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Introduction

Au Québec, comme ailleurs dans le monde, l’engagement des personnes proches aidantes (PPA) dans les pratiques en santé mentale et leur rôle de soutien à l’endroit des personnes vivant avec un trouble mental sont de plus en plus reconnus tant politiquement que socialement (ministère de la Santé et des Services sociaux [MSSS], 2021 ; 2022 ; Ntsayagae et al., 2019 ; Doody et al., 2017 ; statistique Canada, 2022). Dès 2005, le gouvernement du Québec a mis de l’avant, avec son Plan d’action en santé mentale (PASM, 2005-2010), la nécessité d’impliquer les membres de l’entourage tout en reconnaissant leur besoin d’être soutenus dans leur rôle (MSSS, 2005). L’un des principes directeurs sur lequel se fonde le dernier Plan d’action interministériel en santé mentale (PAISM) 2022-2026 est la collaboration et le partenariat avec les différents acteurs. En 2021, ont été diffusés la première Politique nationale pour les personnes proches aidantes (MSSS, 2021) et le Plan d’action gouvernemental qui en découle (MSSS, 2021b), lesquels témoignent de la reconnaissance et la valorisation du rôle des PPA. Le plan d’action souligne l’importance de la collaboration et du partenariat entre la dyade PPA-personne aidée et les autres acteurs concernés (intervenants, gestionnaires, etc.). L’orientation 3.3 mise d’ailleurs sur l’établissement d’un partenariat avec les PPA durant tout le parcours de soins et services de la dyade aidant(e)-aidé(e) et indique que pour ce faire, il importe que les PPA détiennent toutes les informations requises pour exercer leur rôle. Or, dans le domaine de la santé mentale, le consentement n’est pas facile à obtenir, ce qui a pour conséquence de laisser les PPA à elles-mêmes sans qu’elles puissent communiquer ni recevoir des informations de la part des professionnels (Bogart et Solomon, 2006 ; Collette, Lalonde et Jalbert, 2004 ; Morin, 2015 ; Morin et St-Onge, 2016, 2019).

La confidentialité dans le domaine de la santé et des services sociaux est encadrée par la Loi de la santé et des services sociaux (LSSS, article 19) et protégée par le secret professionnel selon l’article 60.4 du Code des professions. Celui-ci impose à tous les ordres professionnels d’adopter des mesures pour préserver le secret des informations confidentielles détenues par les membres de l’Ordre dans l’exercice de leur profession (gouvernement du Québec, 2020, 2023a, 2023b, 2023c, 2023d, 2023e). La confidentialité est une base de la relation d’aide, car elle permet de développer un lien de confiance entre le professionnel et la personne aidée (Collingridge, Miller et Bowles, 2001 ; Kuczynski, et Gibbs-Wahlberg, 2005 ; Rock et Congress, 1999). Enfin, la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou autrui (Québec, 2022) permet exceptionnellement de lever le secret professionnel lorsque la personne aidée ou un tiers est en danger grave et immédiat.

Les enjeux liés au partage d’information et de la confidentialité

Du point de vue des professionnels, le respect de la confidentialité est un enjeu quand il est question de collaborer avec les membres de l’entourage (Falloon, 2005 ; Galvao, 2012 ; Rodriguez et al., 2006), particulièrement en santé mentale (Slade et al., 2007). Craignant de briser le secret professionnel et d’être pris en faute, ils peuvent refuser de discuter avec les familles ou éviter les situations où ils auraient à partager de l’information. Pourtant, l’écoute et la légitimation du point de vue des personnes sur leurs expériences sont des indicateurs de mesure de la qualité de la relation dans les pratiques en santé mentale (Rodriguez et al., 2006). Les ordres professionnels en santé obligent leurs membres à collaborer avec les proches ou toute autre personne qui montrent de l’intérêt significatif pour la personne vivant avec un trouble mental (Ordre des ergothérapeutes du Québec [OEQ], 2013 ; Ordre des infirmières et infirmiers du Québec [OIIQ], 2016 ; Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec [OPPQ], 2017 ; Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec [OTSTCFQ], 2013). Les professionnels se trouvent donc confrontés à des obligations légales et déontologiques et ils manquent de repères pour arriver à les concilier (Galvao, 2012 ; Marsh et al., 1996 ; Mongeon et al., 2013). Lorsque l’échange d’informations se fait uniquement de façon unidirectionnelle, par exemple, les PPA qui donnent des informations aux professionnels, mais sans en recevoir, elles ont l’impression d’être utilisées comme des sources d’informations et d’observation sans toutefois recevoir en retour les renseignements et le soutien nécessaires (Giacco et al., 2017 ; Morin, 2015 ; Morin et St-Onge, 2019). Or, exercer un rôle de soutien nécessite d’être bien informé pour assurer la sécurité de la personne vivant avec un trouble mental et la soutenir adéquatement dans son rétablissement (Worthington et al., 2013, Giacco et al., 2017).

