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Le Costa Rica est un pays d’Amérique latine caractérisé par des ressources et des paysages naturels variés, ainsi qu’une grande richesse culturelle autochtone. Selon une tendance récente, d’un côté les touristes nationaux et internationaux recherchent la diversité dans les ressources et les activités du pays visité et, d’un autre côté, les populations d’accueil, à travers leurs coutumes, leurs habitudes et leurs traditions, sont touchées de différentes façons et à différents degrés par le développement du tourisme.

L’histoire du Costa Rica, où à l’instar d’autres pays latino-américains les Amérindiens ont laissé un héritage historique d’une grande valeur reconnue au titre de patrimoine mondial[1], a conduit le pays à conserver ses ressources et ses attractions matérielles et culturelles. Il apparaît donc nécessaire d’étudier, entre autres, les changements dans la culture des populations autochtones, provoqués par des activités économiques et socioculturelles telles que le tourisme. Dans ce contexte, nous avons cherché à comprendre quels sont les changements matériels et immatériels dans la production artisanale induits par la commercialisation touristique au Costa Rica.

Dans une perspective anthropologique, notre article analyse l’impact de la présence des touristes sur la culture matérielle et immatérielle d’un groupe autochtone, les Borucas, au Costa Rica. Dans le cas étudié, l’impact du tourisme est analysé à partir des transformations d’une production artisanale en particulier, le masque Boruca. Notons que celui-ci symbolise l’identité culturelle de la communauté et qu’il est aussi une activité productive importante pour les populations locales.

Au cours des 20 dernières années, le gouvernement du Costa Rica, tout comme celui d’autres pays d’Amérique latine, a fait beaucoup d’efforts pour promouvoir le tourisme, mettant en avant des sites naturels d’une beauté exceptionnelle, mais également et de façon concomitante, des ressources et des attractions culturelles, avec une attention particulière pour celles situées dans les communautés autochtones.

La présence de touristes et d’agents exogènes dans les communautés autochtones représente toujours un élément étranger dans la vie quotidienne de la population. Cette présence peut influer sur leur culture, en particulier sur les coutumes et les traditions. L’activité touristique modifie non seulement les formes matérielles de la culture, mais aussi leur dimension immatérielle, c’est-à-dire la signification qui leur est attribuée. Sur cette base, il est important de déterminer comment les articles d’artisanat autochtone qui sont fabriqués dans les communautés du sud du Costa Rica – région habitée par les peuples autochtones Borucas – ont été modifiés par la présence continue de touristes qui arrivent dans les communautés dans le but d’aller à la rencontre des cultures locales.

Les masques Borucas sont l’un des éléments les plus importants de l’identité culturelle de ces groupes. Ces masques, liés à la conquête, ont accompagné ces populations depuis longtemps et ils représentent même dans de nombreux foyers un symbole de leur raison d’être. Le masque Boruca est utilisé historiquement dans la Danza de los diablitos (Danse des petits diables), pratiquée une fois par an dans les communautés Rey Curré et Borucas, et il a donc une importante signification culturelle pour ces communautés autochtones. Cette danse symbolise et recrée la confrontation des diables (qui représentent les indigènes) avec le taureau (représentant l’invasion espagnole).

Les diablitos portent des masques sculptés en balsa ou en cèdre, qui sont porteurs d’une histoire. Ils sont fabriqués par des artisans et des familles qui se consacrent à cette production. Les masques sont « joués » (portés) dans la Danza de los diablitos pour représenter la résistance indigène contre les Espagnols. Cet événement mobilise également l’artisanat, la musique et les aliments traditionnels de ces communautés. Compte tenu de la présence de plus en plus importante de touristes nationaux et internationaux à cet événement culturel et de la commercialisation dont ils sont devenus l’objet, les masques ont évolué avec les années. Pour qu’ils soient plus attrayants pour le marché touristique, les masques ont ainsi été transformés dans leur dimension matérielle et dans leur signification.

Conséquemment, et dans le cadre de l’étude des impacts socioculturels du tourisme, l’analyse des changements matériels et symboliques des masques Borucas par le tourisme est à la fois une perspective intéressante de recherche et une nécessité en matière d’intervention dans le domaine de la gestion touristique.

Cadre théorique

Le tourisme a été largement décrit comme un agent de transformation pour les sociétés d’accueil (voir par exemple Mason, 2003 ; Ryan, 2003 ; Wall et Mathieson, 2006 ; Hall et Lew, 2009). En tant qu’activité dont les dimensions sont économiques, sociales, culturelles et environnementales, le tourisme a des répercussions significatives sur les sociétés locales. C’est pourquoi il peut être perçu et vécu par la société d’accueil comme un avantage ou une contrainte, parfois les deux, pour l’une ou plusieurs de ces dimensions.

