Résumés
Résumé
Certaines catégories de personnes, dont le statut des problèmes qu’elles posent aux autres et à elles-mêmes est difficile à définir interpellent les figures traditionnelles de la conflictualité et de la vulnérabilité sociales. Elles ne s’inscrivent pas de manière nette dans le registre d’intervention du système de santé (physique et mentale), de protection sociale (pauvreté, chômage, employabilité, etc.) ou de sécurité (police, tribunaux, service correctionnel). Elles dessinent ainsi les nouvelles lignes de faille de la socialité contemporaine, qu’on pourrait définir comme ce psychosocial en danger, dangereux et dérangeant qui pose problème.
Après les effets successifs, complexes et contradictoires de nombreuses transformations institutionnelles en matière d’intervention psychosociale (désinstitutionalisation, sectorisation, rotation, communautarisation, déjudiciarisation, virage ambulatoire, nouvelle législation d’internement civil, etc.), on se trouve aujourd’hui dans un contexte de post-déjudiciarisation. Il se caractérise par la reconnaissance d’une certaine conflictualité et vulnérabilité psychosociales chroniques et difficilement codifiables. Les zones grises, les chevauchements et les redoublements entre conflit social, pauvreté extrême, marginalité, criminalité et maladie mentale sont à la fois élargis et recodés en termes de vulnérabilité psychosociale, de détresse psychosociale, de conflictualité psychosociale, de dérangement urbain et de dangerosité mentale. Lorsqu’il est question d’intervenir sur le psychosocial problématique, il est moins question de répression ou de thérapeutique que de gestion des aspects les plus dérangeants et dangereux de la conflictualité et de la vulnérabilité psychosociales. Nous nous penchons dans cet article sur la montée des interventions psychosociales à Montréal.
Abstract
Certain groups of people, whose problems they pose to others and to themselves is a status hard to define, challenge the traditional figures of social conflict and vulnerability. They do not fit clearly into the intervention patterns of the health system (physical and mental), social protection (poverty, unemployment, employability, etc.) or security (police, courts, correctional service). Thus, they trace new fault lines in contemporary society that could be defined as this threatened, threatening and troubling psychosocial element which causes problems.
After the successive, complex and contradictory effects of many institutional changes as regards psychosocial intervention (deinstitutionalization, sectorization, rotation, community involvement, judicial deregulation, shift to ambulatory care, new civil internment legislation, etc.), we find ourselves to-day in a post-judicial deregulation context. This is characterized by the acknowledgement of a certain level of chronic conflict and vulnerability that is hard to codify. The grey areas, the overlapping and duplication between social conflict, extreme poverty, marginality, criminality and mental sickness are both widened and recoded in terms of psycho social vulnerability, psychosocial distress, psychosocial conflict, urban upset and mental threat. When it comes to intervening on the psychosocial problem, it is less a question of repression or therapy than of management of the most troubling and dangerous aspects of psychosocial conflict and vulnerability. In this paper we focus on the development of psychosocial interventions in Montréal.
Resumen
Algunas categorías de personas, cuyo estatuto es difícil de definir por los problemas que plantean a los otros y a ellas mismas desafían las figuras tradicionales de la conflictividad y de las vulnerabilidades sociales. No se inscriben de manera clara en el registro de intervención del sistema de salud (físico y mental), de protección social (pobreza, desempleo, capacidad de empleo, etc.) o de seguridad (policía, tribunales, servicio correccional). Dibujan así las nuevas líneas de falla de la sociabilidad contemporánea, que se podría definir como lo psicosocial en peligro, riesgoso y amenazante que plantea problema.
Después los efectos sucesivos, complejos y contradictorios de numerosas transformaciones institucionales en cuanto a la intervención psicosocial (desinstitucionalización, sectorización, rotación, comunitarización, dejudiciarización, viraje ambulatorio, nueva legislación de internación civil, etc.), se encuentra hoy en un contexto post-dejudiciarización. Se caracteriza por el reconocimiento de una cierta conflictividad y vulnerabilidad psicosociales crónicas y difícilmente codificables. Las zonas grises, las coincidencias y los redoblamientos entre conflicto social, pobreza extrema, marginalidad, criminalidad y enfermedad mental se amplían a la vez que se recodifican en términos de vulnerabilidad psicosocial, desamparo y conflictividad psicosocial, perturbación urbana y peligrosidad mental. Cuando hay que intervenir sobre la problemática psicosocial, se habla menos de represión o de terapéutica que de gestión de los aspectos que más molestan y de los más peligrosos de la conflictividad y de la vulnerabilidad psicosociales. Nos inclinamos en este artículo sobre el aumento de las intervenciones psicosociales en Montreal.
Corps de l’article
Certaines catégories de personnes, dont le statut des problèmes qu’elles posent aux autres et à elles-mêmes est difficile à définir, interpellent les figures traditionnelles de la conflictualité et de la vulnérabilité sociales. Elles ne s’inscrivent pas de manière nette dans le registre d’intervention du système de santé (physique et mentale), de protection sociale (pauvreté, chômage, employabilité, etc.) ou de sécurité (police, tribunaux, service correctionnel) présentant ainsi de sérieuses questions à la fois théoriques et pratiques. Du point de vue théorique, on s’interroge sur la nature de ce qui pose problème : sociale? psychologique? relationnelle? criminelle? Du point de vue pratique, on se demande : « Faut-il intervenir? Qui doit intervenir? Comment doit-on intervenir? A-t-on le droit d’intervenir? »
Ces populations, bien réelles mais difficiles à catégoriser, incarnent certaines lignes de faille de la socialité contemporaine qu’on pourrait définir dans une première approche comme ce psychosocial en danger, dangereux et dérangeant qui pose problème. C’est-à-dire, ce psychosocial perçu et défini comme problématique vis-à-vis duquel plusieurs stratégies d’intervention (policières, médicales, sociales, communautaires, etc.) sont mobilisées parce qu’on a affaire à un danger (réel ou présumé) ou encore à un comportement qui dérange.
Les sociétés libérales dans lesquelles nous vivons sont des sociétés où les risques, les conflits, les déviances, les dysfonctionnements, les inégalités, voire les identités de leurs membres, sont régulés par des dispositifs complexes qui, tout en instaurant des clivages entre différentes catégories de personnes, font référence à des valeurs positives telles que la santé physique et mentale, le respect des normes communes, la protection de l’environnement, etc. Depuis trois décennies au moins, la référence à la santé mentale, au psychosocial et à la souffrance psychique joue un rôle capital dans la régulation des conduites qui posent problème ou qui sont reconnues, par les agences gouvernementales, par la communauté, voire par les personnes concernées elles-mêmes, comme problématiques (Otero, 2003). La montée du psychosocial en danger, dangereux et dérangeant est devenu un risque de plus à gérer dans l’univers de la conflictualité des sociétés contemporaines pour lequel il a fallu développer des dispositifs spécifiques (Robert, 2001; Sicot, 2001).
Au Québec, les stratégies d’intervention visant des situations qui ont été définies, faute de mieux, en termes de problèmes psychosociaux, voire de problèmes psychosociaux à risque d’être judiciarisés, se sont considérablement accrues au cours des trente dernières années (Cardinal, 2001; Laberge, Landreville et Morin, 2000). L’importance croissante de ces stratégies d’intervention est liée également à la profonde réorganisation intervenue au sein des agences gouvernementales en matière de santé, de services sociaux et de sécurité pendant cette période, notamment en ce qui concerne les dispositifs de prise en charge des populations vulnérables, dangereuses et dérangeantes[1]. Dans ce contexte de profondes transformations institutionnelles, des populations ont été recatégorisées[2], des mandats d’intervenants (gouvernementaux, paragouvernementaux et communautaires) ont été redéfinis, des expertises (professionnelles, scientifiques, informelles, etc.) ont été reformulées et, enfin, des cadres prescriptifs (lois, règlements, protocoles d’intervention, etc.) ont été adaptés. Le tout pour répondre à des situations problématiques dont le statut, les causes et, si l’on peut dire, le pronostic ne sont pas clairement établis ou, du moins, ne font pas l’unanimité des nombreux acteurs concernés. Ce remaniement institutionnel, socioprofessionnel, scientifique et légal a été parfois précédé, parfois accompagné et parfois suivi d’une modification profonde des représentations collectives des problèmes sociaux, des problèmes de santé mentale (mais aussi de santé physique) et de certaines transgressions de la loi. De ce fait, plusieurs questions ont été soulevées ou renouvelées : quelles sont les frontières entre problèmes de santé mentale, dysfonctionnements sociaux, vulnérabilité sociale et criminalité? Quelles sont les stratégies les plus efficaces et légitimes pour faire face à ces problèmes dont le statut (mental, social, criminel, psychosocial, relationnel, etc.) est souvent défini au cours même de l’intervention? Quand, de quelle façon et en fonction de quels critères (culturels, moraux, légaux, disciplinaires, etc.) faut-il intervenir? Qui devrait le faire (policier, médecin, travailleur social, intervenant communautaire, etc.)?
La disponibilité de la police comme service mobile d’urgence en tout temps, ainsi que sa capacité légale de contraindre, ont largement favorisé son intervention dans de nombreuses situations d’urgence associées à un danger réel ou potentiel, dont le statut (mental, social, criminel, psychosocial, relationnel, etc.) était mal défini. Dans un nombre de cas non négligeables, les interventions policières ont également favorisé la judiciarisation des populations, dont les caractéristiques relevaient davantage des domaines social et mental que des domaines policier, judiciaire et correctionnel (Laberge et Morin, 1995; Patch et Arrigo, 1999; Teplin, 2001). Au Québec, une politique de déjudiciarisation[3] en santé mentale s’est développée, entre autres, avec la mise en oeuvre de programmes d’intervention d’urgence, mobiles et disponibles en tout temps qui visent explicitement l’évitement du recours au système judiciaire, pénal et correctionnel pour les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale. À Montréal, le service mobile d’intervention d’urgence psychosociale-justice (UPS-J) a été implanté en octobre 1996[4]. La population-cible de l’UPS-J a été définie à ce moment comme une population ayant des problèmes de santé mentale graves et persistants, et prise dans des situations-problèmes susceptibles d’entraîner l’intervention de la police, la judiciarisation, ou encore, l’incarcération. Désormais, le registre d’intervention de l’UPS-J s’est étendu, complexifié et diversifié à l’image des populations interpellées et des situations problématiques qui font objet de son action laissant ainsi transparaître l’émergence d’un profil de populations problématiques difficiles à définir.