Les enjeux liés au partage d’informations rencontrés dans les pratiques peuvent nuire à la qualité des services en santé mentale et, ultimement, au soutien offert à la personne vivant avec un trouble mental et aux membres de son entourage, d’où l’importance de s’attarder à une meilleure compréhension du phénomène pour dégager des solutions permettant l’établissement de pratiques davantage axées sur les collaborations.

Les pratiques collaboratives : au coeur de la qualité des services en santé mentale

La collaboration entre les PPA et les professionnels joue un rôle déterminant dans le pronostic et le rétablissement de la personne présentant un trouble mental (Biegel et al., 2000 ; MacCourt, 2013 ; MSSS, 2005 ; 2015). La qualité de la relation avec les professionnels est d’ailleurs un « critère clé de la qualité des pratiques » (Rodriguez et al., 2006). Par contre, l’établissement de pratiques collaboratives se heurte à des enjeux de confidentialité lorsqu’il est question de partager des informations de manière bidirectionnelle, malgré que ce partage soit reconnu comme une composante essentielle de la collaboration (Bogart et Solomon, 2006 ; DeChillo,1993 ; Hansson et al., 2022 ; Morin, 2015 ; Morin et St-Onge, 2016, 2019). Bien que des recherches sur les pratiques collaboratives et le partage d’informations en santé mentale aient été réalisées à l’international et qu’elles puissent éclairer la question, il est essentiel de documenter la situation en contexte québécois, puisque les services en santé mentale visent le rétablissement de la personne vivant avec un trouble mental et que le rôle des familles et des proches est déterminant dans ce processus (Bergeron-Leclerc et al. 2019 ; MSSS, 2022).

Si les recherches menées depuis les 20 dernières années ont documenté que les enjeux reliés à la confidentialité constituent des obstacles majeurs au partenariat avec les proches (Bonin et al., 2014 ; Burbach et Standbridge, 2006 ; Doody et al., 2017 ; Solomon et Marcenko, 1992 ; Solomon et Marshall, 2002 ; Slade et al., 2007 ; Worthington et al., 2013 ; Hansson et al., 2022), on en sait bien peu sur ce qui fait réellement obstacle au partage d’informations dans les pratiques en santé mentale. Peu d’études ont tenu compte du cadre légal combiné à un cadre d’éthique clinique pour étudier ce phénomène (Hansson et al., 2022), encore moins ont croisé les points de vue des acteurs (Rapaport et al., 2006 ; Marshall et Solomon, 2003, 2004) s’arrêtant souvent à un seul type de point de vue (Rapaport et al., 2006 ; Gray et al., 2008).

Devant ces constats et ces orientations politiques tant en santé mentale qu’en proche aidance, il devient urgent de renouveler les connaissances qui sauront nourrir les pratiques dans une visée d’amélioration de la qualité des services.

Question et objectifs de l’étude[3]

La question de recherche à la base de cette étude est : « Comment favoriser l’établissement de pratiques cliniques collaboratives entre des personnes proches aidantes, des personnes utilisatrices de services et des professionnels en santé mentale, tout en respectant le cadre légal de la confidentialité ? » Les résultats liés aux objectifs suivants sont présentés dans cet article : 1) Documenter l’expérience des acteurs (PPA et professionnels) ; 2) Décrire comment s’obtient le consentement ; 3) Effectuer un inventaire des protocoles d’entente encadrant le partage d’informations sur le plan légal ; 4) Documenter les facteurs qui favorisent et font obstacle au partage d’informations ; 5) Dégager des solutions concrètes pour favoriser des communications qui respectent le contexte légal dans les pratiques en santé mentale.

Le partage d’informations et le respect de la confidentialité : un enjeu d’éthique professionnelle

Cette recherche s’appuie sur le cadre de référence pour analyser et résoudre les problèmes éthiques en santé de Saint-Arnaud (2019). Dans ce modèle, la communication est une composante essentielle, puisqu’elle permet de dépasser les exigences légales liées au consentement et d’aborder les raisons qui sous-tendent une décision et les buts poursuivis par la personne. Saint-Arnaud (2019) souligne qu’une forte proportion des problèmes en éthique de la santé découlent de problèmes dans les communications. Ce modèle est basé sur 4 principes éthiques : la bienfaisance, le respect de l’autonomie, le caring et l’équité présentés dans le Tableau 1.

