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Peut-être pour que dans vingt ans, dans trente ans, si les règles changent, l’île pourrait en avoir besoin. En même temps vous allez aider à amener du touriste icitte, si vous prenez quelques-uns marsouins, pour faire faire de l’argent. Alexis Tremblay dans Pour la suite du monde de Pierre Perreault (1963)

Le tourisme est passé d’un appel à voir le monde à l’invitation de faire partie de la trame même du monde. Et puis, comme nous l’avons lu tout au long de ce numéro spécial, la COVID-19 a rompu cette trame. Cette rupture s’exprime d’abord dans une transformation de l’environnement d’affaires et des paramètres dans la gestion quotidienne des organisations touristiques. Tant l’imposition généralisée des restrictions de voyages, l’évolution des mesures de distanciation sociale, que les bilans quotidiens des cas deviennent lentement une nouvelle forme de normalité. Si l’éruption à l’avant-plan du pouvoir sanitaire est présentement associée à la pandémie de COVID 19, la vie, la mort et le corps humain sont, depuis de nombreuses années, au cœur même du virage biopolitique de la société (Agamben, 1998 ; Hardt et Negri, 2000 ; Esposito, 2011), auquel le tourisme n’échappe pas (Ek et Hultman, 2008 ; Minca, 2010 ; Roelofsen et Minca, 2018 ; Lapointe et Coulter, 2020). Toutefois, l’ampleur du déploiement biopolitique de la lutte à la COVID 19 auquel est confronté le tourisme génère des contradictions dans les relations entre les individus, les espaces et le corps touristique. Par ailleurs, le pouvoir sanitaire, malgré son affirmation quasi hégémonique face à la pandémie, n’évacue pas les autres dispositifs de pouvoir et ne rend pas caducs les outils existants qui permettent d’interpeller le devenir du tourisme.

Ainsi, avant la pandémie, l’industrie touristique se trouvait déjà dans un environnement d’affaires qui subissait régulièrement des perturbations telles que les innovations technologiques dites de rupture, l’émergence de nouvelles destinations et de nouvelles clientèles, de grandes fluctuations du coût de l’énergie, des chocs démographiques et des crises de main-d’œuvre. Face à ce type d’environnement, les organisations utilisent des stratégies afin de conserver leur avantage concurrentiel sur les marchés qu’ils desservent. Cet exercice asymétrique s’échelonne dans le temps et permet aux organisations de réaliser leurs objectifs à long terme. Toutefois, dans un environnement de crise comme celui de la présente pandémie ou d’événement de tout autre nature comme un acte terroriste, une catastrophe naturelle ou une crise politique, les entreprises doivent s’adapter dans l’urgence afin d’ajuster leurs activités et assurer leur survie. Dans de telles conditions, le défi de toute organisation est de gérer les conjonctures du présent, sans pour autant sacrifier la planification à long terme.

Les sujets abordés dans ce numéro spécial de Téoros offrent davantage un regard fixé sur le long terme, par exemple l’importance de définir de nouveaux indicateurs, ou proposent de repenser la place des croisières dans l’échiquier touristique. Toutefois, le moment présent, celui où la crise se vit, est celui qui sollicite l’ensemble des ressources des entrepreneurs et des organisations touristiques. La variabilité du type de produits et de services touristiques en conjonction avec le nouveau contexte de consommation conditionne la nature des effets (positifs ou négatifs). Pour certains (Emmanuel Briant, Marc Bechet, Charly Machemehl et André Suchet ; Marco Romagnoli et Catherine Charron ; Charles Zinser, Pascale Marcotte et Laurent Bourdeau), le tourisme local est une occasion de tirer son épingle du jeu et même d’obtenir de meilleures performances qu’en temps normal ; pour d’autres, la fermeture des frontières est désastreuse, voire fatale. L’absence de visiteurs étrangers montre à quel point plusieurs destinations dépendent de cette mobilité internationale. Le secteur de l’hôtellerie et le nouveau venu, Airbnb, affichent toutefois des résultats très inégaux (Victor Piganiol).

