avec TM/D qui avaient les mêmes caractéristiques. Pour ceux-là, 43 cas ont eu quatre témoins qui leur ont été appariés, 12 cas trois témoins, et 3 cas deux témoins.

Définition d’un cas de suicide

Les cas de suicide, entre le 1er janvier 2003 et le 31 décembre 2012, ont été identifiés à partir du registre des décès administré par le Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. Les décès par suicide ont été établis selon les codes de la Classification internationale des maladies, 10e révision (CIM-10) (X60-X84). Ces codes sont enregistrés dans une banque de données informatisée par le bureau du coroner du Québec. Chaque décès fait l’objet d’une enquête par le coroner, qui prépare alors un rapport confirmant la mort comme une mort auto-infligée1.

Définition d’un cas avec un trouble mental et lié à une substance psychoactive

Les individus avec un trouble mental ont été identifiés par les codes diagnostics CIM-9 : 290-319 et CIM-10 : F00-F99 dans les fichiers de la RAMQ et de MED-ÉCHO. Le ou les diagnostics pouvaient être enregistrés à n’importe quel moment dans les 7 années qui précédaient le décès. Les individus avec un trouble lié à une substance psychoactive, dont un trouble de l’utilisation ou induit par l’alcool ou la drogue et une intoxication à l’alcool ou drogue, ont été identifiés selon les mêmes banques médico-administratives et codes que ceux présentés dans l’article de Huỳnh et coll. (2018)12 de ce numéro thématique.

Mesures d’intérêts

Les variables socio-économiques et démographiques de l’étude incluent le sexe, le groupe d’âge (15-24 ; 25-44 ; 45-64 ; et 65 ans et plus), l’année de calendrier du suicide (2003-2005 ; 2006-2008 ; 2009-2010 ; 2011-2012), et la région sociosanitaire du Québec13 (n = 18).

La défavorisation matérielle et sociale a été mesurée à l’aide d’indices géographiques proposés par Pampalon14, 15. Ces indicateurs peuvent être résumés en deux indices (indices de défavorisation matérielle et sociale), sur une échelle de 1 à 5, représentant les quintiles de la population les plus favorisés aux plus défavorisés (statut socio-économique le plus élevé, moyen élevé, moyen, moyen bas, bas)16.

La présence d’un diagnostic d’un trouble mental et lié à la consommation de substance dans les 12 mois précédant la date de suicide a été déclinée en 6 groupes non mutuellement exclusifs et qui incluent : troubles dépressifs17, troubles anxieux, troubles liés à la consommation de substances et de drogues, schizophrénie, trouble de personnalité limite du groupe B, et autres troubles12.

La fréquence d’utilisation des services de santé a été étudiée selon les trois définitions suivantes : a) nombre de visites 12 mois après le diagnostic de TM/D ; b) nombre de visites dans les 12 mois précédant la date de décès par suicide ; et c) nombre de visites dans les 13 à 24 mois précédant la date de décès par suicide. Le nombre de visites a été subdivisé en 5 groupes : 0, 1, 2, 3, ≥ 4.

Le type d’utilisation de services de santé a été étudié selon les 4 définitions suivantes : a) type de visites dans les 24 mois précédant la date de décès par suicide (4 groupes : TM/D seul, trouble de santé physique seul, TM/D et trouble physique, aucune visite) ; b) type de services de santé utilisés dans les 24 mois précédant la date de suicide (hospitalisation, urgence, psychiatre en ambulatoire, omnipraticien en ambulatoire, autres médecins spécialistes en ambulatoire) ; le type de services de santé utilisé dans les c) 0-12 mois ; et d) 13-24 mois précédant la date de suicide en cinq groupes mutuellement exclusifs (hospitalisation et autres ; ambulatoire et urgence ; urgence seule ; ambulatoire seul ; aucun service de santé utilisé).

Analyses

Des analyses descriptives en fonction des variables à l’étude ont été effectuées pour chacune des 3 cohortes décrites. Les estimations présentées correspondent aux proportions avec leur intervalle de confiance (IC) de 95 %. Les comparaisons ont été faites sur la base des intervalles de confiance à un seuil de signification de 0,05. Un non-chevauchement des intervalles de confiance était interprété comme une différence statistiquement significative. Selon les règles de diffusion de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), seules les cellules avec une fréquence de 5 individus et plus sont présentées.