Tableau 1

Principes d’éthiques de la santé (valeurs) (Saint-Arnaud, 2019)

Principes d’éthiques de la santé (valeurs) (Saint-Arnaud, 2019)

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Méthode

Devis

Cette étude qualitative de type exploratoire et descriptive permet d’aller chercher les expériences et perceptions des acteurs concernés pour documenter les vécus et enjeux liés à la confidentialité (Turcotte, 2000). Elle s’inscrit dans une démarche de recherche collaborative (Desgagné, 1997 ; Desgagné et al., 2001) qui a impliqué la mise en place d’un comité consultatif composé d’au moins 1 représentant de chacun des groupes d’acteurs concernés par le phénomène à l’étude. Les membres se sont rencontrés à 5 occasions et ont participé aux différentes étapes du processus de recherche (conceptuelle, méthodologique, empirique et analytique). Ceux-ci ont été coconstructeurs de connaissances : leur apport a dépassé la simple validation symbolique (Desgagnés, 1997 ; Desgagné, Bednarz, Lebuis, Poirier et Couture, 2001 ; Hays et Singh, 2012).

Recrutement

Le type d’échantillonnage privilégiée est non probabiliste et de convenance afin de rejoindre des participants ayant des caractéristiques précises (Fortin et Gagnon, 2022). L’étude a été réalisée dans 2 régions du Québec. Le recrutement des participants (PPA et professionnels[4]) a été fait auprès des directions des programmes en santé mentale et dépendance du CI(U)SSS de ces 2 régions et des associations de CAP santé mentale (anciennement le Réseau Avant de craquer). Des appels de volontaires ont été diffusés sur les réseaux sociaux afin que les personnes intéressées à participer à l’étude puissent contacter l’équipe de recherche. Les membres du comité consultatif ont activement participé aux démarches de recrutement. Les critères d’inclusion des participants apparaissent aux Tableaux 2 et 3.

Collecte des données

Trois stratégies de collectes de données ont été utilisées : une adaptation du Photovoice en optant pour la méthode photo-élicitation (Harper, 2002), l’entretien semi-dirigé individuel (Desmarais, 2009) et un questionnaire sociodémographique. La photo-élicitation consiste à intégrer une photo, une image ou une représentation visuelle dans l’entretien de recherche (Harper, 2002). Elle a été choisie afin de positionner les participants dans une approche participative et d’encourager leur expression en leur permettant de préciser des éléments des expériences de partage d’informations et de confidentialité. Cette méthode a été utilisée comme brise-glace à l’entretien semi-dirigé. Les participants étaient invités à fournir de 1 à 3 photographies et/ou images sur le support de leur choix (imprimées, numérisées, numériques, images mentales, etc.) qui représentent la situation qui allait être abordée en entrevue, en lien avec le partage d’informations et la confidentialité dans les services en santé mentale. En entretiens semi-dirigés, des récits de pratique ont été réalisés à partir de situations que les participants devaient rendre explicites. Les trames narratives furent utilisées afin de permettre aux participants de prendre du recul sur leur expérience et de les amener à y donner un sens à posteriori, afin d’en façonner la représentation (Chase, 2005 ; Desmarais, 2009). Le canevas d’entretien abordait 5 thèmes (liés aux objectifs de recherche) : 1) Contexte d’intervention où la situation a été vécue ; 2) Obtention (ou non) du consentement ; 3) Expérience et contenu du partage d’informations ; 4) Protocoles ou ententes de partage d’informations et respect de la confidentialité ; 5) Impacts du partage d’informations et du respect de la confidentialité. L’entretien se concluait sur des pistes de solutions pour améliorer les pratiques et favoriser le partage d’informations en santé mentale. Les entretiens, d’une durée moyenne de 62 minutes, ont été réalisés par les professionnelles de recherche. Des prétests ont été faits par chacune d’elles et une validation avec la chercheure principale a permis d’assurer une harmonisation du processus de collecte des données.