La politique de déjudiciarisation mentionnée s’est accompagnée de réformes majeures de la législation d’internement civil involontaire, marquées grosso modo par deux tendances. D’une part, elle vise à restreindre son application en fonction du seul critère de dangerosité mentale. D’autre part, elle s’offre comme un outil adéquat pour cautionner légalement l’intervention dans le domaine plus large du psychosocial dangereux, en danger et dérangeant pour lequel les autres outils disponibles semblent moins adéquats. En effet, la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui (LRQc P-38.001), entrée en vigueur en 1998, redéfinit les règles, les pouvoirs et la procédure d’internement civil pour dangerosité au Québec. Parmi les principales modifications apportées à la loi, celle jugée la plus novatrice concerne l’article 8 qui met de l’avant une procédure explicite de déjudiciarisation. La loi autorise un agent de la paix à amener, contre son gré et sans l’autorisation d’un tribunal, une personne dans un établissement de santé, habituellement un centre hospitalier. « À la demande d’un intervenant d’un service d’aide en situation de crise qui estime que l’état mental de cette personne présente un danger grave et immédiat pour elle-même ou pour autrui. » À Montréal, la Régie régionale de la santé et des services sociaux[5] a désigné, en juin 2001, l’UPS-J à titre de service d’aide en situation de crise, pour réaliser ces estimations et, ainsi, rendre effective la nouvelle législation en vigueur[6].
Le processus d’implantation de la nouvelle législation dans le contexte montréalais et l’action concrète de l’UPS-J sur le terrain constituent des révélateurs des manières de définir et de gérer les situations psychosociales problématiques et les populations qui les incarnent qui semblent caractériser de plus en plus les sociétés contemporaines. Cet article prétend mieux comprendre la montée du psychosocial problématique en fonction de l’analyse de trois dimensions étroitement liées : 1) la signification et les effets des changements juridiques récents en matière de dangerosité civile et de santé mentale; 2) le profil des populations interpellées et 3) les figures émergentes du psychosocial dangereux, en danger et dérangeant.
1) De la maladie mentale dangereuse à traiter au risque psychosocial à gérer
Les sociétés libérales occidentales sont des sociétés de droit. Pour cette raison, s’il est question d’intervenir auprès d’un sujet parce que son état de santé (physique ou mentale), son comportement ou son degré de vulnérabilité sociale sont jugés susceptibles de produire des dommages à la personne ou à un tiers, il faut disposer soit de son consentement, soit de normes légales encadrant de telles situations. Souvent, ces situations se présentent dans un contexte d’urgence où la pertinence, la légitimité et la légalité d’une intervention se posent de manière encore plus délicate et complexe, car les variables risque, danger, temps, dommages potentiels ou réels pour la personne concernée ou pour autrui, jouent sur le registre de l’immédiateté (il faut agir dans l’ici et maintenant) et de l’incertitude (informations inexistantes, insuffisantes ou imprécises sur la personne, la situation-problème, etc.).
Depuis les années 1960-1970, un vaste mouvement de réforme concernant l’intervention juridique en matière de maladie/santé mentale/dangerosité civile a eu lieu en Occident (Barreau du Québec, 1998; Dallaire et al., 2001). Au Québec, la Loi sur la protection du malade mental de 1972 permettait de priver de sa liberté une personne, présumée malade mentale, lorsqu’elle présentait un danger pour elle-même ou pour autrui. En 1998, la nouvelle loi sur la dangerosité mentale, la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui (désormais loi P-38) maintient la centralité du critère de dangerosité pour procéder à la suspension des droits de la personne, mais elle modifie quatre éléments clés : l’association quasi automatique entre maladie mentale et dangerosité, l’identité professionnelle des intervenants désignés pour estimer/évaluer le danger mental, le registre d’application de la loi et les droits des personnes interpellées.
Les études concernant les pratiques d’internement civil involontaire ont maintes fois souligné les contextes ambigus et complexes de ces interventions dans lesquelles interagissent différentes catégories d’acteurs (policiers, ambulanciers, médecins, psychiatres, psychologues, juges, familles, voisins, etc.) et où se confrontent plusieurs lectures de la situation. Si l’on parvient, en général, à s’entendre sur le fait qu’il y a un problème, souvent qualifié de problème de santé mentale ou de crise psychosociale, la réponse peut varier selon les cadres interprétatifs prédominants (sens commun des proches, expérience de terrain des intervenants, savoirs scientifiques, législation, etc.), la logique des négociations qui s’engagent lors de l’intervention (police, familles, médecins, etc.) et le type de ressource disponible à ce moment précis pour la prise en charge de la personne (Cardinal, 2001; Morin et al., 2005; Patch et Arrigo, 1999; Teplin, 2001). On ne s’étonnera pas de constater que l’élément le plus controversé de ces pratiques concerne le passage du constat du problème, et de la personne qui l’incarne, à celui de la qualification du type de problème auquel on a affaire, et du type de personne problématique qui l’incarne (Clément, 2001; Cohen et al., 1998; Morin et al., 1999).
Si la notion de dangerosité, malgré les nombreux problèmes qu’elle pose, demeure en théorie le principal critère justifiant l’application de la loi, d’autres notions semblent avoir mal vieilli, théoriquement, socialement et politiquement pour désigner le caractère mental de la dangerosité présumée. En effet, sur le plan de la terminologie, la loi P-38 utilise le terme d’état mental plutôt que celui de maladie mentale. En principe, on pourrait croire que la procédure de déjudiciarisation prévue explicitement par la loi se double d’une procédure additionnelle de démédicalisation de la dangerosité mentale. L’association malheureusement courante et non fondée entre dangerosité et maladie mentale est judicieusement évacuée du texte de la loi. Toutefois, cette dissociation s’accompagne forcément d’un élargissement potentiel du registre d’application de la loi, somme toute une loi d’exception[7], s’appliquant aux personnes dont l’état mental peut être perturbé au point de constituer un danger, sans que l’on puisse parler de maladie mentale pour autant. Ce changement de registre symbolique et légal traduit une autre transformation plus large : le passage de la référence à la maladie mentale à la référence à la santé mentale comme ancrage symbolique de nombreuses interventions sociales, dangereuses ou non, urgentes ou non.
Le déclin social, politique et scientifique de la notion de maladie mentale se fait sentir même à l’intérieur de la psychiatrie. En effet, la maladie mentale a été évacuée de la principale référence de la psychiatrie contemporaine, le DSM-IV (1994), qui préfère parler de désordre, trouble ou dysfonctionnement plutôt que de maladie. Ce déclin de la notion de maladie mentale pour coder de nombreuses situations non clairement, voire nullement, psychopathologiques est intimement lié au succès social et scientifique de la notion de santé mentale. Alain Ehrenberg (2004) considère qu’on assiste à une réorganisation des rapports entre maladie, santé et socialisation marquée essentiellement par un retournement hiérarchique majeur selon lequel la maladie mentale (phénomène en principe restreint au domaine médical) devient un aspect subordonné de la santé mentale et de la souffrance psychique, phénomène multiforme et ouvert à de multiples situations problématiques ou non (Fassin, 2004). La condition d’application de la loi n’est plus la présomption de la présence d’une maladie mentale dangereuse, mais d’un état mental dangereux. De plus, la nouvelle loi abandonne la notion de cure fermée au profit de celle de garde en établissement (garde préventive, provisoire et régulière[8]), choix qui tient compte de la dimension éthique du consentement de la personne interpellée à se soumettre à une thérapeutique. La loi P-38 n’autorise pas le traitement involontaire, ce que pouvait laisser entendre la notion de cure fermée de la précédente loi (Ménard, 1998). Le déclin de la notion de maladie mentale emporte avec lui celui de thérapeutique, mais il ouvre la porte, de manière complémentaire, à la formalisation des droits des personnes pouvant être touchées par la législation concernant l’internement civil (communiquer avec un avocat ou un organisme de défense de droits des usagers, refuser la médication, etc.[9]). Les législations de 1972 et de 1998 témoignent respectivement de deux représentations différentes de la dangerosité mentale et de ce qu’il faut faire du point de vue légal dans un tel cas : avant il s’agissait d’une maladie mentale dangereuse à traiter, et idéalement à guérir, maintenant il s’agit d’un état mental dangereux à gérer, et idéalement à résorber (rétablir l’équilibre initial, désamorcer la crise psychosociale, référer une ressource spécifique, etc.).
Dans ce nouveau contexte, la loi P-38 introduit également un nouvel acteur et un nouvel acte à poser dans la prise en charge de la dangerosité mentale. Il s’agit de l’intervenant d’un service d’aide en situation de crise, désormais ISASC, et de l’estimation[10] de la dangerosité mentale. Il n’est plus nécessaire d’être médecin, ou encore psychiatre, pour estimer la dangerosité mentale, car une estimation ne présuppose pas de diagnostic formel, ni d’autre acte réservé à telle ou telle corporation professionnelle. En outre, lorsqu’aucun ISASC n’est disponible pour estimer la dangerosité en temps utile, c’est le policier, à la demande du titulaire de l’autorité parentale, du tuteur au mineur ou de l’une ou l’autre des personnes visées par l’article 15 du Code civil du Québec, qui peut faire la demande de garde préventive. À cela s’ajoute le fait que les familles peuvent se prévaloir d’une Requête d’évaluation psychiatrique pour demander directement à la Cour du Québec la garde préventive d’un de ses membres dont l’état mental est jugé dangereux pour lui-même ou pour les autres afin qu’il soit soumis à une évaluation psychiatrique (Otero, Morin, Labrecque-Lebeau, 2007).