Résultats

En général, on observe une diminution des cas de suicide dans la dernière décennie. Le quart des cas de suicide n’a pas été identifié ou traité pour un trouble mental ou de dépendance dans les 7 années précédant leur décès.

Les caractéristiques sociodémographiques de la population étudiée sont présentées dans le tableau 1. Parmi les cas de suicide, les régions sociosanitaires de Montréal et de Québec sont les territoires où on observe une plus faible proportion des suicides sans TM/D diagnostiqués (19,9 % et 20,3 %). De plus, comparativement au groupe témoin de personnes vivantes, les personnes décédées par suicide avec un TM/D ont plus tendance à se situer dans le quintile social le plus défavorisé de l’indice de défavorisation sociale, tandis qu’une plus grande proportion de personnes décédées par suicide sans TM/D se situe dans les quintiles sociaux les plus favorisés.

Concernant le diagnostic de TM/D reçu, les données montrent que les personnes décédées par suicide avaient plus tendance à être diagnostiquées avec un TM/D de n’importe quel type sauf l’anxiété que le groupe témoin de personnes vivantes. Des analyses additionnelles, portant sur le nombre de diagnostics reçus dans l’année précédant le décès, nous ont permis d’établir les constats suivants : 27,8 %, 29,5 % et 42,7 % respectivement des cas de suicide, comparativement à 17,5 %, 59,8 % et 22,7 % respectivement du groupe témoin des personnes vivantes, avaient reçu 0, 1, 2 et plus de diagnostics respectivement.

Les consultations médicales et le type de services de santé utilisé par les groupes sont présentés dans le tableau 2.

En général, les cas de suicide sans TM/D (58,7 %) et avec TM/D (89,6 %) avaient moins tendance à consulter que le groupe témoin de personnes vivantes (95,2 %) dans l’année qui précède le décès. De plus, les cas de suicide étaient moins susceptibles d’avoir 4 visites ambulatoires et plus pour toutes causes confondues dans l’année précédant le décès (27,8 % sans TM/D et 65,4 % avec TM/D) comparativement au groupe témoin des personnes vivantes (68,1 %). Les résultats sont similaires pour les 13 à 24 mois précédant la date du suicide. Les données nous montrent aussi que les personnes décédées par suicide avec un TM/D étaient plus enclines à consulter et à avoir un plus grand nombre de visites ambulatoires pour raison de TM/D dans les 12 mois suivant leur diagnostic de TM/D (4 visites et plus : 63 % ; 61,9 % - 64,1 %) comparativement au groupe témoin des personnes vivantes (4 visites et plus : 3,6 % ; 3,5 % - 3,8 %).

Lorsqu’on analyse les données en fonction du type de consultation, les personnes décédées par suicide avec TM/D avaient moins tendance à consulter pour un trouble de santé mentale seul (4,9 %) et un trouble de santé mentale et physique (63,5 %) en comparaison avec le groupe témoin des personnes vivantes (6 % et 75,1 % respectivement).

Selon le type de service consulté, les personnes décédées par suicide avec TM/D étaient plus susceptibles d’être hospitalisé (43,5 %), d’aller à l’urgence (75,6 %), et de consulter un psychiatre en ambulatoire (32,9 %), dans les 24 mois précédant la date du suicide. Le groupe témoin de personnes vivantes avec un TM/D avait plus tendance à consulter un omnipraticien (92,1 %) et d’autres spécialistes en ambulatoire (73,8 %). Lorsque déclinées en groupes mutuellement exclusifs, les données montrent que le groupe témoin des personnes vivantes avec un TM/D était, quant à lui, plus enclin à consulter les services ambulatoires exclusivement (55,5 %) et/ou d’urgence (25,6 %). Les personnes décédées par suicide avec un TM/D avaient moins tendance à consulter en ambulatoire seulement (29,1 %), et plus tendance que les deux autres groupes d’une part à consulter à la fois les services ambulatoires et d’urgence (27,2 %), et d’autre part à être hospitalisées (34,7 %). Les données par type de services de santé utilisé étaient similaires pour les 13 à 24 mois précédant le suicide.