Analyse des données

Les entretiens individuels ont été enregistrés sous format audio et retranscrits intégralement. Une analyse thématique de contenu (Sabourin, 2009) a été réalisée avec le logiciel NVivo 12. Le contenu a été codifié par une professionnelle de recherche. Un test d’accord interjuges auxquels ont participé 2 autres professionnelles de l’équipe fut réalisé pour environ le tiers du matériel. Les discussions interjuges ont facilement permis d’obtenir un consensus. Les codifications finales ont été validées par la chercheure principale afin de s’assurer que les catégories respectaient les critères d’homogénéité, de pertinence, d’exclusivité mutuelle et de fidélité (Bardin, 2007 ; Paillé et Mucchielli, 2016). Les images recueillies par les participants furent catégorisées et classées à l’aide du logiciel Padlet ce qui a permis de mettre en relation les images avec les réalités des participants (Saldana, 2013).

Éthique

Cette recherche a été réalisée en conformité avec l’approbation éthique émise par le Comité d’éthique de la recherche du CISSS du Bas-St-Laurent, qui assurait l’approbation et le suivi éthique du projet (MP-CISSSBSL-2019-15).

Tableau 2

Profil des personnes proches aidantes (PPA) ayant participé à l’étude

Profil des personnes proches aidantes (PPA) ayant participé à l’étude

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Tableau 3

Profil des professionnels ayant participé à l’étude (N = 19)

Profil des professionnels ayant participé à l’étude (N = 19)

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Résultats

Les résultats[5] sont présentés selon les 4 thèmes suivants : les raisons et besoins liés au partage d’informations (objectif 1) ; l’expérience du consentement (objectifs 2 et 3) ; les facilitateurs et obstacles (objectif 4) ; ainsi que des pistes de solutions (objectif 5). Les résultats mettent en lumière l’importance des relations entre les acteurs concernés. Cette « primauté du relationnel » est cohérente avec les critères clés de la qualité des pratiques en santé mentale (Rodriguez et al., 2006).

Échantillon

Ce sont 38 participants (19 PPA et 19 professionnels) qui ont été recrutés dans 2 régions du Québec)[6]. Les situations cliniques partagées couvraient une diversité de contextes d’intervention (centre hospitalier, CLSC, clinique médicale GMF et organismes communautaires). L’échantillon des PPA (Tableau 2) est composé majoritairement de femmes (n = 16), dont l’âge moyen est de 56 ans. La plupart sont la mère de la personne vivant avec un trouble mental (n = 13). L’échantillon de professionnels (Tableau 3) est également majoritairement composé de femmes (n = 17) ayant un nombre moyen d’années d’expérience en santé mentale de 10,7 ans.

Les raisons au partage d’informations d’après des expériences des PPA et des professionnels

Tant pour les professionnels que les PPA, c’est le souci de bien exercer leur rôle respectif qui ressort comme principale raison au partage d’informations. Les professionnels souhaitent partager et recevoir des informations pour mieux évaluer la situation de la personne vivant avec un trouble mental (n = 9), dans le but de mieux orienter et ajuster leurs interventions (n = 12), ce qui requiert une bonne connaissance de l’histoire et du fonctionnement de celle-ci. Pour les PPA, c’est le souhait d’avoir des informations pour exercer leur rôle (n = 14), de mieux comprendre la maladie ou la personne (n = 7) et le besoin d’être rassurées (n = 9) : « (…) on veut être nourries en termes d’informations, d’être guidées et quand on sent que ça se passe, on est soulagées » (PPA-CN-04).

Des professionnels ont aussi mentionné vouloir mieux soutenir les PPA dans leur rôle (n = 6) : « Des fois, c’est pas tant pour divulguer des informations sur l’usager, des fois c’est juste pour être capable de faire de l’enseignement par rapport à la maladie, des comportements, pour permettre aux gens [les PPA] de mieux comprendre (…) » (PRO-BSL-05).

Quatre besoins communs d’informations selon les expériences des PPA et des professionnels

Le 1er besoin mentionné par 11 PPA et 15 professionnels réfère à l’obtention de l’information sur l’évolution de l’état mental et du fonctionnement de la personne. Pour les PPA, cela signifie d’avoir des informations de base sur la situation afin de savoir si sa situation se détériore, est stable ou pourra s’améliorer : « (…) comment il se comporte, s’est-il calmé, mange-t-il, tu sais des affaires de base qu’une mère veut savoir (…) » (PPA-BSL-04). Pour les professionnels, c’est le besoin d’avoir un éclairage complémentaire sur le fonctionnement habituel de la personne et ainsi être en mesure de contextualiser ses comportements : « Si j’y vais avec une personne qui a une maladie bipolaire puis, c’est de savoir via son réseau : est-elle décompensée ? Est-elle en hypomanie ? Est-elle en manie ? Fait-elle des choses hors de l’ordinaire ? » (PRO-BSL-10).

