Chroniques : Essai/Études

L’équilibriste et le voyageur[Notice]

  • François Paré

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  • François Paré
    Université de Waterloo

Ces dernières semaines, je me suis payé une petite cure de nostalgie. À vrai dire, il n’y a que certaines images troublantes du passé pour ainsi révoquer, des heures à la fois, la marche naturelle et banale du temps. Assis parfois sur ma grande galerie à la maison, parfois dans l’autobus qui me conduisait à l’université, je me suis laissé ravir par la passionnante biographie de Camille Laurin que vient de publier le journaliste Jean-Claude Picard . C’était, on s’en rend compte tout de suite à parcourir ce livre, un autre versant de l’histoire. À cette époque-là, mes parents étaient encore vivants. De la même manière, si je puis dire, mon amie Lise n’avait pas encore rompu avec moi. Nous sortions souvent au Café Campus, le vrai, rue Decelles, près de l’université. Quelques mois plus tard, en mars 1970, je serais soulevé par la victoire inespérée des sept premiers députés du Parti québécois à l’Assemblée nationale du Québec. J’afficherais leur photo sur le mur de ma chambre à coucher. Parmi eux, il y aurait, bien entendu, le psychiatre Camille Laurin, élu député de la circonscription de Bourget dans l’est de Montréal. La cravate dénouée, assis entre Marcel Léger et Robert Burns, Laurin me ferait déjà penser à Frantz Fanon, lui aussi psychothérapeute d’un peuple qu’il jugeait colonisé jusque dans l’âme. Ce n’est guère mon propos dans les limites de cette chronique de parler longuement du livre de Jean-Claude Picard. Mais ce qui frappe à coup sûr dans cet ouvrage, c’est l’interprétation de l’histoire du Québec qui nourrissait à tout moment l’action politique de Laurin et qui l’a conduit, de concert avec Fernand Dumont et Guy Rocher, à formuler de façon globale la modernité québécoise. À cette vision irréductible, dont Laurin s’est fait le défenseur acharné, se superpose aujourd’hui celle d’une société pluraliste, ouverte sur sa mixité linguistique et sur son appartenance à la mondialisation de l’économie. La figure de Camille Laurin se détache alors comme une présence patriarcale obsessionnelle, car elle rappelle le chemin parcouru depuis cinquante ans. Elle suggère que la culture québécoise, loin d’avoir remisé ses vieilles chimères, oscille toujours entre l’affirmation de sa différence, soutenue par la défense inconditionnelle de sa spécificité linguistique, et la négation de l’emprise ethnique de la langue au nom du principe de la citoyenneté universelle. Comment une société peut-elle être le valet de deux maîtres ? Laurin, lui, n’y a jamais cru, alors que d’autres y voient aujourd’hui une richesse conceptuelle, propre aux cultures postmodernes. Dans un article sur les liens entre la littérature et la politique, Nathalie Prud’homme constate que cette posture de l’équilibriste définit toutes les sociétés actuelles : « Les littératures nationales peuvent même être perçues jusqu’à un certain point comme des interprètes de cette mondialisation qui advient . » En ce qui concerne le Québec, le ministre-psychiatre aurait sans doute vu ces funambules de l’identité comme des êtres rendus impuissants par une longue histoire faite de déchirures et d’accommodements. Deux ouvrages récents témoignent de cette épuisante oscillation. Le premier, sous la direction de Robert Dion, s’adresse essentiellement à un public étranger . Le Québec et l’ailleurs rassemble des textes assez divers sur la littérature et la culture québécoises contemporaines à l’intention de lecteurs européens. Le titre de cet ouvrage s’oppose explicitement à la sémantique de l’ici sur laquelle s’était appuyée une bonne part du nationalisme des années soixante au Québec. Dans le « liminaire », Robert Dion dit vouloir renverser l’image d’un Québec souvent perçu à l’étranger comme une société « enclose sur elle-même, méfiante à l’égard de la différence » (6). Dans leur ensemble, les études proposées …

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