L’imposition des règles sanitaires à échelle variable et changeante est pour tous une source d’ajustements quotidiens qui requièrent un degré élevé d’attention et d’investissement de temps. Le va-et-vient entre le confinement et le déconfinement des citoyens par région ou par secteur d’activité ajoute une couche de confusion dans le quotidien des acteurs touristiques. Ainsi, les entrepreneurs touristiques et leurs communautés de soutien sont pour le moment incapables de se concentrer sur les perspectives à long terme, car pour plusieurs d’entre eux la survie de l’organisation est au cœur des priorités. De plus, à la différence des crises précédentes où les destinations visaient à reconstruire la confiance des visiteurs, la présente pandémie affecte à la fois les pôles émetteurs et récepteurs. Dans ce contexte, une destination peu touchée par la COVID 19 peut voir son flux de visiteurs se tarir, car ses pôles émetteurs restreignent la mobilité de leurs citoyens. La réflexion sur le tourisme de demain ne s’est pas encore amorcée à l’échelle des organisations touristiques, puisque l’adaptation constante aux règles sanitaires, « le tourisme à 2 mètres » (Lapointe, 2020), demeure la principale préoccupation pour assurer le suivi des activités.

Rodolphe Christin évoque bien dans son article intitulé « Orienter l’aventure » l’urgence de réparer les désastres causés par la pandémie, qui sera le point de focalisation à court terme. Malheureusement, un des effets à court terme sera la fermeture de nombreuses entreprises touristiques causée soit par l’incapacité de répondre à leurs obligations financières, soit par le désir de réorienter les initiatives entrepreneuriales vers un secteur d’activité qui subit dans une moindre mesure les effets de la pandémie. La crainte de certains organismes de gestion de destination se fait déjà entendre sur la conversion d’hôtels en édifices commerciaux ou en condominiums, ce qui aurait un impact important sur la capacité d’accueil des destinations une fois la mobilité rétablie.

Un autre défi à court terme demeure la disponibilité de la main-d’œuvre pour pourvoir les postes de travail lors de la reprise des activités touristiques. Dans son article, Caroline Demeyere évoque, par exemple, les conditions particulières du secteur hôtelier qui le rendent peu attractif pour conserver la main-d’œuvre. Dans un contexte où plusieurs entreprises touristiques ont cessé leurs activités, une partie non négligeable des employés mis au chômage migre vers d’autres secteurs d’activité où les emplois sont toujours disponibles, comme le domaine de la santé, celui du commerce de détail ou le secteur financier. Plusieurs craignent dès lors que cette déperdition soit permanente. L’enjeu de la main-d’œuvre était déjà à l’agenda des destinations et l’incertitude quant à la reprise amène un bon nombre d’acteurs créateurs d’emplois à interroger les facteurs de succès nécessaires à l’attractivité et à la conservation de cette main-d’œuvre. Comme le souligne Demeyere, l’occasion de briser le précariat et de placer les conditions de travail au cœur de la responsabilité sociale des organisations touristiques est à saisir comme jamais auparavant.

De la normalisation sanitaire à la biopolitique du corps touristique

Dès les années 1970, Michel Foucault notait une transformation dans la société qu’il qualifiait de biopolitique (Foucault, 1997 ; 2004 ; Brown, 2015). Cette dernière réfère au pouvoir sur la production et la reproduction de la vie elle-même, où l’enjeu politique correspond au pouvoir sur la société (vue comme un ensemble de population), le pouvoir d’organiser la vie, ses conditions, ses règles, et le pouvoir de laisser mourir (Rose, 2020). Le biopouvoir s’adresse aux corps, ceux des individus, mais aussi de l’ensemble des personnes dans un lieu donné, afin de les protéger, les renforcer et les reproduire dans l’intérêt économique et politique de l’État et des pouvoirs en place. Cette réflexion sur la régulation de la vie et de la mort est au cœur même des contraintes à la mobilité quotidienne et du quasi-arrêt des mobilités touristiques, dans une situation où la vie nue (bare life) (Agamben, 1998) représente une menace en soi, car potentiellement porteuse du virus et de la mort. Cette contradiction, soulevée par Alain Girard et Bernard Schéou dans leur contribution, révèle des relations dialectiques entre liberté et contrôle, entre essentiel et accessoire, entre mobilité et immobilité, entre immunité et disparition. Ces relations dialectiques s’inscrivent dans le paradigme de l’immunité tel que présenté par Roberto Esposito (2011) comme mode de fonctionnement de la société biopolitique. Cet auteur explore la contradiction de l’immunité en soulignant que c’est pour protéger la société du risque que la société met en place des mesures à même de dissoudre la société elle-même, dans une tension où l’individu et la communauté sont en opposition, où chacun peut nier l’autre. La survie de la société passant par une constante négociation pour éviter la dissolution de l’un dans l’autre et vice versa. L’immunité implique, pour vivre, de ne pas expulser le poison, mais plutôt de l’intégrer pour le neutraliser, tout en prenant le risque de créer l’opposé, la mort (ibid.).