L’impact du tourisme sur la dimension socioculturelle est l’un des thèmes les plus largement abordés dans les études en tourisme (Sharpley, 2014). Bien qu’il n’y ait pas de définition consensuelle à ce sujet, les impacts sociaux et culturels du tourisme sont :

the ways in which tourism is contributing to changes in value systems, individual behavior, family relationships, collective lifestyles, moral conduct, creative expressions, traditional ceremonies and community organization. (Pizam et Milman, 1984 : 11)

Dans sa dimension sociale, le tourisme peut contribuer à l’amélioration des infrastructures et des services communautaires et au développement des loisirs publics. Cependant, dans les espaces urbains notamment, le tourisme peut jouer un rôle important dans l’augmentation de la circulation automobile, en particulier en période de pointe, et accroître les niveaux de criminalité et de consommation d’alcool et de drogues (Monterrubio, 2013). Ces changements sont vécus différemment selon la destination et les conditions socioéconomiques et culturelles des communautés. La marchandisation de la culture locale découlant du tourisme peut porter atteinte à son authenticité et entraîner des modifications des traditions (Reisinger, 2009).

Parce que les touristes sont en grande partie motivés par la recherche de l’authenticité trouvée dans les différences culturelles (MacCannell, 1976), les destinations modifient parfois la culture de diverses façons afin de servir leurs intérêts et leurs attentes. Comme le note Cohen:

Local culture generally serves as the principal example of [culture] commoditization. In particular, “colorful” local costumes and customs, rituals and feasts, and folk and ethnic arts become touristic services or commodities, as they come to be performed or produced for touristic consumption. (1988 : 372)

Les travaux de MacCannell (1976) suggèrent que les manifestations culturelles construites pour les touristes ne peuvent être que des adaptations, et donc ne représentent pas toujours la culture d’origine ; les populations locales peuvent exécuter certaines activités culturelles pour les touristes, avec ou sans leur sens culturel original. La signification pour les touristes diffère donc du sens traditionnel donné par les groupes locaux. Les populations locales protègent ainsi leurs intérêts culturels et en même temps réalisent des activités productives en rapport avec leur culture. Ryan (1996) est d’avis que les interactions et les transactions qui émergent de la commercialisation de la culture (culture commodification) favorisent la construction d’une culture différente de la culture originale. Medina (2003), pour sa part, dit que la commercialisation de la culture permet aussi à des groupes sociaux d’utiliser de nouveaux canaux pour accéder à leurs propres traditions. L’utilisation de la culture pour le tourisme peut générer des avantages, mais aussi des risques de conflit culturel entre les participants des groupes sociaux (Robinson, 1999 ; Yang et Wall, 2009). La culture dans le tourisme est donc dynamique, manipulable et transformable, et c’est pour cela qu’elle peut acquérir des significations différentes en fonction des groupes sociaux concernés.

L’utilisation de la culture, en particulier celle autochtone, dans le marketing du tourisme a été un objet constant d’études, bien que concentrées dans certaines régions dont l’Amérique latine est exclue. L’étude de Dyer, Aberdeen et Schuler (2003) dans le parc culturel aborigène de Tjapukai à Cairns (Queensland, Australie) offre un exemple de la marchandisation de la culture autochtone et de ses effets. Ces auteurs rapportent que les membres de la communauté autochtone Djabugay prennent part à la représentation de leur patrimoine culturel pour les touristes nationaux et internationaux. Les danses, la fabrication de boomerangs et de lances et des peintures corporelles sont notamment utilisées dans le cadre de ces performances. Ces représentations touristiques ont exigé un changement dans la manière et le moment de l’exécution, ainsi que la modification de leurs traditions. Par exemple, les danses ont été ajustées aux attentes des touristes en termes d’authenticité culturelle. Les modifications correspondent donc à des intérêts des touristes.

La dynamique présentée dans le Parc de la culture des peuples autochtones de Taïwan (Indigenous People’s Cultural Park) fournit un autre exemple. Dans ce parc, des expressions de danses qui sont spatialement et temporellement décontextualisées de leurs origines sont offertes. La culture indigène est modifiée pour correspondre aux itinéraires des touristes, et les danses et les rituels qui ont originellement une durée de plusieurs heures sont exécutés en dix minutes (Ryan et al., 2007).

De même, dans le cas de la Nouvelle-Zélande, la culture maorie a été commercialisée de diverses manières selon quatre catégories : 1) le divertissement, y compris des concerts dans les hôtels, les restaurants et les musées ; 2) l’ensemble des produits artisanaux qui sont fabriqués et vendus dans les magasins de souvenirs ; 3) l’histoire et l’affichage d’objets, généralement des éléments historiques, qui sont dans les musées et les galeries d’art ; 4) les visites guidées (Barnett, 1997). Bien que ces représentations soient utiles pour générer des profits, l’accent mis sur l’aspect commercial peut amener à modifier les significations culturelles pour les Maoris eux-mêmes.

Dans certaines communautés autochtones en Chine, des éléments culturels ont également été commercialisés et les effets négatifs en découlant ont été reconnus par les communautés elles-mêmes. Dans le cas de plusieurs groupes autochtones dans la province du Yunnan par exemple, la cuisine, l’artisanat, les danses, les chants et les formes de logements ont été adaptés pour la consommation touristique ; cela représente pour de nombreux jeunes une possibilité d’emploi, mais ceux-ci ne sont pas très au fait des implications de la commercialisation de leur culture. Pour d’autres, c’est cependant un sujet de préoccupation, en particulier pour les personnes âgées qui estiment que la commercialisation de leur culture peut entraîner la perte d’authenticité et de leurs valeurs culturelles (Yang et Wall, 2009).

