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La fin du monde, la fin d’un monde[Notice]

  • Ching Selao

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  • Ching Selao
    Université du Vermont (États-Unis)

La fin du monde semble être un sujet particulièrement inspirant ces temps-ci. Après Soumission de Michel Houellebecq, dont la sortie coïncidait avec les attaques du 7 janvier 2015 contre Charlie Hebdo, et 2084. La fin du monde de Boualem Sansal, publié quelques mois avant les attentats terroristes du 13 novembre 2015 à Paris, Catherine Mavrikakis nous offre aujourd’hui Oscar de Profundis — un « roman apocalyptique », annonce la quatrième de couverture. Dans Soumission, Houellebecq prédit que la fin de la France aura lieu en 2022, lors de l’élection d’un membre de la Fraternité musulmane à la tête de l’État français, et Sansal, dans son roman inspiré de 1984 de George Orwell, nous met en garde contre l’islamisation de la planète prévue pour 2084. Oscar de Produndis situe également l’apocalypse vers la fin du xxie siècle, mais propose par ailleurs une critique virulente de la mondialisation et du capitalisme sauvage. En effet, à la différence de ses contemporains dont les livres ont tous deux connu un énorme succès, Catherine Mavrikakis ne fait pas, à travers son roman d’anticipation, le procès d’une religion, en l’occurrence musulmane, mais plutôt le procès d’un sentiment généralisé : l’indifférence. Oscar de Profundis suscite ainsi, en même temps qu’un réel plaisir de lecture, une sorte de malaise puisque nous sommes tous et toutes un peu coupables de « laisser la vie aller » (13), de laisser se produire, dans « la plus grande indifférence » (15), le génocide éventuel des pauvres au profit des nantis. Le roman est dédié « [a]ux passants », c’est-à-dire aux lecteurs que nous sommes, banlieusards en devenir, et le premier chapitre s’ouvre sur une citation de Charley Patton : « Everyday seems like murder here. » (9) « Here », c’est le centre-ville de Montréal, déserté de ses habitants et où ne vit désormais qu’une seule « race » (42), celle de la « sous-humanité » (14), désignée par divers noms : les « gueux » (12), les « sous-hommes » (13), les « poux humains » (13), les « bêtes traquées » (14), les « parasites » (14 et 50), les « mendiants vermineux » (19), « la racaille » (19 et 41), « la gueusaille parasite » (51), les « pouilleux » (51), les « damnés de la terre » (58 et 200), les « parias en voie d’extinction » (107). Dans cet univers en ruines, ce lieu d’extermination, un personnage, Oscar de Profundis, aurait pu être le sauveur des « damnés de Montréal » (124). Né dans la métropole, une ville qu’il a fuie pour tenter d’oublier l’enlèvement et la mort tragique de son petit frère Oliver alors qu’ils étaient tous deux enfants, Oscar Méthot-Ashlan a choisi de faire carrière sous un nom d’artiste qui rend hommage à Baudelaire (pour son poème « De profundis clamavi »), tout en étant un clin d’oeil à Oscar Wilde. Une phrase tirée de « De Profundis », la célèbre lettre que Wilde écrit de prison à son amant, Alfred Douglas, est placée en exergue du livre : « For us there is only one season, the season of sorrow. » Oscar de Profundis est le « chanteur de la fin des temps » (31), « la star de l’apocalypse contemporaine » (31), « le marquis de Sade du rock » (103), la « [f]igure moderne de l’Antéchrist » (133) ; considéré par certains comme l’un « des grands responsables de la fin du monde qui s’install[e] tout doucement » (133), il est pourtant, et surtout, le gardien d’une culture francophone en mode de survivance. Non seulement le …

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