Ces contradictions traversent ce numéro spécial, que ce soit dans les descriptions de la régulation de la mobilité et des réactions du corps touristique à celle-ci (entre autres Victor Piganiol ; Mohamed Berriane ; Luc Renaud ; Emmanuel Briant, Marc Bechet, Charly Machemehl et André Suchet ; Fabien Bourlon), de la négociation de l’essentiel via une dimension alimentaire pour une clientèle locale (L. Martin Cloutier et Laurent Renard ; Marco Romagnoli et Catherine Charron ; Samuel Jouault, Manuel Xool Koh et Alejandro Montañez Giustinianovic) et dans l’appel à redéfinir et à transformer le tourisme (Rodolphe Christin ; Alain Girard et Bernard Schéou), mais aussi dans les interrogations sur la hiérarchisation des travailleurs face aux risques (Alexandra Arellano et Parvin Shoosh Nasab ; Caroline Demeyere). Pour interpeller ces contradictions dans leur contribution à la compréhension du tourisme en situation pandémique, nous prendrons du recul face à la notion d’industrie pour évoquer la notion de corps touristique. La question du corps dans l’activité et la performance touristiques n’est pas nouvelle (Veijola, 2010 ; Valtonen et Veijola, 2011 ; Coëffé et al., 2016). Toutefois, le corps touristique au sens d’un ensemble institutionnalisé ou d’un groupe organisé, avec des règles explicites et implicites, n’est pas commun. Pourtant, le tourisme, dans son ubiquité et sa généralisation (Brouder, 2019), porte un ensemble de relations prévisibles et de discours institutionnels et institutionnalisés (Lapointe et al., 2018) qui permet de faire corps. La métaphore métabolique permet aussi d’éclairer les processus d’immunisation à l’œuvre dans le contexte de la pandémie de COVID 19. Nous explorerons particulièrement deux contradictions évoquées dans ce numéro spécial, celle où les sociétés s’immunisent par la COVID 19 du tourisme et de ses dérives, et celle de la protection de la société par la négation de la sociabilité.

La première contradiction suggère que l’arrêt du tourisme en raison des restrictions de mobilité et des différentes formes de confinement est à même d’immuniser les sociétés du tourisme de ses effets négatifs. C’est par une forte dose de fixité, de repli sur soi et de virtualité, antithèse de la rencontre par la mobilité touristique, que le tourisme pourrait se redéployer à travers un nouveau modèle plus respectueux de l’environnement, des territoires et de ses travailleurs. Les différentes contributions de ce numéro spécial portent de manière plus ou moins affirmée cette volonté d’immunisation. Ici, la COVID 19, malgré sa menace, représente aussi le remède potentiel à des maux identifiés depuis près de quarante ans (Krippendorf, 1982), dont la catharsis s’exprime sous le vocable de « surtourisme ». Ainsi, c’est un tourisme plus sensible à l’environnement, moins centré sur la quête insatiable de distance et de nouveautés pour valoriser la proximité et des relations significatives avec des producteurs d’expériences, qui pourrait émerger à la suite de cette forte dose de fixité. Toutefois, le succès de ce processus d’immunisation n’est pas assuré, premièrement car les organisations touristiques luttent pour leur survie à court terme avec des ressources limitées pour penser le temps long ; deuxièmement, l’impact sur le corps touristique pourrait être si important que le réveil pourrait faire appel à davantage de croissance et moins de contraintes (Hall et al., 2020), voire à une « revanche touristique » (Kuo, 2020 ; Shadel, 2020) après tous ces mois d’immobilité et de décroissance.

La seconde contradiction repose sur la distanciation sociale comme outil de préservation de la société alors que les relations et la proximité sont au cœur des « sociabilités constitutives de la société ». Les mesures mises en place contre la COVID 19 redéployent la mobilité comme marqueur de classe et de statut dans la société pré-COVID 19 (Bauman, 1998 ; 2000 ; Sheller, 2015 ; 2020). C’est ainsi que les classes mobiles privilégiées, vectrices de propagation du virus dans les premiers mois de la pandémie, s’immobilisent à la maison, dans une distanciation sociale qui nie la société , pendant que les travailleurs essentiels, à la vie et à son essence, affrontent le risque de la mort pour maintenir la vie. Les travailleurs touristiques, quant à eux, se retrouvent dans un vide au croisement de ces deux groupes, à la dérive même dans le cas de certains travailleurs de l’industrie des croisières, tel que présenté par Alexandra Arellano et Parvin Shoosh Nasab.