Le 2e besoin concerne les informations sur le diagnostic et le traitement prévu. Pour les PPA, c’est de connaître le diagnostic de la personne et avoir des informations sur celui-ci. Plus de la moitié (n = 11) ont mentionné que l’information sur la médication est essentielle, que ce soit pour comprendre sa pertinence ou veiller à une prise adéquate, alors que pour 8 professionnels, cette information est essentielle pour assurer le suivi de la personne : « (…) le jeune qui me dit qu’il prend bien ses médicaments, mais que la mère les retrouve quand elle fait le ménage de sa chambre, ben faut qu’on se le dise » (PRO-HT-02). Connaître le plan d’intervention permet aux PPA de maintenir les acquis et soutenir le rétablissement de la personne, alors que les professionnels ont besoin de savoir si la personne a déjà eu d’autres diagnostics, de même que les soins et services qu’elle a pu recevoir dans le passé.

Le 3e besoin concerne le soutien possible que les PPA peuvent apporter. Une majorité (n = 11) a mentionné vouloir des conseils ou être guidée quant aux comportements à privilégier : « (…) c’est surtout des pistes de solution, des suggestions, des conseils ou les directives si ça va très mal » (PPA-BSL-02). Par ailleurs, 7 professionnels ont dit vouloir connaître les inquiétudes des PPA, s’il y a des éléments de détérioration de la situation ou de dangerosité : « (…) moi j’ai besoin d’avoir leur regard sur comment va le patient : Est-ce qu’ils ont remarqué des symptômes ? Est-ce que cette personne-là a un bon fonctionnement ? Est-ce qu’ils ont des inquiétudes ? » (PRO-BSL-09).

Enfin, le 4e besoin exprimé plus particulièrement par les professionnels réfère aux éléments de dangerosité et à la dynamique familiale. Ces informations sont essentielles pour assurer la sécurité de la personne, d’autrui et celle des professionnels. Sept professionnels ont exprimé avoir besoin de connaître la qualité de la relation dans la dyade aidant-aidé : « La nature de la relation avec leur proche, voir si c’est conflictuel, s’il y a beaucoup de problématiques, qu’est-ce qui est difficile, qu’est-ce qui est plus facile (…) c’est quand même important de le savoir à la base pour qu’on puisse savoir comment intervenir » (PRO-CN-09).

Le consentement au partage d’informations par la personne vivant avec un trouble mental

L’obtention d’un consentement verbal ou écrit

Pour 18 participants (12 professionnels et 6 PPA), la personne vivant avec un trouble mental a refusé de consentir au partage d’informations ; tandis que pour 8 PPA ce consentement a été obtenu. Par ailleurs, 8 professionnels et 2 PPA ont rapporté que l’aptitude de la personne à consentir avait été évaluée. Lorsque le consentement est demandé, cela se fait verbalement selon les PPA (n = 12) ou par écrit selon les professionnels (n = 12). Les participants ont mentionné que le consentement a été demandé à différents moments (contexte d’hospitalisation ou suivi externe).

Le recours à des protocoles d’entente au partage d’informations

Des PPA (n = 13) affirment ne jamais avoir signé de protocole d’entente au sujet du partage d’information et n’ont pas eu d’explications sur les procédures à suivre : « D’après moi, des formulaires… j’ai jamais vu ça, en tout cas, moi j’ai jamais signé de formulaire puis je pense pas que lui non plus » (PPA-CN-01). La majorité des professionnels (n = 17) mentionnent utiliser des formulaires ou demander le consentement verbal et l’indiquer dans les notes de suivi avant de transmettre des informations ; les pratiques semblent toutefois différentes selon les intervenants et leurs milieux de pratique : « On utilise un formulaire de consentement qui est demandé, qui est valide si je me trompe pas, c’est comme un 6 mois, puis après chaque 6 mois, faut qu’on le revalide avec le client, pour ce qui est de leur consentement à communiquer avec certaines personnes de leur entourage. (…) Puis ça, c’est signé, puis c’est valide jusqu’à ce qu’il décide de révoquer ce consentement-là » (PRO-CN-09). Quatre professionnels ont évoqué le formulaire AH-216[7] utilisé dans le Réseau de la santé et des services sociaux (RSSS), mais la compréhension et l’utilisation de celui-ci peuvent varier. Certains l’utilisent uniquement pour les échanges d’informations avec les partenaires, alors que d’autres l’utilisent afin de pouvoir communiquer avec les PPA. Malgré l’obtention du consentement, des professionnels demeurent avec des préoccupations. Certains ont précisé que les informations à transmettre devaient être pertinentes et au bénéfice de leur client. Le consentement peut aussi être limité en précisant quelles informations sont partagées et à qui : « (…) souvent, j’essaie de négocier un peu […] ce que je pourrais partager, c’est très précis dans ma demande, voici ce que j’aurais à partager ou la question que j’aimerais poser et je m’engage à ne pas aller au-delà, mettons de refaire un consentement très très limité, des fois ça fonctionne. » (PRO-CN-02).