Discussion

À notre connaissance, aucune étude populationnelle québécoise ne s’est intéressée à l’utilisation des services de santé en fonction de l’identification d’un trouble mental et de dépendance (TM/D) chez les personnes décédées par suicide en comparant avec la population générale appariée ayant un TM/D dans les BDA d’un système de santé financé publiquement couvrant toute la population. En outre, considérer tous les services médicaux reçus pour des raisons de santé mentale ou physique permet de comparer l’utilisation des services de santé chez les personnes décédées par suicide qui n’ont pas été identifiées avec un TM/D. Ceci permet également de mettre en lumière les opportunités perdues de détecter les TM/D dans le quart des cas de suicide. En effet, selon des études d’audit, 90 % des personnes décédées par suicide présentaient un TM/D dans l’année précédant leur décès9, 18. Ces études d’audits confirment que les TM/D ont été mal identifiés pour une portion des cas de suicide, malgré des contacts avec les services de santé (urgence, généralistes) pour d’autres raisons.

En général, les résultats de cette étude nous montrent des différences dans l’utilisation des services de santé parmi les personnes décédées par suicide, identifiées ou non avec un TM/D, et le groupe témoin des personnes vivantes ayant reçu un diagnostic de TM/D. Les résultats indiquent que 59 % et 90 % des cas de suicide sans et avec un TM/D respectivement, et 95 % du groupe témoin apparié avec TM/D, avaient consulté les services ambulatoires dans les 12 mois précédant la date de décès du suicide. Lorsqu’on compare ces données à la littérature, on retrouve des résultats similaires à ceux obtenus pour les groupes avec TM/D. Les résultats provenant d’audits et autopsies psychologiques des cas de suicide ont montré une prévalence d’utilisation des services de santé dans l’année qui précède le suicide de 77 % chez les adultes9 et 42 % chez les enfants8. Des études populationnelles canadiennes révèlent des prévalences d’utilisation des services de santé dans l’année qui précède le suicide, qui s’élèvent à près de 92 % pour les cas de suicide4-6 et à 84 % pour la population générale5. Une étude américaine sur des adultes décédés par suicide inscrits dans un programme Medicaid a rapporté une prévalence d’utilisation des services de 83 %19.

Dans cette étude, le groupe de personnes décédées par suicide sans diagnostic d’un TM/D avait moins tendance à consulter les services de santé en général et avait moins de visites ambulatoires dans les deux années précédant la date de décès. Ceci a aussi été constaté dans une étude cas-témoins appariée portant sur des patients suivis dans une clinique de médecine générale20. Les personnes décédées par suicide, identifiées avec un TM/D, étaient plus susceptibles d’être hospitalisées et avaient plus tendance à consulter en urgence avec ou sans visite ambulatoire que le groupe témoin de personnes vivantes avec TM/D. Ceci concorde avec des études antérieures qui montrent que les cas de suicide ont deux fois plus de risque de consulter l’urgence que la population générale5.

Parmi ceux qui consultaient, les cas de suicide étaient moins susceptibles d’être de grands utilisateurs de services (≥ 4 visites) que le groupe témoin de personnes vivantes avec un TM/D. Ils avaient aussi moins tendance à consulter pour un trouble de santé mentale en comparaison avec le groupe témoin des vivants (68,4 % vs 81,1 %). Ces résultats sont cohérents avec les conclusions d’audits de suicide qui ont montré des déficits dans la détection et le suivi des personnes décédées par suicide avec des TM/D émergents9,18. Le groupe témoin de personnes vivantes avec un TM/D avait plus tendance que les personnes décédées par suicide à consulter un omnipraticien et un autre type de spécialiste qu’un psychiatre dans l’année qui a précédé le décès. En général, le groupe témoin de personnes vivantes consultait davantage les services ambulatoires seulement, suggérant une meilleure prise en charge en première ligne comparativement aux cas de suicide. Il est plausible que le groupe témoin de personnes vivantes ait eu davantage accès à un médecin régulier et ainsi, à des services ambulatoires. Au Québec, plus de 25 % de la population n’était pas affiliée à un médecin de famille en 201721. Cette prévalence concorde avec la proportion observée des personnes décédées par suicide non diagnostiquées dans notre étude. Une étude antérieure menée au Québec a montré que les personnes qui avaient un médecin habituel consultaient moins les services d’urgence que les personnes qui n’en avaient pas22. Toutefois, l’affiliation à un médecin de famille n’était pas disponible dans le cadre de cette étude. Des études futures sont donc nécessaires afin d’évaluer si les personnes décédées par suicide ont une probabilité plus faible d’avoir un médecin de famille régulier, et d’étudier l’effet d’avoir un médecin régulier sur le risque de suicide.