Par la commercialisation, le tourisme autochtone a un impact direct sur l’authenticité de la culture locale. L’authenticité est un concept largement cité, mais rarement analysé dans le contexte du tourisme. Il est couramment abordé comme un concept essentiellement subjectif, qui est plutôt le résultat d’une négociation, et non comme une caractéristique absolue et intrinsèque d’un élément. Il peut renvoyer à la perception subjective par un individu de ce qui est authentique, original ou réel, ou il peut être le résultat d’une construction issue de la négociation de significations, d’interprétations et d’accords entre différents individus ou groupes d’individus (Zhu, 2012). Les cultures autochtones, par conséquent, sont authentiques ou inauthentiques selon les significations attribuées par chaque individu ou par la collectivité, c’est-à-dire par les groupes autochtones eux-mêmes, par les touristes ou par tout autre individu.

Bien qu’il n’y ait pas de consensus sur ce qu’est exactement l’authenticité, la marchandisation de la culture tend à avoir un impact sur les significations culturelles autochtones. Dans le tourisme autochtone, il y a une érosion progressive des pratiques culturelles et des activités des groupes autochtones puisqu’elles sont transformées en manifestations, en souvenirs et en expériences de consommation pour les visiteurs. À travers ce processus, les significations culturelles évoluent pour répondre aux contraintes des touristes et pour satisfaire la recherche d’exotisme par les visiteurs. Cependant, la marchandisation de la culture à travers des spectacles pour les touristes est parfois un simple mécanisme pour protéger l’authenticité culturelle.

Dans d’autres pays, mais dans le même sens, des groupes autochtones établissent ouvertement des mécanismes pour protéger leurs expressions culturelles et ainsi leur authenticité. En Guyane, par exemple, les Marrons réalisent des rituels qui ne sont pas toujours accessibles aux touristes ; certains d’entre eux sont réservés à ceux qui les pratiquent et d’autres espaces (les lieux funéraires notamment) ne sont pas ouverts aux visiteurs (Sinclair, 2003). La mise en marché des représentations culturelles des communautés, y compris de l’artisanat, peut donc être un mécanisme de protection de la culture d’un peuple et devient un élément important de développement communautaire.

Dans ce contexte, l’intérêt de cette recherche se trouve dans les impacts du tourisme sur la culture et sur l’artisanat. Les produits artisanaux peuvent être définis comme étant des :

tangible and intangible products that reflect a country’s, region’s or local community’s cultural heritage and traditions. They may be evocative of past practices but may also reflect current practices. They are associated with place and have value because they reflect a place and the people who produce them. They can be physical products, including household products, traditional beauty products, cosmetics and medicines, clothing, art, paintings, sculptures, pottery, traditional ceremonial artifacts and even industrial goods including farm implements, tools and industrial artifacts. (McKercher, 2008 : 18)

Les produits artisanaux sont des éléments culturels qui sont insérés dans l’histoire et l’identité culturelles des sociétés et en font donc partie intégrante ; pour les entreprises qui les produisent, ils ont une valeur d’usage plutôt qu’une valeur d’échange. Alors que leur valeur d’usage dépend de la socialisation, de leur appropriation par les acteurs sociaux et de leurs interactions au sein du territoire, la valeur d’échange est fixée par le marché et déterminée par une offre et une demande à caractère quantitatif (François et al., 2006). Dans le domaine du tourisme, cependant, les produits artisanaux peuvent devenir des objets de mémoire, et donc se poser en objets symboliques du souvenir de l’expérience des voyageurs, ou n’être que des marchandises dotées d’une valeur de transaction mais de peu de valeur émotionnelle pour ceux qui les produisent et les distribuent (Swanson et Timothy, 2012).

Pour les touristes, les produits artisanaux peuvent avoir un sens qui diffère de celui qui leur est donné par les locaux ; ils sont des supports de la mémoire des touristes par rapport à leurs propres expériences de voyages. Autrement dit, les produits artisanaux ont des significations différentes selon l’intérêt des parties prenantes, principalement des touristes et des hôtes. En réponse à cet intérêt, McKercher (2008) propose de faire une distinction entre la production des produits artisanaux pour l’utilisation et la consommation locale traditionnelle et celle à l’intention des touristes. Dans ce dernier cas, la mise en marché nécessite souvent une adaptation du produit d’origine aux intérêts des touristes en tant que consommateurs.

Par ailleurs, l’adaptation conduit parfois à une évolution défavorable du produit non seulement dans sa dimension tangible, mais également dans ses composantes immatérielles, ou bien elle peut représenter un avantage pour la préservation de la culture, comme cela a été démontré empiriquement par certains chercheurs (voir Deitch, 1989). Il est donc nécessaire d’examiner la culture non pas suivant une conception fixiste, mais plutôt une conception constructiviste qui suggère que la culture évolue par la négociation de nouvelles significations ; les produits artisanaux dans le contexte de la marchandisation touristique peuvent maintenir leur sens traditionnel, tout en s’intégrant dans une structure commerciale moderne (de Azeredo, 2002).