Les facilitateurs et les obstacles au partage d’informations

Quatre principaux facilitateurs au partage d’informations sont ressortis. La relation positive avec la personne a été celui le plus rapporté (12 PPA et 3 professionnels), car elle permet d’obtenir plus aisément le consentement à partager des informations. Les PPA ont mentionné que leur proactivité et leurs connaissances du fonctionnement du RSSS facilitent le partage d’informations. La confiance en l’expertise de l’équipe traitante est également rapportée par les PPA, alors que le soutien clinique de leur équipe joue un rôle grandement facilitant pour les professionnels (n = 6).

Au-delà des enjeux liés à la protection de l’information et au respect de la confidentialité (8 PPA et 12 professionnels), 5 principaux obstacles ont été identifiés. Le refus de la personne à consentir au partage des informations est le plus rapporté, de même que les manifestations du trouble mental qui influencent le consentement de la personne : « (…) j’ai appelé (nom de l’organisme) pour savoir s’ils l’avaient vu dernièrement puis comment ça allait. (…) ils m’ont dit qu’il avait refusé que je puisse avoir des nouvelles. C’était la première fois que ça arrivait puis ça m’a vraiment mis à l’envers » (PPA-CN-03). La crainte de la perte du lien de confiance avec la personne a également été mentionnée par 7 professionnels. Demander de partager des informations peut devenir un « terrain glissant » dans un contexte où l’autocritique de la personne est altérée et qu’un lien de confiance est à créer avec elle. Fournir des informations aux PPA peut aussi être perçu comme une menace au lien qu’ils entretiennent avec elle : « (…) Pour aider les gens, la base de toute relation d’aide, c’est le lien de confiance (…) le besoin d’avoir un certain lien de confiance avec le client, ça représente un obstacle peut-être des fois, je vais peut-être m’empêcher d’aller divulguer une information pour renforcer mon lien de confiance, s’il n’y a pas d’élément de dangerosité, mettons » (PRO-BSL-04). Des aspects organisationnels ont été mentionnés par les PPA (l’accès et les trajectoires de services, les délais pour les retours d’appel et le manque de communication dans les équipes), ainsi que la méconnaissance des mécanismes et procédures entourant les services. D’autres extraits d’entrevues illustrant les facilitateurs et obstacles au partage d’informations sont présentés au Tableau 4.

Tableau 4

Facilitateurs et obstacles au partage d’informations selon les participants à l’étude (N=38)

Facilitateurs et obstacles au partage d’informations selon les participants à l’étude (N=38)

Tableau 4 (suite)

Facilitateurs et obstacles au partage d’informations selon les participants à l’étude (N=38)

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Solutions proposées par les participants

Des PPA (n = 8) et des professionnels (n = 6) ont mentionné l’importance d’intégrer les PPA dès l’évaluation initiale des besoins et durant les épisodes de soins et de services. Ils ont indiqué que des protocoles clairs faciliteraient et baliseraient le partage d’informations. Six professionnels ont souligné que la formation sur la confidentialité, le partage d’informations et l’implication des PPA pourraient être bonifiés. Enfin, les PPA ont fait référence à un meilleur accès (n = 7) de même qu’à une adaptation des services en santé mentale (n = 6). Le Tableau 5 regroupe des extraits d’entrevues portant sur des pistes de solutions.

Tableau 5

Solutions proposées selon les participants à l’étude (N = 38)

Solutions proposées selon les participants à l’étude (N = 38)

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Discussion

Les résultats font ressortir que le partage d’informations s’inscrit dans une préoccupation commune qu’ont les PPA et les professionnels d’exercer leur rôle respectif. Ces acteurs partagent des besoins d’informations communs, mais ceux-ci ne sont pas toujours satisfaits. Le refus de la personne à consentir au partage d’informations et la préoccupation des professionnels à créer et maintenir un lien de confiance avec celle-ci sont les principaux obstacles au partage d’informations. Parmi les solutions identifiées, avoir des protocoles clairs en matière de partage d’informations et des formations ont été soulevés par les participants[8]. Pour ce faire, un outil synthèse destiné aux personnes vivant avec un trouble mental, aux PPA et aux professionnels a été créé.