Ces conditions déjà précaires se détériorent rapidement sous l’impact de la COVID 19, plus particulièrement celles des femmes, des minorités racisées et des travailleurs migrants (Baum et al., 2020), même si leurs tâches sont associées aux fonctions reproductives de la vie et de la société et aux besoins de base comme se nourrir et s’héberger. Travailleurs de l’essentiel pour une activité mobile qui ne bouge plus, ils ont le choix de se réorienter vers les services de première ligne et leurs risques inhérents (ibid., 2020) ou attendre la reprise avec des conditions de travail exacerbées par l’accroissement des risques et des consignes sanitaires (Folinas et al., 2020). Toutefois, l’émergence d’un tourisme à deux mètres structuré autour d’un ancrage local (Lapointe, 2020), d’une temporalité plus longue, telle que le présente Rodolphe Christin, et des besoins supérieurs liés aux besoins de base, fait son apparition. Ce tourisme est peut-être la transformation du corps touristique issue de ce processus d’immunisation où des contraintes sanitaires moins strictes, mais présentes, freineraient la « remassification » du tourisme, tout en recréant une sociabilité mobile avec une reconnaissance de celle-ci comme composante essentielle de « l’être ensemble ». Ces recombinaisons s’expriment dans les adaptations du tourisme gastronomique présenté par Marco Romagnoli et Catherine Charron, des cidreries étudiées par L. Martin Cloutier et Laurent Renard, et des coopératives de Samuel Jouault, Manuel Xool Koh et Alejandro Montañez Giustinianovic.

L’adaptation des organisations touristiques à la crise de la COVID 19 passe par des stratégies de résilience et une réactivité face aux mesures sanitaires omniprésentes et changeantes, dont la gestion représente un défi constant. Ces difficultés à saisir les directions prises, et à prendre, viennent des contradictions à l’œuvre dans le processus d’immunisation de la société face à la pandémie. Cette immunisation vise à la fois le maintien de la société et du tourisme, mais porte aussi le risque de sa négation, de son écroulement même. Les tensions entre l’adaptation par internalisation des acteurs sociopolitiques et la protection par le rejet ne sont pas encore résolues et mettent toute l’attention actuelle sur l’émergence du pouvoir sanitaire, qui prévoyait déjà de possibles pandémies de coronavirus au cours des prochaines années. Par exemple, à la suite de l’épisode du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) apparu en 2004, le risque de pandémie avait été clairement identifié par le National Intelligence Council (NIC, 2008 : 95), l’agence américaine de coordination du renseignement, dans un scénario de catastrophe sanitaire et économique à l’horizon 2025. Les épisodes de grippe devenant pandémiques à quelques décennies d’intervalle, il était justifié qu’un des scénarios d’avenir s’appuie sur la généralisation d’une « maladie X » pour laquelle aucun traitement n’était connu à ce jour (Rubin, 2011 : 6).

Le retour du corps politique : prospective et tendances à conjuguer avec le virus

Nous savons maintenant que cette « maladie X » se nomme COVID-19. Pour tenter de sortir des « immobilités » actuelles et à venir, il importe de s’intéresser aux éléments tendanciels qui « risquent » de résister aux conjonctures et ceux qui, au-delà des maladies infectieuses, menacent toujours l’avenir, la société biopolitique ne se limitant pas au pouvoir sanitaire. Pour s’affranchir de l’influence des crises à court terme, il importe de s’intéresser à des éléments de continuité qui ont toutes les chances de se maintenir à long terme. Parmi ceux-ci on trouve l’émergence mondiale d’une classe moyenne s’appuyant sur les institutions démocratiques et le développement économique fondé sur les mécanismes du marché (NIC, 2017 ; Oxford Analytica, 2017). Ce double énoncé est quantifiable et correspond à une tendance mondiale qui s’est accélérée sur le plan économique au début des années 1980 avec l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan aux États-Unis et de Margaret Thatcher au Royaume-Uni dans ce qu’il est convenu d’appeler le modèle néolibéral (Lapointe et al., 2018). Parmi les éléments de résilience, voire de « résistance », à l’horizon 2030, les acteurs du système capitaliste (le marché) chercheront le moyen de retrouver leur « équilibre fonctionnel » malgré ou « à travers » la pandémie, confirmant que l’internalisation biopolitique de la discipline néolibérale par les acteurs économiques et les individus est toujours d’actualité (Brown, 2015). Le tourisme, catalyseur du biopolitique et du modèle néolibéral par la communion de la valeur de liberté de consommer (notamment des déplacements) en fonction du pouvoir d’achat, dépendra de l’évolution des tendances lourdes suivantes (NIC, 2013 ; 2017) :

  • Les solutions technologiques visant à maximiser la productivité économique et la qualité de vie des citoyens tout en minimisant la consommation des ressources et la dégradation de l’environnement seront capitales pour assurer la viabilité des mégapoles. Ces nouvelles technologies contribueront à répondre aux besoins présents et futurs de la population mondiale qui devrait s’accroître de 50 % au cours du demi-siècle en cours et vivre essentiellement dans les villes.

