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Depuis que Madeleine Gagnon nous a ouvert la porte de son appartement il y a bientôt deux ans afin que nous y discutions avec elle de littérature, de philosophie et de psychanalyse, nous avons été habité·es par la volonté commune de mettre en avant et en lumière, pour une deuxième fois à Voix et Images, le remarquable apport – complexe, ample, non consensuel – de cette écrivaine à la littérature québécoise. En effet, un petit numéro paru en 1982 se consacre à l’oeuvre de Gagnon qui, si elle était déjà établie à l’époque, compte aujourd’hui plus d’une vingtaine de titres supplémentaires, de même qu’une reconnaissance critique importante[1]. Impossible de ne pas remarquer le contraste entre ces deux dossiers composés à quarante années d’intervalle, années durant lesquelles les études littéraires elles-mêmes ont subi une transformation. Très ancré dans le présent, ce dossier aborde l’oeuvre à partir de considérations actuelles liées à la communauté, notamment, et avec une vue d’ensemble rendue possible par le recul temporel ; ainsi espérons-nous qu’il soit aussi riche que le matériau premier d’où il tire sa raison d’être.
De prime abord, il est impossible de ne pas constater la grande densité des écrits de Madeleine Gagnon, dont l’une des particularités notoires est de convoquer et d’ainsi faire dialoguer différents genres, se révélant postmoderne, « d’une postmodernité baroque[2] », pour emprunter les mots de Louise Dupré. De l’essai au poème, du roman à la nouvelle en passant par le récit et l’autobiographie, une résonance singulière unit ces textes aux factures diverses, qui ont en commun la notion de désir, notion poursuivie par l’écrivaine tout au long de sa carrière.
D’aucuns auront remarqué que l’oeuvre de Gagnon est complexe dans sa forme, sans être proprement « formaliste ». Qu’est-ce à dire ? Que ses livres, « exigeants comme il s’en rencontre peu », écrit Robert Melançon, le sont par refus de la « complaisance ou [de la] facilité[3] » ; la forme, chez elle, répond à des préoccupations qui ne sont pas seulement plastiques. Gagnon cherche moins à raconter des histoires qu’à explorer l’arrimage entre le sujet et la lettre ; il faut pour cela, comme l’ont fait avant elle Stéphane Mallarmé, Samuel Beckett, Marguerite Duras, qui sont quelques-uns de ses modèles, ébranler les attentes de lecture.
Cette poursuite l’a poussée à ne jamais nier l’importance du corps et du féminin dans la composition littéraire et l’exercice de la pensée, car « quelque chose [lui] dit […] qu’une grande partie de l’histoire, pour ne pas avoir été écrite et pensée par [les femmes], s’est figée dans la mémoire du corps femelle[4] » et demande à être révélée. On remarquera que c’est au sein de son anthologie de « fictions » que Gagnon choisit de publier ce texte qui en appelle à une présence du « corps dans l’écriture », affirmant, revendiquant ainsi « la proximité constante et heureuse des versants fictifs et réflexifs de l’oeuvre en travail[5] ». En ce sens, Madeleine Gagnon – qu’on surnomme en certains lieux « la gentille lionne[6] » – est bien celle qui n’a pas cédé sur son désir d’écriture. Féministe, syndicaliste, contre-culturelle, frondeuse, rusée, féroce à ses heures, Gagnon écrit, elle écrit beaucoup ; en plus d’une participation soutenue à la vie des revues littéraires, politiques et culturelles de son époque[7], son oeuvre s’érige en plus d’une trentaine de livres dont la publication s’étale sur une période d’écriture active de plus de trente ans.