Malgré l’intérêt des chercheurs par rapport aux impacts du tourisme sur la culture, les données empiriques concernant les changements culturels liés au tourisme dans le contexte de l’Amérique latine sont encore très limitées. S’intéresser à la transformation culturelle dans les communautés d’accueil nécessite une analyse continue de la façon dont le tourisme constitue un agent de changement. En particulier, l’étude de l’impact du tourisme sur les diverses formes d’artisanat dans les pays de destination, où la commercialisation de ces produits peut être axée sur une valeur soit culturelle soit économique, est encore largement négligée. La présente recherche vise à contribuer à l’étude de l’impact du tourisme sur les produits d’artisanat en s’appuyant sur un produit particulier du sud du Costa Rica, le masque Boruca.

Cadre de l’étude

Le canton de Buenos Aires, dans lequel se situe cette recherche, est le troisième canton de la province de Puntarenas au Costa Rica, avec une superficie de 2382,61 kilomètres carrés. En 2011, il comptait une population totale de 45 244 habitants, avec une dominance rurale forte (74 % de la population totale répartie dans les districts ruraux) (INEC, 2011).

La principale concentration de population indigène du Costa Rica habite dans le canton de Buenos Aires. Un tiers des réserves indigènes du pays s’y trouvent. Le territoire communautaire de quatre des huit groupes ethniques de la population du Costa Rica (Díaz, 2009) est situé dans ce canton : les Teribes à Térraba ; les Cabécar à Ujarrás ; les Bruncas ou Borucas à Boruca et à Rey Curré ; les Bribrís à Salitre et à Cabagra (Quirós, 2002). Toutes ces communautés accueillent des touristes nationaux et internationaux. L’artisanat, les danses traditionnelles, l’alimentation indigène, les plantes médicinales, les légendes, entre autres, représentent des attractions importantes de l’activité touristique dans la région (Vargas, 2005 ; 2010).

Du temps de la colonisation espagnole, l’activité économique dans les réserves indiennes reposait essentiellement sur les cultures à base de riz, de haricots, de maïs et de tubercules. La place de l’élevage dans les années 1960 s’est accrue dans l’économie locale en raison d’une plus forte demande. Ces dix dernières années, la production de l’ananas (par des sociétés transnationales) et le tourisme sont devenus des activités importantes dans le canton. Dans la cuisine indigène, les produits régionaux à base de maïs prédominent. Des graines, des racines, des bois de divers arbres sont les matières premières utilisées pour la fabrication des objets d’usage quotidien et des produits artisanaux. Ces matières premières sont également utilisées dans la fabrication de produits offerts aux touristes dans la région : bijoux, sculptures, tambours, arcs et flèches, sacs, tissus et masques traditionnels.

Le district de Boruca

Boruca est le cinquième canton de Buenos Aires. Il a une superficie de 138,03 kilomètres carrés et en 2011 il regroupait une population de 3074 habitants, selon l’Instituto Nacional de Estadística y Censos (INEC - Institut national de statistiques et du recensement). Ses principales communautés sont Rey Curré, Térraba et Boruca, où se pratique la danse traditionnelle de los diablitos (Vargas, 2010). Le groupe ethnique principal est Brunca ou Boruca : sur les 3074 habitants déclarés lors du recensement de 2011, un total de 1845 (60,01 %) appartiennent à ce groupe. La communauté Boruca a deux établissements d’enseignement (éducation primaire et secondaire), des transports publics, des équipements de santé, des commerces et des infrastructures de base comme l’eau potable, l’éclairage public et l’Internet.

Dans le domaine du tourisme, les principales attractions de Boruca comprennent l’artisanat des masques, des arcs et des flèches, des tambours et des sacs, et des activités comme la randonnée, l’observation de la flore et de la faune, mais aussi des sites naturels (cascades), culturels (musées), et des événements culturels et folkloriques.

Depuis 20 ans, la présence de touristes dans les réserves de Rey Curré et de Boruca est devenue de plus en plus courante. Ces touristes sont nationaux et internationaux et ils visitent particulièrement ces réserves pour la célébration de la Danza de los diablitos qui a lieu les 31 décembre et 1er et 2 janvier à Boruca, et les 31 décembre, 1er janvier et 2 février à Rey Curré. Cependant, les touristes visitent ces communautés tout au long de l’année, avec récemment une forte augmentation de groupes de touristes étrangers encadrés par des guides. Il y a aussi un intérêt croissant des étudiants et des touristes nationaux en lien avec la culture Boruca, principalement avec le masque.

La Danza de los diablitos et le masque Boruca

La Danza de los diablitos est une tradition ancienne des Borucas qui remonte à l’époque coloniale, mais il n’y a pas de références spécifiques la concernant (Bolaños et González, 2013). La danse signifie la lutte à mort des Indiens contre les envahisseurs espagnols. Cette manifestation encourage le maintien et la perpétuation de nombreux traits culturels des groupes indigènes, y compris l’identité ethnique, l’artisanat, les valeurs, les chansons, la musique, les relations sociales entre les membres des communautés et la langue d’origine, peu utilisée par ailleurs (Quesada, 2002 ; Vargas, 2010). La danse symbolise également les efforts constants des communautés indigènes pour défendre leurs traditions (Vargas, 2005).

