Volume 10, numéro 2, automne 2002 Théologie et psychanalyse. Que dit l’une au sujet de l’autre ? Sous la direction de Guy-Robert Saint-Arnaud
Sommaire (9 articles)
Liminaire
Thème
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À-propos : théologie et psychanalyse, que dit l’une au sujet de l’autre ?
Guy-Robert Saint-Arnaud
p. 13–23
RésuméFR :
Considérant la naissance de la neurothéologie et la prépondérance de l'herméneutique, l'À-propos fait état de recherches où la visée d'une pure objectivité et le comprendre sont en train de polariser l'espace du champ théologique. Cette conjoncture qui prévaut aussi dans la réflexion contemporaine évoque des ressemblances avec l'émergence de la découverte freudienne de l'inconscient située dans un contexte scientiste.
EN :
Taking into consideration the advent of neurotheology and the preponderance of hermeneutics, l’À-propos gives a state of the question concerning the quest for pure objectivity and understanding that polarize the space of theological research. This conjuncture, also present in contemporary reflection, evokes similarities with the emergence of Freud’s discovery of the unconscious in a scientific context.
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Le loup dans la bergerie : théologie et psychanalyse exposées au champ de l'Autre
Raymond Lemieux
p. 25–53
RésuméFR :
Psychanalyse et théologie s’entretiennent du rapport à l’Autre, posé comme condition de possibilité de parole et de vérité. Deux regards différents que l’auteur tente de cerner à même leur étrangeté réciproque. L’Autre de la psychanalyse comme instance logique, lieu vide et irréductible se trouve de connivence avec l’impossible du réel, c’est-à-dire un réel jamais rencontré autrement que par un rapport de fiction. Si l’Autre révèle le sujet comme assujetti au langage, il est aussi ouverture à sa dimension éthique comme sujet du désir. À son tour, l’Autre de la théologie s’inscrit comme l’irréductible d’un réel qui échappe. L'acte de foi cependant y rencontre le désir pour prendre le risque de figurer cet Autre, de le faire advenir au langage, tout en reconnaissant le caractère aléatoire des consistances imaginaires qu'il peut en produire. Il se met alors à l'écoute de ce qu'il peut en entendre pour y fonder l'éthique de ses productions humaines.
EN :
Both theology and psychoanalysis deal with the Other as a condition for the speech act and the truth. The autor intends to describe their strangeness as well as their closeness, in the move of their specific logic. From a psychoanalytic point of view, the Other represents a logical locus, irreducible and empty, in connivance with the impossibility of the real. Nobody can meet the Other but as a representation, as a figure which takes place in a fantasmatic construction. As such, the Other unveils the desire of the subject. This subject, however, is subjected to language, symbolic order and culture, as well as committed to desire and acts of creation. From a theological point of view, the Other also represents the irreducibility of the real. The act of faith, however, comes along with the desire, making the Other happen into the language, shaping his face, figuring his reality whatever may be the inconsistency of this enterprise. So the theologian has to listen to what can be understood from the Other, in order that an ethical dimension can be given to human life.
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Le champ de l’herméneutique : trajectoires et carrefours
Jean-Paul Resweber
p. 55–78
RésuméFR :
Du point de vue de la démarche philosophique, l'a. présente trois trajectoires herméneutiques distinctes, pour en déterminer les points d'articulation et les convergences: la phénoménologie (Husserl, Heidegger, Gadamer, Ricoeur), la psychanalyse (Freud, Lacan), la théologie (Bultmann, Derrida). Quelques « lieux communs » de l'herméneutique apparaissent alors: traversée et quête renouvelée d'une compréhension où il n'y a point de vérité absolue, écriture codée du texte ou des inscriptions vécues et écriture parlée du dialogue philosophique ou analytique, tension entre le littéral et le figuré, compréhension perçue comme traduction et compréhension perçue comme écoute, partage sur la question du fondement, rapport privilégié entre le récit et la configuration temporelle de la vérité, et précarité du sujet-interprète douloureusement éprouvée par le sujet de la théologie.
EN :
From a philosophical point of a view, the author presents three distinct hermeneutical trajectories: phenomenology (Husserl, Heidegger, Gadamer, Ricoeur), psychoanalysis (Freud, Lacan), theology (Bultmann, Derrida). He tries to determine how they are articulated and what are their principal points of contact. Several common areas of the hermeneutical quest then emerge: a renewed quest for understanding where there is no absolute truth; a coded writing of the text or living inscriptions; an oral writing of the philosophical or analytical dialogue; a tension between the literal and the metaphorical; understanding seen as translation and as listening; interest in the question of foundations; the relationship between narrative and the temporal configuration of truth; and the precariousness of the interpreting subject painfully experienced by the subject of theology.