Ce ne sont donc plus seulement les familles, par l’entremise de la Requête d’évaluation psychiatrique, les psychiatres dans leurs établissements, ou encore les policiers, en vertu d’autres codes légaux, qui jouissent de cette prérogative de demander la suspension des droits d’une personne en raison d’une dangerosité mentale présumée, mais également un certain nombre d’intervenants psychosociaux de formations variées, les ISASC, dont l’expérience en gestion de crises psychosociales semble justifier leur habilitation légale à estimer la dangerosité mentale. Ainsi, tant le registre d’application de la législation que la palette d’intervenants potentiels en matière de problèmes psychosociaux s’élargissent, se brouillent et se complexifient.
Si la loi, et plus spécifiquement l’article 8, ne résout pas la question cruciale de la désignation[11] de l’ISASC ni de son identité socioprofessionnelle, elle crée en revanche un nouveau champ d’action, en prescrivant à différents acteurs de travailler en collaboration et en spécifiant certaines actes à poser. Or, parmi ces actes, certains sont familiers à la pratique des intervenants des centres de crise déjà en place (désamorcer la crise, diriger vers des ressources adéquates) tandis que d’autres, tels que l’estimation du danger grave et immédiat en raison de l’état mental, le sont moins. Bien entendu, dans leur pratique de terrain les intervenants de crise n’ont pas attendu une loi spéciale pour trancher dans ce type de situations en estimant de facto le danger et en prenant des mesures en conséquence. Toutefois, l’un des effets de la loi est la formalisation de l’estimation du danger grave et immédiat en raison de l’état mental, qui devient, sinon un acte réservé, du moins un geste spécialisé.
La loi est tout de même ambiguë quant au partage de responsabilités entre les médecins, la police et les ISASC. Le texte de la loi indique que le policier peut transporter la personne contre son gré après l’estimation du danger par l’ISASC et non qu’il doit le faire. Également, l’indéfinition demeure quant à l’identité professionnelle de l’ISASC. Les avis juridiques demandés par les différents acteurs concernés par l’application et l’implantation de la loi montrent les conflits interprétatifs aussi bien que les positionnements stratégiques dans le nouveau scénario établi par la nouvelle législation. Pour la police de la ville de Montréal, la loi n’a pas clarifié les bases du pouvoir d’intervention des policiers dans les appels concernant des situations délicates qui seraient des « soubresauts de la désinstitutionnalisation » et des transformations sociales récentes (familles en détresse, itinérants, jeunes en difficulté, etc.) (Daigneault, 1998). L’intention du législateur était-elle de subordonner l’action de la police à la demande d’un ISASC ou visait-elle à développer un travail de collaboration entre les policiers et les intervenants du milieu de la santé et des services sociaux? Quoi qu’il en soit, les registres du social, du mental et du criminel, d’une part, et ceux de l’urgence et du danger, de l’autre, semblent de plus en plus difficiles à délimiter.
Les experts juridiques consultés par les ambulanciers (Urgences-santé[12]) attirent l’attention sur l’absence d’une hiérarchie claire dans le processus décisionnel impliquant le policier, le médecin et l’ISASC. Plus encore, ils trouvent impensable, voire insupportable, que l’instance médicale puisse être subordonnée à l’instance psychosociale. En effet, « il nous semble clair [disent-ils] que ceci est un oubli du législateur et que ce n’était pas l’intention de ce dernier de subordonner l’autorité médicale peu importe où elle se trouve à celle d’un intervenant en situation de crise ».
L’avis juridique[13] de l’Association des CLSC (Centre local de services communautaires) et CHSLD (Centre d’hébergement et de soins de longue durée) prétend que le policier est subordonné à l’ISASC lorsqu’il est question de décider de la présence d’un danger mental grave et immédiat. Dans le cas où la demande provient d’un tiers (famille, ressource communautaire, etc.) plutôt que d’un ISASC, l’Association est d’avis que le policier doit faire appel à l’expertise d’un ISASC.
Pour l’Association des hôpitaux du Québec, le changement de titre de la loi ne devrait pas être interprété comme une transformation de son champ d’application[14]. Cette modification viserait plutôt à moderniser la terminologie pour mieux signifier la primauté des droits et libertés des personnes concernées. L’Association note, comme plusieurs autres groupes d’acteurs, que la loi, tout comme le Code civil, ne définissent pas la notion de danger grave et immédiat. Il appartient donc, de leur point de vue, au médecin, et non à l’ISASC « de juger de la gravité de la dangerosité que présente l’état mental d’une personne ». De plus, elle est d’avis que le médecin est tenu d’établir une association entre la dangerosité et l’état mental, comme c’était le cas dans l’ancienne législation. Même si la loi actuelle a exclu le terme de maladie mentale, l’Association des hôpitaux du Québec affirme que le fait qu’une personne soit violente ne peut pas justifier la garde, « il faut aussi que la dangerosité soit secondaire à la maladie mentale ». Et, on le sait, seul un médecin est habilité à établir la présence d’une maladie, c’est-à-dire à diagnostiquer.
Ces avis juridiques, et les conflits socioprofessionnels dont ils témoignent, dessinent un nouveau contexte qu’on pourrait appeler de post-déjudiciarisation, caractérisé par la montée du psychosocial dangereux, en danger et dérangeant. Dans ce contexte de post-déjudiciarisation, la police est invitée par la loi à chercher un terrain d’entente, voire de partenariat, avec de nouveaux acteurs psychosociaux, les ISASC, pour gérer des situations problématiques complexes. La médecine, elle aussi, est invitée par la loi à partager, voire à déléguer, certaines de ses expertises (estimation de la dangerosité mentale) et de ses pouvoirs avec l’ISASC. Les frontières entre conflit social, certaines formes de criminalité et de maladie mentale, sont reproblématisées et redéfinies en termes de vulnérabilité psychosociale, crise psychosociale et dangerosité mentale.
L’action à faire, lorsqu’il s’agit d’intervenir dans des situations de dangerosité mentale, telles qu’elles sont indiquées par la loi, semble triple : estimer le danger mental, désamorcer la crise mentale et diriger vers la ressource appropriée (de l’hôpital psychiatrique au domicile de la personne interpellée en passant par les diverses ressources disponibles). On ne sera pas étonné de découvrir que cet acte d’intervention triple (estimer, désamorcer, référer) constitue avant tout un travail de gestion de risques. Lorsque la loi est bel et bien appliquée, il s’agit de garder (garder renvoie à neutraliser le danger le plus souvent potentiel) plutôt que de traiter (déployer des thérapeutiques, donner des remèdes, etc.) la personne visée. On est dans l’univers de la gestion et, par conséquent, de l’acceptation implicite du caractère en quelque sorte chronique d’une certaine conflictualité et d’une vulnérabilité psychosociales, souvent associées à la pauvreté extrême des personnes concernées. Tel qu’on le verra dans les sections suivantes, ce psychosocial problématique chronique est codé en termes de dangerosité mentale, non pas parce qu’il s’agit d’un univers symbolique adéquat, mais plutôt parce qu’elle est une référence efficace pour justifier l’intervention faute de mieux.
2) Qui sont les psychosociaux dangereux, en danger et dérangeants?
Quel est le profil de la population touchée de manière directe ou indirecte par les effets de la loi P-38[15]? Depuis 1996, l’UPS-J a été désignée pour mettre en application un mandat de déjudiciarisation en santé mentale sur un territoire[16], que nous appellerons le territoire initial, particulièrement touché par les phénomènes d’extrême pauvreté et de marginalité. En 2001, l’UPS-J est désignée également pour appliquer la loi P-38 à l’ensemble du territoire de l’Île de Montréal y compris le territoire initial. Ainsi, l’UPS-J exerce aujourd’hui un double mandat sur le territoire initial : la déjudiciarisation en santé mentale et l’application de la loi P-38, alors que sur le reste de l’Île de Montréal, que nous appellerons les nouveaux territoires, le service n’exerce en théorie que le mandat P-38.
Nous avons procédé à l’analyse de la base des données informatisées de l’UPS-J portant sur une année complète d’intervention, soit de février 2003 à février 2004. Deux sous-populations ont été distinguées : l’une correspondant au territoire initial sur lequel l’UPS-J exerce le double mandat, et l’autre correspondant aux nouveaux territoires où seulement le mandat P-38 est appliqué. Les données de ces deux sous-populations sont ensuite comparées aux données de la population interpellée par l’UPS-J au cours de la période 1996-1999[17], que nous appellerons la 1re cohorte alors que s’exerçait seulement le premier mandat du service, celui de la déjudiciarisation. Cet exercice de comparaison de trois sous-populations est certes complexe, mais indispensable pour mieux analyser les données disponibles, car il nous permet d’avoir deux points de repère, l’un dans le temps et l’autre dans l’espace, pour mieux caractériser les différentes populations. Toutefois, les résultats devront être considérés avec prudence [18] en attendant la production d’autres données complémentaires. On gardera en mémoire qu’ils nous permettent d’amorcer la discussion concernant le profil des populations considérées psychosocialement dangereuses, en danger ou dérangeantes. Pour simplifier, désormais nous parlerons de sous-populations du territoire initial (davantage touché par la pauvreté et la marginalité), des nouveaux territoires (reste de l’Île de Montréal, moins touché par la pauvreté et la marginalité) et de la 1re cohorte, pour désigner les trois sous-populations évoquées.