Dans cette performance, il y a deux personnages principaux : le taureau représente l’espagnol et les diables, la communauté indienne (illustration 1). La représentation comprend les phases suivantes : 1) la naissance des diables, 2) l’apparition du taureau, 3) les luttes entre le taureau et les diables, 4) la défaite des diables, 5) l’évasion du taureau, 6) le relèvement des diables, 7) la chasse du taureau, 8) la capture du taureau, 9) la mort du taureau et 10) le triomphe et la célébration des diables (Amador, 2005, cité dans Bolaños et González, 2013).

Fig. 1

Illustration 1 : La Danza de los diablitos, le taureau et les diables

Illustration 1 : La Danza de los diablitos, le taureau et les diables
Photo : Melvin Bermúdez Elizondo

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Les diables portent un manteau, un sac et un masque de bois. Les masques utilisés dans la représentation culturelle sont en bois, sculptés par des artisans Borucas, et ils présentent des visages pacifiques, moqueurs ou féroces du diable. La forme du masque dépend de l’imagination personnelle de celui qui le fabrique. En plus des danseurs, des musiciens jouent de la flûte, du tambour, de la guitare, du violon et de l’accordéon. Les touristes peuvent apprécier la représentation mais ne sont pas autorisés à y participer (Vargas, 2005).

La Danza de los diablitos a acquis un caractère touristique au fil du temps. Selon Bolaños et González (2013), d’après des sources cinématographiques, dans les années 1960, les éléments matériels impliqués dans l’événement avaient un minimum de sophistication ; le développement de l’événement et la présence de spectateurs étrangers étaient minimes. Les vêtements et les masques étaient peu ostentatoires. Les masques n’étaient pas peints, les dessins étaient rustiques et représentaient des animaux sauvages. À partir des années 1980, l’événement est devenu populaire chez les non-Autochtones et s’est affiché comme spectacle. À cette période le masque Boruca conservait un caractère exclusif à ces manifestations ; les masques arboraient encore des dessins peu élaborés et même s’ils étaient peints, des formes rustiques dominaient.

Au début des années 2000, le nombre de personnes extérieures à la communauté venues observer l’événement a augmenté. Il s’est alors dessiné une tendance de cette manifestation à évoluer en un spectacle où les masques et les vêtements devenaient beaucoup plus sophistiqués. Les masques à cette période révèlent une influence occidentale et une ignorance de la tradition indigène Boruca, avec des caractéristiques démoniaques très marquées. Par ailleurs, l’événement se commercialise : une taxe pour filmer le spectacle est prélevée et la communauté est visitée par un nombre important de touristes étrangers qui s’y intéressent. Durant ces années, la Danza de los diablitos devient ainsi un événement touristique ; il y a des visites organisées par les voyagistes qui transportent depuis l’extérieur de la communauté des gens qui souhaitent assister à la fête, dont un nombre important d’Américains et d’Européens. Avant la confrontation avec le taureau, il y a une parade de démons portant les masques les plus frappants (Bolaños et González, 2013). Alors qu’à sa création l’événement promouvait la participation de la communauté, il est maintenant orienté en fonction du spectacle à offrir aux touristes.

En ce qui concerne la nationalité des touristes étrangers présents pour l’événement, ils proviennent principalement des États-Unis. Cependant, au cours des dernières années, la présence de touristes européens (principalement néerlandais, allemands et espagnols) s’est accrue. Le séjour des touristes dans les réserves est relativement court (de quatre à huit heures) ; leur principale motivation pour visiter ces communautés est de connaître la culture, les traditions, les aliments, les modes de vie et, la plupart du temps, de faire l’acquisition de masques traditionnels représentatifs des Borucas. Les principales activités développées pour les touristes par les communautés comprennent la randonnée pédestre, la visite d’ateliers d’artisans, la dégustation de plats traditionnels et l’observation de la flore et de la faune.

Description de l’étude

La valeur de notre recherche – une étude de cas – réside dans sa contribution à la connaissance d’un cas particulier, les Borucas, qui ont été peu étudiés suivant une approche anthropologique des impacts du tourisme. Notre étude visait à identifier les changements dans la production artisanale en lien avec sa marchandisation par le tourisme, à partir du cas du masque Boruca. Pour obtenir des informations détaillées et des interprétations valides, nous avons adopté une méthodologie qualitative.

Nous avons retenu deux techniques pour la collecte d’information : l’observation et l’entrevue. La première a reposé sur deux visites à des ateliers d’artisans et des observations à la Danza de los diablitos en 2012 et 2013. Dans les ateliers, nous avons porté une attention particulière à la reconnaissance des types de masques, des matériaux utilisés et des processus de production. Nous avons eu recours à des conversations informelles avec les artisans et d’autres membres de la communauté. Au cours des visites à la Danza de los diablitos, nous avons observé les types de masques utilisés, les vêtements des participants, la présence des touristes, les interactions entre les habitants et les touristes, ainsi que les méthodes de commercialisation des masques.