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« Pour vous, qui suis-je ? » : la mise en scène du sujet chez les synoptiques1
Arthur Mettayer
p. 79–93
RésuméFR :
Les évangiles de Marc, Luc et Mathieu nous rapportent la question Qui suis-je ? posée par le personnage Jésus. Or, la formulation de la question, et sa réponse, se transforment d’un évangile à l’autre. Ce déplacement nous invite à un parcours, dont le point d’arrivée et de départ est aussi le lieu où la question se pose, lieu de l’Autre, lieu où un sujet amorce la rencontre de son désir. Qui suis-je? met en jeu non pas une reconnaissance de soi, ni une quête d’identification, mais bien plutôt l’endossement d’un nom par où s’insurge un manque à être. Les noms de fils de l’homme (Mc), de Christ de Dieu (Lc), de fils du Dieu vivant (Mt) révèlent tour à tour l’écart de la demande du Qui suis-je ?, révélant l’impossibilité du langage à dire totalement le sujet qu’il représente. Paradoxalement, la question est de l’ordre d’une dé-subjectivation, et non de l’attente d’un titre – comme d’un hors lieu où Christ peut être entendu dans son irréductibilité.
EN :
The Gospels of Mark, Luke and Matthew all report this question of Jesus: Who am I? The way the question is formulated and answered differs from one gospel to another. This transformation invites us on a journey whose beginning and end is also a place where this same question is asked, a place of Difference, the Other. It is where the subject initiates an encounter with his desire. Who am I? is not a call to self recognition, nor a quest for our true identity, but the endorsement of a name where the lack of being appears. The multiple designations such as Son of Man (Mk), Christ of God (Lk), Son of the living God (Mt) all reveal the distance of the question Who am I?, and expose the inadequacy of language to say the subject that it represents. It is a paradox that the question is in fact a de-subjectivation, and not the place where a precise identification can be attained, like a non-place where Christ can be heard in his irreducibility.
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L’écriture de la vertu : homologies entre l’acte aristotélicien et la théorisation du sujet lacanien1
Roland Sublon
p. 95–140
RésuméFR :
L’a. relit la manière dont Aristote écrit l’éthique, fondement de son projet politique, afin de pointer les ressemblances existant entre la démarche aristotélicienne et la théorisation du sujet par la psychanalyse (lacanienne), et de montrer que l’éthique d’Aristote, loin d’être fermée, principielle et nécessariste, est ouverte à l’incertitude, et donc, très actuelle, puisqu’elle a une structure de topologie moebienne, voire borroméenne. Il existe une assonance entre la manière dont Aristote écrit la vertu, la prudence, la tempérance, le plaisir et l’amitié, et la théorisation de Lacan. Dans un premier temps, l’a. examine la construction de la prudence chez Aristote. Métaphysique θ, 6 fournit une clé de lecture (généralement négligée) de l’Éthique à Nicomaque, grâce aux catégories de puissance et acte, qui permettent de penser la dimension pulsionnelle, insaisissable, de l’agent vivant, irréductible à toute chosification, et par ailleurs doué de parole. Or, puisque les catégories utilisées par Aristote sont déterminées linguistiquement (penser et parler sont indissociables), un rapprochement s’opère avec un opérateur logique de la psychanalyse : la Lettre. Celle-ci rend compte de la structure involutive propre à l’activité du sujet parlant, dans l’articulation de l’identique et du différent. L’éthique n’est-elle pas l’impossible mais nécessaire réconciliation des contraires ? Donc, la puissance de l’éthique s’actualise par la parole, mais la vertu (l’excellence) est indissociable de la prudence. Dans un deuxième temps, l’a. examine la construction de l’amitié chez Aristote. L’agent est-il déterminé dans ces choix par un principe idéal aux effets nécessaristes ? Prenant le contrepoids de l’interprétation commune, menant plus loin son analyse de la prudence et s’appuyant encore une fois sur des parallèles lacaniens, l’a. écarte résolument cette possibilité. L’expérience exige de ne pas séparer πάθος et λόγος ni d’en privilégier l’un au détriment de l’autre. La topologie moebienne de Lacan permet ainsi de penser à nouveau frais, avec Aristote, l’amitié.