Sexe, âge, langue, statut civil et résidentiel
Sur le territoire initial où s’exerce le double mandat, les hommes touchés par les interventions de l’UPS-J représentent environ 60 % de la population interpellée[19] et les femmes 40 %. Alors que ce rapport s’inverse presque exactement sur les nouveaux territoires : 60 % sont des femmes, 40 % sont des hommes. Dans la 1re cohorte (1996-1999), les hommes étaient encore plus représentés que dans le territoire initial en 2003-2004 : environ 67 % des personnes touchées. Globalement, on assiste à une féminisation des populations interpellées.
Les personnes qui font l’objet des interventions de l’UPS-J sont dans l’ensemble relativement âgées. Dans les trois sous-populations, le groupe d’âge le plus important est celui des 50 ans et plus. Cela dit, les personnes âgées de 24 ans ou moins représentent 13,9 % de la population du territoire initial, 7,7 % de celles des nouveaux territoires et 10,3 % de la 1re cohorte. À l’autre extrémité, les personnes âgées de 50 ans et plus forment 29,6 % du groupe du territoire initial, 40,8 % des nouveaux territoires et, enfin, 23,3 % de la 1re cohorte. Ces données permettent de constater que la population rejointe au cours de la première période (1996-1999) sur le territoire initial était plutôt concentrée dans les classes d’âge des 30-45 ans qui rassemblaient presque la moitié des demandes (45,4 %). Sur le territoire initial, en 2003-2004, ces mêmes classes d’âge n’en regroupaient plus que 35,0 %, la différence allant vers les groupes des plus jeunes et ceux des plus vieux. Alors que sur les nouveaux territoires, elles n’atteignent plus que le quart des demandes, la différence allant surtout vers les groupes des plus âgés. Autrement dit, dans le temps et sur le territoire initial, on voit un accroissement des demandes au sein des classes des plus jeunes et des plus vieux. La comparaison entre les territoires dans la période 2003-2004 fait ressortir l’importance significative des appels à l’UPS-J concernant une population âgée (50 ans et plus) sur les nouveaux territoires.
Ces variations d’âge entre les trois sous-populations illustrent différents phénomènes combinés. D’abord, le vieillissement général de la population joue sans doute sur l’augmentation de l’âge moyen des personnes interpellées. Certains intervenants de l’UPS-J interviewés ont attribué l’importance croissante du groupe d’âge de 50 ans et plus sur les nouveaux territoires à l’augmentation de cas des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, même si les données disponibles dans les dossiers de l’UPS-J ne permettent pas de confirmer cette supposition[20]. Les variations d’âge pourraient également traduire un effet de spécialisation des mandats se manifestant par des distinctions dans les populations rejointes dans chaque territoire et dans le type de danger-dérangement qu’elles sont susceptibles de susciter. En effet, le recours à l’UPS-J, en raison des problèmes de dérangement, plutôt que de danger grave et immédiat, concernant des personnes âgées est fréquent. L’ajout du mandat P-38 pourrait à son tour contribuer à compléter l’éventail de légitimations de l’intervention auprès de populations âgées, pauvres et socialement isolées qui dérangent leur voisinage. On le sait, le statut du dérangement est souvent mal défini : relève-t-il du domaine de la santé mentale, de la vulnérabilité sociale (pauvreté extrême, isolement social, etc.) ou de la petite criminalité? Le cumul de mandats permet d’intervenir en s’appuyant sur plusieurs critères chevauchant les mandats déjà complexes à interpréter et à délimiter.
Quant aux groupes linguistiques, les francophones sont majoritaires dans les trois sous-populations à plus de 75 %. Toutefois, la proportion de personnes qui parlent une autre langue que le français et l’anglais, les deux langues officielles, est beaucoup plus importante dans les nouveaux territoires (7,8 %) que dans le territoire initial et dans la 1re cohorte (environ 3 % dans les deux cas). Cet écart reflète la combinaison de plusieurs effets simultanés : les vagues récentes d’immigration[21], la concentration des communautés ethnoculturelles dans certains quartiers en périphérie du centre-ville et le phénomène d’appauvrissement des populations immigrantes et des nouveaux arrivants depuis les années quatre-vingt (Heisz et Mc Leod 2004[22]). Dans l’ensemble, on observe que davantage de femmes (sur le territoire initial et sur les nouveaux territoires), davantage d’immigrants (sur les nouveaux territoires) et davantage de groupes de personnes âgées font partie des populations psychosocialement problématiques touchées par l’UPS-J en 2003-2004 par rapport à la période 1996-1999.
L’isolement social des populations touchées par l’action de l’UPS-J est difficile à cerner avec précision. Le peu de données disponibles montrent que la majorité des individus sont célibataires. Cependant, on compte le double de personnes mariées et de personnes en union de fait dans les nouveaux territoires, comparativement aux deux autres sous-populations (territoire initial et 1re cohorte). Si d’autres données venaient confirmer cette observation, cela pourrait signifier que les personnes du territoire initial sont davantage seules que celles des autres territoires, même s’il n’y a, bien entendu, pas d’équation simple entre l’isolement social, la solitude et le statut civil. Sur le plan de la domiciliation, il faut souligner que près de la moitié des demandes d’intervention concernent des individus en situation de précarité résidentielle avérée ou potentielle [23]. Cela dit, sur le territoire initial, une proportion plus importante des demandes concerne des individus sans adresse (35,6 %), en refuge (6,6 %) ou encore en chambre (10,1 %), comparativement à la situation dans les nouveaux territoires (10,1 %, 0 % et 4,7 % respectivement). Le nombre d’individus qui occupent un logement autonome est presque deux fois plus important sur les nouveaux territoires que sur le territoire initial (79,1 % vs 42,6 %). C’est une autre caractéristique qui distingue les sous-populations des territoires d’application des mandats : celle du territoire initial semble davantage isolée et mal logée que celle des nouveaux territoires.
La condition de domiciliation est une donnée très importante puisqu’elle contribue à définir non seulement la situation d’urgence ou de crise, mais également la suite à donner à l’intervention[24]. Par ailleurs, cette condition est susceptible de rendre difficile l’accès à certains services puisque l’adresse représente, dans certaines ressources du moins, une condition sine qua non d’accès[25]. En outre, certaines attitudes ou certains gestes (parler seul, crier sans raison apparente, poser certains actes d’incivilité ou d’exhibitionnisme, etc.) sont parfois sanctionnés parce qu’ils interviennent dans l’espace public, qui constitue également le lieu de vie d’une partie significative des personnes interpellées par l’UPS-J. La précarité résidentielle constitue ainsi l’un des principaux marqueurs des interventions en matière d’urgence psychosociale-justice.
Antécédents psychiatriques, de toxicomanie et judiciaires
La présence d’antécédents psychiatriques, de toxicomanie et judiciaires a une importance capitale pour comprendre non seulement le profil des populations associées aux demandes d’intervention de l’UPS-J, mais également l’évolution des stratégies d’intervention, de prise en charge et de codification des comportements mentalement problématiques.
En effet, on trouve des traces d’antécédents psychiatriques dans les dossiers de 53,3 % des personnes qui ont fait l’objet d’une demande d’intervention sur le territoire initial, dans 51,3 % de celles des nouveaux territoires et seulement dans 40,1 % de celles de la 1re cohorte[27]. Deux constats semblent à première vue étonnants : 1) l’augmentation significative des antécédentes psychiatriques (13 %) entre les deux périodes analysées (1996-1999 et 2003-2004) sur le même territoire (le territoire initial), c’est-à-dire pour une population avec des caractéristiques semblables; 2) la presque égalité des antécédents psychiatriques (à peine 2 % d’écart) entre les sous-populations du territoire initial et des nouveaux territoires à la même période (2003-2004), censées être à bien des égards assez différentes. Tout se passe comme si les antécédents psychiatriques étaient devenus une dimension transversale, une sorte de socle ontologique, qui permet de qualifier des populations hétérogènes comme « mentales » et éventuellement comme « mentalement » problématiques.
Plusieurs phénomènes non mutuellement exclusifs pourraient expliquer cette situation d’augmentation dans le temps et de stabilisation dans l’espace (populations appartenant à des territoires inégalement touchés par la pauvreté et la marginalité) des antécédents psychiatriques. Une première hypothèse concerne un plus grand recours à la psychiatrie, mais surtout aux très nombreux dispositifs psychosociaux qui y sont rattachés, au cours des dernières années pour gérer des situations problématiques à statut difficile à définir. Ou bien, on pourrait penser à l’arrivée d’un nouveau profil d’individus adressés à l’UPS-J davantage marqués par une histoire de contacts, épisodiques ou répétés, avec la psychiatrique[28]. Ou encore, on pourrait penser à une transformation dans le temps de la population traditionnellement rejointe par l’UPS-J dont l’ampleur est suffisante pour produire un effet statistique.
D’un autre côté, il faut tenir compte du fait que les pratiques d’intervention (policiers, UPS-J, ambulanciers, CIC, etc.) ont évolué au fil du temps et que l’interprétation/réinterprétation des mandats d’intervention (déjudiciarisation en santé mentale, estimation, évaluation et intervention dans le champ de la dangerosité mentale, etc.) est davantage partagée et négociée entre les différents acteurs institutionnels, communautaires et civils. La formation des policiers, ainsi que celle d’autres intervenants concernant l’application de la loi P-38, a sans doute contribué à la diffusion d’une représentation des nombreuses situations problématiques comme faisant partie du registre du mental plutôt que de celui de la vulnérabilité sociale, du conflit social et de l’infraction criminelle. En outre, malgré la dissociation explicite entre maladie mentale et dangerosité opérée dans le texte de la loi, l’association entre état mental et danger, sur laquelle on revient systématiquement dans la formation des intervenants, aurait un certain impact sur le plan pratique et symbolique lorsqu’il s’agit de prendre des décisions sous l’impératif de l’urgence.