En ce qui concerne les entrevues, leur déroulement s’est appuyé sur nos lectures de la littérature spécialisée et sur les renseignements obtenus lors de l’étape d’observation. Pour identifier les informateurs clés, nous avons réalisé une troisième visite dans les deux communautés et y avons contacté les artisans que nous avons jugés les plus représentatifs. Les répondants ont été sélectionnés selon le jugement des chercheurs, en prenant comme principal critère leur expérience comme artisan, mais aussi leur volonté de participer à l’étude. Ce type d’échantillonnage est limité parce que les informateurs sélectionnés ne représentent en aucune façon la population complète et par conséquent les résultats rapportés dans cette étude doivent être considérés avec discernement. Dans le cas de la communauté de Rey Curré, nous avons interrogé trois artisans traditionnels de plus de 50 ans qui avaient plus de 25 années d’expérience dans la production de masques. Dans le cas de la communauté de Boruca, où il y a un nombre considérable de fabricants de masques, nous avons interrogé trois informateurs clés : un résident qui vend des masques à l’échelle nationale, un représentant d’un atelier de masques écologiques et éco-diables composé de dix jeunes artisans, et finalement l’artisan le plus âgé (90 ans) de la communauté.

Les entrevues d’une durée de 25 à 30 minutes ont été réalisées sur le lieu de travail des artisans. Les questions posées portaient sur la signification actuelle des masques, la marchandisation et l’importance de l’artisanat du masque pour le soutien économique de leur famille. Les artisans ont aussi été interrogés sur les matériaux utilisés et les impacts du tourisme sur la fabrication et la signification des masques.

Principaux résultats de la recherche

Le nombre « d’indigènes » – comme ils s’appellent eux-mêmes – qui participent à la production artisanale de masques dans les communautés est significatif. Le nombre d’artisans engagés dans cette activité dans la communauté de Rey Curré est nettement inférieur à celui qui est concerné par la même activité dans le village de Boruca. À Rey Curré, il y a essentiellement six artisans qui, avec leur famille, se consacrent à la fabrication de masques ; une caractéristique distinctive de ces artisans est qu’ils sont âgés de 50 ans et plus. C’est bien différent dans la communauté de Boruca où plus de 200 artisans s’affairent à la confection de masques et où la plupart sont des jeunes entre 15 et 30 ans. Quel que soit le nombre d’artisans cependant, dans les deux communautés les changements dans la production de masques révèlent des caractéristiques matérielles très semblables.

L’importance économique de la production de masques pour la vente aux touristes est décisive pour le revenu familial dans les communautés. La vente de ces masques joue même un rôle indispensable. Selon un artisan de 60 ans dont toute la famille a été impliquée pendant de nombreuses années dans la fabrication de masques, « le tourisme est une solution de revenu de la communauté ; Rey Curré est une ville où il n’y a pas de sources d’emplois, pas de sources de revenus ; les habitants ne peuvent travailler qu’en tant que professeur ou dans les exploitations agricoles. Avec plus de touristes, il y a plus de possibilités d’emplois et de revenus. » Lorsque nous avons demandé aux artisans des deux communautés quelle était la place de la fabrication et de la commercialisation des masques dans la vie de la famille, tous ont convenu que le tourisme représentait la plus importante source de revenus. Cette situation fournit une plate-forme pour l’analyse de la valeur d’usage par rapport à la valeur d’échange de l’artisanat. Alors que ces métiers n’avaient jadis qu’une valeur d’usage liée à leurs propres expressions culturelles, ils ont maintenant plutôt une valeur d’échange ; leur signification a donc varié pour ces mêmes personnes.

En outre, la production de masques artisanaux a eu un impact sur les autres activités économiques dans les localités ; certains ont abandonné la culture de la terre et ont remplacé cette activité traditionnelle par la production de masques. L’abandon des activités de production primaire a été associé à l’augmentation de la fréquentation touristique dans d’autres pays d’Amérique latine, y compris au Brésil (Noia, 2009 ; Villela, 2009). Bien que ces changements induits par le tourisme soient de type socioéconomique, leurs conséquences peuvent avoir une portée culturelle. Les activités productives dans la société définissent les pratiques culturelles locales ; de nouvelles expressions qui répondent aux nouvelles activités économiques peuvent émerger et, à leur tour, attribuer de nouvelles significations aux manifestations existantes.

Dans le contexte touristique, notre étude a identifié deux catégories de masques, qui peuvent être classifiées de deux façons. La première est basée sur la destination de leur production. Dans cette classification les masques peuvent être de deux types selon leur destination traditionnelle ou commerciale. Les masques traditionnels sont spécifiquement créés, au moins au début, pour être « joués » dans la Danza de los diablitos. Ils sont notamment produits pour la représentation culturelle de l’identité des indigènes ; en d’autres termes, ils ont une valeur d’usage traditionnelle qui a largement défini ce qu’est maintenant leur culture. Ce sont des masques utilisés pour les raisons mêmes pour lesquelles ils ont été créés ; leur raison d’être est définie par leur signification dans l’identité de la culture locale. Les masques commerciaux, pour leur part, sont produits uniquement pour la vente et pas pour la tradition elle-même. Cette commercialisation se fait principalement par des intermédiaires qui revendent les masques à l’intérieur et à l’extérieur du pays, et auprès des touristes nationaux et internationaux. En lien avec cet objectif de marchandisation, les deux types de masques, mais surtout ceux à destination commerciale, ont changé en termes d’éléments représentés, de types de bois, de colorants, d’outils, de couleurs, de tailles et de dessins. Les adaptations à leur valeur d’échange ont exigé des changements dans la culture locale, avec des ajouts qui n’appartenaient pas à la culture d’origine, mais qui correspondent aux intérêts et aux désirs des touristes en quête d’authenticité de la culture Boruca.