Systématiser l’intégration des PPA dans les soins et services : une voie pour favoriser les pratiques collaboratives

Les résultats indiquent qu’autant du point de vue des PPA que des professionnels le respect de la confidentialité et le refus de la personne vivant avec un trouble mental demeurent les principaux obstacles au partage d’informations, ce qui va dans le même sens que d’autres études menées sur le sujet (Bonin et al., 2014 ; Morin et St-Onge, 2016 ; Hansson et al., 2022). Bien que les droits et l’autonomie de la personne sont respectés lorsque cette dernière refuse de consentir au partage d’informations, les besoins d’informations des PPA demeurent quant à eux non satisfaits. Ce besoin d’informations concerne des renseignements et conseils d’ordre plutôt général (connaître les services disponibles ou les symptômes possibles de la maladie, savoir comment agir ou quels comportements éviter pour soutenir une personne avec un trouble mental, etc.) qui permettrait aux PPA de mieux exercer leur rôle. Ces informations, bien qu’essentielles, ne requièrent pas d’informations personnelles sur la personne vivant avec un trouble mental (savoir si des difficultés personnelles ont déclenché le trouble), un constat qui vient renchérir ceux identifiés par d’autres travaux sur le même thème (Fradet, 2012 ; NHS, 2006 ; Slade et al., 2007). Concrètement, une collaboration minimale entre les professionnels et les PPA est donc possible pour répondre aux besoins d’informations, ce qui peut se traduire par l’offre de documentation, la référence vers les organismes locaux pertinents, la communication sur le fonctionnement du milieu de soins, etc. Les PPA peuvent, malgré le refus de la personne vivant avec un trouble mental, partager des informations aux professionnels. Ces résultats renforcent des travaux antérieurs qui mettent en lumière l’importance de choisir le moment opportun pour solliciter le consentement de la personne, puisqu’une situation de crise ou un état mental trop instables peuvent contribuer à un refus au partage d’informations (Morin et St-Onge, 2019).

Les résultats montrent qu’une pleine reconnaissance des besoins et des savoirs expérientiels des PPA dans le parcours de soins, ainsi qu’une régularisation des procédures en ce qui concerne le processus de consentement favoriseraient un meilleur partage d’informations entre les acteurs. Des procédures où l’intégration des PPA serait envisagée systématiquement et qui seraient soutenues par la formation des professionnels favoriseraient une meilleure collaboration et un partage d’informations. Comme le soulignent Rodriguez et al. (2006), le savoir expérientiel devraient être le point de départ de toute pratique de qualité en santé mentale, en plus de respecter le cadre légal et la vie privée des personnes vivant avec un trouble mental comme recommandé par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (art. 5 et art. 9) (gouvernement du Québec, 2022).

Le dialogue dans le « triangle des soins » en santé mentale : un incontournable pour un réel partenariat

Les résultats mettent en lumière que les relations entre les acteurs sont au coeur du partage d’informations, un constat novateur qui amène à mettre le dialogue au centre des pratiques. En s’appuyant davantage sur une logique du « triangle de soins », c’est-à-dire une alliance entre les personnes vivant avec un trouble mental, les professionnels et les PPA ; des pratiques collaboratives, sécuritaires et axées sur le rétablissement pourraient être favorisées (Worthington et al., 2013). Le rétablissement est d’ailleurs un critère incontournable de qualité des services en santé mentale (Rodriguez et al., 2006). Dès l’amorce d’un épisode de services, la relation entre les professionnels, la personne vivant avec un trouble mental et les PPA devrait se fonder sur un partenariat, qui implique d’explorer les buts et valeurs de la personne et de ses proches (Saint-Arnaud, 2019). Si l’engagement des familles semble être une évidence et est bien documenté sur le plan scientifique, l’implantation de pratiques axées sur la famille tarde à se faire systématiquement (Giacco et al., 2017 ; Hansson et al., 2022) et les résultats de cette étude rappellent que ce partenariat s’appuie sur un dialogue continu qui implique une relation égalitaire entre les acteurs. Dans les pratiques des professionnels, celui-ci devrait alors être privilégié, en respect des lois et balises en vigueur (NHS, 2006 ; Slade et al., 2007 ; Worthington et al., 2013). En matière de consentement, cet échange entre l’utilisateur de service et les professionnels doit aller au-delà d’échanges fondés sur les exigences légales et s’intéresser aux « raisons profondes » des choix de la personne vivant avec un trouble mental (Saint-Arnaud, 2019). Dans cette optique, le refus de la personne à consentir au partage d’informations ne devrait donc pas être perçu comme un obstacle à la création des liens entre les différents acteurs. Bien au contraire, les professionnels peuvent maintenir un échange continu avec celle-ci afin de connaître l’évolution de ses réflexions et de sa position quant au partage d’informations. Malgré le refus de consentir de la personne, les professionnels peuvent tout de même engager et maintenir un dialogue avec les PPA en écoutant leurs préoccupations et en leur partageant des informations générales et non confidentielles (Fradet, 2012 ; NHS, 2006 ; Slade et al., 2007 ; Worthington et al., 2013 ; Hansson et al., 2022).