L’analyse des antécédents judiciaires s’avère complémentaire des hypothèses qui se dégagent de l’analyse des antécédents psychiatriques. Ainsi, sur le territoire initial, 46,5 % de personnes ont déjà été condamnées dans le cadre de poursuites judiciaires, alors que sur les nouveaux territoires, il s’agit seulement de 34,1 % des personnes[29]. Pour la 1re cohorte, cette proportion atteignait plus de la moitié (54,3 %), et cela, seulement quelques années auparavant. C’est presque l’inverse de ce qui se passe avec les antécédents psychiatriques : 1) il y a diminution significative (environ 8 %) dans le temps des antécédents judiciaires (1996-1999 par rapport à 2003-2004) pour le territoire initial et 2) écart marqué dans l’espace des antécédents judiciaires (12,5 %) entre les sous-populations du territoire initial et des nouveaux territoires à la même période (2003-2004).
Est-ce l’ajout du mandat P-38 en 2001 au mandat de déjudiciarisation en santé mentale qui fait affluer à l’UPS-J une population ayant un profil moins pénal ou, ce qui n’est pas mutuellement exclusif, est-ce qu’on s’appuie davantage sur le registre du mental dangereux, en danger et dérangeant pour définir les interventions concernant les situations problématiques auxquelles on fait face? L’accroissement de la proportion de femmes et d’individus âgés de 50 ans et plus, deux sous-groupes caractérisés par un plus faible taux d’antécédents judiciaires, pourrait également contribuer à expliquer en partie cette tendance. Il ne faudrait pas oublier non plus l’effet de filtrage que les policiers pourraient effectuer en dirigeant vers l’UPS-J moins d’individus déjà judiciarisés, accentuant ainsi ce profil davantage psychiatrisé. À la lumière de ces résultats, l’hypothèse d’une diminution du recours à la judiciarisation depuis quelques années comme mode de gestion des situations problématiques à statut difficile à définir et l’augmentation du recours à la psychologisation et à la psychiatrisation méritent d’être soulevées.
Quant aux antécédents de problèmes liés à la toxicomanie, non disponibles pour la période 1996-1999, ils apparaissent plus souvent dans les dossiers de personnes du territoire initial que dans ceux des personnes des nouveaux territoires (41,1 % vs 30,7 %). Pour l’ensemble de la population étudiée, les hommes ont plus souvent des antécédents de toxicomanie que les femmes (48,1 % vs 28,1 %). Lorsqu’on introduit le territoire d’application des mandats, on remarque que les hommes et les femmes du territoire initial ont un peu plus de ce type d’antécédents que ceux des nouveaux territoires (48,7 % vs 43,3 %; 29,8 % vs 22,2 % respectivement). Ces données vont dans le sens des caractéristiques que l’on attribue habituellement à la sous-population du territoire initial.
Ces premiers résultats semblent indiquer que la loi P-38 agit directement et indirectement sur le profil des populations concernées par les stratégies d’intervention, en modifiant certaines dimensions de l’identité de ce qu’on a appelé traditionnellement, faute de mieux, les populations psychiatrie-justice. Ce qui ne veut pas dire que les effets de la loi soient conformes aux visées qu’elle poursuit, ou encore que la loi soit explicitement invoquée pour guider certaines interventions. On l’a dit, les effets d’une loi telle que la P-38 sont multiples et complexes, tout comme le profil des catégories des personnes et des problèmes visés. Elle est une loi d’exception, par conséquent les intervenants doivent épuiser les autres options possibles avant de l’appliquer. Cela dit, les pratiques sont affectées, réorientées, parfois bousculées, par l’arrivée de la loi ne serait-ce que par l’effet de la formation reçue, par de nombreux patrouilleurs[30], ambulanciers, intervenants psychosociaux, intervenants communautaires, etc., pour l’appliquer. Cela se vérifie, notamment, en ce qui concerne le développement d’une expertise concernant l’estimation du danger grave et immédiat d’une part, et la familiarisation avec la notion d’état mental (et non plus de maladie mentale) qu’on doit nécessairement relier au danger pour que l’application de la loi soit justifiée, d’autre part. On l’a déjà dit, estimer (ou évaluer) la dangerosité en raison d’un état mental (ou psychosocial) est une tâche fort complexe, mais surtout fort controversée, encore davantage quand on travaille dans l’immédiat et l’absence d’informations pertinentes, ce qui caractérise les situations d’urgence pour lesquelles l’intervention de l’UPS-J est demandée.
Toutefois, on peut se demander si cette nouvelle loi contribue, davantage par sa présence sur la scène de l’intervention que par son application effective, à gérer des phénomènes complexes, plus proches du dérangement que du danger, phénomènes qui antérieurement relevaient d’autres formes de régulation et d’autres intervenants. Assiste-t-on à un codage psychosocial ou mental, en première instance, de problèmes hétérogènes en fonction de la référence au critère d’état mental inscrit dans la loi, mais qui, en dernière instance, aboutit dans le registre du psychiatrique par la dynamique des successifs types de garde? Comment ignorer que la psychiatrie contemporaine se trouve beaucoup plus présente qu’autrefois dans l’imaginaire des intervenants psychosociaux (psychologues, sexologues, travailleurs sociaux, criminologues, travailleurs communautaires, etc.) de par la diffusion inédite des manuels de psychiatrie (DSM-III, III-R et IV) qui ont multiplié les entrées pour troubles mentaux de manière spectaculaire[31]? S’agit-il d’un retour de balancier vers la psychiatrie par le truchement de l’expansion inédite de l’univers du mental et du psychosocial? Si l’on répond par l’affirmative, il s’agit d’une autre psychiatrie (Otero, 2005) et d’un autre contexte que nous avons appelé de post-déjudiciarisation. L’analyse des figures du psychosocial problématique tend à confirmer ces hypothèses.
3) Figures du psychosocial dangereux, dérangeant et en danger : incohérence, conflictualité et pauvreté[32]
Pour quelles raisons appelle-t-on UPS-J? Dès sa période de conception, entre 1994 et 1996, le projet du modèle d’intervention de l’UPS-J répondait au besoin d’interface entre différentes agences et différents systèmes (services de santé mentale, agences du système pénal, organismes communautaires, etc.) qui intervenaient auprès des mêmes populations tout en ignorant, très souvent, le jeu complexe de va-et-vient de l’un à l’autre (Laberge et al., 1997). Ainsi, dès l’ouverture du service en 1996, l’UPS-J répond aux demandes d’intervention d’urgence des policiers, des ressources communautaires (refuges, centres de jour, etc.) et des services de santé (hôpitaux, CLSC, cliniques, etc.) plutôt qu’à celles des particuliers[33]. Dans tous les territoires et tous mandats confondus, la police demeure le principal requérant à l’UPS-J. Les appels en provenance des différents postes de police de quartier (PDQ)[34] ou des centres opérationnels (CO)[35] représentent 44,5 % de l’ensemble. Les ressources communautaires, principalement celles du réseau de l’itinérance, occupent le deuxième rang avec 34,1 % des appels. Enfin, les ressources institutionnelles du réseau des services de santé constituent le troisième groupe en importance avec 16,1 % des demandes. Sur le territoire initial, les trois principaux requérants sont les ressources communautaires (39,8 % des demandes), la police (36,4 %), et les services de santé du réseau institutionnel (hôpitaux et CLSC principalement) (18,7 %). Quant aux nouveaux territoires, où s’exerce le seul mandat P-38, tous les appels ont été classifiés comme provenant de la police.
Si l’on observe la catégorie motif de la demande saisie par les intervenants de l’UPS-J dans la banque de données informatisées du service, six choix sont possibles : conseil-information, intervention, suivi-liaison, information transmise sur le client[36], mandat P-38 et la catégorie résiduelle autre. Dans l’un ou l’autre territoire, les deux principales catégories sont les demandes d’intervention et de conseil-information qui regroupent 85 % de tous les appels. La proportion de l’un ou de l’autre motif est à peu près la même dans les deux territoires (environ 54 % intervention et 32 % conseil-information). Il est toutefois frappant que la catégorie mandat P-38 représente seulement 1,1 % de l’ensemble des demandes. Or, après une année de déploiement sur les nouveaux territoires et deux années et demie sur le territoire initial, force est de constater que ce n’est pas par la formalisation en une nouvelle catégorie de motifs de la demande que la loi manifeste son influence sur les pratiques concrètes d’intervention.
Or, qu’en est-il des situations problématiques concrètes à l’origine d’une demande de service? Elles recouvrent une diversité de situations dont les différentes dimensions (urgence, immédiateté, mental, social, danger, gravité, contravention de la loi, crise, etc.) et leur hiérarchisation sont conditionnées par de multiples dynamiques d’ordre différent qui vont du type de service disponible pour gérer la situation au moment précis de l’interpellation jusqu’à l’identité socioprofessionnelle de l’intervenant qui évalue la situation, en passant par les caractéristiques du territoire où le problème survient. Pourrait-il en être autrement lorsqu’il s’agit d’un domaine d’intervention mal défini comme celui du psychosocial dangereux, en danger et dérangeant? À partir des descriptions d’événements apparaissant dans les fiches d’appel de l’UPS-J dans la période 2003-2004, nous avons classifié, autant que faire se peut et compte tenu de la grande diversité des situations, les événements à l’origine d’une demande de service en cinq catégories par ordre d’importance : incohérence[37], conflits[38]entre proches [39], autres situations, risque suicidaire, conflits entre étrangers. La catégorie résiduelle autres comprend un ensemble de situations très variées qui correspond davantage, mais pas seulement, à une intervention préventive alors qu’aucune infraction n’a été commise, dont en appréhendant la dégradation de la situation dans le temps ou un passage à l’acte à un moment donné.
