Chroniques : Poésie

Anthologies[Notice]

  • André Brochu

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  • André Brochu
    Université de Montréal

Comme si, en ces temps de malaise identitaire, le moment était venu de faire le point sur la poésie du Québec, plusieurs anthologies viennent de paraître, avec chacune son esprit particulier. J’en retiens deux. L’une, en fait la réédition revue et augmentée d’un ouvrage bien connu, est une référence incontournable, issue de la sphère universitaire. L’autre nous arrive tout droit du cégep, dont elle reflète les enthousiasmes. Je commence par elle. Gaëtan Dostie publie Les poètes disparus du Québec , ouvrage d’une originalité certaine, dans un domaine où cette vertu est plutôt rare. Originalité du format, grand et carré, et de la présentation où s’exprime le fin goût d’un amateur d’art et d’un collectionneur. Originalité de l’iconographie, chaque poète étant représenté par un dessin inspiré d’une photo, lequel transcende très librement la physionomie réelle au profit d’un simulacre rêveur (qui fait parfois, soyons juste, regretter la photo). Originalité de l’éditeur qui est un lieu, le Collège Ahuntsic, ce qui arrime un projet tout littéraire à une institution d’enseignement pré-universitaire, où l’éveil des jeunes à la conscience culturelle est un objectif important. L’anthologie s’inscrit d’ailleurs dans le sillage d’une initiative mise sur pied il y a quinze ans, un recueil de poésie intercollégial intitulé Pour l’instant. Originalité, surtout, d’une audience accordée seulement aux disparus, victimes soit du temps « irréparable  » (Octave Crémazie aurait, aujourd’hui, 180 ans !), soit, pour les plus récents, de maladie, d’accident ou de suicide. On se trouve donc devant une vaste galerie, qui comporte sensiblement les mêmes figures que toute anthologie de la poésie québécoise, de Crémazie à Marie Uguay, mais plus on se rapproche du présent, plus s’inscrit le défaut des poètes vivants, ce qui donne aux auteurs retenus une curieuse solidarité avec les figures plus ou moins imposantes du passé. On aurait aimé que, dans son « Introduction », Gaëtan Dostie, au lieu de se contenter de brosser à grands traits la fresque de notre histoire littéraire relative à la poésie, s’explique un peu sur son projet et, surtout, sur son parti pris de ne présenter que les trépassés. Est-ce l’influence du film culte La société des poètes disparus, si propre à toucher un public adolescent et à l’éveiller à l’envoûtement du lyrisme, qui l’aura guidé ? Ou serait-ce, plus secrètement, l’angoisse que ressent tout écrivain québécois lucide devant la perspective de l’érosion qui mine jusqu’au présent de notre histoire, littéraire et autre ? Quoi qu’il en soit, un si beau titre et une entreprise si singulière auraient mérité quelques mots d’explication. Mais l’anthologie, c’est avant tout un choix de textes, et l’originalité se reflète encore là. D’une page à l’autre, tout au long du gros livre, la surprise guette le lecteur. Bien entendu, et heureusement, on retrouve de grands textes connus, admirables, parfois cités in extenso comme « La marche à l’amour » de Gaston Miron, « Roses et ronces » de Roland Giguère ou « Le tombeau des rois » d’Anne Hébert. Mais ces choix royaux par lesquels, s’ils se multiplient, l’ouvrage risque de faire double emploi avec les anthologies existantes, sont rares, et on trouvera plutôt le contraire, c’est-à-dire des textes peu connus du grand public et même, parfois, nettement inférieurs aux textes attendus. Je pense au long poème posthume d’Alain Grandbois adressé à sa compagne Lucienne, « Je veux t’écrire un poème de coeur » (178-182), que le poète n’aurait certainement pas publié sans le retravailler et qui, de toute façon, n’était pas destiné à la publication. Certes, ce poème est émouvant et constitue, par son intimisme et son côté familier, un contrepoint intéressant aux grandes réussites des …

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