La deuxième classification est basée précisément sur les dessins des masques. En ce sens, les masques peuvent être de trois types : traditionnels, éco-diables (éco-indigènes) et écologiques. Les masques traditionnels sont les masques du diable qui sont créés exclusivement pour participer à la danse et leur conception dépend du goût de chaque participant. Ces masques sont caractérisés par une pleine intégration de la figure de diable, avec les dents et les crocs exposés, les cornes, les gestes de colère, de douleur, de tristesse et de joie. Tous ces éléments sont directement associés à la valeur symbolique de la représentation ; ils sont une expression culturelle tangible liée aux significations, sinon originales de la culture, qui au moins ont été attribuées sans l’intervention d’autres facteurs. Dans ce cas, les masques traditionnels ont aussi une valeur traditionnelle d’usage ; ils sont construits selon des processus et des significations propres de leur tradition.

Les deux autres types de masques sont commerciaux. Par conséquent, ils ont une valeur d’échange et dépendent des demandes des intermédiaires et des touristes, qui commandent souvent des dessins très spécifiques. Les masques éco-diables se caractérisent par leur conception intégrant deux éléments importants : le visage d’un indigène et des éléments de la nature associés à la biodiversité du Costa Rica. Pour quelques résidents locaux, ces éléments naturels sont aussi des animaux qui ont contribué à la lutte indigène contre les Espagnols (en particulier aigles, hiboux, serpents et jaguars). Enfin, les masques de type écologique comprennent essentiellement des éléments de la nature, représentatifs de la flore et de la faune du Costa Rica (illustration 2). On voit donc que l’utilisation de certains éléments d’une culture peut avoir deux significations selon le groupe culturel et ses intérêts propres. Tandis que pour les touristes la nature est un élément représentatif et donc « authentique » de leur visite, pour les Borucas la nature est justifiée dans le sens culturel associé avec son histoire. Ainsi, deux significations, touristique et culturelle, peuvent être simultanément attribuées et négociées dans les deux groupes.

Fig. 2

Illustration 2 : Des échantillons de masques : traditionnel, éco-diable et écologique (de gauche à droite)

Illustration 2 : Des échantillons de masques : traditionnel, éco-diable et écologique (de gauche à droite)
Photos : Melvin Bermúdez Elizondo

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Les masques éco-diables et écologiques n’ont pas toujours fait partie de la culture de la communauté. Aujourd’hui, ils ne sont fabriqués que pour la vente aux touristes et aux intermédiaires. Les masques traditionnels peuvent également être vendus, mais ils ont une valeur spéciale puisqu’ils sont surtout fabriqués pour être « joués ». Par conséquent, des expressions culturelles traditionnelles peuvent évoluer d’une valeur d’usage vers une valeur d’échange. Cela se produit notamment lorsque la valeur d’usage est obsolète, ou que l’objet a déjà rempli la fonction dans la manifestation culturelle pour laquelle il a été créé. Le même élément peut donc avoir deux valeurs, mais la valeur d’usage précède la valeur d’échange. De même, un élément créé principalement pour la commercialisation touristique peut acquérir une valeur culturelle traditionnelle. Certains masques sont vendus directement aux touristes qui visitent la réserve lors de l’événement ou de toute autre période de l’année. D’autres sont vendus en gros à des intermédiaires. Les masques éco-diables et écologiques sont donc principalement un produit artisanal qui est né à partir des demandes des touristes. Ainsi, des productions culturelles sont constamment construites, dont les origines peuvent ne pas provenir nécessairement de la tradition de communautés, mais plutôt d’une exigence d’un agent extérieur (dans ce cas, le tourisme). Cependant, elles peuvent acquérir une valeur pour le maintien de l’artisanat et, donc, une importance culturelle.

Quelques artisans locaux vendent leurs masques par l’intermédiaire de leurs propres contacts et de nouveaux médias, tels que l’Internet (notamment Facebook), et des catalogues. Certains courtiers sont eux-mêmes de la communauté, d’autres sont des étrangers, et les masques peuvent être vendus à plus du double du prix d’origine en dehors de la communauté. Il y a des artisans qui, par rapport à d’autres, ont davantage développé l’entreprise de masques. C’est le cas par exemple d’un artisan qui a passé un accord de commercialisation avec la chaîne internationale de magasins de café Britt et qui, en haute saison de commercialisation (de novembre à mars de chaque année), encaisse environ 12 000 dollars américains. Ce même artisan nous a par ailleurs indiqué qu’il a aussi passé des accords avec des hôtels de la région.

Pour les habitants de ces communautés, les significations des masques traditionnels et commerciaux sont différentes, mais peuvent encore dans les deux cas être rattachées à leur culture. Selon un artisan de Rey Curré qui a produit des masques pendant plus de 20 ans et a « joué » dans la danse pendant plus de 25 ans, « la différence entre un masque traditionnel et un masque commercial est la spiritualité ; les masques traditionnels ont un sens, une valeur, ils portent des gouttes de sueur et de sang, de chicha[2], la fatigue, et on les conserve comme un trophée » ; pour lui les masques traditionnels sont très typiques, merveilleux, uniques et ils sont une raison de fierté, non seulement au Costa Rica, mais partout dans le monde.