Féminisme, marxisme et psychanalyse : c’est autour de ces trois mots clés que s’élabore son oeuvre, ce qui se repère en aval comme en amont de l’écriture. Ainsi peut-on mentionner la revue Chroniques qu’elle fonde en 1975 aux côtés de Patrick Straram, et son engagement au Syndicat des professeurs de l’UQAM (SPUQ[8]). Ces préoccupations militantes donnent par ailleurs à l’oeuvre son impulsion, dans la mesure où les premiers textes comme Pour les femmes et tous les autres[9] et Poélitique, dont on aura dit qu’ils constituent une tentative « de produire une poésie communiste[10] », sont imprégnés de politique et de langage populaire. On y prend la défense des travailleurs exploités, on y cite Mao et Lénine, on y fait entendre un choeur de voix féminines sacrifiées (« Chu née icitte/Pi j’vas rester/[…]/ça vaut à peine/d’endurer encore un peu[11] »), et surtout, on y affirme le désir « inscrit au creux de nos actes[12] ». C’est peut-être cette dimension qui prendra de l’ampleur tout au long de l’oeuvre de Gagnon : la nécessité de penser la dimension du désir en creux du politique, « [c]ar, jusqu’ici, c’est cantonné », dit-elle en entrevue au Devoir en 1979. « C’est ce qui fait à mon avis que les pouvoirs se reproduisent dans l’oppression. Parce qu’un pouvoir qui n’est pas retraversé quelque part dans le désir, il va se reproduire dans l’oppression[13]. » Il y a là essentiellement le propos qu’elle défend toujours vingt ans plus tard dans Les femmes et la guerre, une aventure littéraire tout à fait singulière. Cet essai écrit dans la foulée d’un reportage pour Radio-Canada mène Gagnon, en compagnie de Monique Durand, au Kosovo, en Bosnie, au Pakistan, en Macédoine, en Israël, en Palestine, au Sri Lanka, au Liban, pour recueillir les témoignages de femmes. C’est le regard sensible non pas d’une journaliste ou d’une sociologue qui s’exprime là, mais celui d’une écrivaine attentive surtout à la souffrance psychique. Le livre, qui sera également publié en France sous le titre Anna, Jeanne, Samia…, trouvera son prolongement dans le roman paru cinq ans plus tard, Je m’appelle Bosnia, qui rêve l’émancipation d’une jeune femme rencontrée lors du voyage.
La dimension politique de l’oeuvre s’exprime aussi dans et par l’écriture de trois livres majeurs nés de collaborations : d’abord Portraits du voyage, qui recueille aussi les textes de Jean-Marc Piotte et de Patrick Straram ; ensuite La venue à l’écriture, avec ceux d’Hélène Cixous et d’Annie Leclerc ; puis finalement Retailles, avec Denise Boucher. Cette dernière collaboration, tout particulièrement, problématise la tension qui existe entre communauté et individualité – des considérations tout à fait actuelles et brûlantes. En effet, Retailles s’érige sur les ruines d’un « groupe de conscience féministe » composé de six femmes, groupe nommé « Moi-Je », éclaté en raison de la tension qui s’y exprimait entre le féminisme de Boucher et Gagnon, et celui appartenant à un lesbianisme radical[14]. Retailles est une tentative de retisser les voix de celles qui ont été exclues du groupe, de faire cohabiter les singularités et les désirs contradictoires : « Les morceaux d’une courtepointe, même s’ils composent une même trame, demeurent hétérogènes les uns aux autres, ne deviennent jamais indifférenciés : leur singularité est maintenue[15] », écrit Chloé Savoie-Bernard à propos de cette démarche de correspondance poétique. On reconnaît dans ce projet la nécessité de trouver un espace pour la pensée qui ne soit pas subordonné aux pouvoirs institués, lorsque « le Nous du collectif s’installe comme politique, comme morale, comme religion[16] » et neutralise les singularités dans l’illusion de la cohésion. Ainsi Gagnon bouge, se déplace, quitte les « Moi-Je », quitte la revue Chroniques, quitte Les Herbes rouges avant de s’installer aux éditions VLB, quitte l’université ; Gagnon voyage d’un espace à l’autre « pour retrouver l’autonomie et la solitude essentielles à l’écrivain[e][17] ».