  • L’augmentation de la population mondiale, qui devrait atteindre 9,3 milliards d’individus en 2050, va aggraver les diverses contraintes imposées à l’environnement (dégradation des réserves d’eau douce, réduction de la biodiversité, etc.). L’évolution démographique va également amplifier les flux migratoires et l’émergence d’une urbanisation intensive.

  • Les technologies de nouvelle génération devraient apporter des solutions durables dans le domaine de la santé (l’éradication de toutes les maladies infectieuses actuelles ou futures), l’utilisation des ressources énergétiques (vulgarisation et nouveaux procédés de production d’énergie propre), les besoins alimentaires des populations des pays en voie de développement (cultures OGM [organismes génétiquement modifiés] capables de survivre dans un environnement climatique défavorable), etc.

  • Les aléas climatiques et les catastrophes naturelles (inondations, tempêtes, tremblements de terre, etc.) sont des événements difficiles à prévoir dans l’analyse prospective. Toutefois, il est de plus en plus reconnu que le réchauffement climatique pourrait être responsable d’une hausse de la fréquence des conditions climatiques extrêmes dans de nombreuses régions du monde.

Malgré la chute radicale des déplacements à court terme, la croissance démographique représente une tendance lourde et un moteur d’accroissement des mobilités touristiques. Voilà un élément objectif qui suggère le maintien des prévisions de l’Organisation mondiale du tourisme à l’horizon 2030. Cela dit, le ralentissement économique devrait exacerber les écarts de revenus. Un plus grand nombre de personnes dans une économie mondiale fragilisée contribue à la concentration des revenus, à l’échelle des États et à l’échelle des individus. Bien que ces éléments ne soient pas nouveaux, ils influenceront la nature des risques systémiques majeurs qui semblent s’être accrus au cours des dernières décennies et la capacité des sociétés à y faire face. Le tourisme est à nouveau au centre de cette dynamique dans la mesure où il contribue aux conjonctures économiques, politiques et sociales et est influencé par ces dernières. Plusieurs analyses prévisionnelles et prospectives (UNWTO, 2011 ; NIC, 2017 ; Oxford Analytica, 2017 ; Burrows, 2019 ; Santos del Valle, 2020) demeurent pertinentes en estimant que la Chine, l’Inde, la Russie, le Brésil et l’Indonésie prendront une place toujours plus importante sur la scène mondiale dans les domaines économique, politique et touristique ; les progrès technologiques rapides notamment dans les secteurs de l’information et des communications et l’évolution des modèles démographiques sont autant d’éléments biopolitiques qui soutiennent et confortent la tendance lourde de croissance des déplacements à vocation touristique, MALGRÉ la crise sanitaire qui occupe toutes les attentions. Sur les risques émergents, dont la pertinence demeurera dans l’avenir, quelques éléments structurants se rapportant aux conditions de vie des populations et au pouvoir des acteurs politiques relativement à la vie peuvent être identifiés, tels que :

  • Les pays du Sud, en particulier en Afrique et en Asie, continueront de voir leur population croître à un rythme soutenu (respectivement + 1,2 milliard et 1,8 milliard dans les 50 prochaines années).

  • La production industrielle et agricole et les besoins en ressources continueront également de croître pour subvenir aux besoins de la population, entraînant des effets proportionnellement élevés sur l’environnement (émission accrue des gaz à effet de serre, pollution et surexploitation des réserves d’eau, tarissement des ressources naturelles, etc.).

  • Les bénéfices issus des avancées technologiques et techniques continueront d’être inégalement répartis au profit des pays du Nord et maintiendront les écarts du rythme de développement économique et social entre ces derniers et les autres pays.

  • Le climat de la planète change et continuera de changer, changement qui sera directement lié aux activités humaines.

Les crises passées ont montré que les voyageurs ont tendance à se replier sur leur territoire de proximité et représentent des facteurs déstructurants qui prennent une forme spécifique. Il est clair que la crise sanitaire contribuera à exacerber ces éléments déstructurants qui représentent autant d’angles morts de la crise actuelle. Nous sommes d’avis que la pandémie représente, certes, une rupture à court terme, mais elle menace aussi l’avenir à long terme en exacerbant d’autres facteurs d’instabilité tels les risques géopolitiques et climatiques. Dans ces conditions, l’avenir du tourisme devra sans doute craindre davantage la prochaine crise géopolitique ou climatique que pandémique.