L’analyse des caractéristiques des personnes décédées par suicide sans TM/D montre qu’il s’agit le plus souvent d’hommes, de jeunes adultes de 15 à 24 ans, et de personnes provenant de régions matériellement très défavorisées. Ces variables ont été identifiées dans la littérature comme étant des facteurs associés à l’utilisation des services de santé mentale et au décès des personnes présentant des troubles de l’humeur17. Autre fait notable, ces personnes provenaient plus souvent de régions socialement favorisées, c.-à-d. moins de personnes vivant seules et de familles monoparentales. Ce résultat est difficile à expliquer sans tenir compte d’autres facteurs de confusion potentiels. Toutefois, des auteurs ont rapporté que les personnes résidant seules utilisaient davantage les services de santé pour des problèmes de santé mentale23-25.

En comparant avec le groupe témoin de personnes vivantes, la majorité des cas de suicide avec TM/D provenait aussi de régions matériellement et socialement très défavorisées, ce qui a déjà été associé à un risque de décès17. Les études ont montré que les individus avec TM/D ont des taux d’emplois inférieurs à la population générale26-29 et vivent plus d’évènements négatifs30-31 et ceci pourrait expliquer en partie le fait qu’ils connaissent une plus grande défavorisation matérielle. Il est également possible que les indicateurs qui forment l’indice de défavorisation sociale, tel que le statut matrimonial, soient associés à la présence d’un TM/D. Les études ont montré que les personnes décédées par suicide avaient plus tendance à vivre seules (célibataires, divorcées, séparées ou veuves)32-33. En plus de l’amélioration de la détection des besoins de santé mentale de ces groupes et l’offre de services de santé, plus d’attention devrait être portée dans le contexte social et économique dans lequel émergent les cas de suicide. Le lien entre la défavorisation et le suicide a été rapporté au Canada34 et dans plusieurs pays35-37. Au-delà du cadre de prévention du suicide du gouvernement du Canada38, la prévention des décès par suicide résultant des iniquités nécessite des efforts supplémentaires de différents ministères.

Les cas de suicide présentaient une plus grande probabilité d’avoir été diagnostiqués avec un trouble dépressif, de consommation et de dépendance, la schizophrénie, les troubles de personnalité, et les autres troubles, comparativement au groupe témoin de personnes vivantes appariées. Toutefois, les résultats ne différaient pas pour les troubles anxieux. Ces données sont cohérentes avec celles rapportées par les audits qui rapportent un risque accru de ces types de troubles mentaux et des déficits quant à la détection et l’évaluation des troubles mentaux (61 %), la référence et le suivi clinique (61 %), le traitement pharmacologique (33 %) et le besoin d’une hospitalisation et de services résidentiels (46 %)8, 9. De plus, la comorbidité psychiatrique observée, plus prévalente chez les personnes décédées par suicide que chez le groupe témoin de vivants, a aussi été rapportée dans la littérature39. Ceci ajoute à la complexité, et à la résistance aux traitements chez les personnes avec des comorbidités psychiatriques40-41. Malheureusement, cette étude n’a pas permis de comparer la validité des diagnostics et l’efficacité des traitements reçus entre les personnes décédées par suicide et le groupe témoin de personnes vivantes.