La décennie 1980, marquée par ces déplacements, donne lieu à la définition d’un style, à l’affirmation d’une voix dans plusieurs recueils de poésie qui, sans abandonner la portée politique des premiers projets, vont l’investir à partir d’une réflexion sur l’écriture. Le recueil Antre se situe à la charnière de ces deux mouvements, alors qu’il appelle « la révolution des ménagères prolétaires[18] » et amorce à la fois une recherche de « l’interstice signifiant[19] ». Il s’agit d’un voyage Au coeur de la lettre pour penser la naissance du langage en chacun et, plus difficile encore, atteindre, avec le langage, ce qui le précède : la lettre infinie[20]. Cette contradiction qui habite nombre de ses recueils mène Gagnon à envisager « la démesure violente du rien[21] », « la folle fin de [l]a mort enfin dite[22] », le « cri venu de l’avant vie[23] » pour trouver dans l’écriture un « équilibre de [s]on propre vertige[24] ». « Stratégies du vertige » est la belle expression avec laquelle Dupré épingle cette dimension de l’oeuvre tout en affirmant sa portée politique, stratégique : chercher à atteindre ce qui vient avant l’ordre symbolique (fait homme) a une portée féministe certaine ; il s’agit de penser le corps à corps filles-mères, ce temps « où elles n’avaient pas encore été aliénées comme sujets d’une histoire d’oppression d’elles[25] ».
S’il faut se risquer à établir des tendances, des moments de l’oeuvre, on pourrait remarquer qu’à l’issue de cette décennie marquée par la poésie, Gagnon cède à « la tentation biographique », et publie, en 2013, Depuis toujours, qui trace un itinéraire chronologique d’une vie intellectuelle où se mêlent les histoires d’enfance et familiales, les amitiés et les voyages. Mais avant, d’autres livres lui avaient pavé la voie, les « autobiographies fictives » que sont Mémoires d’enfance et Les cathédrales sauvages. Fictives en ce qu’elles revendiquent la part de fantasme qui habite tout souvenir – « il est une vérité de la fiction[26] » écrit-elle simplement dans Les femmes et la guerre –, mais fictives aussi en ce qu’elles se permettent d’aller au-delà des possibles pour donner corps aux rêves – se trouve mise en scène la rencontre improbable entre Gagnon et Lou Andréa Salomé[27], par exemple. On pourrait dire que c’est cette incursion dans l’autobiographie qui mène Gagnon sur la piste de la prose narrative, qu’elle pratique pour la première fois en 1995 avec Le vent majeur et, dix ans plus tard, avec Je m’appelle Bosnia.
Car l’écriture, oui, a bien été le centre focal, pulsionnel et passionné de la vie de Gagnon, l’amenant même à prendre le risque de quitter l’enseignement universitaire après douze ans de carrière[28] afin de retrouver le temps perdu, même si ce temps lui aura coûté cher – symboliquement et littéralement –, nous avouera-t-elle au cours de l’entretien mené de vive voix avec elle en septembre 2021 et intégralement retranscrit dans ces pages. Au fil de cette discussion, la parole de Gagnon s’est élevée pour nous rappeler à la puissance de l’art littéraire, à l’écriture comme force vive d’expression et de transformation de l’expérience humaine. Convoquant des souvenirs lointains mais prégnants – la maison jaune de Mont-Joli, la passerelle au-dessus de la rivière où se noya son amie Orietta –, l’écrivaine y retrace de manière syncopée le cours de sa vie, ponctué par des études sérieuses, la découverte de l’Europe puis de fréquents voyages, des déménagements, l’enfantement, la recherche intellectuelle, la création littéraire et la vie universitaire, où elle fut l’une des fondatrices, en 1969, du Département d’études littéraires de l’UQAM, et l’une des premières professeures à y développer ce que l’on nomme aujourd’hui la recherche-création. Elle sera aussi parmi les premières à enseigner la littérature québécoise à l’université, littérature qu’elle chérit et défend au risque d’écorcher au passage qui la bafoue publiquement[29].