Les situations les plus fréquentes sont les comportements incohérents, et ce, quel que soit le territoire de référence, à savoir : 38,0 % pour le territoire initial et 39,2 % pour les nouveaux territoires. L’importance des cas de comportements incohérents, par rapport à d’autres catégories de situations-problèmes, ainsi que leur proportion équivalente dans les deux territoires (38 % vs 39,2 %) confirme à la fois l’importance et la transversalité des antécédents psychiatriques dans les deux sous-populations hétérogènes analysées précédemment. D’un autre côté, il n’est pas difficile d’associer un comportement incohérent à l’univers de l’état mental (ou du psychosocial) perturbé, davantage inclusif et imprécis que celui de la maladie mentale. Ainsi, la dimension mentale de la situation problématique, éventuellement estimée comme dangereuse, en danger ou dérangeante, devient plus aisée à reconnaître et à définir, lorsqu’il s’agit de poser, et également de justifier, un geste d’intervention.
La deuxième catégorie en importance est celle des conflits entre proches : 23,3 % pour le territoire initial et 31,6 % pour les nouveaux territoires. Lorsque l’on sait que sur les nouveaux territoires la population interpellée par l’UPS-J apparaît moins isolée socialement et mieux domiciliée que celle du territoire initial, les possibilités de frictions avec des proches semblent alors plus élevées. Le fait que la catégorie conflits entre proches soit plus importante en terme de nombre d’interventions d’urgence psychosociale-justice que celle de risque suicidaire et de conflits entre étrangers attire tout particulièrement l’attention. Est-ce possible qu’un plus grand nombre de conflits familiaux, ou avec des connaissances, soit en train de relever de l’action de l’UPS-J dans le cadre de ses deux mandats? Par ailleurs, en dehors du mandat qui désigne l’UPS-J pour appliquer la loi P-38 à l’échelle de l’Île de Montréal, cette norme légale permet aux particuliers de se prévaloir d’une procédure spécifique, la requête[41], pour demander la garde provisoire en établissement d’un proche en vertu de sa dangerosité mentale présumée. Si les centres hospitaliers demeurent les requérants de la garde régulière en établissement, ce sont les familles qui occupent le premier rang des requêtes de garde provisoire. En effet, selon une recherche effectuée au Palais de Justice de Montréal par Action autonomie[42], il y a eu une augmentation de 37 % des requêtes de particuliers entre 1999 (218) et 2004 (300)[43]. Quel besoin cette loi d’exception est-elle en train de combler de manière de moins en moins exceptionnelle à l’aide du codage de la dangerosité mentale? Pourrait-elle devenir un instrument juridique, sinon dans son esprit du moins dans les faits, de gestion de certains conflits avec les proches dans la filière psychiatrique?
La troisième catégorie en importance est la catégorie résiduelle autres situations. En effet, 22,1 % des situations qui font l’objet d’une intervention sur le territoire initial et 12,3 % dans les nouveaux territoires peuvent être catégorisées comme autres. Si l’univers de l’urgence psychosociale-justice et de la dangerosité mentale est complexe, le sous-univers autre l’est encore davantage. Souvent, il s’agit de prévenir la dégradation d’une situation que le requérant appréhende comme potentiellement problématique ou mentalement dangereuse. Parfois, il s’agit de trouver la ressource adéquate, ou tout simplement la ressource disponible, pour des personnes qui se trouvent désemparées, sans ressources et sans domicile[44]. Bref, ces autres situations relèvent de la crainte d’un possible dérapage, du besoin d’aide ou de référence pour certains cas de grande vulnérabilité sociale, de détresse psychologique ou de pauvreté extrême, sans nécessairement qu’il y ait d’incohérence dans les comportements, de conflit explicite ou de risque suicidaire. L’importance relative de cette catégorie résiduelle (environ 20 % de l’ensemble des situations) fait écho à celle de conseil-information, qui comporte environ 32 % des motifs de la demande dans chacun des territoires. Ce fait pose la question de la complexité et de la variété des interventions de l’UPS-J et du sens donné, dans la pratique concrète, au mot urgence.
La quatrième situation problématique en importance, le risque suicidaire, apparaît peu fréquente : environ 13 % de l’ensemble des situations, et ce, peu importe le territoire. Dans les nouveaux territoires, ce faible pourcentage étonne encore davantage puisque cette catégorie devrait contenir les situations de danger grave et immédiat pour soi-même, telles qu’elles sont spécifiées par la loi. Ces résultats confirment la perception des intervenants de l’UPS-J concernant les pratiques policières sur les nouveaux territoires : lorsqu’il y a risque de suicide, il n’y aurait pas besoin d’estimation du danger grave et immédiat, car l’orientation immédiate à l’hôpital semble le seul choix judicieux. Les entrevues avec les intervenants de l’UPS-J nous apprennent que lorsque certaines personnes sont dirigées immédiatement vers l’hôpital à cause d’un risque suicidaire, elles peuvent être obligées de quitter l’établissement quelques heures plus tard et, dans certains cas, retourner à la rue. C’est dans ces cas particuliers que la fonction de conseil et de référence de l’UPS-J peut faire la différence en assurant un suivi davantage serré de la personne encore fragile ou sans domicile.
Enfin, les situations les plus susceptibles d’être judiciarisées, les conflits entre étrangers, apparaissent très peu fréquentes (3,7 %, territoire initial vs 3,5 %, nouveaux territoires) alors que le mandat initial de l’UPS-J a été conçu pour y répondre. Il est certain que la faible importance des conflits avec les étrangers va dans le sens du constat de la diminution des antécédents judiciaires des populations interpellées par l’UPS-J entre les deux périodes 1996-1999 et 2003-2004, car ces conflits sont deux fois plus fréquents chez les individus qui ont des antécédents judiciaires. Encore une fois, plusieurs hypothèses, sans doute complémentaires, peuvent être posées. L’UPS-J arrive à intervenir en amont avant que les situations dégénèrent et déclenchent leur judiciarisation? Ou encore, la police filtre les situations les plus sérieuses en confiant la responsabilité de la décision aux intervenants judiciaires y compris à l’UPS-J volet cour [45]?
Conclusion
Si les dangereux mentaux semblent manquer au rendez-vous en termes de nombres et de profils caractérisés, les stratégies d’interpellation sur la conflictualité et la vulnérabilité psychosociales, qu’elles soient urgentes ou non, semblent s’être transformées au cours de la période analysée. Il est possible de faire l’hypothèse que la scène actuelle de l’intervention dans le domaine du psychosocial dangereux, en danger et dérangeant est marquée par les effets des politiques de déjudiciarisation mises en place au cours des dix dernières années. Après les effets successifs, complexes et contradictoires de nombreuses transformations institutionnelles évoquées précédemment (désinstitutionalisation, sectorisation, rotation, communautarisation, virage ambulatoire, etc.), on pourrait parler de contexte d’après-déjudiciarisation ou de post-déjudiciarisation pour désigner la situation actuelle. Dans ce contexte, le travail de gestion du risque psychosocial prend une place de plus en plus importante.
Cette nouvelle scène d’intervention se caractérise par la reconnaissance de l’existence d’une certaine conflictualité et vulnérabilité psychosociales difficilement codifiables dans les registres de la criminalité et de la maladie mentale. De ce fait, la police et la médecine, pour simplifier, sont invitées (et parfois obligées par la loi) à collaborer avec d’autres intervenants du psychosocial dangereux, en danger et dérangeant, dont les ISASC mentionnés par la loi ne sont qu’un exemple, voire une référence symbolique forte. Car, les zones grises, les chevauchements et les redoublements entre conflit social, pauvreté extrême, criminalité et maladie mentale sont à la fois élargis et recodés en termes de vulnérabilité psychosociale, de crise psychosociale, de détresse psychosociale, de conflictualité psychosociale et de dangerosité mentale. Si dans de très nombreux cas de situations problématiques il ne s’agit pas de criminalité ou de maladie, il ne s’agira pas non plus, lorsqu’il est question d’intervenir, de répression ou de thérapeutique, mais de gestion des aspects les plus dérangeants et dangereux de la conflictualité et de la vulnérabilité psychosociales.
L’analyse du profil de la population touchée par l’UPS-J semble compléter notre hypothèse au sujet du contexte de post-déjudiciarisation. Si, dans l’ensemble de la population, on trouve plus de femmes et de personnes âgées qu’il y a quelques années, et au moins autant de conditions de vulnérabilité sociale (précarité résidentielle, isolement social, etc.), le changement le plus significatif a trait à l’augmentation des antécédents psychiatriques et à la diminution simultanée des antécédents judiciaires. S’agit-il vraiment d’un retour du balancier vers la psychiatrisation? La réponse n’est pas simple, d’autant plus que la psychiatrie n’est plus ce qu’elle était, car elle évolue dans l’univers sans limites de la santé mentale qui l’alimente formellement (par exemple, par les nombreuses entrées psychosociales, et carrément sociales, du DSM-IV) et informellement (par exemple, par le codage tous azimuts dans le registre du mental de multiples problèmes d’adaptation sociale ou des effets divers et complexes de la pauvreté extrême).
Les contacts avec la psychiatrie semblent en effet plus nombreux qu’auparavant, car il paraît y avoir plus d’hospitalisations ponctuelles et de courte durée, bien que sans suivi ni continuité. Que signifie aujourd’hui un contact avec la psychiatrie? On peut avancer qu’un contact ne constitue pas une trajectoire psychiatrique, ni ne fait de la personne concernée une personne psychiatrisée. Les populations interpellées, on l’a vu, semblent moins dangereuses, au sens de la loi, que mentales (au sens du codage large dans le registre du mental de situations d’inadaptation sociale très variées) et vulnérables (au sens de manque extrême de ressources matérielles et sociales). Quelle proportion y aurait-il de cas psychiatriques avérés parmi les personnes avec antécédents psychiatriques? Se pourrait-il que la psychiatrie constitue aujourd’hui la référence symbolique centrale, plutôt que l’acteur central, d’un dispositif de régulation de la conflictualité et de la vulnérabilité psychosociales dont les véritables protagonistes sont les intervenants psychosociaux qui l’alimentent? Autrement dit, qu’est-ce que psychiatriser veut dire aujourd’hui? Le terme convient-il encore?