L’étude est basée sur des données médico-administratives, et donc un biais de classification pourrait influencer les résultats observés. Comme les informations des BDA incluent des données aux fins de paiement à l’acte des médecins et non comme banque clinique de diagnostics, la présence d’un diagnostic pourrait avoir été omise lors d’une visite auprès du psychiatre ou du médecin généraliste11. Ainsi, les personnes classifiées sans TM/D pourraient en effet avoir un TM/D identifié par un médecin, mais non inscrit dans la BDA. De plus, l’étude n’a pas considéré la prise de médicaments psychoactifs dans la définition de la présence d’un TM/D, alors que cela aurait permis de classifier quelques cas de plus avec TM/D à partir du groupe sans TM/D. Toutefois, cela n’aurait été possible que pour les personnes bénéficiant du régime public d’assurance-médicaments âgée de 65 ans et plus. La question qui se pose alors est de savoir si le biais d’information est différentiel en fonction des différentes catégories de variables. De plus, le groupe témoin de vivants avec un TM/D aurait pu être apparié selon le type de diagnostic reçu ou la présence de multimorbidité psychiatrique afin de pouvoir en partie contrôler pour la sévérité du trouble. En outre, plusieurs variables d’intérêt n’étaient pas disponibles dans les bases de données administratives, telles que les caractéristiques sociodémographiques des individus, l’accessibilité à un médecin de famille et à des services ambulatoires en temps opportun, la consultation auprès de psychologues au privé et autres professionnels de santé, les évènements stressants, et la résilience.

Ainsi, cette étude porte sur une description de l’utilisation des services de santé des cas de suicides avec et sans TM/D et d’un groupe témoin de personnes vivantes avec un TM/D. Elle met en avant que la majorité des cas de suicide avait une plus grande utilisation de l’urgence et plus tendance à consulter des psychiatres, mais moins tendance à consulter des omnipraticiens en ambulatoire. Ceci laisse supposer un manque de suivi en médecine générale et le besoin d’une relance plus active pour des services spécialisés dès le triage à l’urgence pour les utilisateurs récurrents. De plus, les personnes décédées par suicide avaient moins tendance à consulter pour leur trouble de santé mentale dans les deux années précédant leur décès que le groupe témoin de personnes vivantes avec un TM/D. La question est donc de savoir si les problèmes de santé physique ont pu masquer le besoin de santé mentale chez les personnes décédées par suicide. Par conséquent, l’hypothèse posée est que le manque de continuité de services de santé en ambulatoire chez les personnes décédées par suicide peut contribuer à l’absence de traitement de maladies psychiatriques sous-jacentes au profit du traitement des maladies physiques et problèmes aigus. D’autres études incluant des analyses multivariées qui considèrent les données sociodémographiques et économiques, le statut de santé physique et la multimorbidité psychiatrique, sont donc nécessaires. Ceci aidera aussi à mieux comprendre les différences de profils d’utilisation des services de santé et les raisons de consultations en lien avec l’affiliation à un médecin de famille entre les cas de suicide et le groupe témoin de personnes vivantes avec un TM/D.

Tableau 1

Caractéristiques sociodémographiques des personnes décédées par suicide, identifiées avec et sans un TSM/D et vivant avec un TSM/D, population âgée de 15 ans et plus, inscrite au registre des personnes assurées par le régime d’assurance maladie du Québec

Caractéristiques sociodémographiques des personnes décédées par suicide, identifiées avec et sans un TSM/D et vivant avec un TSM/D, population âgée de 15 ans et plus, inscrite au registre des personnes assurées par le régime d’assurance maladie du Québec

Tableau 1 (suite)

Caractéristiques sociodémographiques des personnes décédées par suicide, identifiées avec et sans un TSM/D et vivant avec un TSM/D, population âgée de 15 ans et plus, inscrite au registre des personnes assurées par le régime d’assurance maladie du Québec

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Tableau 2

Utilisation des services de santé des personnes décédées par suicide identifiées avec et sans diagnostic de troubles de santé mentale, population âgée de 15 ans et plus, inscrite au registre de personnes assurées du régime d’assurance maladie du Québec

Utilisation des services de santé des personnes décédées par suicide identifiées avec et sans diagnostic de troubles de santé mentale, population âgée de 15 ans et plus, inscrite au registre de personnes assurées du régime d’assurance maladie du Québec

Tableau 2 (suite)

Utilisation des services de santé des personnes décédées par suicide identifiées avec et sans diagnostic de troubles de santé mentale, population âgée de 15 ans et plus, inscrite au registre de personnes assurées du régime d’assurance maladie du Québec

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