Si lors de l’entretien la mémoire fait parfois défaut à l’écrivaine en ce qui concerne les dates ou la chronologie (était-ce avant ou après ?), Gagnon demeure intraitable sur un point : il faut savoir bien se tenir. Rien à voir avec les bonnes manières que commande l’étiquette ; les aventures intellectuelle et littéraire, chez Gagnon indissociables l’une de l’autre, demandent du courage, de la ténacité, du temps et de la patience. Il faut donc apprendre à bien se tenir afin de garder le cap au coeur de la tempête, celle du doute, ce grain qui ne passe pas. « J’aurai l’esprit du doute jusqu’à la fin », nous dit Gagnon, et nous entendons dans cette phrase l’humilité de celle qui cent fois sur le métier a remis son ouvrage.
Pétrie de ses contradictions et ne s’y butant pas, l’oeuvre de Gagnon allie cette humilité à un certain entêtement, ne doutant pas de sa valeur intellectuelle et littéraire. Érudite, audacieuse, la pensée de l’écrivaine fait montre d’une souplesse épistémologique – philosophie, psychanalyse, littérature – qui touche autant ses textes théoriques que de création. Dans leur article, Louis-Daniel Godin et Julian Ballaster se penchent sur le travail d’écriture de Gagnon envisagé dans sa dimension subjective, où se trouve mis à découvert le vide qui habite toute parole. Y sont analysés les textes théoriques de Gagnon publiés au sein de périodiques et son premier texte poétique où la quête d’atteindre ce vide – par l’entremise de « l’interstice signifiant » – est manifeste, voire explicitée : le recueil Antre (1978). Déployant certaines notions psychanalytiques qui impulsent l’écriture de Gagnon (jouissance, réel et pulsion de mort), l’article tente alors de cerner la nature de cet interstice, de même que ses potentialités poétiques et politiques. Car l’écriture, chez Gagnon, est à la fois ce qui permet d’explorer cet interstice et de ne pas y sombrer, un tel lieu étant conçu comme un espace de disparition, où les repères sont amenés à être dissous, mais aussi et par là même comme un espace éthique à investir. C’est ce que donnent à lire les deux – émouvants – poèmes inédits de Gagnon publiés dans ce dossier, que Godin et Ballaster mettent finement en lien avec une démarche d’écriture amorcée depuis plus de trente ans.
Laurence Pelletier, quant à elle, retrace le parcours féministe de Gagnon au fil de sa production essayistique, parcours qu’elle définit comme une « venue à l’écriture » renversant le phallogocentrisme du langage à travers une prolifération de signifiants nouveaux qui viennent « ajoute[r] au discours ce qui a toujours et déjà manqué à sa structure » (Pelletier, p. 63). Mais analysant cette quête du féminin comme vérité de l’écriture et relativisation de son pouvoir logocentrique, Pelletier note que les textes de Gagnon, dans leur qualité musicale, auditive, « défie[nt] la finalité et la finitude du langage et cherche[nt] un sens au-delà de la mesure » (Pelletier, p. 74), pointant ainsi vers « le seuil tragique du Logos » (Pelletier, p. 60), là où toute trace finit par s’effacer, se dissoudre, donnant ainsi à penser « ce qu’entretient le féminin avec une fin des temps » (Pelletier, p. 60).
L’oeuvre poétique de Madeleine Gagnon est pourvue d’une grande cohérence, ce dont témoigne Denise Brassard dans un article qui s’attarde au motif fondateur et structurant que sont les pierres dans la poésie de Gagnon. De Pensées du poème (1983) à Rêves de pierre (1999), Brassard montre bien que ce motif, souvent associé à la figure du père par certains commentateurs de l’oeuvre[30], dépasse cette correspondance symbolique et permet d’articuler une pensée abstraite au tellurisme de l’expérience-femme, donnant voix à un sujet poétique qui transcende les catégories du féminin et du masculin en renversant les rapports de filiation.