EN :
The author re-reads the way Aristotle writes ethics, which is the foundation of his political project, in order to identify the similarities between the Aristotelian approach and the theory of the subject elaborated by Lacan’s psychoanalysis. This shows that Aristotle’s ethics, far from being closed up or guided by principles and necessity, are in fact opened to uncertainty, and close to our ways of thinking, for it has a Moebian and Borromean topological structure. There exists assonance in the way in which Aristotle writes about virtue, prudence, temperance, pleasure and friendship, and Lacan’s theory. Firstly, the author examines Aristotle's articulation of prudence. Metaphysics θ, 6 provides us with a key (generally neglected) to interpret the Nicomachean Ethics through the categories of power and actions. These categories allow us to consider the living agent as a being which is also motivated by drives which are outside the reach of our understanding. This living agent cannot be reduced to a thing but is capable of speech. Since the categories used by Aristotle are linguistically determined (thinking and speaking cannot be dissociated), the Letter, a logical operator of psychoanalysis, can bring them closer together. This accounts for the structure of involution, belonging to a speaking subject, in the articulation of the identical and the different. Aren’t ethics the impossible but necessary reconciliation of opposites? Thus, the power of ethics actualizes itself through language, but virtue (excellence) cannot be separated from prudence. Secondly, the author examines Aristotle's articulation of friendship. Is the agent determined in his choices, through an ideal principle that imposes is necessities? Going against the common interpretation and pushing further his analysis of prudence, the author, supported by parallels taken from Lacan’s psychoanalysis theory, rejects this possibility. Experience forbids us to separate πάθος and λόγος, nor can we privilege one at the expense of the other. Lacan’s Moeban topology enables us to revisit friendship through Aristotle.
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Deuil et individuation : une contribution de la psychanalyse jungienne à la réflexion eschatologique
Pierre Farmer et Yanick Farmer
p. 141–157
RésuméFR :
Cet article entend aborder le thème du deuil et de la mort à travers l’approche du psychanalyste suisse Carl Gustav Jung. Ainsi, les deux premières parties du travail sont consacrées à la description et à la compréhension du processus de deuil, de même qu’aux étapes de la guérison psychologique nommée par Jung individuation. Par ce biais, nous cherchons à faire valoir la pertinence de la psychanalyse dans le champ philosophique, théologique et moral, tout en mesurant, dans la conclusion, les périls que font subir à la vie spirituelle de l’homme certains aspects de l’évolution culturelle de nos sociétés.
EN :
This article deals with grief and death through the works of Swiss psychoanalyst Carl Gustav Jung. The first two sections describe and seek to understand grief and the different stages of psychological healing that Jung calls individuation. Through this, we hope to show the relevance of psychoanalysis in the realms of philosophy, theology and ethics. In our conclusion, we will also measure how certain aspects of the cultural evolution of our societies endanger the human being’s spiritual life.
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Après-coup1 : théologie et psychanalyse, que dit l’une au sujet de l’autre ?
Guy-Robert Saint-Arnaud
p. 159–216
RésuméFR :
La spécificité de la position freudienne pose l'enjeu éthique d'un lieu autre où la problématique du sujet est appelée à s'énoncer en théologie et en psychanalyse. L'après-coup explicite cette orientation en analysant certains mouvements et stratégies qui animent un désir de mort à l'endroit de la théologie et de la psychanalyse. Les rapports entre théologie et psychanalyse reproduisent aussi ces écueils qu'il convient de préciser pour éviter les voies d'impasse de la réduction ou de l'assimilation de l'une à l'autre. Une relecture des articles du numéro permet de dégager des malentendus qui peuvent devenir féconds si lectrices et lecteurs s'ouvrent à la dimension d'un sujet de l'inconscient en tension avec la subjectivité en théologie.
EN :
The specificity of Freud’s position raises an ethical issue concerning a different position, through which the problem of the subject is called to enunciate itself in theology and psychoanalysis. The après-coup clarifies this orientation by analyzing certain currents and strategies that animate a desire of death in theology and psychoanalysis. The relationship between theology and psychoanalysis produces obstacles we must identify, so that we may avoid reducing or assimilating one to the other. A re-reading of this issue's contribution helps to recognize misunderstandings that can become profitable if the readers open themselves to the dimension of a subject of the unconscious, in tension with the subjectivity of theology.
Hors thème
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André Naud, théologien : vérité et liberté dans l'intelligence de la foi
Guy Durand
p. 217–236
RésuméFR :
Professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal, de 1967 à 1991, André Naud a été le modèle du théologien libre. La pensée de Simone Weil l’a mené à comprendre que « l'intelligence ne peut vraiment se soumettre à aucune autorité extérieure». Ses travaux abordent trois questions : les valeurs chrétiennes, appuyées sur une exégèse théologique des Écritures; la recherche de la vérité, qui autorise « un droit à la dissidence » au nom de la conscience individuelle; la liberté absolue de l’intelligence humaine que l’Église ne peut qu’inviter à une attention respectueuse et attentive à ses dogmes.
EN :
A professor at the Faculté de théologie of the Université de Montréal from 1967 to 1991, André Naud was the model of a free theologian. Through his contact with Simone Weil’s thinking, he understood that “the intelligence cannot truly accept to be submitted to any external authority”. He wrote on three topics : the Christian values, grounded on a theological exegesis of Scriptures ; the search for truth, which leaves room for a “right to dissent” rooted in the autonomy of individual consciousness ; the total freedom of human intelligence, which the Church can only invite to respectful and careful attention to her dogmas.