Cela ne veut pas dire que les masques commerciaux n’aient aucune valeur autre que commerciale. Pour certains, les masques éco-diables arborant un visage indigène et des éléments naturels ont également une valeur culturelle. Ainsi, ce même artisan ajoute qu’il aime bien les éco-diables parce qu’une de leurs croyances est qu’un indigène sans terre, sans nature, est un indigène mort, et que la nature sans indigènes est une nature morte. L’éco-diable est un nouveau masque, il est commercial car il comporte des éléments qui évoquent ce que les touristes voient dans le pays, mais il représente aussi une partie de la culture nationale.

Cela suggère que les significations spirituelles et commerciales de la culture ne sont pas nécessairement opposées. Les produits artisanaux, et peut-être toute autre production culturelle, peuvent être transformés tout en conservant des significations d’origine ou en acquérant de nouvelles significations. Dans l’esprit des artisans, les attributs physiques des produits culturels peuvent être transformés sans perdre nécessairement les significations et les attributs d’origine. Un artisan qui a enseigné aux jeunes générations à faire de « l’art traditionnel » (en référence aux masques), dit : « même si nous fabriquons des masques écologiques, nous maintenons le respect de nos traditions, des coutumes et de notre culture » (tableau 1).

Fig. 3

Tableau 1 : Classification des masques Borucas

Tableau 1 : Classification des masques Borucas
Source : compilation des auteurs

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Ce n’est pourtant pas toujours le cas. Pour certains artisans, les significations des masques traditionnels sont bien définies et sont différentes de celles des masques commerciaux. Notre travail de terrain a révélé que les nouvelles générations sont également impliquées dans la fabrication de masques, en particulier à Boruca. Dans le cas des jeunes artisans, la plupart participent aux festivités de la Danza de los diablitos ou préparent des masques traditionnels qui seront utilisés par d’autres. Ils ont convenu que les masques qui sont destinés à la commercialisation seraient différents des traditionnels. Pour eux, les masques traditionnels ont une signification particulière et leur principale destination est la participation à la danse : ils passent toute l’année à penser aux masques qu’ils réaliseront pour la Danza, ils font de leur mieux parce qu’ils sont destinés spécifiquement à cet événement et qu’il y a certains touristes qui viennent pour acheter les meilleurs.

L’existence de différents masques, traditionnels et commerciaux, avec des conceptions différentes, révèle que bien que les masques soient largement commercialisés, ils conservent une signification culturelle pour les artisans et pour les autres membres de la communauté. En fait, certains des masques traditionnels, qui à l’origine ont été créés pour être « joués », peuvent être vendus aux touristes, mais à un prix plus élevé compte tenu de la valeur que leur confère le fait d’avoir été « joués ». Même si la valeur culturelle n’est pas forcément claire pour les touristes, elle est bien présente pour la communauté.

Conclusion

Le changement dans les processus de fabrication, les utilisations et les significations des masques Borucas est lié au tourisme. Ce changement peut aussi être vraisemblablement associé à d’autres formes de modernisation dans la culture Boruca. Pour certains, le tourisme a entraîné la transformation de la production artisanale vers une activité aux fins économiques ainsi que la substitution de certaines activités. Pour d’autres, bien que la commercialisation de masques signifie une alternative économique, l’importance culturelle est indépendante des changements dans les formes, les matériaux et les procédés de production. Pour eux, la commercialisation de leur culture matérielle ne représente pas nécessairement la marchandisation des significations qui lui sont attribuées.

Nous pouvons conclure que les manifestations de la culture locale peuvent être modifiées et adaptées pour servir les intérêts d’autres groupes sociaux et culturels, sans nécessairement risquer la disparition des significations culturelles originales, comme dans le cas de notre étude. La fabrication de masques pour le tourisme peut représenter tout simplement une légère transformation des valeurs culturelles assignées, voire les modifications apportées aux éléments matériels de la culture peuvent signifier un développement de la culture elle-même. La culture n’est certes pas statique et elle est inévitablement exposée à des facteurs internes et externes de changement. Les nouvelles significations de la culture peuvent alors être considérées comme étant le résultat d’un processus « naturel » propre aux groupes culturels.

Le changement culturel, qu’il soit induit par le tourisme ou par tout autre facteur, est inévitable. Selon les travaux dans ce domaine de recherche, le changement culturel n’est pas seulement inévitable, il peut être souhaité par certaines communautés indigènes. Les transformations de la culture sous l’influence du tourisme ne signifient pas nécessairement une perte culturelle ou une évolution défavorable. Les manifestations culturelles telles que les productions artisanales peuvent être modifiées en incorporant les intérêts des différents groupes ; tandis que les touristes cherchent à acquérir les objets artisanaux comme symbole de leur visite, les populations locales sont en mesure d’adapter leur culture aux exigences des touristes, mais attribuent toujours une signification culturelle importante à ces objets. Finalement, bien que le tourisme impose des changements à travers cette marchandisation de la culture, les produits artisanaux peuvent recevoir de nouvelles significations culturelles et économiques, aussi valables et importantes que celles attribuées à l’origine.