L’article de Luc Bonenfant se penche plutôt sur la prose de Gagnon et nous offre une fine analyse du récit de mort Le deuil du soleil, relevant les termes d’une écriture sororale qui, à travers l’utilisation itérative de repères temporels, l’évocation de noms propres formant une communauté de deuil où se mêlent écrivain·es et ami·es, et la mise en place d’une palette chromatique allant de bleu en plus noir, dévoile « une écriture positivement vouée à l’expérience du néant » (Bonenfant, p. 108). Abandonnant la verticalité transcendante qu’implique la Loi du père, Bonenfant montre bien que c’est la loi des Pairs qui permet à Gagnon de restituer une horizontalité communale à ce qu’il définit fort justement comme son « poème critique », offrant ainsi une remédiation « d’enjeux jusque-là largement occultés dans la pensée du Livre pour mieux souligner la contribution des femmes (et des humbles) au domaine des Lettres » (Bonenfant, p. 114).
Kevin Lambert, en dernier lieu, nous propose une interprétation de l’inconnaissable, un concept qui possède différents synonymes (sorcellerie, non-savoir, « continent noir », impensé) dans l’oeuvre de Gagnon. En commentant d’abord la genèse de sa pensée pour ensuite se tourner vers l’interprétation féministe et sociale que l’autrice fait de ce concept, Lambert montre comment le recours à l’inconnaissable lui permet d’aménager un espace libre pouvant accueillir ce qui n’a pas (encore) eu lieu. Pour une professeure de création littéraire, cette défense constante et passionnée de l’inconnu, de l’inédit et de l’indicible construit un lieu d’écoute pour les autres voix, celles à venir. Cette conception de l’écriture, de la théorie et de l’enseignement se lit sous un jour féministe, écrit Lambert. Les femmes, pour avoir historiquement été décrites et définies par la pensée patriarcale, incarnent selon Gagnon une identité négative. Leur résurgence dans le champ de la parole transforme ce qui était auparavant compris comme la « raison ». Ainsi l’article de Lambert met-il au jour le refus de Gagnon de donner une définition stable du féminin pour plutôt se concentrer sur les effets scripturaux de sa négativité ontologique, ce qui amène finalement l’autrice à rejeter le féminisme bourgeois libéral, qui vise selon elle une accession au pouvoir sans changer les modalités de son exercice, et prolonge les anciennes disparités entre dominant·es et dominé·es.
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« Ce qui te précède/t’appartient/ce que tu laisses/en partage/te quitte[31] ». Explorer l’oeuvre de Madeleine Gagnon aura été une tentative de nous approprier ce qui nous précède et nous appartient, dans la mesure où l’oeuvre de cette femme qui nous était il n’y a pas si longtemps étrangère s’était rendue jusqu’à nous en suivant des passerelles mystérieuses. Découvrir l’oeuvre revenait à nous découvrir dans l’oeuvre. Nous ne connaissions ni Gagnon ni ses mots, ou si peu, pourtant ce qu’elle a mis en place il y a cinquante ans, dans l’institution universitaire et dans le paysage littéraire québécois, aura eu des effets sur nous, sur notre désir d’enseigner la théorie psychanalytique, de la faire entrer en dialogue avec les études féministes, de pratiquer la recherche et la création dans un même mouvement. Il nous a dès lors semblé essentiel de faire se cohabiter dans ce dossier de nouvelles voix de la recherche et d’autres déjà établies. La petite section « Hommages » signée par quatre personnes qui ont connu Gagnon avant nous, avant même notre naissance, répond à ce désir : trois d’entre elles ont eu la chance de suivre l’enseignement de Gagnon : Simon Harel, Louise Cotnoir, Louise Dupré ; Renald Bérubé, quant à lui, cofondateur de Voix et Images, aura enseigné aux côtés de Gagnon, et on mesure bien dans ses mots que toute écriture est amour[32].