Le refus au partage d’informations doit aussi être discuté ouvertement afin de déterminer s’il implique nécessairement un refus à communiquer des informations générales sur l’organisation des soins et services et le processus d’intervention (Bogart et Solomon, 1999). Suivant le principe de bienfaisance du cadre éthique proposé par St-Arnaud, les conséquences liées au refus de la personne à consentir de partager des informations devraient lui être exposées (NHS, 2006 ; Slade et al., 2007). En offrant ces explications, les professionnels favorisent chez la personne une compréhension globale de sa situation et lui permettent d’exercer pleinement son autonomie afin de prendre des décisions libres et éclairées. De cette façon, la personne s’approprie un certain pouvoir sur sa vie, ce qui est l’une des visées dans les services en santé mentale (Rodriguez et al., 2006). Si des communications réciproques permettent de répondre aux besoins des PPA et des professionnels afin de soutenir la personne dans son rétablissement, elles favorisent également la création d’un lien de confiance entre les acteurs, ce qui constitue l’une des bases des pratiques collaboratives (Morin et St-Onge, 2016 ; Slade et al., 2007 ; Worthington et al., 2013).

Pour favoriser le dialogue, la dimension relationnelle et le savoir-être des professionnels occupent une place importante afin d’instaurer un climat de confiance (Morin et St-Onge, 2016 ; Rodriguez et al., 2006 ; St-Arnaud, 2019). Cependant, tel que l’ont relevé les professionnels ayant participé à l’étude, bâtir une telle relation de confiance constitue un défi qui requiert assurément du temps et de l’énergie. Les résultats montrent aussi que l’un des principaux facilitateurs au partage d’informations est la relation positive entre la personne vivant avec un trouble mental et la PPA, puisqu’elle permet d’obtenir plus aisément son consentement. Ces données viennent étayer des constats similaires et militent dans le sens d’un dialogue ouvert entre tous les acteurs afin de nourrir les relations, faciliter le maintien des services et le rétablissement (Aldersey et Whitley, 2015 ; Fradet, 2012 ; Réseau avant de craquer, 2013 ; Worthington et al., 2013 ; Hansson et al., 2022).

Limites de l’étude

Tous les types de professionnels qui pratiquent en santé mentale (infirmières, psychoéducatrices, ergothérapeutes, etc.) ne sont pas représentés dans l’échantillon à l’étude. En raison de la diversité des situations cliniques rapportées, il est impossible de dégager les particularités liées à certains contextes de pratique. Toutefois, les résultats et les recommandations qui en découlent s’appliquent à des situations d’intervention en contexte volontaire. Enfin, les perspectives des personnes vivant avec un trouble mental n’ont pas été sollicitées lors des entrevues et auraient pu apporter un éclairage supplémentaire sur la question.

Conclusion

Les professionnels qui gravitent autour de la personne vivant avec un trouble mental sont invités à considérer les savoirs expérientiels des PPA et à collaborer avec celles-ci, dans une approche de partenariat pour offrir des services de qualité en santé mentale. Collaborer avec les PPA implique un changement de posture chez les professionnels. Afin de les guider, la Commission de la santé mentale du Canada recommande la création d’outils et de formations permettant aux professionnels de parfaire leurs connaissances sur les questions de confidentialité, de même que sur les lois et règlements qui régissent l’application de ces règles dans la pratique (MacCourt, 2013). La contribution originale de cette étude, en plus d’avoir donné une voix simultanée aux professionnels et aux PPA, invite à la réflexion et à la transformation des pratiques et des modes de communication entre les acteurs en santé mentale.