L’importance relative des différentes situations qui sont à l’origine des demandes de service de l’UPS-J amène à se demander si le profil du psychosocial dangereux, en danger et dérangeant n’est pas en train de se délester de ses figures les plus typées tant sur le plan du recours au médical (le risque suicidaire[46]) que sur celui du recours au pénal (les conflits entre étrangers), nettement sous-représentées. En revanche, la surreprésentation des situations ambiguës concernant les comportements incohérents, les conflits entre proches et les situations autres semble indiquer que le psychosocial dont il est question dans les interventions paraît, d’une part, moins dangereux que dérangeant et, d’autre part, moins urgent que chronique.
Parties annexes
Notes
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[1]
Les termes désinstitutionnalisation, sectorisation, communautarisation, virage ambulatoire, déjudiciarisation, témoignent des multiples avatars de ces réorganisations.
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[2]
Pauvres, désaffiliées, vulnérables, itinérantes, malades, aux prises avec des problèmes de santé mentale, toxicomanes, jeunes de la rue, chômeurs, clients des systèmes correctionnels, ex-détenus, etc.
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[3]
Ce terme pose beaucoup de problèmes, notamment en raison du flou qui l’entoure, dont celui de laisser entendre que toutes les situations en question ont d’abord fait l’objet d’une définition pénale. Or, les situations sur le terrain ainsi que les pratiques d’intervention sont beaucoup plus complexes. Toutefois, nous le conservons étant donné son usage courant dans le milieu de l’intervention d’urgence et dans la terminologie des agences gouvernementales.
-
[4]
Dans son mandat initial de déjudiciarisation, l’UPS-J visait : 1) l’évitement de la judiciarisation de ces personnes ou encore leur incarcération; 2) l’arrimage avec des ressources appropriées. En vertu de ce mandat, l’UPS-J dessert depuis lors le territoire de sept centres locaux de services communautaires, désormais CLSC, (Clinique communautaire Pointe-Saint-Charles; Des Faubourgs; Du Plateau Mont-Royal; Hochelaga-Maisonneuve; Métro; Saint-Louis-du-Parc; Saint-Henri), et de huit postes de police de quartier (les postes 18, 19, 20, 21, 22, 23, 37 et 38).
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[5]
Depuis la réforme de la santé (Loi 25) de 2004, l’Agence de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux.
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[6]
D’autres services ont également été désignés pour réaliser ces estimations, mais uniquement pour leurs « clientèles connues et en présence » (Centre Dollard-Cormier, Centres de crise, Clinique externe de l’Institut Philippe-Pinel de Montréal, Centre de psychiatrie légale de Montréal).
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[7]
La loi P-38 permet de suspendre les droits fondamentaux d’une personne en raison de sa dangerosité mentale sans faire appel à un tribunal. Elle en est une d’exception puisqu’elle contrevient aux chartes des droits et libertés et doit être appliquée lorsque toutes les autres options ont été épuisées.
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[8]
Il existe aujourd’hui trois types de garde : la garde préventive, d’une durée d’au plus 72 heures, peut s’appliquer sans qu’un examen psychiatrique n’ait été réalisé et sans le consentement de la personne. La garde provisoire, émise par un tribunal, autorise un établissement à ordonner ou à maintenir la garde sans le consentement de la personne pour qu’elle y subisse une évaluation psychiatrique (l’avis de deux médecins est obligatoire) pour déterminer si elle représente un danger pour elle-même ou pour autrui. Cette dernière ne peut durer plus de 48 heures, ou bien 96 heures à compter de la prise en charge s’il n’y a pas eu de garde préventive. Dans le cas où les médecins sont d’avis que la personne représente un danger pour elle-même ou autrui, la garde peut être prolongée de 48 heures afin qu’une requête pour garde régulière soit présentée. La garde régulière, fixée par un tribunal, autorise le maintien des mesures de garde contre le consentement de la personne si elle présente un danger pour elle-même ou pour les autres en raison de son état mental.
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[9]
Les droits évoqués dans le texte de la loi ne sont que partiellement respectés par les différentes instances d’intervention. Nous traitons cet aspect de l’application de la loi dans Action autonomie (Dorvil et Otero, 2007).
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[10]
La question de savoir s’il s’agit d’estimer ou d’évaluer, terme plus proche de celui de diagnostic, a fait l’objet d’un débat (Otero et autres, 2005 : 75). Quant au texte de la loi, c’est le terme estimer qui a été retenu.
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[11]
Depuis l’adoption de la loi, la Régie régionale de Montréal-Centre a joué un rôle central dans la clarification, et parfois la redéfinition, de ces critères. Au début, les centres de crise (CIC) se présentaient comme les acteurs tous désignés pour devenir les ISASC au sens de la loi, tel que spécifié, par ailleurs, dans les plans régionaux d’organisation des services (PROS). Toutefois, le manque de financement de la part du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) pour mettre en place les services de crise en santé mentale a modifié brusquement ce scénario. La décision finale de désigner l’UPS-J comme ISASC au sens de la loi s’appuiera officiellement sur son statut d’institution publique directement imputable11, mais également sur son expérience de travail en collaboration avec la police dans le cadre du mandat de déjudiciarisation en vigueur depuis 1996. Pour plus de détails, voir Otero et autres, (2005).
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[12]
Azancot et associés, Avocats et procureurs, Loi sur la protection des personnes... (Projet de loi n° 39, Loi du Québec, chapitre 75), correspondance à la Corporation d’Urgences-santé, 29 avril 1998.
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[13]
Association des CLSC et des CHSLD du Québec, Conseiller juridique, Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui (Projet de loi 39), lettre aux directrices et directeurs généraux, 2 avril 1998.
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[14]
Association des hôpitaux, La garde en établissement. Guide d’application de la Loi P-38. Document de référence no 6, juin 1998.
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[15]
Nous analysons ailleurs les demandes adressées directement à la Cour du Québec par les familles et les proches des personnes dont on présume la dangerosité mentale, par l’entremise d’une Requête d’évaluation psychiatrique (Otero, Morin, Labrecque-Lebeau, 2007).
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[16]
Ce territoire est délimité par huit postes de police de quartier (PDQ) — 18; 19; 20; 21; 22; 23; 37; 38, et par sept CLSC — Saint-Louis-du-Parc, Plateau Mont-Royal, Hochelaga-Maisonneuve, Métro, Saint-Henri, Verdun/Côte Saint-Paul, des Faubourgs et la Clinique communautaire de Pointe Saint-Charles. Alors que les CLSC font maintenant partie de Centres de services de santé et de services sociaux (CSSS), ce sont ces entités qui existaient au moment de notre recherche et c’est pourquoi nous les désignerons comme tels.
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[17]
La 1re cohorte de l’UPS-J correspond à la population qui a fait l’objet d’une demande d’intervention à l’UPS-J de l’ouverture du service le 15 octobre 1996 jusqu’au 30 avril 1998, et pour laquelle nous avons recueilli toutes les nouvelles demandes acheminées à l’UPS-J jusqu’au 30 juin 1999. Au cours de cette période, l’UPS-J exerçait un seul mandat, son premier, qu’on désigne couramment comme celui de la déjudiciarisation en santé mentale. Aux fins de la présente comparaison, cette cohorte exclut les individus adressés au service exclusivement par les tribunaux.
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[18]
Pour la période 2003-2004, les demandes en provenance du territoire initial où s’exerce le double mandat concernent 783 individus, celles en provenance des nouveaux territoires où s’exerce le mandat rattaché à la Loi P-38.001 concernent 150 individus, enfin, pour la période 1996-1999, celles du territoire initial où s’exerçait le mandat premier de déjudiciarisation en touchent 751. Les différences entre le nombre absolu d’individus des trois sous-populations d’étude commandent une plus grande prudence dans la comparaison des résultats puisque les variations ne se comportent pas statistiquement de la même manière selon la taille de l’échantillon. Dans le cas qui nous occupe, la petite taille de la population des nouveaux territoires (mandat P-38) pourrait amener à surestimer l’effet de certaines variables.
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[19]
Lorsque nous parlons de populations interpellées, nous nous référons à la population qui a fait l’objet d’une demande de service à l’UPS-J; ce qui ne veut pas dire qu’il y a eu déplacement. En effet, l’action de UPS-J est complexe et variée comme on le montrera dans la section suivante.
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[20]
De l’examen du champ ouvert du diagnostic psychiatrique pour le groupe des 50 ans et plus en 2003-2004 dans le territoire initial et dans les nouveaux territoires, on constate un seul diagnostic d’Alzheimer. Toutefois, il faut noter que ce champ est vide dans la majorité des dossiers. En effet, sur le territoire initial, parmi les 204 individus de 50 ans et plus, 116 n’ont aucune trace de diagnostic dans leur dossier; sur les nouveaux territoires, ce sont 36 des 53 individus de ce groupe d’âge qui sont dans la même situation.
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[21]
D’après les données du recensement pour l’année 2001 de Statistiques Canada, les immigrants récents ne se répartissent pas uniformément sur le territoire de l’Île de Montréal. Ils s’établissent principalement au centre de l’Île. Ainsi, sur les 27 arrondissements de l’Île, les 14 premiers en importance pour sa proportion de population immigrante se situent en dehors du territoire initial double mandat (Ville de Montréal, Les arrondissements de Montréal, Répertoire socio-démographique et classement par variables, février 2004). Selon les observations d’un intervenant de la Cour du Québec, chambre civile, de plus en plus de gens des communautés ethnoculturelles auraient recours à la loi P-38 par l’entremise de la requête pour évaluation psychiatrique au tribunal pour un membre de leur famille (Otero et al., 2005).