Notre dossier, même s’il embrasse largement l’oeuvre, ne saurait prétendre à l’exhaustivité. On y laisse inévitablement de côté des titres, des questions, voire des pratiques – Gagnon s’est en effet adonnée à la peinture et à la gravure, de même qu’à l’écriture de livres jeunesse, dimensions méconnues de sa production artistique. Nous souhaitons en cela que nos contemporains se réapproprient l’oeuvre de cette écrivaine, la découvrent ou la redécouvrent, car elle est habitée de questions vives, plus que jamais actuelles. Les mots de Gagnon s’adressent à nous, encore, nous interpellent sans répit
[…] pour qu’un jour les rapports politiques et sexuels entre les hommes, entre les hommes et les femmes, entre les femmes et les femmes, soient si radicalement transformés que les petits enfants mâles et les petits enfants femelles qui nous liront dans les siècles lointains en pleurent et en rient tout à la fois, de considérer de quels marasmes nous les avons enfantés, de quelle folie aveugle, de quel incompréhensible amour[33].
Parties annexes
Notes biographiques
LOUIS-DANIEL GODIN est professeur au Département d’études littéraires de l’UQAM et membre du Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ). Privilégiant une approche psychanalytique, il consacre ses recherches actuelles à la littérature québécoise contemporaine, et particulièrement à la question du nom propre. Son essai Les père-mutations. La paternité en question chez Hervé Bouchard et Michael Delisle est paru en 2021 aux Presses de l’Université de Montréal. Son premier roman, Le compte est bon, paraîtra aux éditions La Peuplade à l’été 2023.
LAURANCE OUELLET TREMBLAY est professeure de création littéraire et de théorie psychanalytique au Département des littératures de langue française, de traduction et de création (DLTC) de l’Université McGill. Elle a publié un récit et deux recueils de poésie aux éditions La Peuplade. Son dernier recueil, La vive virée vraie, est paru au Quartanier en septembre 2022. Elle a également fait paraître un livre savant, Le scandale et l’incommensurable, aux Presses de l’Université de Montréal en 2021.
Notes
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[1]
On peut mentionner, entre autres, le Prix littéraire du Journal de Montréal obtenu en 1986 pour Les fleurs de Catalpa, celui du Gouverneur général en 1991 pour Chant pour un Québec lointain. D’autres reconnaissances soulignent l’ensemble de son oeuvre : le prix Athanase-David en 2002, de même que l’Ordre national du Québec dont elle est décorée en 2015.
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[2]
Louise Dupré, Stratégies du vertige. Trois poètes : Nicole Brossard, Madeleine Gagnon, France Théoret, Montréal, Les éditions du remue-ménage, coll. « Itinéraires féministes », 1989, p. 210.
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[3]
Robert Melançon, « Pour réinventer le monde », Le Devoir, 26 mai 1979, p. 19.
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[4]
Madeleine Gagnon, « Mon corps dans l’écriture », Hélène Cixous, Madeleine Gagnon et Annie Leclerc, La venue à l’écriture, Paris, Union générale d’éditions, coll. « 10/18. Inédit », série « Féminin futur », 1977, p. 63.
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[5]
Madeleine Gagnon, « Préface », Autographie, t. I : Fictions, Montréal, VLB éditeur, 1982, p. 8.
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[6]
C’est le nom sous lequel elle signe sa contribution, « Amour parallèle », dans Jean-Marc Piotte, Madeleine Gagnon, Patrick Straram le Bison ravi, Portraits du voyage, Montréal, L’Aurore, coll. « Écrire », 1975, p. 33.
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[7]
On retrouve des textes de Gagnon au sein de plusieurs revues telles que Liberté, La Barre du jour, La Nouvelle Barre du jour, Possibles, Osiris, Dérives, Estuaire, Urgences, Passages.
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[8]
Gagnon a d’abord été impliquée comme secrétaire, et ensuite comme 1re vice-présidente de 1978 à 1980.
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[9]
« Le premier recueil nettement féministe au Québec », selon Louise Dupré, Stratégies du vertige, p. 251.
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[10]
Philippe Haeck, « Être au service d’une cause : honorable, mais difficile », Le Devoir, 10 mai 1975, p. 26.
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[11]
Madeleine Gagnon, « Pour les femmes et tous les autres [1974] », Autographie, t. I : Fictions, p. 55.
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[12]
Ibid., p. 117.
