ChroniquesPoésie

Le poème au plus noir[Notice]

  • André Brochu

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  • André Brochu
    Université de Montréal

Une anthologie thématique de François Hébert, un choix de poèmes d’Yves Préfontaine et la réédition d’un recueil de Robert Melançon nous ouvrent trois chemins pour l’enchantement… et pour la nuit. François Hébert est fidèle à lui-même, c’est-à-dire à son sens de la provocation amusante — mais pas toujours innocente —, en intitulant J’partirai son anthologie sur la mort . Un tel titre fait léger, joualisant par sa syntaxe de langue parlée, bref pas du tout compassé comme le langage habituel des anthologies, lesquelles ont pour fonction de conférer un cachet institutionnel à un corpus. Et quand le corpus concerne un tabou comme la mort, la dérogation est encore plus évidente. Toutefois, François Hébert a un complice (involontaire) dans cette entreprise : Alexis Lefrançois, dont le poème reproduit (22-24) porte justement le titre « J’partirai » et constitue sans aucun doute le texte le plus flamboyant du recueil. L’auteur de l’anthologie peut donc s’appuyer sur un élément du contenu, ce qui rend sa désinvolture plus recevable. Le recours au français populaire, voire au québécois, qui réussit si bien à Lefrançois dont les origines sont belges, a ultimement quelque chose de très littéraire, qui finit de nettoyer le titre de sa dimension problématique. La mort, un tabou ? C’est certainement le cas en situation « normale », pendant les périodes d’embonpoint économique, social et… culturel. Nous en sommes loin ! Le xxie siècle, avec l’hystérie du grand bogue de l’an 2000, ses désastres naturels (tsunamis, ouragans, dévastations sismiques), ses risques de pandémie, sa catastrophe financière majeure, l’assimilation tranquille de la francophonie nord-américaine (voire québécoise), la menace environnementale qui pèse sur l’ensemble de la planète, semble vouloir généraliser à l’avance le modèle d’Haïti, frappé au coeur par une indicible calamité. La mort devient l’affaire de chacun. Les arts sortent du post-formalisme pour sombrer dans le culte de l’extrêmement nu-et-noir. Dans ce contexte, l’anthologie de François Hébert paraît on ne peut plus appropriée. Son sujet n’a nul besoin de justification. Heureusement toutefois, les textes échappent pour la plupart à la dure morosité que le thème pourrait convoyer. Nous sommes ici en poésie, c’est-à-dire en pleine élaboration de langage, et d’un langage vivant, formidable défi au silence. L’anthologie regroupe cent textes, de presque autant de poètes d’ici (y compris quelques anglophones en traduction, et puis des « migrants », mais aussi des ancêtres ou aînés, de François-Xavier Garneau et Octave Crémazie à Alfred DesRochers et Clément Marchand). Bref, on se sent à peu près dans l’espace coutumier d’une anthologie de la poésie québécoise, si l’on fait abstraction de quelques références familières laissées de côté (Yves Préfontaine, Gilbert Langevin, Claude Péloquin, Jean Royer, Claude Beausoleil, Renaud Longchamps, Jean-Marc Desgent, Yolande Villemaire, Lucien Francoeur, Claudine Bertrand…), peut-être parce que leur inspiration ne fournissait pas la matière désirée. Il faut convenir cependant que les poèmes retenus ne parlent pas tous de la mort avec la même évidence, loin de là. Le discours polysémique propre au genre poétique fait qu’on se sent entraîné vers toutes sortes d’horizons. Malgré le côté en lui-même restrictif de l’anthologie thématique, on se sent presque, je le répète, dans une anthologie habituelle de notre poésie, où se mêleraient harmonieusement les générations. La chronologie est mise de côté au profit des regroupements de motifs. Nérée Beauchemin côtoie Paul-Marie Lapointe, et Arthur de Bussières, Paul Chanel Malenfant. L’impression qu’on éprouve, de lire une anthologie pure et simple de notre poésie, impression due surtout à la présence presque exhaustive de nos bons auteurs, n’empêche pas que le livre se révèle plein de surprises, car les textes célèbres, ceux qu’on retrouve partout, sont ici presque tous absents …

Parties annexes