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[22]
Selon cette étude citée par le Forum régional sur le développement social de l’Île de Montréal, Rapport sur la pauvreté à Montréal (2004), la population immigrante s’est appauvrie à Montréal dans une proportion de près de 12 % en vingt ans passant de 29,3 % en situation de pauvreté en 1980 à 41,2 % en 2000 (p. 13).
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[23]
D’abord, le fait d’être sans adresse touche les personnes dans près d’un tiers des appels adressés à l’UPS-J (32,1 %), ce qui signifie qu’au moment de l’intervention, aucun abri n’est assuré. Ensuite, près de 10 % des appels concernent des chambreurs, une condition caractérisée, entre autres, par une faible protection quant au droit d’occupation des lieux. Enfin, 5,6 % des appels sont relatifs à des individus vivant dans les refuges pour personnes itinérantes, alors que 2,8 % le sont pour ceux qui vivent dans des ressources intermédiaires, soit deux modes d’hébergement à occupation temporaire. Enfin, on remarque le nombre relativement élevé de données manquantes, ce qui pourrait traduire, pour une part du moins, un nombre plus élevé d’individus sans adresse et renforce la dimension de précarité présente dans ce type d’intervention.
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[24]
Vers où diriger la personne qui vient d’éprouver une crise, ou encore de subir une interpellation, et qu’on peut supposer encore fragile, voire présentant un certain danger si elle n’a pas de domicile ou demeure toute seule?
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[25]
Par exemple, pour avoir accès à certaines ressources d’hébergement, on exige de la personne qu’elle soit suivie par un psychiatre. Or, les services de santé mentale étant encore sectorisés, il est souvent difficile d’établir un tel suivi pour une personne itinérante, avec des problèmes de toxicomanie, plutôt réfractaire aux soins et qui, de surcroît, séjourne en prison pour de courtes périodes. Dans ces circonstances, le fait de ne pas avoir d’adresse rend extrêmement ardues les démarches pour établir ce suivi. Une fois dans la rue, cette condition n’étant pas remplie, l’accès à une ressource d’hébergement peut devenir d’autant plus aléatoire. Des difficultés similaires peuvent survenir aux urgences des hôpitaux, malgré le dispositif de rotation entre les centres hospitaliers pour accueillir les personnes itinérantes.
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[26]
Ce tableau est réalisé à partir du fichier « intervention » de la base de données de l’UPS-J où l’unité d’analyse est un appel. Il tient compte de la situation de la personne au moment de l’appel. Comme une même personne peut faire l’objet de plus d’un appel, il était plus pertinent d’utiliser cette base d’analyse.
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[27]
La différence dans la proportion d’individus avec des antécédents psychiatriques entre les deux périodes sur le territoire initial s’observe tant chez les hommes que chez les femmes.
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[28]
Pour certains intervenants interviewés, la période récente serait caractérisée par davantage d’hospitalisation psychiatrique, mais de courte durée, sans continuité ou suivi, ce qui les amène à se questionner sur l’idée même de psychiatrisation.
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[29]
Le nombre de données manquantes est le même entre les territoires : 13 %, territoire initial et 14 %, nouveaux territoires.
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[30]
18 % de tous les policiers du SPVM ont reçu une formation en intervention en santé mentale incluant un volet sur l’application de la loi P-38. L’objectif a ainsi été atteint de former deux policiers par quart de travail dans chaque PDQ.
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[31]
DSM est le sigle du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders que publie l’American Psychiatric Association. Le DSM I (1952) inventoriait 106 catégories nosographiques, le DSM II (1968) 182 catégories, le DSM III (1980) 265 variétés de troubles mentaux, le DSM III-R (1987) 292 et, enfin, le DSM IV (1994) comporte plus de 350 entrées. Il faut souligner que la présence de l’axe IV, à partir du DSM III, appelé Problèmes psychosociaux et environnementaux, de l’axe V nommé Évaluation globale du fonctionnement et du chapitre concernant les Troubles de l’adaptation, montre l’impossibilité de dissocier clairement le normatif et le mental.
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[32]
Cette analyse porte sur l’ensemble des recours à l’UPS-J au cours de la période de l’étude (2003-2004), soit 1 263 appels ou demandes de service. En tenant compte du découpage territorial qui distingue les mandats de l’UPS-J, on dénombre 1 068 appels en provenance du territoire initial où s’exerce le double mandat de l’UPS-J, 171 appels en provenance des nouveaux territoires où s’exerce le mandat relatif à l’application de la loi P-38 et 1 196 appels du territoire initial de la 1re cohorte de l’UPS-J où s’exerce le premier mandat relatif à la déjudiciarisation en santé mentale. Ainsi, chaque appel codifié devient pour l’UPS-J un événement et c’est cet événement qui constitue l’unité d’analyse de cette section.
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[33]
Malgré cette option, l’UPS-J reçoit, à l’occasion, des appels en provenance de citoyens (parents, concierges d’immeuble ou propriétaires, personnes elles-mêmes). Ces demandes représentent 2,8 % de tous les appels pendant la période 2003-2004.
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[34]
Au cours de la période de l’étude, le SPVM compte 49 PDQ répartis sur le territoire de l’Île de Montréal. Les territoires de PDQ sont ceux qui étaient en vigueur avant la réforme de janvier 2004.
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[35]
Depuis l’avènement de la police de quartier en 1997, le SPVM compte quatre centres opérationnels (CO) qui servent, entre autres, de lieux de mise sous garde à la suite d’une arrestation.
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[36]
La catégorie information transmise sur le client se rapporte le plus souvent aux cas où des intervenants d’une ressource communautaire s’inquiètent pour un client dont on craint que l’état se détériore et que les probabilités à court terme d’intervention sont élevées. Pour l’UPS-J, il s’agit en quelque sorte d’un signalement, d’une forme de vigile.
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[37]
La situation d’incohérence comprend tous les comportements jugés bizarres, les problèmes psychiatriques manifestes ou la désorganisation lorsque rien d’autre (agression, menace, méfait, etc.) n’était spécifié. Par exemple, perdu, parle seul, se croit menacé par des extra-terrestres, etc.
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[38]
Le terme conflit désigne des comportements d’agression envers des proches ou des étrangers tels que menaces, voies de fait, vol, fraude, incendie, méfait public, etc.
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[39]
Un proche a été défini comme faisant partie de l’entourage de la personne : membre de la famille, propriétaire du lieu de résidence de la personne, voisin, résidants ou personnel d’une ressource que fréquente la personne. Un étranger a été défini comme tous les autres qui n’entrent pas dans le groupe des proches (serveur de restaurant, policier, passant, etc.).
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[40]
Les données de la 1re cohorte ne sont pas disponibles.
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[41]
La requête est une procédure légale qui permet à des particuliers, le plus souvent des membres de la famille ou des amis, de demander l’émission d’une ordonnance de cour afin de soumettre un proche à une évaluation psychiatrique parce qu’on estime qu’il représente un danger pour lui-même ou pour autrui (Code civil du Québec, art. 27 et 28). Si elle est acceptée, la requête donnera lieu à une ordonnance de garde provisoire dont la durée est limitée.
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[42]
Action Autonomie (Collectif pour la défense des droits en santé mentale de Montréal). Des libertés bien fragiles. Étude sur l’application de la Loi P-38.001 sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes et pour autrui, District de Montréal 2004, mai 2005.
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[43]
Les données que nous avons obtenues de la Cour du Québec, Chambre civile pour les années 1997 à 2003, sont : total de requêtes pour examen psychiatrie, de garde pour cure fermée et de renouvellement de garde pour l’année 1997 : 1722; 1998 : 1775; 1999 : 1709; 2000 : 1848; 2001 : 2057; 2002 : 2136; 2003 : 2212. Alors que plusieurs inconnus demeurent, on peut observer un accroissement en nombre absolu de requêtes depuis 1997 à Montréal. La tendance semble être la même pour l’ensemble de la province : 1997 : 3896; 1998 : 3914; 1999 : 4056; 2000 : 4504; 2001 : 4785; 2002 : 5006; 2003 : 5086.
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[44]
Les cas d’espèce sont très variés : la crainte d’une réaction violente de la part d’un individu expulsé d’un logement ou d’une ressource; le congé de l’hôpital d’un individu qui n’a nulle part où aller; les refus multiples par différentes ressources des individus jugés trop problématiques ou non admissibles; certains cas de toxicomanie et d’intoxication; certains cas d’individus déprimés; certains cas de manque de médicaments, etc.
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[45]
Dans son mandat de déjudiciarisation, l’UPS-J offre un service à la Cour (c’est-à-dire la Cour municipale de Montréal et Cour du Québec, chambre pénale) qui a pour but « d’évaluer la situation psychosociale et la dangerosité, suggérer des orientations cliniques et légales, arrimer et adresser aux ressources du milieu, favoriser la réduction des détentions préventives et les éviter, lorsque cela est pertinent, pour les personnes nécessitant des soins » (CLSC des Faubourgs, UPS-J. La collaboration est essentielle, Dépliant, sd.).
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[46]
Les données qualitatives ont aussi permis de voir que dans ces cas, le recours à l’UPS-J n’était pas lié à l’estimation du danger grave et immédiat. En général, la police et l’Urgences-santé sont déjà sur les lieux, ont déjà pris la décision d’un transport vers un centre hospitalier et recourrent à l’UPS-J davantage pour des fonctions de liaison et d’arrimage de la personne avec les différents services et ressources du milieu
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