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[13]
Propos de Madeleine Gagnon recueillis dans Jean Royer, « Madeleine Gagnon. Explorer les premières traces du langage », Le Devoir, 26 mai 1979, p. 17.
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[14]
Pour les détails de cette querelle, voir Aurore Turbiau, « Au fil des numéros de revue : tensions hétérosexuelles et lesbiennes dans Les Têtes de pioche », Littératures engagées, 15 juin 2020, en ligne : https://engagees.hypotheses.org/2279 (page consultée le 3 avril 2023).
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[15]
Chloé Savoie-Bernard, Inventaire pendant liquidation. Expériences du temps dans les écritures au féminin au Québec 1970-1990, thèse de doctorat, Montréal, Université de Montréal, 2020, f. 267.
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[16]
Denise Boucher et Madeleine Gagnon, Retailles. Complaintes politiques, Montréal/Québec, Éditions L’Étincelle/L’Action sociale, 1977, p. 152.
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[17]
Propos de Madeleine Gagnon recueillis dans Lucie Robert et Ruth Major, « Percer le mur du son du sens, une entrevue avec Madeleine Gagnon », Voix et Images, vol. VIII, no 1, automne 1982, p. 7.
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[18]
Madeleine Gagnon, « Antre [1978] », Autographie, t. I : Fictions, p. 201.
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[19]
Ibid., p. 244.
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[20]
Madeleine Gagnon, La lettre infinie, Montréal, VLB éditeur, 1984, 108 p.
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[21]
Madeleine Gagnon, Au coeur de la lettre, Montréal, VLB éditeur, 1981, p. 64.
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[22]
Madeleine Gagnon, Lueur. Roman archéologique, Montréal, VLB éditeur, 1979, p. 90.
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[23]
Madeleine Gagnon, « Chant pour un Québec lointain [1990] », À l’ombre des mots. Poèmes, 1964-2006, Montréal, l’Hexagone, coll. « Rétrospectives », 2007, p. 350.
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[24]
Ibid.
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[25]
Madeleine Gagnon, « Des mots plein la bouche », Autographie, t. II : Toute écriture est amour, textes réunis et présentés par Jeanne Maranda et Maïr Verthuy, Montréal, VLB éditeur, 1989, p. 78.
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[26]
Madeleine Gagnon, Les femmes et la guerre, préface de Benoîte Groult, introduction de Monique Durand, Montréal, VLB éditeur, coll. « Partis pris actuels », 2000, p. 34.
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[27]
Dans une entrevue, Gagnon parle de son identification en négatif avec Lou Andréa Salomé, elle qui a abandonné son désir d’écriture pour s’adonner à la pratique de la psychanalyse, alors que Gagnon a fait précisément l’inverse. Jacques Therrien, « L’autobiographie fictive », Le Devoir, 20 mars 1994, p. D2.
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[28]
Pratique à laquelle elle reviendra plus tard en tant que professeure invitée et écrivaine en résidence aux universités de Montréal, de Sherbrooke et de Rimouski.
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[29]
Nous pensons ici à la lettre ouverte signée par Gagnon dans Le Devoir en 2006 (« À la défense de la littérature québécoise », 22 mars 2006, p. A6), qui constitue une réponse à l’article de David Homel publié dans Le Monde (« La littérature québécoise n’est pas un produit d’exportation », 17 mars 2006, p. LIV11).
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[30]
Entre autres par Paul Chanel Malenfant dans sa préface au Chant de la terre (Montréal, Typo, coll. « Typo », 2002), recueil qui rassemble les poèmes de Madeleine Gagnon publiés entre 1978 et 2002, anthologie qu’il a lui-même préparée et présentée.
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[31]
Madeleine Gagnon, Pensées du poème, Montréal, VLB éditeur, 1983, p. 19.
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[32]
C’est là le titre du deuxième tome (1989) de son Autographie, réunissant plusieurs courts essais de Gagnon publiés surtout en revues.
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[33]
Madeleine Gagnon, Lueur, p. 54-55.